Dans l’opinion, quand on utilise le concept d’Occident, c’est de manière assez confuse, on ne sait jamais trop ce que les gens ont en tête quand ils prononcent le mot, à la limite il faudrait faire semblant d’être un peu dur d’oreille pour poser la question : mais qu’est-ce que vous entendez par « Occident » ? Est-ce seulement une sorte d’entité faite de l’assemblage des différents peuples européens (auquel on ajoute en gros les Etats-Unis et le Canada et parfois avec réticence, la Russie etc.) ?
D’abord, c’est une distinction
duelle
qui n’a de sens que lié à un autre
concept,
dans la dyade
occident/orient ;
impossible de penser l’un sans l’autre. Tout dépend aussi de l’endroit où on se
place, de part et d’autre d’un lieu sur
Terre,
on peut déterminer un orient et un occident, comme le soleil
se lève à l’est et se couche à
l’ouest. Mais visiblement le concept d’Occident n’a pas grand chose à voir avec
la géographie.
L’Occident européen devrait se distinguer des pays de l’Asie, la Chine, l’Inde,
le Japon qui sont géographiquement du côté de l’Orient, mais en fait on emploie
le terme d’Orient pour parler des pays arabes, ce qui est erroné. Il faudrait
mieux distinguer les pays du Nord et les pays du Sud. . Même genre d’illusion
avec Christophe Colomb qui a été
baptiser en Amérique « indiens » des gens qui n’étaient pas du tout indiens A
moins que l’Orient cela veuille dire « les
autres » ?
Que recoupe le concept d’Occident ? Un attribut politique ? (ceux qui vivent dans un État sous un régime représentatif « à l’Occidentale » et tout les autres) ? Une arrière-pensée identitaire? Une manière de distinguer un « nous » (les occidentaux) de « eux » (toutes sorte de gens catalogués non-occidentaux) ? Et qu’est-ce que cette sorte d’identité collective que partagerait l’Occident ? Une civilisation? Il y aurait donc une « humanité» orientale et une « humanité » occidentale ? Ou bien ne peut-on faire plus simple, dire qu’il y a une démarcation entre des peuples enrôlés partout dans l’avancée de la technique –l’Occident- et d’autres que l’on appelle « primitifs» ? Que voulons-nous dire quand nous parlons d’Occident ?
* *
*
Le terme d’occident vient du latin occidens que les érudits décomposent en un préfixe ob signifiant « objet » et cadere qui veut dire « tomber, choir », voir même « tomber à terre », « succomber » ou « périr ». Au xvieme siècle, le mot « occident » était généralement utilisé au sens figuré, celui de « ruine » ou de déclin. « Être dans son occident » signifiait être dans sa décadence. On comprend implicitement par l’orientation géographique : « être sur son couchant », vers l’Occident ou « être sur son levant » vers l’orient. On voit donc l’étrange retournement de sens entre le mot écrit avec une minuscule « occident » et le même mot écrit avec la majuscule « Occident » qui va dans l’histoire se surcharger d’une valorisation exactement à l’inverse.
1) Le
concept d’Occident est entré en scène à partir de la scission et du déclin de
l’Empire romain en 285. C’est un
concept
né de la dualité qui fragmente une opposition à la
fois politique et religieuse. La décomposition de
l'Empire romain fait apparaître la distinction entre l'Empire romain
d'Occident, centré autour de Rome et qui
utilise l'alphabet latin et l'Empire romain
d'Orient autour de Constantinople et qui utilise l'alphabet grec
(que l’on trouve par exemple dans la langue russe). Donc une église d’Orient
orthodoxe (cf. grec : droite doctrine) et une église d’Occident romaine.
Les historiens désignent cette rupture par l’expression « le grand Schisme ». Les
invasions barbares vont entraîner la chute de l'Empire romain d'Occident, mais
elles seront aussi un vecteur qui permettra l'extension du territoire
d’influence de l'Église catholique romaine à toute l'Europe du Nord et à
l'Europe centrale, tandis que de son côté l'Empire romain d'Orient propageait
lui le christianisme orthodoxe du côté Russe. De ce point de vue, le
concept d’Occident prend une teneur religieuse, mais qui est
interne au christianisme
Fait notable, en l’an 800, Charlemagne prend le titre « d'empereur d'Occident » une velléité qui trace, c’est le cas de le dire, pour la suite des temps une longue histoire impérialiste du concept même d’Occident. Le XIème siècle sera marqué par le début des Croisades (texte) durant lesquels les « Occidentaux » lanceront à plusieurs reprises des expéditions armées pour libérer la « Terre sainte ». On aurait pu penser qu’avec les années la dualité entre les deux polarités de l’église d’Orient et d’Occident allaient se résorber, mais le schisme de 1054 va la perpétuer et marquer la rupture définitive entre les deux traditions de l’Occident romain et de l'Orient orthodoxe. C’est encore ce même schisme qui rend possible le détournement de la quatrième croisade par la République de Venise. La quatrième croisade a une importance particulière, car cet épisode aussi violent que les précédents se conclut par le sac de Constantinople par les croisés. Il marque l’affaiblissement définitif de l'Empire d'Orient et il est aussi l'amorce de ce que sera la Renaissance en Occident. Qui sera bel et bien une renaissance de l’Occident. Là le concept d’Occident est religieux et l’Occident se veut porteur des valeurs chrétiennes et s’inscrit en dualité avec son autre du moment, l’Islam. (texte)
A partir du XVème siècle, Occident et Orient vont être confrontés à deux ondes de choc majeures.
