Textes philosophiquesGeorges Corm le mystère de la rupture du nazisme«Si la description sans complaisance de la sauvagerie et de l’absence d’humanité du nazisme a été largement faite, elle est en général restreinte à l’analyse d’un phénomène spécifiquement allemand ou aux transformations exclusivement socioéconomiques qui affectent l’Europe et favorisent l’ère des tyrannies. Mais comment expliquer le soutien et l’admiration dont a joui le nazisme auprès d’une large partie des élites européennes, raffinées, artistes, philosophes, humanistes et cosmopolites, nourries de sciences et de connaissances? L’immense succès du nazisme hors d’Allemagne, ainsi que l’ampleur de la collaboration avec les armées nazies dans de larges parties de l’Europe sont des phénomènes peu mis en valeur. Ils posent, en effet, un problème autrement redoutable et complexe, qui met directement en cause la cohérence du discours occidentaliste. Si l’Occident est cette entité massive, ce titan hérité du génie grec, du christianisme et d’une révolution scientifique et rationaliste propre à l’Europe, alors quelle explication donner à ce long accès de barbarie qui occupe toute la première moitié du siècle dernier? Soit l’Occident est l’avant-garde de l’humanité, sa civilisation occupant le centre de l’aventure humaine et, dans ce cas, cette barbarie subite, après des siècles de progrès et de raffinement, ne peut que rester inexplicable et mystérieuse, échappant à la raison même que l’Occident prétend incarner. Soit cette barbarie a des racines dans l’histoire même de l’Europe, qui, de ce fait, n’est donc pas moins « sauvage » que tous ceux qu’elle a affublés de ce qualificatif dépréciatif. Et, dans ce cas, cela ébranle et décrédibilise tous les discours que l’Europe a tenus sur elle-même et sur son génie spécifique dans l’histoire de l’humanité, auquel elle appelle les autres peuples à se joindre.» L'Europe et le mythe de l'Occident. p.154 sq. Indications de lecture:A lire absolument, un des passages les plus remarquables du livre. Cf. la leçon sur l'Occident.
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