Leçon 200.     Recherches sur l’origine des langues         pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon

    En 1865, la Société de linguistique de Paris avait, dans ses règlements, prestement informé ses membres qu'elle ne recevrait plus « aucune communication concernant l'origine du langage » ! Pareille annonce a de quoi surprendre, elle prend à contre-pieds un sujet sur lequel la curiosité du public ne s’est jamais éteint.

    Venant de la part des spécialistes du langage, nous aimerions tout de même avoir quelques explications. La communauté des biologistes ne va pas excommunier l’un de ses pairs, parce qu’il s’intéresse aux origines de la vie ; pas plus que les physiciens ne rejetteront celui qui s’intéresse aux origines de la matière. Alors pourquoi ?

    Une solide raison philosophique s’impose tout d’abord. Chaque fois que l’esprit s’interroge sur l’origine, il risque de faire un saut depuis le langage de la science à celui du mythe. Un saut qui risque fort d’être une sorte de ratiocination confuse. Celui-ci peut être évité par la physique, qui a des moyens conceptuels solides pour théoriser le Big Bang. La biologie de même a fait d’énormes progrès pour reconstituer la soupe primitive de la Terre des origines, elle peut donc elle aussi se passer du mythe. Mais la linguistique étudie un objet, la langue, qui est au cœur de l’identité culturelle ; si bien que s’interroger sur l’origine des langues, c’est questionner l’origine des peuples. Quand on parle d’identité, l’ego n’est pas loin, y compris sous la forme d’ego collectif. Sur ce terrain, l’ethnocentrisme est roi et tout le monde voudrait avoir la propriété exclusive des origines de l’humanité ! Herder disait : « chaque vieille nation aime tant se considérer comme la première-née et prendre son pays pour le lieu de naissance de l'humanité ! » Si on consulte la littérature sur l’origine des langues au XIX ème, on constate qu’elle est mêlée à un fatras de crédulité, de polémiques, de supercheries, de nationalisme… et de colonialisme.

    Cela pourrait déjà, par jeu, nous donner quelques raisons d’y mettre le nez, histoire d’y voir un peut plus clair. Mais il y a d’autres raisons plus théoriques. Par exemple, celles qui ont été percées par J. J. Rousseau dans L’Essai sur l’Origine des langues. Que peut donc nous apprendre la recherche sur l’origine des langues ?  De quoi alimenter notre goût régressif pour nous mettre dans la peau du Neandertal et ramper en poussant des grognements satisfaits ? De quoi flatter notre amour-propre et nos convictions nationalistes ? De quoi éclairer en contre-jour la théorie linguistique ?  

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A. Quelques données anthropologiques

    Dans une précédente leçon, nous avons vu avec Descartes qu’il faut distinguer l’aptitude phonatoire à émettre des sons, de l’aptitude à en user pour exprimer une pensée. Si la pie peut très bien enregistrer une phrase, elle peut le faire sans penser dit Descartes, en sorte que son rapport au langage n’est pas tellement différent du rapport entre le magnétophone et les bruits qu’il enregistre. Qui dit langage dit système de signes servant à exprimer une pensée. Qui dit langue, dit langage parlé propre à une communauté culturelle donnée. Dès l’instant où nous considérons la langue, nous sommes en présence d’une structure signifiante complexe, donc très éloignée de simples sons dépourvus de signification.

    ---------------1) En tant qu’espèce vivante présente sur Terre, l’homme n’a bien sûr pas le monopole de la communication et s’il est une espèce communicante, il l’a d’abord été comme le sont beaucoup d’espèces animales. Il a dû utiliser, comme les autres primates, un système de signaux. Nous avons vu cependant que les systèmes de signaux sont stéréotypés et rigides, ils sont remarquables en ce qui concerne l’adaptation, mais ils ne sont pas faits pour véhiculer des concepts. L’anthropologie nous dit que la bipédie a permis chez l’homme l’usage de l’outil. L’outil veut dire de quoi couper et tailler, mais surtout chasser. Pour chasser, il faut bien qu’une communication soit établie entre chasseurs, surtout sur le plus gros gibier, ce qui suppose un langage. Cependant, nous avons vu que l’argument est insuffisant, d’une part parce que l’usage des outils n’est pas spécifique à l’homme, comme on le pensait autrefois ; d’autre part, dans la nature les prédateurs qui chassent en bandes, comme les loups ou les lions, sont capables de stratégies intelligentes, d’actions  concertées pour traquer le très gros gibier, sans avoir besoin pour cela d’un langage analogue au nôtre.