-
La réforme protestante tout d’abord, qui va ériger une nouvelle dualité
conflictuelle au sein du christianisme
occidental
et modifier profondément sa structure. Au regard du christianisme oriental dont
l’étoile faiblissait, le christianisme occidental était devenu une puissance
dominante (texte) sur toute l’Europe. D’où l’expression « Occident
chrétien » encore usitée aujourd’hui qui assimile les deux concepts.
Mais histoire du christianisme versus romain a, malgré la puissance de son
autorité, toujours été ponctuée de discussions de contestations du dogme. Avec
l’expansion de l’humanisme, la diffusion du savoir, la Réforme sera la
manifestation la plus puissante d’un rejet de la tutelle de Rome sur la foi en
faveur de la liberté d’examen. Le
concept d’Occident va désormais devenir synonyme d’humanisme.
Toute son attraction ultérieure viendra de cette idée qu’il porte les valeurs de
l’humanisme.
- Le second événement dont les conséquences vont être incalculables est la prise de Constantinople par les Ottomans. Elle a été vécue comme une défaite d’autant plus lourde qu’elle installait durablement un barrage insurmontable sur la route vers les richesses convoitées des ors et des épices de l’Orient. C’est en raison de ce qui a été appelé le « verrou islamique », que les Etats occidentaux abandonnèrent la route de la soie. Mais l’appel de l’Orient et de ses richesses demeurait. D’où l’obsession chez les aventuriers, de Vasco de Gamma, à Christophe Colomb, de la recherche d’une « nouvelle route vers l’Orient », ce qui dans leur esprit voulait dire : vers les Indes. Et cette obsession va être le prélude aux « Grandes découvertes » aboutissant à la conquête du « Nouveau Monde » : conquêtes qui propulseront l’élan indomptable du capitalisme triomphant. Largement porté par l’esclavage il faut le savoir. Un enrichissement massif des marchands, car on disait partout que l’on ferait fortune avec l’argent misé sur les colonies. D’où l’exaltation impérialiste de l’Occident, celle de la couronne d’Espagne, du Portugal, d’Angleterre et de France. D’où le premier krach boursier avec John Law. Une période d’immenses mutations, avec à la clé l'établissement des Empires coloniaux et dans la foulée ensuite la montée en puissance de la révolution industrielle. Ce que nous appelons le « Siècle des Lumières » ne peut donc se concevoir dans une assise historique stable, il est pris au milieu de cette fièvre et de cette tourmente d’un Occident à la conquête du monde. Un Occident pour qui il y a des « civilisés » (les occidentaux) et des « sauvages » hors de l’Occident. Et comment va-t-on appeler ces indigènes que l’on découvre en cherchant une voie plus courte à travers « l’océan occidental » ? (oceanus occidentalis ancien nom de l’Atlantique). Des indiens ! Ceux que l’on s’attendait trouver… en Orient ! Décidément, on n’en sort pas. Ce qui est certain, c’est que le concept d’Occident devient politique et colonialiste.
2) La dualité Occident romain/Orient byzantin ne tiendra pas longtemps, elle va se disloquer et le concept d’Occident part ensuite à la dérive dans une géométrie variable dans l’histoire. Sous le règne de Pierre le Grand, vers 1696, l'Empire russe autrefois d’Orient « s'occidentalise ». Il fait adopter le calendrier de l’Occident et toute une série de réforme (jusqu’à tailler la barbe des nobles et changer les costumes) au point que la vieille Russie juge diaboliques ses innovations alignées sur l’Occident et désigne le Tsar comme Antéchrist ! La révolution de 1917 ne change rien, les communistes n’auront d’ailleurs rien à reprocher à l’Occident. Toutefois, avec l'avènement de l'URSS se profile une nouvelle dualité, une rupture cette fois entre « Est » et « Ouest », selon une opposition marquée entre capitalisme et communisme. D’où la Guerre froide, donnant lieu à la création de l'OTAN face au bloc soviétique. Les pays d'Europe centrale et d’Europe de l'Est, qui étaient au début du XXème siècle considérés comme « pays de l’Est », sont considérés ensuite comme des pays occidentaux. Pendant tout le règne du communisme, curieusement, le concept d’Occident est lesté du poids du libéralisme, bref il y a « l’Occident » du capitalisme, ou mieux de l’ultra-libéralisme et de l’autre côté, « le bloc communiste », sans que celui-ci soit pour autant assimilé à un Orient. Le concept d’Occident est alors devenu complètement idéologique.
