Nous vivons dans un monde qui se soucie assez peu de la mort. Nous connaissons la mort-spectacle, celle du cinéma et de ses effusions de sang, la mort-actualité, celle de la télévision, de ses faits divers et des images de la guerre et de la violence, la mort-carnage des jeux vidéo. Mais ce n'est encore que du spectacle, de la représentation, ce n'est pas la vie qui est nôtre, dans sa subjectivité la plus intime et la plus vive. cela ne suffit pas pour que nous en tirions pour nous-mêmes une leçon de vie. Cette mort est en effet trop dans l'extériorité, trop dans l'ordre de l'image, pour qu'elle puisse nous concerner de près.
Pourtant, elle vient très tôt frapper à notre porter. La vie est une succession de deuils que nous sommes bien obligés d'assumer : mort de nos proches, mort de nos parents, mort d'un ami, d'un frère, mort de celui ou de celle qui nous aimions. Le deuil n'est pas une chose qui aille de soi, mais qui se vit et qui donne une leçon de vie. Mais traverser un deuil, est-ce pour autant être capable d'apprivoiser la mort? Peut-on tirer de la mort une leçon de sagesse pour la vie?
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La mort, la plupart du temps, nous évitons d'y penser, nous faisons comme si il elle ne nous concernait pas. La première réponse que nous devons étudier correspond donc à la question est : ne faut-il pas vivre comme si on ne devait jamais mourir?
1) Après tout, pensons-nous dans l’opinion, la mort, on aura tout le temps d’y penser quand elle sera là, en attendant, on n’a qu’à vivre et ne pas y penser ! Alors, autant faire "comme si" la mort n'existait pas, et vivre dans l'insouciance, ne songeant qu'à nos projets, nos plaisirs du moment, ou à nos plaisirs futurs.
Il y a cependant insouciance et insouciance. La forme la plus commune d’insouciance face à la mort consiste à feindre de l’ignorer, à l’esquiver, pour « faire comme si » elle n’existait pas, faire comme si nous devions rester des adolescent éternels, un peu comme dans ces images publicitaires de jeunesse, qui une fois enregistrées, sont éternelles. Soyons fiers de notre jeunesse, pour nous moquer de la mort et en laisser la pensée aux vieux et aux malades ! Comme le beau cow-boy Marlboro sur les publicités (au fait il est mort d’un cancer maintenant!). Profitons de la vie et moquons-nous de la mort, elle ne nous concerne pas, elle ne concerne que les autres : ceux qui ont un accident, les vieux ou les malades, nous on est indemne et on peut profiter de la vie et rire à notre soûl. Profitons, profitons, et fuyons la mort donc. Je ne sais pas si vous vous reconnaissez encoredans cette manière de voir, si en regardant ce qu'elle implique, vous pouvez encore y adhérer, même si vous avez pu à un moment penser de cette manière. Qui pourrait consciemment prendre le parti de l’inconscience ?
2) Il y a cependant peut-être moyen d'en sauver l’idée. Il y a chez Vauvenargues des aphorismes qui vont dans le sens de l’insouciance, mais avec des justifications très différentes. Ce que rejette Vauvenargues, c’est le fatalisme, le défaitisme d’une rumination constante de la mort : "La pensée de la mort nous trompe, car elle nous fait oublier de vivre". Une constante pensée de la mort ne peut que nous éloigner du courant de la Vie. Un être qui serait obsédé par la pensée de la mort, ne pourrait plus rien faire ici bas. Pour vouloir, il faut donner un sens au futur et si le futur est fermé d'emblée par la mort, on ne peut rien vouloir, rien accomplir. A quoi bon élaborer un quelconque projet, si c'est pour le mettre constamment en balance avec l'idée de la mort? C'est devenir fataliste. Si je dois constamment me représenter ma disparition, ma vie n'est que vanité, pour qu'elle ait un sens, il me faut donc refuser de garder constamment sous les yeux la pensée de la mort. "Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir". Il faut ne se représenter la vie que comme une entreprise indéfinie, qui ne peut-être marquer d'aucun point d'arrêt. Il faut calculer nos fins, agencer nos moyens au-delà des bornes de notre existences. Mieux : penser qu'après nous, d'autres pourrons prolonger notre œuvre. C'est un peu la logique du forestier. Il plante des arbres qu'il ne verra pas la taille adulte. Il plante pour les générations à venir et non pour lui-même. Prévoir, c'est penser étaler les coupes de bois dans le temps et non penser à court terme dans une logique égocentrique. De même, nous devrions penser nos projets au-delà de nos l...
