Textes philosophiques

Averroès     Aucune unanimité n’interdit l’interprétation.


      Et si quelqu’un dit : qu’il y a dans le Charâa1 des choses sur quoi les musulmans sont unanimes pour les comprendre telles quelles apparaissent, qu’il y a des choses qu’il faut interpréter, et qu’il y a des choses sur quoi ils diffèrent, la démonstration peut-elle amener à interpréter le manifeste, ce sur quoi ils sont unanimes, ou l’apparence de quoi ils sont d’accord pour interpréter ?

     Nous disons : Si l’unanimité est acquise, d’une manière certaine, il ne faut pas corriger, alors que si l’unanimité est douteuse, il faut corriger. Et c’est pour ça qu’Abou Hamed (El Ghazali) et Abou El Maâli, et d’autres imams penseurs, disent : qu’il ne faut pas déclarer d’une manière sans équivoque l’impiété de celui qui transgresse l’unanimité dans l’interprétation de telles choses.

     Ce qui peut vous prouver que l’unanimité dans les questions théoriques ne peut être certaine comme il peut en être le cas dans les questions pratiques. Il est impossible qu’il y ait unanimité à propos d’un certain problème, à une époque déterminée, si et seulement si cette époque est bien définie pour nous, et que tous les savants existants à l’époque sont connus de notre part, je veux dire leur personnalité et leur nombre, et que nous disposons, suivant un récit2 continu, de la doctrine de chacun dans la résolution du problème. Et en plus de tout ceci, il faut que nous soyons convainquis que tous les savants de l’époque concernée sont d’accord pour dire qu’il n y pas dans le Charâa du manifeste et du latent, et que le savoir se rapportant à chaque question ne doit pas être caché à quiconque ; et que la voie de la science religieuse est commune à tous. Cependant, nombreux sont les pionniers (les premiers savants musulmans) de qui on transmet le fait de voir qu’il y a dans le Charâa un côté manifeste et un autre latent, et qu’il ne faut pas que celui qui est incapable de connaître le latent se prête à le connaître parce qu’il est incapable de le comprendre – comme il est rapporté par Bokhari3 d’Ali4 - il a dit : parlez aux gens de quoi ils peuvent connaître ; voulez-vous qu’on prenne pour menteurs Dieu et son prophète ? et de même ce qu’on retient du récit de certains anciens – alors comment peut-on se représenter un consensus qui nous est transmis concernant l’une des questions théoriques, alors que nous savons d’une manière évidente qu’à chaque époque il y a des savants qui pensent qu’il y a dans le Charâa des choses dont la vérité ne doit pas être connue de la part de tout le monde ? A l’encontre de ce qui arrive dans les pratiques et que tous les hommes pensent que son énonciation est la même pour tout le monde ; et qu’il suffit pour qu’il y ait consensus que la question soit publiée, et qu’on ne nous transmet, à son égard, aucun conflit. Si ceci est suffisant pour le consensus dans les pratiques le contraire l’est pour les théoriques. (original)

Le décisif discours A propos de(s) relation(s) entre religion et philosophie Traduction et notes par A. MAROUANI

Indications de lecture:

Ce texte d’Averroès (Ibn Rochd) est l’un des textes qui a provoqué et ne cesse de provoquer des interprétations différentes jusqu’à la contradiction. Certains considèrent ce texte comme la justification de laisser les communs dans l’opinion (au sens platonicien) pour ne pas dire l’ignorance (du savoir pointu concernant toutes les questions, avec pour exemple la théologie au sens propre). D’autres considèrent que la science doit être donnée à tous.

En fait religion et philosophie sont considérées pour les uns comme des jumeaux qui ont « sucé le même sein » alors que pour d’autres sont diamétralement opposées : l’une est rationnelle tandis que l’autre est spirituelle…. Parmi les commentateurs arabes de ce penseur, certains font le rapprochement entre sa philosophie et celle de Spinoza, pour qui, d’un certain point de vue, « la religion est le salut des ignorants »

N.b. : Dans notre traduction, nous avons cherché à reproduire (le plus possible) le texte arabe tout en pensant à d’autres cultures qui n’ont pas les mêmes traditions mentales. Nous avons évité de reprendre les traductions disponibles qui sont faites, généralement, d’un point de vue beaucoup plus idéologique que philosophique.

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