Enfin, au
début du XXIème siècle, on admet généralement que « l'Occident » regroupe
l'Europe occidentale (c'est-à-dire l'Union européenne et l'AELE), le Canada,
les Etats-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Selon les interprétations,
l'Amérique latine y est parfois incluse, parfois non. Les citoyens de ces pays
sont couramment appelés Occidentaux par les Européens ; mais sur place, les
peuples premiers ont tendance à prendre leur distance avec leur ancienne tutelle
sur le mode : « l’Occident veut nous imposer… », marquant par là leur identité
dans la différence. S’agissant maintenant du reste du monde et de son
appartenance à l’Occident, même flou caractéristique, même hésitation et une
désignation plus ou moins aléatoire selon les cas. Le Japon qui géographiquement
et culturellement est très oriental, est pourtant le pays au monde le plus
occidentalisé sur le mode américain. L’Inde qui a été pendant longtemps l’Orient
mythique par excellence est en passe de s’occidentaliser à grande vitesse. On
dit « la plus grande démocratie
à l‘occidentale » ce qui est tout de même étrange.
L’Afrique du Sud passe pour un pays se rattachant à l’Occident etc. Au final le
concept d’Occident se mesure à l’aune du PIB.
Il y a les pays développés ou en voie de développement qui tous, dans la mesure
où ils imitent le « modèle occidental », sa puissance technique, son modèle
politique du régime représentatif libéral, sont dits
rejoindre l’Occident. Et puis il y les autres, « à la traîne de l’Occident »,
sous-développé, ce qui veut dire, « pas encore occidentalisés ». Il n’y a plus
d’Orient en face de l’Occident, l’Occident règne seul et sans partage. Il y a
seulement des pays plus ou moins avancé dans l’imitation du
modèle occidental. Au bout du compte, le
concept d’Occident est devenu d’abord et avant tout
économique.
L’histoire du concept d’Occident est très confuse. On emploie le même mot, mais avec des sens très différents, si bien qu’il n’est jamais sûr que l’on pense à la même chose quand on emploie le terme. Au point que nous pourrions nous demander si nous n’avons pas affaire à un concept creux. Un peut comme le mot « évolution » mis à toutes les sauces histoire de meubler la conversation : « la société évolue », « le monde évolue » et autres verbiages. D’un autre côté cependant, le concept d’Occident n’est pas si vide que cela, puisqu’il reproduit sans cesse une polarité duelle en transportant dans l’histoire un jeu de force et de pouvoir.
Ce courant de force et de pouvoir, n’est-ce pas ce que nous appelons la civilisation occidentale ? Mais de quel point de vue sommes-nous en droit de parler de « civilisation occidentale » ? Rigoureusement parlant, pour demeurer dans l’ordre d’une étude ethnologique, on sait qu’une culture se limite à une aire géographique donnée, qu’elle est centrée sur une langue, qu’elle transporte des traditions, des coutumes, des mœurs, un art, une forme diversifiée de savoirs, surtout qu’elle s’appuie sur des mythes fondateurs. Nous avons vu l’exemple des Guaranis en Amérique du Sud et nous pouvons sans difficulté identifier une culture japonaise, grecque ou indienne. Mais la difficulté s’accroît quand il s’agit d’englober un ensemble plus disparate de pays, des lieux éloignés, des conditions de vie, des langues, des histoires, des traditions très différentes. Le concept se dilue de plus en plus et tend vers une sorte d’unité abstraite et vide qui n’a alors de contenu que spéculatif.
Ou bien on appelle civilisation une famille de cultures apparentées par des traits identifiables et dont la continuité historique fait sens et forme une sorte d’identité collective qui persiste dans le temps ; et c’est bien de cette manière que nous parlons de civilisation occidentale.
1) Mais
dans ce cas le terme « occidental » n’a plus de sens par rapport à un contraire
« oriental », il prend un sens par différence avec d’autres familles, mettons,
la civilisation chinoise, la civilisation africaine etc. C’est l’idée que l’on
trouve dans un livre qui a déclenché
une tempête de contestation Le Choc des
Civilisations de Samuel Huntington, tellement raillé et vilipendé qu’il n’en
reste plus rien. (texte)
Il existe
un discours apologétique sur les valeurs de
l’Occident : Depuis Hegel, on entretient
une opinion convenue pour dire que la Grèce est le « berceau de
la civilisation occidentale ». Elle a vu la naissance durant le Vème siècle
avant JC. de la philosophie
avec Socrate, puis Platon et Aristote, d’une idée de
la science objective, avec une contribution unique aux mathématiques, d’une
puissante littérature (Homère, Eschyle, Sophocle, Euripide notamment). Elle
a
inventé le régime politique dont nous sommes
héritiers, la démocratie. Elle a créé un style
architectural, comme celui du Parthénon d'Athènes, mille fois recopié par la
suite. On a encensé, célébré et même idolâtré le miracle grec,
toujours pour poser la culture grecque dans une singularité originale, comme une
création ex-nihilo, donc sans antécédent.
Mais
l’Occident ne serait pas l’Occident sans l’apport conjugué à celui de la Grèce
de
l’héritage judéo-chrétien. Toute la théologie du Moyen-Age européen consiste
dans une tentative synthétique pour marier, avec Saint Augustin (lecteur de
Platon) et Saint Thomas (commentateur d’Aristote), les concepts tirés de la
philosophie grecque avec la morale chrétienne. Le « miracle grec » avec le
« miracle juif ». Un passage de la biographie d’Ernest Renan fait ce
rapprochement : « Depuis longtemps je ne croyais plus au miracle, dans le sens
propre du mot, cependant la destinée unique du peuple juif, aboutissant à Jésus
et au christianisme, m'apparaissait comme quelque chose de tout à fait à part.