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---------------3) L’opinion ne sait pas reconnaître l’importance de la mort. Le on qui s'exprime dans l’opinion banalise la mort et en reste à des platitudes du genre : « On meurt bien un jour, mais en attendant on reste soi-même sain et sauf ». Ce on, c’est l’indéfini, vous moi, n’importe qui, de telle manière à ce que personne ne se sente véritablement interpellé. C’est le sujet de la banalité quotidienne, de la conscience commune. Qu’est-ce que la banalité quotidienne peut donc dire de la mort ? Qu’elle est une sorte « d’accident courant », qu’elle est un « événement ordinaire », ou dans certain cas un « événement dont on parle à la télévision et dans les journaux », quand il y a une catastrophe ou un accident. C’est donc une chose indéterminée, vague, qui ne manque pas d’arriver, mais qui, jusque là ne nous concerne pas en propre. C’est un événement "public" qui ne concerne que le on, pas moi. Autour du mourrant on se rassure, on se rassure en banalisant l’événement de la mort, car explique Heidegger, il ne faut surtout pas que la mort nous réveille de notre « soucieuse insouciance ». Nous nous agitons tellement pour tisser notre vie de petites choses, qui nous occupent si entièrement, qu’il ne faudrait pas qu’on soit dé-rangé dans notre rangement bien ordinaire. On a pas le temps de penser à cela, on « est affairé par l’urgence de ses soucis ». La pensée de la mort, si nous devions la rencontrer, serait un réveil brutal dans notre sommeil de tous les jours. Ainsi, tacitement, l’opinion a adopté une attitude indifférente face à la mort et elle y parvient en réglementant ce qui est « convenable » face à la mort. Ce qu’on doit faire quand elle arrive, l’attitude conforme qu’on doit adopter. Ainsi quand toutes les paroles, tous les actes sont banalisés d’avance, il n’est plus rien d’étonnant dans le fait de la mort, nous sommes blindés contre tout dé-rangement. Nous entretenons une quiétude indifférente envers ce fait que je peux mourir, que les autres peuvent mourir, mon ami, ma femme, mon proche doivent mourir. L’opinion, n’acceptant pas la mort, la dissimule, mais avec une ruse remarquable, en feignant de la reconnaître sous le masque de l’indéfini. « La mort ? Ah oui, oui, on connaît. C’est bien connu, c’est banal » ! Mais le on ne se procure ainsi qu’un apaisement illusoire, qu’une apaisement au prix d’une ...
On est toujours assez jeune pour mouri
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Questions:
1. Sur quelle conscience de la morte la recherche de l'immortalité dans la création artistique repose-t-elle?
2. De quelle manière la religion intervient-elle face à l'insouciance devant la mort?
3. Faut-il donner raison au fatalisme ou dénoncer son piège?
4. Comment se fait-il que le processus du deuil ne concerne pas seulement la disparition d'un proche, mais puisse aussi affecter notre relation aux objets?
5. L'acceptation de la mort équivaut-elle à une résignation?
6. Pourquoi le moi craint-il la mort?
7. A partir du moment où nous reconnaissons dans la Vie la puissance qui porte tout à la fois la naissance et la mort, quel pourrait être l'objet de notre angoisse face à la mort?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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