Textes philosophiques
Confucius celui qui étudie
" I.1. Le Maître dit : « Celui qui
étudie pour appliquer au bon moment n’y trouve-t-il pas de la satisfaction ?
Si des amis viennent de loin recevoir ses leçons, n’éprouve-t-il pas une
grande joie ? S’il reste inconnu des hommes et n’en ressent aucune peine,
n’est-il pas un homme honorable ? »
I.2. Iou tzeu dit : « Parmi les hommes naturellement enclins à respecter
leurs parents, à honorer ceux qui sont au-dessus d’eux, peu aiment à
résister à leurs supérieurs. Un homme qui n’aime pas à résister à
l’autorité, et cependant aime à exciter du trouble, ne s’est jamais
rencontré. Le sage donne son principal soin à la racine. Une fois la racine
affermie, la Voie peut naître. L’affection envers nos parents et le respect
envers ceux qui sont au-dessus de nous sont comme la racine de la vertu. »
I.3. Le Maître dit :
« Chercher à plaire aux hommes par des discours étudiés et un extérieur
composé est rarement signe de plénitude humaine. »
I.4. Tseng tzeu dit : « Je m’examine chaque jour sur trois choses : si,
traitant une affaire pour un autre, je ne l’ai pas traitée sans loyauté ;
si, dans mes relations avec mes amis, je n’ai pas manqué de sincérité ; si
je n’ai pas négligé de mettre en pratique les leçons que j’ai reçues. »
I.5. Le Maître dit : « Celui qui gouverne une principauté qui entretient
mille chariots de guerre doit être attentif aux affaires et tenir sa parole,
modérer les dépenses et aimer les hommes, n’employer le peuple que dans les
temps convenables.
I.6. Le Maître dit : « Un
jeune homme, dans la maison, doit aimer et respecter ses parents. Hors de la
maison, il doit respecter ceux qui sont plus âgés ou d’un rang plus élevé
que lui. Il doit être attentif et sincère dans ses paroles ; aimer tout le
monde, mais se lier plus étroitement avec les hommes d’humanité. Ces devoirs
remplis, s’il lui reste du temps et des forces, qu’il les emploie à l’étude
des lettres et des arts libéraux. »
I.7. Tzeu hia dit : « Celui qui, au lieu d’aimer les plaisirs, aime et
recherche les hommes sages, qui aide ses parents de toutes ses forces, qui
se dépense tout entier au service de son prince, qui avec ses amis parle
sincèrement, quand même on me dirait qu’un tel homme n’a pas étudié,
j’affirmerais qu’il a étudié. »
I.8. Le Maître dit : « Si un homme honorable manque de gravité, il ne sera
pas respecté et sa connaissance ne sera pas solide. Qu’il mette au premier
rang la loyauté et la sincérité ; qu’il ne lie pas amitié avec des hommes
qui ne lui ressemblent pas ; s’il tombe dans un défaut, qu’il ait le courage
de s’en corriger. »
I.9. Tseng tzeu dit : « Si le prince rend les derniers devoirs à ses parents
avec un vrai zèle et honore par des offrandes ses ancêtres même éloignés, la
Vertu fleurira parmi le peuple. »
I.10. Tzeu k’in adressa cette question à Tzeu koung : « Quand notre Maître
arrive dans une principauté, il reçoit toujours des renseignements sur
l’administration de l’État. Est-ce lui qui les demande au prince, ou bien
est-ce le prince qui les lui offre ? » Tzeu koung répondit : « Notre Maître
les obtient non par des interrogations, mais par sa douceur, son calme, son
respect, sa tenue modeste et sa déférence. Il a une manière d’interroger qui
n’est pas celle des autres hommes. »
I.11. Le Maître dit : « Du vivant de son père, observez les intentions d’un
homme. Après la mort de son père, observez sa conduite. Si, durant les trois
ans de deuil, il ne dévie pas de la voie dictée par son père, on pourra dire
qu’il pratique la piété filiale. »
I.12. Iou tzeu dit : « Dans l’usage des rites, le plus précieux est
l’harmonie. C’est pour cette raison que les règles des anciens souverains
sont excellentes. Toutes les actions, grandes ou petites, s’y conforment.
Cependant, il est une chose qu’il faut éviter : cultiver l’harmonie pour
elle-même, sans qu’elle soit réglée par les rites, ne peut se faire. »
I.13. Iou tzeu dit : « Toute promesse conforme à la justice peut être tenue.
