Textes philosophiques

Hans Jonas    la responsabilité et la nature


    "L’avenir de l’humanité est la première obligation du comportement collectif humain à l’âge de la civilisation technique devenue « toute-puissante » modo negativo. Manifestement l’avenir de la nature y est compris comme condition sine qua non, mais même indépendamment de cela, c’est une responsabilité métaphysique en et pour soi, depuis que l’homme est devenu dangereux non seulement pour lui-même, mais pour la biosphère entière. Même si les deux choses se laissaient séparer — c’est-à-dire si, avec un environnement ravagé (et remplacé en grande partie par des artefacts), une vie digne d’être appelée humaine était possible pour nos descendants — la plénitude de vie produite pendant le long travail créateur de la nature, et maintenant livrée entre nos mains, aurait droit à notre protection pour son propre bien…

      C’est seulement la supériorité de la pensée et pouvoir de la civilisation technique qu’elle a rendu possible qui mettaient une forme de vie, « l’homme », en état de mettre en danger toutes les autres (et aussi également lui-même). La nature ne pouvait prendre de risque plus grand que de laisser naître l’homme, et toute conception aristotélicienne de la téléologie de la nature intégrale (physis) qui est à son propre service et qui s’intègre pour former un tout est réfutée par ceci que même un Aristote ne pouvait pas encore pressentir. Pour lui c’était la raison théorique dans l’homme qui transcende la nature, sans assurément l’endommager par sa contemplation. L’intellect pratique émancipé qu’a produit la « science », un héritage de cet intellect théorique, n’oppose pas seulement sa pensée, mais encore son agir, à la nature d’une manière qui n’est plus guère compatible avec le fonctionnement inconscient de l’ensemble: dans l’homme, la nature s’est perturbée elle-même, et c’est seulement dans sa faculté morale (que nous pouvons encore lui imputer comme le reste) qu’elle a laissé ouverte une issue incertaine l’assurance ébranlée de l’autorégulation. Le fait que sa cause soit dorénavant suspendue à cela — ou disons plus modestement : le fait que tant de choses dépendent de ce que l’homme peut voir de cette cause — a quelque chose d’effrayant. Après les dimensions temporelles de l’évolution et même celles bien plus petites de l’histoire humaine, ceci est un tournant presque subit dans le destin de la nature. Sa possibilité était contenue dans l’essence du savoir et du vouloir indépendants du monde qui firent irruption dans le monde avec l’homme, mais sa réalité a lentement mûri et ensuite, brusquement, elle fut là. En ce siècle fut atteint le point depuis longtemps préparé, où le danger devient manifeste et critique. Le pouvoir, associé à la raison, entraîne de soi la responsabilité. Cela allait de soi depuis toujours concernant le domaine intersubjectif. Le fait que depuis peu la responsabilité s’étende au-delà jusqu’à l’état de la biosphère et la survie future de l’espèce humaine est simplement donné avec l’extension du pouvoir sur ces choses qui est en premier lieu un pouvoir de destruction. Le pouvoir et le danger dévoilent une obligation qui, par la solidarité avec le reste, une solidarité soustraite au choix, s’étend de l’être propre à l’être général sans même un consentement particulier".

Le Principe Responsabilité,  p. 261 et 263-263.

Indications de lecture :

Lire la leçon sur Existence et responsabilité. Voir aussi Le respect de la nature.

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