Or voici qu'à côté du miracle juif venait se placer pour moi le miracle grec,
une chose qui n'a existé qu'une fois, qui ne s'était jamais vue, qui ne se
reverra plus, mais dont l'effet durera éternellement, je veux dire un type de
beauté éternelle, sans nulle tâche locale ou nationale ». L’Occident se veut
porteur et hériter du monothéisme, une représentation
originale, qui implique encore une
création ex-nihilo, donc sans antécédent. L’expression « Occident
chrétien » est perçue par les Occidentaux eux-mêmes comme une redondance inutile,
l’Occident étant vu comme chrétien par nature. (texte) D’où l’exaltation d’une morale
personnaliste et cette idée qu’en matière de morale
l’Occident porte des valeurs chrétiennes tout à
fait originales. Celles de l’amour du
prochain et de la
charité. Une
idée de Dieu qui ne va pas sans celle du
démon, un bien qui n’existe que face à un mal, comme le salut de l’âme en
relation avec le péché ; surtout cette idée de la nécessité de la médiation du
Christ sauveur pour la rédemption de l’humanité. Toutes choses que l’on ne
trouvera pas ailleurs qu’en
Occident. (texte).
D'où par transfert cette idée d'un messianisme de l'Occident que
l'on rencontre chez bien des auteurs.
Enfin, l’Occident ne serait pas l’Occident sans l’apport considérable de l’humanisme et son prolongement dans le siècle des Lumières. Pour les intellectuels, se sentir Occidental aujourd’hui, c’est avant tout revendiquer l’esprit des Lumières. Naissance de l’esprit critique et règne souverain de la raison contre superstitions et préjugés. Mais pas seulement. Croyance infatigable dans le progrès humain et confiance sans borne dans le pouvoir de la science et dans l’ingéniosité et la puissance de la technique. Par ailleurs, éloge de la liberté de pensée et de la liberté individuelle en général contre toutes les formes d’oppression et en particulier le joug du pouvoir politique. Donc impertinence face aux puissants, et tendance à rechercher un régime politique apte à protéger les libertés individuelles. D’où la référence réitérée aux droits de l’homme. Il faut souligner aussi le poids considérable et l’influence du droit romain dans l’idée qu’une vie humaine digne de ce nom ne peut être libre que dans un État, sous le régime de l’état de droit dans lequel chacun est considéré comme citoyen d’une République. Toutes choses encore une fois que l’Occident revendique comme créations originales et apports incontestables à l’humanité en général. Ce qui justifie à ses propres yeux sa supériorité (texte) (texte); et en effet, il ne manque pas de porte parole pour dire que de fait, aucune civilisation dans le passé n’a réussi à s’imposer sur Terre de manière aussi incontestable, autant d’un point de vue religieux, économique, politique, que d’un point de vue moral et intellectuel.
2) L’idée de l’existence séparée et originale de la Grèce est le produit d’une pensée fragmentaire et n’est qu’une illusion. On peut tout aussi bien dire que le berceau de l’Occident est en Égypte, sans compter une myriade d’influences qui ont convergé en Grèce dans une synthèse originale. La religion grecque antique a de fortes parentés avec le panthéon des dieux égyptiens, de Mésopotamie et d’Inde. Les racines linguistiques indo-européennes nous obligent par la langue à incorporer l’Inde à la tradition européenne. Il faut savoir qu’au 1er millénaire avant JC les caravanes pouvaient sans difficultés faire l'aller retour Grèce-Inde en moins de 6 mois. Ce n’est que tardivement, c’est-à-dire après les invasions arabes, que le pont a été coupé entre la Grèce et l’Inde. Il est certain que la grande bibliothèque d’Alexandrie nous aurait, si elle n’avait pas brûlé, apporté bien des raisons de ne plus nourrir cette fiction du miracle Grec. Les premiers grands philosophes sont très largement inspirés de concepts venus de Perse et d’Inde. On trouve dans le Rig Veda des hymnes très hautement spéculatifs dénotant une merveille d’étonnement philosophique. Les Veda remonte à au moins 3000 ans avant JC (5000 ans avant JC serait bien plus raisonnable). Croire que "la pensée est née en Grèce est une sottise ou une bigoterie universitaire.
De même il faut savoir en mathématiques que nos chiffres ne sont pas du tout arabes mais aussi venus d’Inde et nous avons des preuves que l’astronomie et les mathématiques ont été fortement développées dans ce pays. La médecine d’Hippocrate doit beaucoup aux Égyptiens et aux savants de Mésopotamie. Homère le reconnaît dans l’Odyssée. C’est aussi en Mésopotamie que l’écriture semble avoir été inventée, bien avant l’essor de la Grèce, 4000 ans avant JC. Les anthropologues sont d’accord pour dire que la première démocratie connue était en Inde dans l’État de Vaishali et les villes-Etat de Sumer étaient aussi fondées sur des démocratie, même si avec le temps, toutes se sont transformées en monarchies... On pourrait continuer sur bien des détails. Le miracle Grec est juste un mythe, une sorte d’image d’Épinal à vocation scolaire et idéologique destinée à nourrir l’imaginaire des peuples européens.
