Textes philosophiques
Peter Singer et Jens Hauser
entretien réalisé pour
Arte à New York
Jens Hauser : Quand les
bio-artistes produisent des sculptures biologiques de « steaks » ou de «
cuir » en fabriquant des tissus sans victime animale, ils se réfèrent dans
leur utopie artistique à votre concept du « spécisme »: ils comparent la
prétendue discrimination d’autres espèces non-humaines avec le racisme ou le
sexisme.
Peter Singer : Parler de
« cuir sans victime » implique que le cuir nécessite normalement des
victimes. La plupart des gens ne se demandent même pas ce qu’est le cuir.
Nous considérons encore les animaux comme des choses. Et nous tuons même
sans scrupules les babouins, des animaux très évolués. Et même les
chimpanzés sont utilisés comme « donneurs » d’organe, ils ne sont évidemment
pas donneurs, on les tue pour les amputer du cœur. On trouve cela
acceptable. Certes les gens ont de plus en plus de remords vis-à-vis des
chimpanzés, mais on continue d’abuser des babouins. D’un autre côté, il est
jugé inacceptable d’utiliser des organes humains prélevés par exemple sur un
nourrisson né sans cerveau ou uniquement avec un tronc cérébral. Cet exemple
montre combien il est insensé de privilégier catégoriquement notre propre
espèce. Cet art peut nous faire prendre conscience de l’inanité de la
barrière entre les espèces.
JH : Les artistes
travaillant avec le Tissue Engineering, la génétique ou les cellules souches
et ne faisant aucune différence en laboratoire entre cellules humaines et
animales remettent effectivement en question la barrière des espèces en
cette ère de la biotechnologie…
PS : Cela montre combien
cette barrière est artificielle est que la biotechnologie peut créer ces
liens au niveau cellulaire. Cela amène les gens à réfléchir à combien les
animaux humains et non humains sont proches. On peut se familiariser avec
cette idée avec la génétique, la théorie de l’évolution et la philosophie,
ou justement par le biais de l’art.
JH : Votre slogan est «
ethics into action » – traduire l’éthique par des actes concrets. Votre
ouvrage « Animal Liberation » a marqué le mouvement de défense des droits
des animaux– comment votre concept se poursuit-il sous l’ère de la
biotechnologie ?
PS : Si l’on regarde
l’évolution passée du concept d’éthique pour l’Homme, on voit que le cercle
de ses bénéficiaires s’est constamment élargi. Quand l’Homme vivait
encore dans des groupes de 200 individus, il ne fallait respecter l’éthique
que dans la tribu. Il n’y avait pas de considération éthique qui vaille
vis-à-vis des autres groupes, on pouvait tuer l’autre. Avec l’apparition de
du langage, le cercle s’est élargi. Pourtant, au dix-neuvième siècle, le
racisme et l’esclavagisme existaient encore. On pouvait posséder d’autres
êtres humains, les faire travailler pour soi comme des outils ou s’accaparer
leurs enfants. La Déclaration des Droits de l’Homme y a mis fin. Beaucoup
pensent qu’on est allé assez loin. Mais après 1000 ans d’une telle
évolution, on en arrive aux frontières de l’espèce humaine. Nous sommes
pourtant toujours aussi aveugles, comme l’ont été les racistes, vis-à-vis
des milliards d’autres êtres sensibles qui peuvent souffrir et ont une
conscience. Il existe un parallélisme entre notre manière de traiter les
animaux et la manière qu’avaient les racistes de traiter les êtres humains
appartenant à la « mauvaise » race. Nous ne devons pas cesser d’élargir le
cercle.
JH : Cette forme d’art
peut-elle transmettre des concepts philosophiques tels que votre « éthique
appliquée» ?
PS : L’art et la
philosophie sont différents. Il est vrai que l’art incite les personnes à
réfléchir et encourage à percevoir les animaux différemment. Mais,
contrairement à la philosophie, il ne fournit aucun argument et point de
vue. La philosophie peut contraindre même des personnes religieuses à
changer leur point de vue grâce à des arguments rationnels. L’art ne le peut
pas. L’art présente toujours plusieurs arguments en parallèle, il
enthousiasme, mais le public peut le mettre en accord avec ses croyances,
l’Homme est d’ailleurs spécialiste en la matière. Cependant, l’art et la
philosophie peuvent ici se compléter.
JH : Vous parlez d’une «
éthique séculière» qui dépasse le concept religieux établi selon lequel
l’Homme doit assujettir la terre. Le bio-art contribue-t-il à votre avis à
cette sécularisation ?
PS : Cela dépend de la
conviction religieuse du public. Il est déjà effarant de voir comme la
religion a absorbé la théorie de l’évolution de Darwin. Et ici, aux
États-Unis, il y a encore des millions d’intégristes chrétiens qui n’y
croient tout simplement pas. Mais dans le monde entier, presque toutes les
religions sont parvenues à intégrer cette entaille considérable qu’est la
théorie de l’évolution dans leurs concepts religieux. Aujourd’hui, la
biotechnologie montre qu’on peut mélanger tissus et cellules humains et
animaux et que nos structures moléculaires sont très proches; cela va
contraindre à porter un regard critique sur sa religion à ce sujet. Mais
cette révolution n’est pas plus spectaculaire que ne l’a été celle de la
théorie de l’évolution. La religion a toujours fait preuve de souplesse
quand il s’est agi d’absorber de nouvelles connaissances.
JH : Dans la lutte pour
les droits des animaux, faut-il forcément se défaire de la religion ? Des
théologiens, comme Saint Thomas d’Aquin au treizième siècle, étaient d’avis
qu’une personne maltraitant les animaux maltraitait aussi les autres êtres
humains.
PS : Que l’Homme aime
les animaux ne signifie pas encore qu’il traite l’Homme de manière éthique
et correcte, loin de là. Les Nazis aimaient les animaux, Hitler adorait bien
son chien. Mon homonyme, l’écrivain Isaak Singer, avait dit: « pour les
animaux, c’est tous les jours Treblinka. » Notre relation avec les animaux
est d’une certaine mesure semblable à celles que nous avons eu avec les
Juifs. Et au dix-neuvième siècle, le Vatican s’élevait contre les mouvements
en Europe visant à interdire les cruautés envers les animaux. Car cela
aurait donné aux gens l’idée „fausse“ que l’on aurait des devoirs envers les
animaux, alors qu’on ne saurait avoir des devoirs qu’envers l’Homme. Il y a,
aujourd’hui encore, des courants conservateurs qui pensent qu’il est très
important de maintenir un fossé entre les animaux humains et non humains.
Indications de
lecture:
Consulter le site des
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