Tout respect ajusté aux rites éloigne honte et déshonneur. Si vous
choisissez pour protecteur un homme digne de votre amitié et de votre
confiance, vous pourrez lui rester attaché à jamais. »
I.14. Le Maître dit : « Un homme honorable qui ne recherche pas la
satisfaction de son appétit dans la nourriture, ni ses commodités dans son
habitation, qui est diligent en affaires et circonspect dans ses paroles,
qui se rectifie auprès des hommes vertueux, celui-là a un véritable désir
d’apprendre. »
I.15. Tzeu koung dit : « Que faut-il penser de celui qui, étant pauvre,
n’est pas flatteur, ou qui, étant riche, n’est pas orgueilleux ? » Le Maître
répondit : « Il est louable ; mais celui-là l’est encore plus qui, dans la
pauvreté, vit content, ou qui, au milieu des richesses, reste courtois. »
Tzeu koung répliqua : « On lit dans le Livre des Odes : “Coupez et limez,
taillez et polissez.” Ces paroles n’ont-elles pas le même sens ? » Le Maître
repartit : « Seu, je peux enfin parler avec toi du Livre des Odes ! À ma
réponse à ta question, tu as aussitôt compris le sens des vers que tu as
cités. »
I.16. Le Maître dit : « Ne
vous affligez pas de ce que les hommes ne vous connaissent pas ;
affligez-vous de ne pas connaître les hommes. »
II.1. Le Maître dit :
« Celui qui gouverne un peuple par la Vertu est comme l’étoile polaire qui
demeure immobile, pendant que toutes les autres étoiles se meuvent autour
d’elle. »
II.2. Le Maître dit : « Les Odes sont au nombre de trois cents. Un seul mot
les résume toutes : penser sans dévier. »
II.3. Le Maître dit : « Si le prince conduit le peuple au moyen des lois et
le retient dans l’unité au moyen des châtiments, le peuple s’abstient de mal
faire ; mais il ne connaît aucune honte. Si le prince dirige le peuple par
la Vertu et fait régner l’union grâce aux rites, le peuple a honte de mal
faire, et devient vertueux. »
II.4. Le Maître dit : « À quinze ans, ma volonté était tendue vers l’étude ;
à trente ans, je m’y perfectionnais ; à quarante ans, je n’éprouvais plus
d’incertitudes ; à cinquante ans, je connaissais le décret céleste ; à
soixante ans, je comprenais, sans avoir besoin d’y réfléchir, tout ce que
mon oreille entendait ; à soixante-dix ans, en suivant les désirs de mon
cœur, je ne transgressais aucune règle. »
II.5. Meng I tzeu ayant interrogé sur la piété filiale, le Maître répondit :
« Elle consiste à ne pas contrevenir. »
Ensuite, alors que Fan Tch’eu conduisait le char de Confucius, ce dernier
lui dit : « Meng I tzeu m’a interrogé sur la piété filiale ; je lui ai
répondu qu’elle consiste à ne pas contrevenir. » Fan Tch’eu dit : « Quel est
le sens de cette réponse ? » Confucius répondit : « Un fils doit aider ses
parents durant leur vie selon les rites, leur faire des obsèques et des
offrandes après leur mort selon les rites. »
II.6. Meng Ou pe, ayant
interrogé le Maître sur la piété filiale, reçut cette réponse : « Les
parents craignent par-dessus tout que leur fils ne soit malade. »
Un bon fils partage cette sollicitude de ses parents, et se conforme à leurs
sentiments. Il ne néglige rien de tout ce qui sert à la conservation de sa
personne.
II.7. Tzeu iou ayant
interrogé Confucius sur la piété filiale, le Maître répondit : « La piété
filiale qu’on pratique maintenant ne consiste qu’à fournir les parents du
nécessaire. Or les animaux, tels que les chiens et les chevaux, reçoivent
aussi des hommes ce qui leur est nécessaire. Si ce que l’on fait pour les
parents n’est pas accompagné de respect, quelle différence met-on entre eux
et les animaux ? »
II.8. Tzeu hia l’ayant interrogé sur la piété filiale, le Maître répondit :
« Il est difficile de tromper par un faux-semblant de piété filiale. Quand
les parents ou les frères aînés ont beaucoup à faire, si les fils ou les
frères puînés leur viennent en aide ; quand ceux-ci ont du vin et des
vivres, et qu’ils les servent à leurs parents et à leurs aînés, est-ce
suffisant pour qu’on loue leur piété filiale¹ ? »
1. La piété filiale
requiert en outre une affection cordiale.