L’Occidentalisme
ne saurait exister sans une visée messianique où l’Occident est présenté comme
le génie de l’Histoire censé mener de l’humanité vers son salut. Le Génie
du Christianisme de Chateaubriand. Les écrits de Guizot. Tous plus
prétentieux les uns que les autres. D’où manifeste aryen de Renan, une
allocution prononcée au Collège de France en 1862. Un discours repoussoir
ouvertement anti-juif, anti-musulman (texte)
et même anti-christianisme oriental, pour mieux souligner les vertus d’un
christianisme réinventé par l’Occident, un discours qui en appelle aux guerre de
civilisation. Un texte qui ferait jeter
dehors son auteur s’il était prononcé
aujourd’hui,
mais qui recevait un bon accueil à l’époque, ce qui en dit long sur l’incroyable
dogmatisme qui régnait alors. (texte) Une
arrogance qui allait conduire droit au nazisme
quelques décennies plus tard. « Tout ce qui est profond est notre œuvre… Dans la
science et la philosophie nous sommes exclusivement grecs…Quand au vieil esprit
sémitique, il est de sa nature antiphilosophique et antiscientifique » etc.
(texte) Renan balaye quinze siècle de christianisme oriental, pour lui l’Occident a
entièrement refondu le christianisme. Pour en faire quoi ? En opposition à quoi
surtout. Comme on est de toutes manière dans un imaginaire mythique, « peu
importe la réalité et la consistance de l’Orient. L’essentiel est de le créer,
lui aussi, dans l’imaginaire », comme le dit Georges Corm dans L’Europe et le
Mythe de l’Occident. On invente un « autre » pour mieux se sentir « nous »,
face à « eux ». Mais ce n’est que la reprise littérale des ambitions de la
construction de Hegel, avec son caractère
systématique, absolutiste d’une finalité sacrée de l’Histoire dans
l’accomplissement d’un règne, par la nécessaire domination du monde par
l’Esprit, monothéisme du Concept qui historialise tous les événements pour les
faire entrer dans une mythologie à consonance chrétienne. Karl Popper dans
Misère de l’Historicisme lui règlera son compte dans des pages
cinglantes. Popper est assez lucide pour voir qu’il y a là une filiation
incontestable qui mène droit aux totalitarismes du XXème siècle. Tous
« messianiques » à vrai dire.
On n‘est
donc pas à une contradiction près quand de surcroît l’Occidentalisme se prétend
aussi héritiers du siècle des Lumières. On oublie à quel point les Lumières,
après avoir connu les
guerres
de religion ont mené une critique du christianisme, du fanatisme
messianique qui faisait que, d’un bord comme de l’autre, on s’accusait
d’incarner l’antéchrist. Ce que nous avons à juste titre retenu des lumières,
c’est la force exemplaire de la pensée critique. Elle est remarquablement
illustrée par Kant. C’est aussi aux Lumières que nous devons le principe de la
séparation entre pouvoir politique et pouvoir religieux. On oublie aussi que
dans la droite ligne de Descartes, il y aura les matérialistes et le XVIII ème
siècle verra jusqu’à Feuerbach à Nietzsche une montée de l’athéisme. Jusqu’à
l’athéisme d’indifférence qui est le plus répandu aujourd’hui chez les
Occidentaux. On oublie encore qu’il y a eu pendant la période romantique un
puissant rejet de la philosophie des Lumières considérée comme trop utilitariste
et matérialiste. On oublie aussi l’étrange renversement qui fit de la « Raison »
une divinité sous la révolution tandis que l’entrait dans la période de la
terreur. Napoléon, après avoir établi son État représentatif en trahissant
outrageusement les idéaux révolutionnaires, se lançait dans des guerres de
rapine… disant en même temps colporter le message des Lumières.
Bref, l’idée d’un Occident pacifiant le monde par la raison avait déjà du plomb dans l’aile et cela ne s’améliorera pas au XXème siècle.
Voici l’alternative que propose Georges Corm :
- « Ou bien l’Occident est l’avant-garde de l’humanité, sa civilisation occupant le centre de l’aventure humaine et, dans ce cas, cette barbarie subite, après des siècles de progrès et de raffinement, ne peut que rester inexplicable et mystérieuse, échappant à la raison même que l’Occident prétend incarner.
- Ou bien cette barbarie a des racines dans l’histoire même de l’Europe, qui, de ce fait, n’est donc pas moins "sauvage" que tous ceux qu’elle a affublés de ce qualificatif dépréciatif ». (texte)
Après des siècles de génocide, d’esclavage très lucratif et couvert même par l’Église, après l’exploitation des ressources, l’oppression coloniale des « sauvages », puis enfin tout un déchaînement des passions nationalistes on peut avoir… des doutes. Comment concilier ce catalogue de violences et de cruautés avec le cliché d’un Occident, lieu privilégié de l’émergence du règne de la raison et de l’humanisme universel ? Et ce sont exactement les mêmes violences que les Européens se sont infligées entre eux que celles qu’ils ont exercées sur les autres peuples. Il faut vraiment faire des tours de passe-passe idéologiques pour continuer à servir le laïus d’un Occident porteur de paix et de prospérité, pour cacher l’ambition totalitaire que transporte le concept.
