Textes philosophiques

Jean-Claude Carrière             sur l'illusion de la croissance


           "Nous étions un obèse hypertendu, un très gros mangeur, qui vient de subir une attaque cardiaque. Et les médecins lui disaient : "il faut manger, manger le plus possible, tout de suite, vite, c'est le seul moyen de vous en sortir".

       Et que ceux qui ne peuvent pas s'offrir de quoi vivre restent le long de notre chemin.

       Ainsi, tout en nous gargarisant de mots que nous pensions magiques à force les répéter, croissance, reprise, investissement, économie libérale, loi des marchés, compétitivité et quelques autres, nous avons choisi de nous soigner dans la pénurie et dans la panique. Mot d'ordre de tous les escadrons: surtout ne rien changer, notre voie est la seule bonne malgré quelques déraillements, nous finirons par redresser les drapeaux, par relancer les entreprises défaillantes et - pierre philosophale de l'économie contemporaine - par créer des emplois (le travail comme un rêve fragile). Le travail c'est la santé - cela, nous le savions déjà - mas c'est aussi, comme cela s'affichait au fronton des camps de concentrations hitlériens, la liberté.

     La presque totalité des "économistes" convoqués partagent en effet, au moins publiquement, la même conviction qui tient du credo. Hors du libéralisme, point de salut... Par conséquent, il n'est pas question de faire bouger nos conclusions, même d'un iota. Foi sans fissure, inébranlable. Fidèle au dogme, nous gardons nos idées parce qu'elles sont bonnes. Bossuet disait à peu près la même chose en parlant des protestants (comme Saint Augustin à propos des donatistes) : nous avons le droit des les persécuter, parce que nous avons raison et qu'ils ont tort.

    En matière de finance, nous suivons cette voie depuis quarante ans. Nous en sommes toujours là, écoutant distraitement els mêmes sermons, les mêmes cantiques. Pour combien de tes avant les prochaines faillites? "... "Les scientifiques du MIT  dès 1972 avaient raison. Les mots croissance perpétuelle constituent un oxymore".

L'argent, sa vie, sa mort, p. 225-226, 230.

Indications de lecture:

cf. la leçon Croissance, décroissance et développement. Sur le paradigme raison/tort voir index thématique.


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