II.9. Le Maître dit : « Houei¹
écoute mes explications toute une journée sans m’adresser une objection ni
une question, comme s’il était stupide. Quand il s’est retiré, et que
j’examine sa conduite privée, je le vois capable de se révéler. Houei n’est
pas stupide du tout ! »
1. Tzeu iuan (MBC).
II.10. Le Maître dit : « Si l’on considère pourquoi et comment un homme
agit, si l’on examine ce qui l’apaise, pourra-t-il cacher ce qu’il est ? »
II.11. Le Maître dit : « Celui qui repasse dans son esprit ce qu’il sait
déjà, et par ce moyen acquiert de nouvelles connaissances¹, pourra bientôt
enseigner les autres. »
1. Littéralement. « En réchauffant l’ancien [tout comme on réchauffe un
mets], on perçoit le nouveau. » De répétitions en réinterprétations des
textes anciens, se dégagent un sens nouveau, actuel, et une application
pratique (MBC).
II.12. Le Maître dit :
« L’homme honorable n’est pas un vase¹. »
1. Qui n’a qu’un usage ; il
est apte à tout.
II.13. Tzeu koung ayant
demandé ce que doit faire un homme honorable, le Maître répondit : « L’homme
honorable commence par appliquer ce qu’il veut enseigner ; ensuite il
enseigne. »
II.14. Le Maître dit : « L’homme honorable aime tous les hommes et n’a de
partialité pour personne. L’homme de peu est partial et n’aime pas tous les
hommes. »
II.15. Le Maître dit : « Étudier sans réfléchir est une occupation vaine ;
réfléchir sans étudier est dangereux. »
II.16. Le Maître dit : « Entrer en lutte avec le parti opposé, c’est
nuisible. »
II.17. Le Maître dit : « Iou, veux-tu que je t’enseigne le moyen d’arriver à
la connaissance ? Ce qu’on sait, savoir qu’on le sait ; ce qu’on ne sait
pas, savoir qu’on ne le sait pas : c’est savoir véritablement. »
II.18. Tzeu tchang étudiait
en vue d’obtenir une charge avec des appointements. Le Maître lui dit :
« Après avoir entendu dire beaucoup de choses, laisse de côté celles qui
sont douteuses, dis les autres avec circonspection, et tu ne t’en blâmeras
pas. Après avoir beaucoup vu, laisse ce qui serait dangereux, et fais le
reste avec précaution ; tu auras rarement à te repentir. Si tes paroles
t’attirent peu de blâme et tes actions peu de repentir, les appointements
viendront d’eux-mêmes. »
II.19. Ngai, prince de Lou, dit à Confucius : « Que doit faire un prince
pour que le peuple soit content ? » Maître K’ong répondit : « Si le prince
élève aux charges les hommes vertueux et écarte tous les hommes vicieux, le
peuple le soutiendra ; si le prince élève aux charges les hommes vicieux et
écarte les hommes vertueux, le peuple ne se soumettra pas. »
II.20. Ki K’ang tzeu dit :
« Que faut-il faire pour que le peuple respecte son prince, lui soit fidèle
et loyal ? » Le Maître répondit : « Que le prince montre de la dignité, et
il sera respecté ; qu’il honore ses parents et soit bon envers ses sujets,
et ses sujets lui seront fidèles ; qu’il élève aux charges les hommes de
mérite et forme les incompétents, et il excitera le peuple à cultiver la
vertu. »
II.21. Quelqu’un dit à
Confucius : « Maître, pourquoi ne prenez-vous aucune part au
gouvernement ? » Maître K’ong répondit : « Le Livre des Documents ne dit-il
pas, en parlant de la piété filiale : “Respectueux envers vos parents et
bienveillants envers vos frères, vous ferez fleurir ces vertus partout sous
votre gouvernement ?” Faire régner la vertu dans sa famille par son exemple,
c’est aussi gouverner. Remplir une charge, est-ce la seule manière de
prendre part au gouvernement ? »
II.22. Le Maître dit : « Je
ne sais à quoi peut être bon un homme qui manque de sincérité. Comment
employer un char à bœufs sans joug, ou une petite voiture sans attelage ? »
II.23. Tzeu tchang demanda si l’on pouvait savoir d’avance ce que feraient
les empereurs de dix dynasties successives. Le Maître répondit : « La
dynastie des [Chang-]In a adopté les rites de la dynastie des Hia ; on peut
connaître par les documents ce qu’elle a ajouté ou retranché. La dynastie
des Tcheou a adopté les rites de la dynastie des [Chang-]In ; ce qu’elle a
ajouté ou retranché se trouve mentionné dans les documents. On peut savoir