Nous avons
abordé dans une autre leçon les thèses exposées par
David Bohm dans Pour une
Révolution de la Conscience. Il nous donne une clé très importante pour le
sujet qui nous
occupe. Le mental a une inclination irrépressible à penser de
manière fragmentaire. Ce qui veut dire : a) qu’il a tendance à
séparer, à
diviser, à décomposer ce qui forme en réalité une unité et ne peut pas être
dissocié. Ce faisant, porté par une motivation égotique, il tue cela même
qu’il décompose. C’est le penchant de l’analyse qu’Edgar Morin place sous la
houlette de Descartes. Il est très largement illustré par l’approche
objective
du savoir, dont le contre-pied exact réside dans la
pensée systémique. Edgar
Morin met Pascal en patron de cette intelligence de l’unité, oubliée, mais
indispensable. b) le deuxième versant de la pensée fragmentaire selon Bohm
est la tendance à composer des unités abstraites, tout en les croyant réelles.
David Bohm donne l’exemple de l’État, un
concept fictif qui ne renvoie en fait à aucune unité dans le réel, mais que l’on
considère comme possédant une réalité en soi. Chacun des deux versants produit immanquablement une
représentation
illusoire. (texte)
1) Le
concept d’Occident est par excellence un produit de la pensée fragmentaire. Une
abstraction qui a tendance à séparer ce qui n’est pas en réalité séparable. Une
abstraction à laquelle nous prêtons une unité, mais qui n’a pas d’existence
réelle. C’est dans la pensée duelle que le
mental se déploie avec prédilection.
Georges Corm n’est pas loin d’en trouver la formulation : « comme toute
construction de l’esprit qui veut créer artificiellement une identité commune…
il faut une identité contraire à celle que l’on construit…Pour exister dans
l’ordre de
l’intellect
et de la représentation, l’Occident a donc besoin d’un Orient ». La dualité est
fictive, mais dès qu’on y croit, elle permet de se raconter et de raconter à
d’autres une fiction pour donner une réalité à un concept. « Le Bien et le Mal,
le croyant et l’hérétique, la civilisation et la barbarie, la démocratie et le
totalitarisme : l’appréhension du monde sur le mode binaire semble être le mode
de pensée dominant aujourd’hui ». Le seul fait de s’agripper à une polarité
sollicite la polarité adverse, et quand l’ego s’identifie à une polarité, il se
met en guerre contre l’autre ; qu’importe l’objet, qu’importe si le donné
factuel change d’une époque sur l’autre, d’un continent à l’autre, d’un pays à
l’autre, d’un lieu à l’autre, même si c’est au prix d’anachronismes,
d’oppositions arbitraires, de simplifications commode, de raccourcis réducteurs
ou de généralisations irresponsables, on trouvera toujours de quoi s’affirmer un
« nous », face à « eux ».
Au fond, même si nous ne voulons surtout pas le voir en face, dans cette affaire, c’est toujours une question d’identité qui est en jeu, donc du besoin de se donner une définition. C’est là que gît non la solution mais le problème. Tout le reste n’est que bavardage. L’ego n’existe que dans une limite qu’il se donne lui-même, il se pose en s’opposant et bien sûr cela vaut aussi bien pour l’ego individuel que pour l’ego collectif. C’est pourquoi nous disions ailleurs que l’ego a besoin d’un ennemi, car l’ennemi donner la satisfaction de sentir davantage « moi » face à un « autre ». C’est une structure mentale qui se réplique sans arrêt, une pensée dysfonctionnelle qui appartient à l’ignorance et qui crée et recrée de l’illusion.
Donc, on se sent davantage Oriental en s’opposant à un Occidental sur lequel on a jeté toutes les malédictions, on ne se sent jamais plus occidental qu’en s’opposant à un Orient porteur de toutes les infamies. Inconscience ordinaire. Pas étonnant donc que la pensée commune retombe sans cesse dans l’ornière de la dualité. Pas étonnant non plus que les savants et les penseurs fassent de même. Ils conceptualisent de manière certes plus fine, avec plus d’élégance et de culture, (texte) mais n’échappent pas à leur propre structure psychologique qu’ils ignorent d’autant plus qu’ils peuvent se targuer d’objectivité, tout en faisant l’impasse sur leur propre subjectivité. L’impasse sur la connaissance de soi. Sauf que le savant et le penseur en réassurant des concepts creux portent une lourde responsabilité, car de cette façon ils sèment les germes de la division, ce qui veut dire ici division entre les peuples. C’est un piège et un piège d’autant plus dangereux que mécaniquement il génère le conflit. L’Occident d’abord tiré d’une géographie mentale complètement fantasmée, devient une entité mythologique, nourrie de l’imaginaire exubérant des écrivains et des savants ; mais par malheur, elle se transforme illico en une frontière redoutable érigée par le mental, et devient une machine à répliquer de l’altérité radicale et infranchissable entre nations, cultures et civilisations.
