Textes philosophiquesAlain sur la joie et le rireLa source de la joie est au-dedans, j'en conviens; et rien n'est plus attristant que de voir des gens mécontents d'eux et de tout, qui se chatouillent les uns les autres pour se faire rire. Mais il faut dire aussi que l'homme content, s'il est seul, oublie bientôt qu'il est content; toute sa joie est bientôt endormie; il en arrive à une espèce de stupidité et presque d'insensibilité. Le sentiment intérieur a besoin de mouvement extérieurs. Si quelque tyran m'emprisonnait pour m'apprendre à respecter les puissances, j'aurais comme règle de santé de rire tout seul tous les jours; je donnerais de l'exercice à ma joie comme j'en donnerais à mes jambes. Voici un paquet de branches sèches. Elles sont inertes en apparence comme al terre; si vous les laissez là, elles deviendront terre. Pourtant elles renferment une ardeur achée qu'elles ont prise au soleil. Approchez d'elles la plus petite flamme et bientôt vous aurez un brasier crépitant. Il fallait seulement secouer la porte et réveiller le prisonnier. C'est ainsi qu'il faut une espèce de mise en train pour éveiller la joie.
Propos sur le bonheur,
folio, p. 176-177.
Indications de lecture :
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