Questions et réponses

Recherches sur l'origine des langues


Pierre Marlange
Je partage totalement (pour les raisons qui vont suivre) certains passages du prologue de votre présentation: "Si l'homme est passé par le signe, il a ensuite dû domestiquer les phonèmes pour attacher une signification spécifique à certains d'entre eux. Il a fallu transformer des cris en mots". Il est ensuite indiqué: "On lui (Meritt Ruhlen) accorde le mérite d'avoir ressuscité le débat (sur l'origine des langues), on est même prêt à lui concéder qu'il a peut-être raison sur le fond, toutes les langues pourraient avoir une source unique, seulement nous n'en savons strictement rien".

 Or, si l'on veut aller plus loin dans le débat, il faudrait pouvoir, à la fois, intégrer les enseignements incontestables de la linguistique (classification des langues, lois phonétiques...), et oser contester, de manière raisonnable et fondée, les postulats non vérifiés, tels que le principe saussurien de l'arbitraire du signe, ou l'impossibilité de rattacher à une même racine préhistorique plusieurs termes lexicaux issus de familles linguistiques différentes (en respectant naturellement les lois phonétiques de chaque langue). Pour nourrir la réflexion, il faudrait aussi pouvoir enrichir les apports de la linguistique, pour se référer, par exemple, à la mythologie, ou à la signification de dessins préhistoriques évocateurs.

     Entre une langue-mère universelle (très difficile à accepter), et l'arbitraire total (selon Saussure, la question de l'origine des langues n'existe même pas, et est "absolument puérile"), il y a une voie médiane: c'est celle d'un mode commun de création lexicale, autour de certaines consonnes pourvues à l'origine d'une signification spécifique (qui s'est perdue avec le temps): de ce fait, chaque groupement a gardé la liberté de construire son propre vocabulaire, mais à partir de ces données initiales communes. Ce système expliquerait l'infinie variété des termes lexicaux (en accréditant, en première approximation, l'arbitraire du signe), tout en rendant compte des observations de Meritt Ruhlen (dont certaines semblent réellement justifiées, mais qui, en raison de leur faible occurrence, apparaissent comme des îlots dans l'océan du gigantesque stock lexical). Si ce système était fondé, on devrait pouvoir retrouver ses traces par l'analyse de toute langue ou famille de langues. Mais cette recherche est très difficile à réaliser, en raison des dérives avec le temps, tant de la prononciation, que de l'écriture, plus ou moins tardive, de fixation des mots.

     Or, il existe une langue qui semble privilégiée pour ce genre d'analyse: c'est l'égyptien hiéroglyphique, qui, grâce à son système d'écriture contraignant et exigeant de plus de 5000 ans, a conservé le mécanisme de la création des radicaux (tout en n'étant nullement, naturellement, une langue-mère). Cette affirmation peut sembler téméraire, mais elle n'est qu'une simple conséquence fortuite d'une autre recherche antérieure, menée sur l'origine des termes désignant les nombres, qui, eux aussi, sont considérés actuellement comme immotivés. C'est la perspective d'une solution envisagée sur le domaine indo-européen (grâce à la linguistique, mais aussi à d'autres considérations), qui, dans la recherche d'une éventuelle extension plus large antérieure, a conduit à l'étude de l'égyptien hiéroglyphique. Ce travail a permis, non seulement d'accréditer le schéma envisagé pour le cycle récurrent des nombres de 1 à 5, mais aussi, de manière tout-à-fait inattendue, de mettre en évidence le mode de création des radicaux multiconsonantiques, construits par agrégation de couples biconsonantiques signifiants. Le sens de ces radicaux multiconsonantiques, connu depuis longtemps, s'explique et se justifie donc par la motivation phonémique des consonnes constituantes. Vous pourrez trouver tous les détails sur mon site http://pierre.marlange.net (y compris la reproduction d'une peinture rupestre préhistorique du Tassili algérien, venue confirmer depuis lors le cycle de base 5 des nombres). Je reste naturellement à votre disposition pour tout développement éventuel. Cordialement pierre marlange
 

Q. Je pense aussi qu'il y a nécessité de trouver en l'affaire une voie médiane et j'ai montré dans la leçon Intelligence et pensée non-verbale qu'il y  avait de sérieuses raisons de mettre en cause l'arbitraire du signe de Saussure. Sur la question des nombres je suis un peu dubitatif et plutôt "platonicien". Il me semble que ce sont deux domaines différents.

Pierre Marlange
     
Si l'on peut admettre que nous avons hérité d'un grand nombre de termes lexicaux qui ont été CONSTRUITS par les locuteurs antérieurs, selon leur mentalité propre (et ne résultant donc pas d'onomatopées, ni d'un pur arbitraire de type saussurien), pourquoi faudrait-il écarter le nom des nombres de ce mode de construction ? Au nom de quel principe ? Et lorsque je parle de "construction", je ne dis pas qu'il faudrait appliquer, ou généraliser, à la dénomination des nombres un processus de construction qui aurait pu éventuellement apparaître antérieurement pour l'analyse des mots du lexique courant.