Si encore,
toute cette fumée de l’intellect pouvait rester dans les livres, il n’y aurait
pas
trop
à s’inquiéter, mais ce n’est pas le cas. La guerre des idées anime toutes les
guerres car elle alimente les croyances. Elle donne les raisons de se battre en
fournissant un drapeau. Or de manière subreptice, ce que personne ne remarque,
c’est qu’elle permet de voiler ce qui se passe en sous-main. Le plaidoyer pour
la défense et la promotion de « valeurs occidentales » fausse bannière, qui
dissimule les véritables intérêts en jeu, qui sont ailleurs et
différents. (texte)
Le plus souvent du côté de l’argent. On nous a fait
le coup avec la première guerre d’Iraq et il faudrait s’en souvenir, comment un
discours idéologique de propagande occidentale peut
voiler l’intérêt d’une mainmise
sur des champs pétroliers. Et inversement, comment la bannière de la lutte
contre les « croisés » de l’Occident (!) menée par les nouveaux guerriers de
l’Islam couvre le goût du sang, du lucre, du saccage, le viol, le pillage. La
dernière idéologie pour armer des fanatiques c’est la lutte contre l’Occident.
Il n’y a pas si longtemps, la meilleure façon de trouver de la main d’œuvre, de
satisfaire quelques pulsions, d’exproprier des
terres, de s’approprier des ressources et de générer d’immenses profits était de
prétendre évangéliser des sauvages pour les amener à la civilisation, forcément
occidentale. (textes)
Après tout on avait déjà transformé le Parthénon en Église à une époque. Alors
rien de surprenant à ce que soldats et missionnaires saccagent les temples au
Mexique, brisent des idoles, (texte)
brûlent les écrits Mayas. Comme les nazis brûlaient les écrits juifs, comme les
chinois brûlaient les textes tibétains. Comme des fondamentalistes se mettent en
tête de détruire tous les vestiges qui est antérieurs à l’Islam. Il faut
éliminer « l’autre » toujours décadent et barbare par rapport à « nous ».
Toujours le même schéma
conditionnel que l’on suit aveuglément, de l’inconscience ordinaire jusqu’à
l’inconscience profonde. Insanité
de la pensée humaine. Et le paradoxe de l’identité égotique, c’est
que sans son « autre », elle n’est plus rien.
2) La faute majeure des occidentaux est d’avoir voulu s’arroger l’universel (R) qu’ils avaient découvert pour l’imposer au reste du monde. Personne n’en n’a jamais douté, il y a bien dans la culture occidentale des valeurs universelles, mais justement croire qu’elles sont « occidentales », c’est les ramener au particulier et nier leur universalité. C’est contradictoire. L’affirmation de l’universel commande l’humilité, bref un sens de l’effacement du moi, ou il est immédiatement corrompu et perd son sens. Par exemple, ou bien la proclamation des droits de l’homme a valeur pour toute l’humanité, auquel cas, ils ne sont pas du tout « occidentaux », ou bien on maintient qu’ils sont « occidentaux », et alors ils ne valent pas grand-chose, pas plus que les lois de Manu, la charia, le droit hébraïque ou autre. Si la démocratie auquel l’Occident est attaché a une valeur, ce n’est pas du tout parce qu’elle est « occidentale », mais bien plutôt parce qu’elle porte une aspiration humaine universelle. De même encore, il y a quelque chose de risible à prétendre que la philosophie est « occidentale ». Ce qui est substantiel dans la philosophie appartient à l’humanité dans son ensemble. Et on en dira autant de toutes les percées dans l’universel que l’Occident a pu accomplir. En réalité, il n’y a jamais eu qu’une humanité avec toute sa richesse et sa diversité, emportée dans des tribulations difficiles, dans une histoire complexe et tourmentée sur un seul vaisseau, la Terre. Que dans l’Histoire à un moment un peuple tienne la barre et qu’à une autre époque ce soit un autre n’est pas essentiel. Ce qui compte, c’est l’aventure humaine dans laquelle nous sommes tous embarqués, une aventure que chaque peuple a marqué de sa touche originale. L’humanité est tout entière en chaque être humain (texte).
Mais
réfléchissons un peu. Supposons un instant que cette vérité soit oubliée.
Supposons, en prolongement d’une conscience fortement égotique, la mentalité
tribale qui lui est associée, toujours active, mais dissimulée sous un verni de
civilisation, l’apparat des avancées scientifiques, techniques, ainsi qu’une
puissance économique sans précédent. Bref, une mentalité de gnome aux commandes
d’un bulldozer. Si d’aventure le
projet directeur de l’Occident était le développement de la technique, le
fait même d’aller jusqu’au bout de son projet fera que logiquement, il y perdra
son âme en tant que civilisation dans l’évanouissement de toutes les
valeurs qui l’avait porté jusque là. Un monde où l’arrogance de l’Occident se
donne librement carrière, un monde
entièrement occidentalisé, provoquera
inévitablement la disparition de la civilisation occidentale, au final
pétrifiée dans le consumérisme et mort avec lui. Mais
ce ne serait pas pour autant la fin de l’Histoire.
Juste une fin de règne.
N’est pas
exactement la situation où nous sommes ? N’est-ce pas ce qu’avait déjà entrevu
quelques vigiles de l’esprit ? Par exemple, quelle étrange lubie peut bien
pousser un Oswald Spengler en 1918 à publier Le
Déclin de l’Occident ?
