Textes philosophiquesShri Aurobindo Les sept formes de l'ignorance« Nous ignorons l’Absolu qui est la source de tout être et de tout devenir ; nous prenons des faits partiels de l’être et des rapports temporels du devenir pour la vérité totale de l’existence – c’est là notre ignorance première, originelle. Nous ignorons le moi inspatial, intemporel, immobile et immuable ; nous prenons la mobilité et le changement constants du devenir cosmique dans le Temps et l’Espace pour la vérité totale de l’existence – c’est là notre deuxième ignorance, l’ignorance cosmique. Nous ignorons notre moi universel, l’existence cosmique, la conscience cosmique, notre infinie unité avec tout être et tout devenir ; nous prenons notre mental, notre vital, notre corps, égoïste et limités, pour notre vrai moi, et nous considérons tout le reste comme non-soi – c’est notre troisième ignorance, celle qui est de la nature de l’ego. Nous ignorons notre éternel devenir dans le Temps ; nous prenons cette vie insignifiante dans un court laps de temps, une dérisoire bande d’espace, pour notre commencement, notre milieu et notre fin – c’est là notre quatrième ignorance, la temporelle. Et même dans ce bref devenir temporel, nous ignorons l’ampleur et la complexité de notre être, tout ce qui en nous est supraconscient, subconscient, intraconscient, circumconscient par rapport à notre devenir apparent ; nous prenons ce devenir superficiel, avec son maigre assortiment d’expérience ouvertement mentalisées pour la totalité de notre existence – c’est là notre cinquième ignorance, la psychologique. Nous ignorons la vraie constitution de notre devenir, nous prenons le mental ou la vie ou le corps, ou deux d’entre eux, ou les trois à la fois pour le vrai principe de notre être ou pour l’explication de tout ce que nous sommes et nous perdons de vue ce qui les constitue et les détermine par sa présence occulte, et qui doit par son émergence déterminer souverainement leurs opérations – c’est notre sixième ignorance, la constitutionnelle. Comme conséquence de toutes ces ignorances, nous passions à côté de la vraie jouissance de notre vie dans le monde ; nous sommes ignorants dans notre pensée, notre volonté, nos sensations et nos actions, nous donnons chaque fois des réponses fausses ou imparfaites aux questions que nous pose le monde, nous errons dans un labyrinthe d’erreurs et de désirs, d’efforts et d’échecs, de douleurs et de plaisirs, de péchés et de chutes, nous suivons un chemin tortueux, tâtonnant aveuglément pour saisir un but changeant – c’est là notre septième ignorance, l’ignorance pratique. La conception que nous avons de l’Ignorance déterminera nécessairement celle que nous aurons de la Connaissance et déterminera par suite le but de l’effort humain et l’objectif de l’effort cosmique – puisque notre vie est l’Ignorance qui à la fois nie la Connaissance et la recherche. La connaissance intégrale signifiera donc l’abolition de la septuple Ignorance grâce à la découverte de ce qui lui échappe et qu’elle ignore, une septuple révélation-de-soi dans notre conscience ». La Vie divine, III, p. 35-36. Indications de lecture:Admirable séquence qui recoupe beaucoup de descriptions et donne un angle d’attaque de l’ignorance dans la spiritualité vivante. Quelques remarques en vrac : L’ignorance (1) est très platonicienne, elle fait irrésistiblement penser à Plotin et Krishnamurti. (2) est très bien décrite par Douglas Harding. (3) est discernée par l’advaita-vedanta, par exemple Shankara et toute la tradition qui en découle, par exemple Ramana Maharshi. (4) est le terrain d’investigation privilégié d’Eckhart Tolle. (5) Décrit assez bien le travail d’investigation d’Aurobindo lui-même qui a été très loin dans ce domaine. (6) implicitement ici, il est question du travail souterrain de l’âme opérant en secret en arrière du mental et du corps. Ce côté ésotérique fait penser à toute une littérature, par exemple au maître bulgare O. Michaël Aivainov. (7) Voyez le tableau que dresse Pascal de la condition humaine, voyez aussi Arthur Schopenhauer, Kierkegaard et la littérature existentialiste. A cette ignorance pratique on opposera comme remède l’éthique et l’art de vivre sous bien des formes, Spinozisme, Épicurisme et stoïcisme par exemple. p. 37. il est bien précisé que l’enjeu de la Connaissance dépasse de loin les limites des construction de l’intellect dans le savoir ou la spéculation. Ne surtout pas oublier que : «ce n’est pas une connaissance intellectuelle qui puisse être acquise et parachevée dans le moule actuel de notre conscience ; ce doit être une expérience, un devenir, un changement de conscience, un changement d’être ». cf. Sagesse et ignorance.
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