d’avance ce que feront les dynasties à venir, fussent-elles au nombre de
cent. »
II.24. Le Maître dit : « Celui-là se rend coupable d’adulation, qui sacrifie
à un esprit auquel il ne lui appartient pas de sacrifier. Celui-là manque de
courage, qui néglige de faire une chose qu’il sait être juste. »
III.1. Le chef de la
famille Ki avait huit chœurs de pantomimes qui chantaient dans la cour du
temple de ses ancêtres. Confucius dit : « S’il ose se permettre un tel abus,
que n’osera-t-il se permettre ? »
Le chef de la famille Ki ou Ki suenn était grand préfet dans la principauté
de Lou. L’empereur avait huit chœurs de pantomimes ; les vassaux, six, les
grands préfets, quatre, et les officiers inférieurs, deux. Le nombre des
hommes dans chaque chœur était égal au nombre des chœurs. Quelques auteurs
disent que chaque chœur se composait de huit hommes. On ne sait laquelle de
ces deux opinions est la vraie. Le chef de la famille Ki était seulement
grand préfet ; il usurpait les cérémonies et les chants réservés à
l’empereur.
III.2. Les trois familles faisaient exécuter le chant Ioung, pendant qu’on
enlevait les vases, après les offrandes. Le Maître dit : « Les aides sont
tous des princes feudataires ; la tenue du Fils du Ciel est très
respectueuse ; comment ces paroles peuvent-elles être chantées dans le
temple des ancêtres des trois familles ? »
Ces trois familles étaient les familles Meng suenn (ou Tchoung suenn), Chou
suenn et Ki suenn, dont les chefs étaient grands préfets dans la principauté
de Lou.
Parmi les fils de Houan, prince de Lou, le prince Tchouang, né de la femme
légitime, devint le chef de la principauté ; K’ing fou, Chou suenn et Ki iou,
nés d’une femme de second rang, formèrent trois familles : K’ing fou, la
famille Tchoung suenn, Chou suenn la famille Chou suenn, et Ki iou, la
famille Ki suenn. K’ing fou changea le nom de Tchoung (second fils) et prit
celui de Meng (fils aîné), parce qu’il était le fils aîné d’une femme de
second rang, et qu’il n’osait pas se dire le frère cadet du prince Tchouang
Ioung est le nom d’une ode qui se trouve dans le Livre des Odes parmi les
« Éloges » des Tcheou. Le roi Ou la faisait chanter, quand il présentait des
offrandes au roi Wenn. Les Tcheou la faisaient chanter dans le temple des
ancêtres à la fin des offrandes, pour annoncer que la cérémonie était
terminée. Les chefs des trois familles, qui n’avaient que le rang de grands
préfets, se permettaient l’usage d’une cérémonie et d’un chant réservés à
l’empereur.
III.3. Le Maître dit : « Comment un homme dépourvu d’humanité peut-il
accomplir les rites ? Comment un homme dépourvu d’humanité peut-il cultiver
la musique ? »
Quand un homme perd avec les vertus du cœur les qualités propres à l’homme,
son cœur n’a plus le respect, qui est la partie essentielle des cérémonies ;
il n’a plus l’harmonie des passions, qui est le fondement de la musique.
III.4. Lin Fang ayant demandé quelle était la chose la plus nécessaire dans
les cérémonies, le Maître répondit : « Oh ! que cette question est
importante ! Dans les démonstrations extérieures, il vaut mieux rester en
deçà des limites que de les dépasser ; dans les cérémonies funèbres, la
douleur vaut mieux qu’un appareil pompeux. »
III.5. Le Maître dit : « Les barbares de l’Est et du Nord, qui ont des
princes, sont moins misérables que les nombreux peuples de la Chine ne
reconnaissant plus de prince. »
III.6. Le chef de la famille Ki offrait des sacrifices aux esprits du T’ai
chan. Le Maître dit à Jen Iou : « Ne pouvez-vous pas empêcher cet abus ? »
Jen Iou répondit : « Je ne le puis. » Le Maître répliqua : « Hé ! dira-t-on
que les esprits du T’ai chan sont moins intelligents que Lin Fang ? »
T’ai chan, montagne située
dans la principauté de Lou. D’après les rites, chaque prince feudataire
sacrifiait aux esprits des montagnes et des cours d’eau qui étaient dans son
domaine. Le chef de la famille Ki, en sacrifiant aux esprits du T’ai chan,
s’arrogeait un droit qu’il n’avait pas (il n’était que grand préfet). Jen
Iou, nommé K’iou, disciple de Confucius, était alors intendant de Ki suenn.