    En fait, c'est le contraire qui s'est produit: jamais je n'aurais envisagé l'hypothèse d'une construction logique et méthodique des mots, sans y avoir été conduit, de manière tout-à-fait fortuite, en voulant tester sur l'égyptien hiéroglyphique, en 1998, la généralisation d'une conjecture entrevue précédemment sur le domaine indo-européen, précisément dans la recherche de l'origine des termes désignant les nombres (jusqu'à présent, considérés comme immotivés). Cette supposition avait été obtenue en croisant à la fois la linguistique, la mythologie, et d'autres considérations telles que l'enchaînement des mois des calendriers antiques. Et c'est en comparant l'expression des nombres en égyptien hiéroglyphique, et le lexique courant de cette langue, que je suis arrivé aux conclusions "constructivistes" précisées sur mon site internet. Je répète que cette langue n'est nullement une "langue mère", mais que son système d'écriture (très lourd et contraignant, au point qu'il n'a pu supporter la concurrence de l'alphabet phénicien) a eu néanmoins pour immense avantage de conserver le mode de construction des radicaux complexes, à partir d'étymons biconsonantiques signifiants (ce que n'a pu faire l'alphabet phénicien, qui, au nom de l'efficacité et de la rapidité d'expression, a fait perdre ce processus de construction).

       Dans cette recherche toute nouvelle, je me suis donc efforcé de suivre le principe très positif et fécond que vous avez mis en tête de votre site: "Le débutant doit accepter la difficulté d'investigation sans baisser les bras". Doit-il en être de même pour le lecteur ? Certes, ce lecteur risque, s'il est moins motivé, d'être a priori rebuté à la perspective d'affronter un lexique qui lui est étranger, mais il suffit d'avoir juste du bon sens, puisqu'il s'agit de vocabulaire, et non de syntaxe.

     Dans la leçon 32 (logique et progrès des sciences), vous indiquez, à juste titre, que "le progrès scientifique réside dans le passage d'un ancien à un nouveau paradigme". Mais quid, lorsqu'il n'y a même pas d'ancien paradigme pour expliquer le nom des nombres ? En effet, la science officielle, normale, actuelle n'a même pas le début du commencement d'une théorie sur la question. Tout au juste envisage-t-elle l'hypothèse que le nombre 3 s'expliquerait par le fait qu'il serait au-delà (tres / trans) du nombre 2 !

      Or, il existe tout un faisceau d'indices concordants (à condition de ne pas vouloir tout réduire à la seule linguistique), qui montre que les locuteurs antérieurs ont désigné les nombres par référence aux cinq étapes annuelles de la sève dans la végétation. Les appellations sont le plus souvent très différentes d'un groupement humain à l'autre (et sont le reflet naturel de la diversité des langues et de la fécondité de l'esprit humain), mais les concepts exprimés paraissent identiques pour chaque nombre, et se référer au mythe mentionné (je vois déjà les critiques mythe / rigueur...). On trouve des vestiges de ce cycle de base 5, tant dans les écrits (Plutarque: "pour dire compter, on emploie aussi le mot composé compter-par-cinq", et "autrefois, l'usage était de dire compter-par-cinq pour signifier compter") que dans les figurations antiques (ainsi, la peinture rupestre du Tassili n'Ajjer algérien, reproduite en pp. 10 et 118 de mon site "la motivation phonémique à l'origine du langage": elle raconte une histoire en 5 épisodes - précisément le mythe préhistorique en question -, où l'héroïne est une jeune femme, identifiée par sa relation avec des récipients (non pas d'eau, mais de sève) et figurée dans chaque épisode par 4 petits points au-dessus de la tête, du fait de l'importance particulière de l'épisode n°4: scène d'accouchement, évoquant par métaphore la naissance et la croissance des fruits, avant leur recherche pour la cueillette, épisode n°5) (ou bien la fresque du tombeau de Thoutmosis III, montrant le pharaon "allaité par sa mère Isis", figurée sous forme d'un arbre pourvu d'un sein). Évidemment, on n'a pas encore trouvé de Pierre de Rosette, fixant ce mythe dans le marbre, et l'on ne peut qu'apporter des indices et des signes (y compris les 22 signes de l'alphabet phénicien, dont l'ordonnancement, le nom et la forme constituent 4 cycles pleins, et un cinquième tronqué, comme indiqué sur mon site).

      Mais, reprenant une phrase de Dominique Laplane sur votre site: "Il faut croire au sens délivré par des signes que l'on ne comprend pas encore, le but étant l'intelligence de ces signes". La sève ne représente plus (et c'est un euphémisme) la préoccupation essentielle de nos sociétés modernes d'abondance, mais elle garantissait la continuité de la Vie pour nos très lointains ancêtres en situation de survie continuelle. A la question de votre site "à quoi nos ancêtres passaient-ils leur temps ?", on pourrait répondre, vraisemblablement sans se tromper: "à se déplacer" (d'où les différentes allures de marche indiquées dans "la motivation phonémique à l'origine du langage"), et "à chercher de la nourriture pour subsister". J'ai aussi été frappé par cette phrase, très vraie, que j'ai relevée sur votre site (elle pourrait rendre compte du doute éventuel sur l'importance maintenant révolue de la sève, qui pourrait subsister dans l'esprit de nos contemporains, préférant, à cet essai d'explication, le vide actuel): "Il y a un aspect remarquable dans le devenir des théories scientifiques, qui dépend de conditions qui sont sociologiques plus que logiques".

Q. Deux mots au sujet du nombre trois, noter le tri- en sanskrit, comme dans trimurti, comme dvi, deux, dvaita la dualité, certainement très anciens, car présents dans les hymnes védiques, qu'il faudrait faire remonter à au moins pour le Rig Veda 4000 ans avant JC. Certains auteurs disent 6000 ou encore plus, en tradition orale, de père en fils en récitations par coeur favorisée par la métrique rigoureuse des textes. L'écriture des Veda est très tardive. Noter aussi que la graphie des nombres sanskrits a été légèrement modifiée pour certains (pas pour le 0, le 1, le 4, le 6 reconnaissables, le 7 aussi) pour donner nos soi-disant chiffres arabes, qui sont en fait indiens.

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