Textes philosophiquesJacques Ellul la vitesse vers nulle part"Nous sommes partis à une vitesse sans cesse croissante vers nulle part. Le monde occidental va très vite. De plus en plus vite, mais il n'y a pas d'orbite où se situer, il n'y a pas de point vers lequel on avance, il n'y a ni lieu ni objectif. On discerne les erreurs que l'on a commises, et on continue avec une obstination qui dure comme si elle était aveugle. On sait ce que veut dire la menace atomique, et on continue comme une taupe à fabriquer bombes H et usines à énergie atomique. On sait ce qu'implique la pollution, et on continue imperturbablement à polluer l'air, les rivières, l'océan. On sait que l'homme devient fou en vivant dans les grands ensembles et on continue automatiquement à fabriquer ces grands ensembles. On sait quels sont les dangers des pesticides et des engrais chimiques et on continue à les répandre à doses sans cesse plus massives... on sait - comme la victime masochiste qui sait que dans chaque bol de bouillon on lui a versé un peu d'arsenic et boit cependant jour après jour ce bol de bouillon comme poussé par une force supérieure à sa volonté. Nous accélérons indéfiniment et qu'imposte où on va. C'est le délire, l'hybris de la danse de mort, ce qui compte, c'est précisément la danse elle-même, du néant qu'elle annonce, on ne s'inquiète plus de ce qui sortira. Mourir pour danser. Notre génération n'est même pas capable de cynisme. Il faut une grandeur terrible pour oser dire « après nous le déluge... ». Mais nul ne le dit, au contraire, chacun regorge de promesses et tient sa danse folle pour une authentique démarche du renouvellement. Mais il n'y a plus objectif ni transcendant, ni valeur déterminante, le mouvement se suffit". Trahison de l'Occident, Calmann-Lévy (1975) Indications de lecture :Cf. Les leçons sur la technique. Vitesse, technique et conscience.
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