Le Maître lui dit : « Ki suenn ne doit pas sacrifier aux esprits du T’ai
chan. Vous êtes son intendant. Le faire changer de détermination, serait-ce
la seule chose qui vous fût impossible ? » Jen Iou répondit : « Je ne le
puis. » Le Maître reprit en gémissant : « Hé ! s’imaginera-t-on que les
esprits du T’ai chan agréent des sacrifices qui sont contraires aux rites,
et qu’ils comprennent moins bien que Lin Fang, moins bien qu’un citoyen de
Lou, ce qui est essentiel dans les cérémonies ? Je suis certain qu’ils
n’agréent pas les sacrifices de Ki suenn. »
III.7. Le Maître dit :
« L’homme honorable n’a jamais de contestation. S’il en avait, ce serait
certainement quand il tire à l’arc. Avant la lutte, il salue humblement ses
adversaires et monte à l’endroit préparé. Après la lutte, il boit la liqueur
que les vaincus sont condamnés à prendre. Même quand il lutte, il est
toujours plein d’humanité. »
D’après les règles du tir solennel, le président divisait les archers en
trois groupes de trois hommes chacun. Le moment arrivé, les trois compagnons
partaient et s’avançaient ensemble, se saluaient trois fois, témoignaient
trois fois leur respect mutuel, et montaient à l’endroit préparé pour le
tir. Après le tir, ils se saluaient une fois, descendaient, puis, se tenant
debout, ils attendaient que les autres groupes eussent fini de tirer. Les
vainqueurs, se plaçant en face des vaincus, les saluaient trois fois.
Ceux-ci montaient de nouveau au lieu du tir, prenaient les coupes et, se
tenant debout, buvaient la liqueur qu’ils devaient accepter à titre de
châtiment. Ordinairement, quand on offrait à boire, on présentait les
coupes. Mais, après le tir à l’arc, on obligeait les vaincus à prendre
eux-mêmes les coupes ; sans leur faire aucune invitation polie, afin de
montrer que c’était une peine. Ainsi les anciens sages, même quand ils se
disputaient la victoire, étaient conciliants et patients, se saluaient et se
témoignaient mutuellement leur respect. De cette manière, au milieu même de
la lutte, ils montraient toujours une égale sagesse. Vraiment l’homme
honorable n’a jamais de contestation.
III.8. Tzeu hia dit à Confucius : « On lit dans le Livre des Odes : “Un
sourire agréable plisse élégamment les coins de sa bouche ; ses beaux yeux
brillent d un éclat mêlé de noir et de blanc. Un fond blanc reçoit une
peinture de diverses couleurs.” Que signifient ces paroles ? » Le Maître
répondit : « Avant de peindre, il faut avoir un fond blanc. » Tzeu hia
reprit : « Ces paroles ne signifient-elles pas que les cérémonies
extérieures exigent avant tout et présupposent la sincérité des
sentiments ? » Le Maître dit : « Tzeu hia sait éclaircir ma pensée. A
présent je puis lui expliquer les Odes. »
Un homme dont la bouche est élégante et les yeux brillants, peut recevoir
divers ornements, de même qu’un fond blanc peut recevoir une peinture
variée. Les anciens empereurs ont institué les cérémonies afin qu’elles
fussent l’élégante expression et comme l’ornement des sentiments du cœur.
Les cérémonies présupposent comme fondement la sincérité des sentiments, de
même qu’une peinture exige d’abord un fond blanc.
III.9. Le Maître dit : « Je puis exposer les rites de la dynastie des Hia.
