Textes philosophiques

Arthur Schopenhauer     sur la question de la mort


    "Quoi, dira-t-on, la persistance d'une pure poussière, d'une matière brute ; ce serait là la persistance de notre être ? Voyons, connaissez-vous donc cette poussière ? Savez-vous ce qu'elle est et ce qu'elle peut ? Apprenez à la connaître avant de la mépriser. Cette matière qui n'est maintenant que poussière et que cendre, bientôt dissoute dans l'eau, deviendra cristal, brillera comme métal, jaillira en étincelles électriques, manifestera sa puissance magnétique, se façonnera en plantes et en animaux, et de son sein mystérieux se développera cette vie, dont la perte tourmente tant notre esprit borné. Durer sous la forme de cette matière, n'est donc rien ? Spinoza a raison de dire que nous nous sentons éternels, sentimus experimurque nos aeternos esse; et la Nature, au sens transcendant, ressemble à ce château dont parle Diderot dans Jacques le Fataliste, au frontispice duquel on lisait : "Je n'appartiens à personne et j'appartiens à tout le monde ; vous y étiez avant que d'y entrer et vous y serez encore quand vous en sortirez." L'individu meurt, l'espèce est indestructible. L'individu est l'expression dans le temps de l'espèce qui est hors du temps. "La mort est pour l'espèce ce que le sommeil est pour l'individu". L'espèce représente un des aspects de la volonté comme chose en soi. A ce titre, elle représente ce qu'il y a d'indestructible dans l'individu vivant... Elle contient tout ce qui est, tout ce qui fut, tout ce qui sera. Quand nous jetons un regard vers l'avenir et que nous pensons aux générations futures avec leurs millions d'individus humains, différents de nous par leurs mœurs et leurs costumes, et que nous essayons de nous les rendre présents, cette question se pose : D'où viendront-ils tous ? Où sont-ils maintenant ? Où donc est ce riche sein du néant, gros du monde, qui cache les générations à venir ? - Et où pourraît-il être, sinon là où toute réalité a été et sera, dans le présent et dans ce qu'il contient ; en toi-même, questionneur insensé, qui, en méconnaissant ta propre essence, ressembles à la feuille sur l'arbre qui, se flétrissant en automne et pensant qu'elle va tomber, se lamente sur sa mort et ne veut pas se consoler à la vue de la fraîche verdure dont, au printemps, l'arbre sera revêtu. Elle dit en pleurant : - Je ne suis plus rien. - Feuille insensée. Où veux-tu aller ? D'où les autres feuilles pourraient-elles venir? Où est ce néant dont tu crains le gouffre ? Reconnais donc ton propre être dans cette force intérieure, cachée, toujours agissante, de l'arbre qui à travers toutes les générations de feuilles ne connaît ni la naissance ni la mort. Et maintenant l'homme n'est-il pas comme la feuille ? Pour la plupart des hommes, la vie n'est qu'un combat perpétuel pour l'existence même, avec la certitude d'être vaincu. Et ce qui leur fait endurer cette lutte avec ses angoisses, ce n'est pas tant l'amour de la vie, que la peur de la mort, qui pourtant est là, quelque part cachée, prête à paraître à tout instant. - La vie elle-même est une mer pleine d'écueils et de gouffres ; l'homme, à force de prudence et de soin, les évite, et sait pourtant que, vint-il à bout, par son énergie et son art, de se glisser entre eux, il ne fait ainsi que s'avancer peu à peu vers le grand, le total, l'inévitable et l'irrémédiable naufrage ; qu'il a le cap sur le lieu de sa perte, sur la mort ; voilà le terme dernier de ce pénible voyage, plus redoutable à ses yeux que tant d'écueils jusque là évités.".

Le monde comme volonté de représentation

Indications de lecture:

Voir la leçon La représentation de la mort.

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