Spengler rejette comme faux tout à la fois l’eurocentrisme historique, la
conception linéaire de l’histoire et l’idée que son centre de gravité serait ce
continuum imaginaire forgé par la représentation occidentale. Dans la lignée de
Nietzsche, Spengler distingue la culture de la civilisation. Il appelle
culture la sève qui nourrit l’arbre et forme l’esprit d’un peuple, il
appelle civilisation sa concrétisation dans l’extériorité
qu’étrangement il assimile aussitôt à une pétrification. Spengler dit que
l’homme cultivé a son énergie dirigée au-dedans, le civilisé au dehors. Il y
aurait selon lui, comme pour Nietzsche et Thomas Mann, une équation fatale de la
décadence dans ce passage de la culture à la civilisation. L’extraversion de la
culture conduit à une perte de vitalité dans les formes figées, le
muséïsme de la civilisation, formes désormais
stériles, parce que l’esprit s’en est retiré. Sépulcres blanchis appelés du
traître mot de « culture ». Des productions artistiques à la pelle, mais plus
d’œuvres. Une pauvreté de l’inspiration et un manque de sensibilité vraie.
Une incapacité grandissante à sentir poétiquement la vie, mais une habileté
fonctionnaire à l’analyser pour en extraire du concept. Concept sans mystère,
sans profondeur, d’une effarante pauvreté spirituelle. Résonance prophétique
enfin des paroles de Paul Valéry :
« Nous
autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».
Cette distinction entre un esprit tourné vers l’extérieur et un esprit tourné vers l’intérieur est remarquable : deux directions qui sont non pas entre deux pôles, deux continents, deux pays, deux civilisations etc. mais deux directions au sein de l’esprit lui-même. Un processus ou un penchant très occidental qui part à la conquête du monde extérieur, typique de l’esprit occidental. Sous la forme du titre d’un livre : L'Occident et les autres. Histoire d'une suprématie, de Sophie Bessis. Une orientation (!), un processus et un penchant, très oriental. qui part à la découverte du monde intérieur, typique de l’esprit oriental. Sous la forme du titre d’un livre : Les Orients de l’Être, R. Balsekar.
L’esprit,
au sens du mental, se situe entre le corps,
qui est au contact du monde matériel et l’âme
qui est le domaine du monde spirituel. Toute l’expérience humaine est dans ce
jeu infini où la conscience se perd dans le monde et se retrouve en Soi. D’où
la théorie des trois yeux de la connaissance de Saint
Bonaventure commentée par Ken Wilber. L’œil de chair par lequel
nous percevons le monde extérieur, l’espace et les objets, l’œil de raison
par lequel nous gagnons une connaissance philosophique et logique,
l’œil de la contemplation par lequel nous nous élevons aux plus hautes
réalités.
La
hargne avec laquelle l’Occident s’est jeté dans la conquête du monde devait le
porter à rejeter dans l’oubli la dimension spirituelle de l’âme. A discréditer
tout ce qui pouvait relever de l’œil de la contemplation. A surévaluer les
méthodes relevant de l’œil de chair, de l’observation, de l’objectivation. Le
dédain à l’égard du monde matériel professé par le vieil ascétisme hindou devait
de son côté précipiter toute sa civilisation dans la misère matérielle. Juste
retour des choses, le balancier de l’Histoire a produit son effet. L’indien
d’aujourd’hui est beaucoup plus matérialiste que l’occidental, il ne jure que
par la science occidentale, le confort, il convoite l’écran plat et idolâtre
l’informatique ; tandis que l’Occidental, animé d’une soif de l’âme
inextinguible, devient chercheur spirituel et se lance à corps perdu dans le
développement personnel. Si on prend soin de les ramener à la nature de
l’esprit, la double polarité orient et occident découvre une perspective
métaphysique inédite.
* *
*
Pour Philippe Nemo, le credo occidentaliste (qu’il soutient) se résume à : « une langue et une culture européenne ; des institutions politiques démocratiques (élections tenues régulièrement, stabilité des institutions...) ; un système juridique basé sur l'État de droit (présomption d'innocence, plaidoirie ou non de culpabilité, jugement par un juge et/ou un jury, etc.) où la jurisprudence est très importante ; une séparation de l'Église et de l'État (principe de laïcité) ; une organisation économique capitaliste ».
On voit le caractère purement formel de ces propositions, une profession de foi réitérée par les politiques et les journalistes, mais qui ne dit pratiquement rien, à par donner des critères pour identifier des bons et des mauvais États. Très minimaliste. On est loin du discours passablement raciste du XIX ème siècle. C’est que l’image de l’Occident est attaquée de tous les bords. Jean Ziegler écrit La Haine de l’Occident pour mettre sur le papier toutes les raisons pour lesquelles les peuples du monde pourraient détester l’Occident. Hervé Kempf résume en un titre la pensée alternative : Fin de l’Occident, Naissance du Monde. Et ce ne sont que deux titres parmi d’autres tout aussi incendiaires. Si l’esprit critique est bien une invention des Lumières, l’Occident a l’art et la manière de le retourner contre lui-même, oubliant toutes les merveilles qu’il a pu produire, notamment dans la musique, dans la peinture, dans sa littérature jusqu’à en être injuste. Il n’a pas à rougir de ce qu’il a légué à l’humanité, mais il est temps pour lui de reconnaître à leur juste valeur la richesse de toutes les autres civilisations. Qu’il a longtemps méprisé.
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Questions:
© Philosophie et spiritualité, 2015, Serge Carfantan,
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