Mais je ne puis prouver ce que j’en dirais ; car les princes de K’i
(descendants des Hia) n’observent plus ces rites et ne peuvent les faire
connaître avec certitude. Je puis exposer les rites de la dynastie des [Chang-]
In. Mais les témoignages font défaut ; car les princes de Soung, descendants
des [Chang-] In, n’observent plus ces rites et ne peuvent en donner une
connaissance certaine. Les princes de K’i et de Soung ne peuvent faire
connaître avec certitude les rites des Hia et des [Chang-]In, parce que les
documents et les hommes leur font défaut. S’ils ne faisaient pas défaut,
j’aurais des témoignages. »
III.10. Le Maître dit : « Dans le rite Ti [fait par le prince de Lou], tout
ce qui suit les libations me déplaît ; je n’en puis supporter la vue. »
Confucius blâme l’autorisation accordée aux princes de Lou de faire une
cérémonie qui aurait dû être réservée à l’empereur. Anciennement,
l’empereur, après avoir fait des offrandes au fondateur de la dynastie
régnante, en faisait au père du fondateur de la dynastie, et, en même temps,
au fondateur lui-même. Cette cérémonie avait lieu tous les cinq ans, et
s’appelait Ti.
Comme Tcheou koung s’était signalé par d’éclatants services et avait été
créé prince de Lou par son frère le roi Ou, le roi Tch’eng, successeur du
roi Ou, permit au prince de Lou de faire cette importante cérémonie. Le
prince de Lou offrait donc le sacrifice Ti, dans le temple de Tcheou koung,
au roi Wenn, comme au père du fondateur de la dynastie, et il associait à
cet honneur Tcheou koung. Cette cérémonie était contraire aux anciens rites.
Les libations consistaient à répandre à terre, dès le commencement du
sacrifice, une liqueur aromatisée, pour inviter les mânes à descendre. Au
moment de ces libations, l’attention du prince de Lou et de ses ministres
n’était pas encore distraite ; la vue de cette cérémonie était encore
supportable. Mais ensuite, ils s’abandonnaient peu à peu à l’insouciance et
à la négligence ; ils offraient un spectacle pénible à voir.
III.11. Quelqu’un ayant demandé à Confucius ce que signifiait le sacrifice
Ti, le Maître répondit : « Je ne le sais pas. Celui qui le saurait n’aurait
pas plus de difficulté à gouverner l’empire qu’à regarder ceci. » En disant
ces mots, il montra la paume de sa main.
Les anciens empereurs ne montraient jamais mieux que dans le sacrifice Ti
leur désir d’être reconnaissants envers leurs parents et d’honorer leurs
ancêtres éloignés. C’est ce que ne pouvait comprendre cet homme qui avait
interrogé sur la signification du sacrifice Ti. De plus, dans la principauté
de Lou, où les princes accomplissaient cette cérémonie, il fallait éviter de
rappeler la loi qui la défendait à tout autre qu’à l’empereur. Pour ces
raisons, Confucius répondit : « Je ne le sais pas. » Sur cette question
pouvait-il y avoir quelque chose que l’homme saint ignorât réellement ?
III.12. Confucius faisait des offrandes à ses parents défunts et aux esprits
tutélaires, comme s’il les avait vus présents. Il disait : « Un sacrifice
auquel je n’assisterais pas en personne, et que je ferais offrir par un
autre, ne me paraîtrait pas un sacrifice véritable. »
III.13. Wang suenn Kia demanda quel était le sens de cet adage : « Il vaut
mieux faire la cour au dieu du foyer qu’aux esprits tutélaires des endroits
les plus retirés de la maison. » Le Maître répondit : « L’un ne vaut pas
mieux que l’autre. Celui qui offense le Ciel n’obtiendra son pardon par
l’entremise d’aucun Esprit. »
Wang suenn Kia était un grand préfet tout-puissant dans la principauté de
Wei. Confucius était alors dans cette principauté. Wang suenn Kia
soupçonnait qu’il avait l’intention de solliciter une charge. Il désirait
qu’il s’attachât à lui ; mais il n’osait le lui dire ouvertement. Il eut
donc recours à une allégorie, et lui dit : « D’après un proverbe, on offre
des sacrifices auprès du foyer et dans les endroits retirés de la maison. Le
foyer est la demeure du dieu du foyer. Bien que ce dieu soit d’un rang peu
élevé, on lui offre un sacrifice particulier. Les endroits retirés de la
maison sont les appartements situés à l’angle sud-ouest. Les esprits qui y
demeurent sont d’un rang élevé ; néanmoins on ne leur offre pas de sacrifice
particulier. Quand on veut sacrifier aux esprits pour obtenir une faveur, il
vaut mieux faire la cour au dieu du foyer pour obtenir sa protection
secrète, que de faire la cour aux esprits de la maison pour rendre hommage à
leur inutile dignité. Cet adage populaire doit avoir un sens profond. Quelle
est sa signification ? » En parlant ainsi, Wang suenn Kia se désignait
lui-même sous la figure des esprits de la maison. Il voulait dire qu’il
valait mieux s’attacher à lui que de rechercher la faveur du prince.
