Dans
l’ordre pratique,
il semble que la logique
duelle soit très indispensable. Par exemple en justice : ou bien le soir du
meurtre, A était au casino comme il le prétend, ou il n’y était pas et il était
chez lui, ce qu’il a affirmé ensuite. Mais il ne peut pas dire les deux à la
fois (simultanément et sous le même rapport). C’est l’un ou l’autre. Il y a forcément un mensonge.
Toutefois, il suffit d’observer la pauvreté de
nos débats télévisés pour se rendre compte à quel point nous sommes coincés dans
la logique binaire. « Il
est de droite ou il est de gauche ? Il est plutôt à l’extrême gauche ou dans la
gauche modérée ? Il est à
droite ou à l’extrême droite ? Il est pour ou contre
la vaccination (l’euthanasie, l’avortement, etc.) ? »
On peut continuer indéfiniment. Mais peut-on traiter n’importe quelle question
comme s’il fallait toujours choisir son camp et deux valeurs de vérité
Vrai/Faux ? On peut très bien n’être
ni
de droite, ni
de gauche. Il est aussi parfaitement possible sur certains sujets d’avoir une
position médiane
qui se situe délibérément entre des extrêmes. Aristote, quand il parle de la
vertu fait l’éloge du juste milieu : le courageux, ce n’est
ni
le lâche, ni
le téméraire, il se tient dans un juste milieu. Certaines propositions sont
indécidables dans la dualité, par exemple toutes celles qui mettent en jeu le
futur : « Frédéric
obtiendra son bac », ce n’est ni vrai, ni faux, c’est
possible,
voire probable,
mais
pas
vrai ou
faux.
Il existe
beaucoup de domaines dans lesquels nous ne pouvons pas nous en tenir à seulement
deux valeurs de vérité Vrai,
Faux,
sous peine de simplification abusive, et de sabotage dans le principe toute
vision complexe. Un grand nombre de problèmes humains proviennent d’une manière
de les considérer avec un manichéisme abusif. Un usage aberrant de la pensée
duelle là où elle ne devrait pas avoir droit de cité. Cela veut dire que nous
avons besoin d’apprendre dans certains domaines à penser dans une logique
élargie. Il faudrait introduire deux valeurs supplémentaires : la possibilité
que certaines propositions puissent être
à la fois vraie et fausse
et aussi que certaines propositions
puissent n’être ni
vraies, ni fausses.
Mais, ce n’est pas facile. A quoi pourrions-nous appliquer ces valeurs ? Et
comment penser une logique
quadrivalente ?
Sur
quel plan la logique duelle garde-t-elle une pertinence et quand devrions-nous
la laisser tomber pour raisonner autrement ? Ce qui soulève encore la question
de savoir comment un sens pourrait-il exister en
dehors de la logique duelle.
*
*
*
Le monde dans lequel nous vivons
semble, dans une très large mesure, structuré dans la dualité.
Mâle/femelle, nuit/jour, pôle +/ pôle –
d’un aimant, force centrifuge/force centripète, symétrie droite/gauche du corps,
orientation haut/bas d’une plante etc. les exemples ne manquent pas dans la
Nature. Sur le plan psychologique, le sens commun est très dualiste, il est très
facile de partager impressions, sentiments, jugements dans la dualité :
plaisir/douleur, amour/haine, attirance/répulsion, vertu/vice,
véracité/mensonge, courage/lâcheté, grandeur/bassesse, humilité/orgueil,
douceur/dureté, fidélité/infidélité etc. Il existe des systèmes de philosophie
très dualistes, comme celui de Descartes, avec la dualité corps/esprit. Le
mental humain semble ne se mouvoir que dans un langage duel, parce que la grande
majorité des concepts humains sont duels. Et quoi de plus duel que le couple
vrai/faux ? Mais cela veut-il dire que nous sommes pour autant contraints à ne
formuler de jugements que sur un mode binaire en vrai ou faux ?
La gazelle n’existe pas
Ou relativement à un temps donné :
La gazelle buvait en plein midi au bord du fleuve.
En tant que le jugement unit des
idées, il implique erreur ou vérité. Considéré dans une expression du langage,
le jugement est une
énonciation,
sur ce qui est ou sur ce qui n’est pas. Mais attention, le jugement se distingue
des autres formes de discours, tel que celui qui dit le désir, la prière,
l’interrogation, pour Aristote, il a pour forme caractéristique
affirmation
et
négation.
La logique la plus élémentaire table donc sur la forme catégorique du jugement.
Celle qui formule une
proposition.
Les éléments de la proposition sont le
substantif et le verbe, le verbe
lui-même comprend outre la copule (le lien que crée le verbe),
l’attribut, ou prédicat.
La rose est rouge :
rose, substantif, est, copule, rouge, attribut.
Le discours, analysé d’un point de vue logique, est
l’union par la pensée d’un sujet et d’un attribut. Ce n’est pas du tout
difficile à saisir, Aristote ici ne va pas plus loin que les opérations les plus
ordinaires du mental sur le plan empirique. Le jugement est
vrai
quand la pensée exprimée affirme ce qui est, il est
faux
dans le cas contraire. Pour reprendre deux exemples déjà étudiés :
Le dauphin est un mammifère
Est vrai car effectivement il en
possède les caractéristiques biologique, le dauphin n’est pas un poisson. Le
prédicat est bien inclus dans le sujet.
Tous les lapins sont carnivores
Est faux, parce que cet
attribut ne convient pas à la nature propre du lapin. Le prédicat n’est pas
inclus dans le sujet.
Il faut donc admettre que pour
le connaisseur humain, la
connaissance a nécessairement pour mesure ce qui est
connu par le biais d’un mode de
connaissance valide. Ce qui veut dire que ce n’est en aucune manière le discours
vrai qui est cause de l’existence de la chose, c’est au contraire la chose qui
est la cause de la vérité du discours, puisque le discours vrai dit le vrai ou
le faux suivant l’existence. Donc celui qui juge divisé ce qui l’est dit le
vrai, tandis que celui qui prétend le contraire dit le faux. Il se trompe. Et
l’inverse, celui qui juge relié ce qui l’est dit le vrai, tandis que celui
affirme le contraire dit le faux.
a) Une fois cela admis, il
est possible d’opérer une classification des jugements. La première division des
jugements simples se fait selon la
qualité.
Ainsi, comme le jugement se rapporte à l’existence, comme à la non-existence, il
y a des
jugements
affirmatifs, ou catégorique :
L’argent est un facteur de corruption morale.
Et des
jugements
négatifs, ou privatifs :
Dieu n’est pas un être humain.
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© Philosophie et spiritualité, 2019, Serge Carfantan,
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