    L’argument anthropologique qui porte le plus, c’est celui du développement du cerveau dans le sens des facultés du langage. Le fait qu’avec l’évolution, le lobe frontal soit repoussé en avant, et le lobe occipital en arrière, pour ménager un espace d’association. L’évolution du cerveau a rendu possible l’aptitude à une communication consciente, codée, au service d’une conceptualité, utilisant un système de signes. Si l’homme est passé par le cri, il a ensuite dû domestiquer les phonèmes, pour attacher une signification spécifique à certains d’entre eux, faisant naître ce que les linguistes appellent les monèmes ou morphèmes. Il a fallu transformer des cris en mots. On admet que l’homo habilis avait déjà les capacités cognitives élémentaires pour que le langage puisse naître et se développer. On peut admettre - de manière conjecturale - une protolangue originelle, elle serait un langage hypothétique daté d'au moins 50 000 ans, parlé par les populations homo sapiens primitives. Mais encore fallait-il des motivations pour parler. On suppose, qu’avec les changements des modes de vie, comme ceux induits par la maîtrise du feu, une sociabilité première s’est formée, appelant avec elle une évolution du langage. Pour s’exprimer, il fallait certes un langage, mais il fallait avoir des choses à dire. Les anthropologues nous décrivent les premiers hommes rassemblés autour du feu pour faire fuir le gibier, s’éclairer, se chauffer, cuire de la nourriture ; mais en dehors de tout cela, que faisaient-ils ? On peut supposer qu’ils « parlaient ». Ils avaient au moins la possibilité d’échanger, et dans ce contexte favorable, le langage a dû se structurer.

; pour que les populations augmentent, qu’il y ait des migrations et des échanges entre tribus. Du coup, une question toute simple se pose : mais alors pourquoi chercher une langue primitive ?

    2) Ce n’est pas l’anthropologie qui nous met dans la direction de cette hypothèse. Par contre, sur le terrain anthropologique nous pouvons au moins émettre quelques conjectures sur la manière dont a pu s’effectuer le passage du cri vers le mot. Sous des formes variées, on retrouve chez les anthropologues trois théories :

    - La théorie de l’interjection soutient que les mots seraient issus de l’expression émotionnelle des cris liés aux états affectifs, le cri s’étant peu à peu transformé en signe intentionnel. Ainsi, le cri du guetteur provient d’une peur du danger, il devient ensuite une intention d’avertissement. Attention ! Danger !  L’état émotionnel s’exprime dans un signe verbal qui imite le cri de la peur originelle.

    Remarquons cependant que cette théorie cherche à dériver le langage du biologique, ou de l’instinctif, ce qui conviendrait à la rigueur pour les signaux, mais s’applique assez mal au signe. D’emblée, le langage est voué à une communication bien plus sociale que biologique. Les mots se déploient dans un espace abstrait et collectif, ils ne sont pas de simples réactions subjectives.

    - La théorie de l’onomatopée soutient que les éléments du langage proviennent d’une imitation verbale des aspects concrets du phénomène désigné. A la défense de cette thèse, on peut trouver dans toutes les langues des mots qui ont une consonance imitative très marquée. Platon en grec donnait kikonia, la cigogne, mot imitant les cris de l’oiseau. En français : coucou, effluve. En anglais : smash (volée haute), crash, (fracas), clash (choc sonore, affrontement), lash, (coup de fouet), rash (éruption), brash (éboulis, décombres). On peut aussi ajouter que cette fonction n’est pas perdue, puisque la poésie fait souvent usage de l’harmonie imitative. Voyez par exemple le début du Bateau Ivre de Rimbaud.

    Toutefois, le concept d’imitation vocale est très limité,

 

 

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Vos commentaires

Questions:

1. Qu'est-ce qui nous inclinerait à penser que la recherche de l'origine des langues relève de la mythologie.

2. Le fait que notre ADN soit constitué d'un langage comportant une syntaxe, une grammaire et des signes ne plaide-t-il pas en faveur de l'existence d'une langue Mère originelle de la Vie?

3. La question de l'origine des langues peut-elle être entièrement dissociée de celle de leur disparition?

4. En quoi le problème de l'origine des langues se confond-il avec celui de l'origine de la pensée?

5. Comment pourrait-on interpréter le mythe de la Tour de Babel?

6. Pourquoi l'homme religieux prétend-il que le langage a dû être donné à l'homme par Dieu?

7. Qu'est-ce qui différentie le concept de "protolangue" de celui de "langue Mère" au sens de Ruyer?

 

    © Philosophie et spiritualité, 2010, Serge Carfantan,
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