Confucius devina sa pensée. Sans le reprendre ouvertement, il se contenta de
lui répondre : « Je réprouve toute flatterie, soit à l’égard des esprits de
la maison, soit à l’égard du dieu du foyer. Au-dessus des esprits de la
maison et du dieu du foyer, il y a le Ciel, qui est souverainement noble et
n’a pas d’égal. Celui qui se conduit d’après l’ordre [céleste] est
récompensé par le Ciel. Celui qui agit contrairement à lui est puni par le
Ciel. Si quelqu’un ne sait pas rester dans les limites de sa condition, ni
suivre l’ordre [céleste], il offense le Ciel. Celui qui offense le Ciel, où
trouvera-t-il un protecteur qui lui obtienne son pardon ? »
III.14. Le Maître dit : « La dynastie des Tcheou a consulté et copié les
lois des deux dynasties précédentes¹. Que les lois des Tcheou sont belles !
Moi, j’observe les lois des Tcheou. »
III.15. Le Maître, étant
entré dans le temple dédié au plus ancien des princes de Lou, interrogea sur
chacun des rites. Quelqu’un dit : « Dira-t-on que le fils du citoyen de
Tcheou connaît les rites ? Dans le temple du plus ancien de nos princes, il
interroge sur chaque chose. » Le Maître en ayant été informé, répondit :
« En cela, je me suis conformé aux rites. »
Dans la principauté de Lou, le temple du plus ancien des princes était celui
de Tcheou koung. Tcheou est le nom d’une ville de la principauté de Lou.
Chou leang Ho, père de Confucius, avait été préfet de cette ville. Confucius
est appelé pour cette raison le fils du citoyen de Tcheou. Il naquit à
Tcheou.
III.16. Le Maître dit : « Quand on tire à l’arc, le mérite ne consiste pas à
transpercer le cuir ; car les hommes ne sont pas tous d’égale force. Telle
est la Voie des Anciens. »
Après avoir déployé la cible, on fixait en son milieu un morceau de cuir,
qui formait le centre, et s’appelait kou, « petit oiseau ». Les anciens
avaient établi le tir à l’arc pour juger de l’habileté. L’essentiel était
d’atteindre le centre de la cible, et non de la transpercer.
III.17. Tzeu koung voulait supprimer l’usage de fournir aux frais de l’État
une brebis, qui devait être offerte aux ancêtres à la nouvelle lune. Le
Maître dit : « Seu, tu tiens par économie à garder cette brebis ; moi, je
tiens à conserver cette cérémonie. »
À chaque nouvelle lune, les princes feudataires offraient à leurs ancêtres
une brebis, et leur faisaient connaître leurs projets. Après les avoir
invités, ils leur présentaient la victime encore vivante. À partir de Wenn
koung, les princes de Lou avaient cessé de faire la cérémonie de la nouvelle
lune ; cependant les officiers continuaient à fournir la brebis. Tzeu koung
voulait abolir cette coutume, qui n’atteignait plus son but, et supprimer
une dépense qu’il croyait inutile. Mais, bien que la cérémonie de la
nouvelle lune eût été abandonnée, l’offrande de la brebis en rappelait le
souvenir et pouvait en ramener l’usage. Si l’on avait supprimé l’obligation
de fournir la brebis, la cérémonie elle-même aurait été entièrement oubliée.
III.18. Le Maître dit :
« Envers mon prince j’observe exactement tous les rites. Les hommes
m’accusent de flatterie, parce qu’eux-mêmes servent le prince
négligemment. »
III.19. Ting, prince de Lou, demanda comment un prince devait conduire ses
sujets, et comment les sujets devaient obéir à leur prince. Confucius
répondit : « Le prince doit commander à ses sujets selon les prescriptions,
et les sujets doivent lui obéir avec fidélité. »
III.20. Le Maître dit :
« L’ode Les Mouettes, exprime la joie et non la licence, la douleur et non
l’abattement. »
III.21. Ngai, prince de
Lou, ayant interrogé Tsai Ngo au sujet des autels élevés en l’honneur de la
Terre, Tsai Ngo répondit : « Les Hia y plantaient des pins, et les [Chang]-In,
des cyprès. Les Tcheou y plantent des châtaigniers¹, afin d’inspirer au
peuple la crainte et la terreur. »
Le Maître entendant ces paroles dit : « Rien ne sert de parler des choses
qui sont déjà accomplies, ni de faire des remontrances sur celles qui sont
déjà très avancées, ni de blâmer ce qui est passé. »
Tsai Ngo, nommé lu, était disciple de Confucius. Les anciens plantaient
auprès des autels érigés à la Terre les arbres qui convenaient le mieux au
terrain. Tsai Ngo avait mal interprété leur intention et prêté aux princes
actuellement régnants le désir de châtier et de mettre à mort leurs sujets.
Confucius l’en reprit sévèrement, et lui marqua plusieurs choses dont il ne
convenait pas de parler.
1. « Châtaignier », en
chinois, signifie craindre.
III.22. Le Maître dit :
« Que Kouan Tchoung a l’esprit étroit ! » Quelqu’un demanda si Kouan Tchoung
était trop parcimonieux. Confucius répondit : « Le chef de la famille Kouan
a élevé à grands frais la tour de San kouei ; dans sa maison aucun officier
n’est chargé de deux emplois. Comment pourrait-on le croire trop économe ?
– Mais, reprit l’interlocuteur, s’il fait tant de dépenses, n’est-ce pas
parce qu’il connaît les convenances ? » Confucius répliqua : « Les princes
ont une cloison devant la porte de leurs palais² ; le chef de la famille
Kouan a aussi une cloison devant sa porte. Quand les princes ont une
entrevue amicale, ils ont une crédence sur laquelle on renverse les coupes ;
Kouan Tchoung a une crédence semblable. Si le chef de la famille Kouan
connaît les convenances, quel est celui qui ne les connaît pas ? »
Kouan Tchoung, nommé I ou, grand préfet de Ts’i, aida Houan, prince de Ts’i,
à établir son autorité sur tous les grands feudataires. Il avait l’esprit
étroit, il ne connaissait pas la voie de la grande étude des hommes saints
et des sages.
III.23. Le Maître,
instruisant le grand maître de musique de Lou, dit : « Les règles de la
musique sont faciles à connaître. Les divers instruments commencent par
jouer tous ensemble ; ils jouent ensuite d’accord, distinctement et sans
interruption, jusqu’à la fin du morceau. »
III.24. Dans la ville de I, un officier préposé à la garde des frontières
demanda à lui être présenté, en disant : « Chaque fois qu’un homme honorable
est venu dans cette ville, il m’a toujours été donné de le voir. » Les
disciples, qui avaient suivi Confucius dans son exil, introduisirent cet
officier auprès de leur maître. Cet homme dit en se retirant : « Disciples,
pourquoi vous affligez-vous de ce que votre maître a perdu sa charge ? Il y
a fort longtemps que la Voie n’est plus suivie, ici-bas. Mais le Ciel va
donner au peuple en ce grand homme un héraut de la vérité. »
Il y avait deux sortes de clochettes. L’une, à battant de métal, servait
pour les affaires militaires. L’autre, à battant de bois, servait à
l’officier chargé d’enseigner ou d’avertir le peuple.
III.25. Le Maître disait
que les Chants du Successeur étaient tout à fait beaux et doux ; que les
Chants du Guerrier étaient tout à fait beaux, mais non tout à fait doux.
Les chants de Chouenn sont appelés les Chants du Successeur, parce qu’il
succéda à l’empereur Iao, et comme lui, gouverna parfaitement. Les chants du
roi Ou³ sont nommés les Chants du Guerrier, parce qu’ils célèbrent les
exploits du roi Ou, qui délivra le peuple de la tyrannie de Tcheou. Les
Chants du Successeur sont au nombre de neuf, parce qu’il y eut neuf
péripéties ; les Chants du Guerrier sont au nombre de six, parce qu’il y eut
six péripéties.
Indications de lecture:
cf. Leçon
Pouvoir
politique et pouvoir religieux.
A,
B,
C,
D,
E,
F,
G,
H, I,
J,
K,
L,
M,
N, O,
P, Q,
R,
S,
T, U,
V,
W, X, Y,
Z.
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