La Nature peut faire l’objet de spéculations, la question de son origine est à la source des mythes fondateurs de nos sociétés. Mais dans un monde tel que le nôtre, dans un monde où la nature est l’objet d’explications scientifiques, les questions d’origine sont éludées. Ce qui subsiste dans notre relation à la Nature, c’est un nouvel objet, esthétique celui-là, la Nature est l’objet d’une admiration, admiration qui est le pendant de notre savoir objectif. Ainsi les prouesses de notre science et de notre technique nous ont rendu maître de la Nature et pourtant, nous gardons une nostalgie de l’écoute poétique de la Nature.
Pendant ce temps là, la Terre, elle, va plutôt mal. Éventrée par nos bulldozers, polluée par nos usines, désertifiée par notre agriculture sauvage. Nous avons réussi à conquérir la Nature, maintenant, il nous faut conquérir la maîtrise du conquérant pour l’empêcher de tout saccager ! Alors se pose un problème tout à fait inédit, celui du respect de la Nature. Se pose le problème de savoir jusqu’où nous devons aller dans la transformation de la Nature. En clair nous sommes aujourd’hui obligés de demander:
Pourquoi devons-nous respecter la Nature ?* *
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Sur une question pareille, nous ne pouvons pas nous lancer d’abord dans un débat théorique. Nous devons porter toute notre attention sur les faits. Or si la question du respect de la Nature se pose, c’est parce que nous constatons autour de nous des dégradations flagrantes de la Nature liées à un usage violent de la technique.
Le modèle occidental exerce sur les peuples de la Terre une puissante séduction. Nous avons des machines redoutablement efficaces, nous vivons dans un luxe tapageur, nous avons les moyens de résorber la pauvreté et la maladie, les moyens de limiter les catastrophes naturelles. Nos médias répandent des images d'une liberté adolescente, d'une licence sans limites. Comment ne pas susciter l’envie des peuples archaïques, l’envie de ressembler aux occidentaux, de vivre comme eux, dans un monde où la publicité serait un modèle, où la jeunesse cocaïnée est implicitement un modèle, ou le coca-cola est un emblème ; ce monde dans lequel tout ce qui est produit massivement est le plus souvent contre-nature, à l'image de l’audace architecturale des gratte-ciels qui vient défier les constructions de la Nature ? en bref, pour bien des peuples, l’occident est une figuration mythique du paradis et le modèle occidental une référence obligée quant aux réformes qu’il conviendrait de mener.
--------------- monde accédait à ce mode de vie, ce serait en fait la fin de la Nature et de l’humanité. Selon le calcul, si l’Inde et la Chine consommaient autant de papier qu’un occidental, tous les arbres de la Terre disparaîtraient en un an ! Autre exemple : Christophe Colomb parlait de l’île d’Hispaniola, près de Haïti en ces termes : « Ses terres sont élevées, découpées de nombreuses sierras et de montagnes grandioses… Tout est beau, avec mille formes différentes ; tout est accessible et riche en arbres de milles espèces, et si hauts qu’ils semblent toucher le ciel ». Le même paysage, vu du même point de vue, aujourd’hui est complètement désertique. 90% de la forêt a été défrichée. De plus « puisqu’il n’y a plus d’arbres, les pluies de mousson lessivent le sol, emportant les terres de surface vers la mer. Le bois est utilisé pour faire du feu et cuire des aliments qui deviennent de plus en plus rares du fait de l’érosion du sol ». La plus grande partie de la déforestation s’est produite depuis 1950. A cette époque, il était facile de se procurer des machines comme les tronçonneuses pour couper le bois. Les haïtiens sont-ils conscients de ce qu’il font ? Oui, mais de manière fragmentaire. Ils disent qu’ils n’ont pas le choix. Ils ont faim, il leur faut nourrir leur famille. Ils sont donc pris dans un cercle vicieux entre leurs fins économiques et les moyens technologiques de les satisfaire. Ils voient le bénéfice immédiat d’exploiter la forêt, ils ne cherchent pas à voir plus loin, à penser ce qu’ils font sur un plan plus global. Alors la destruction fait son chemin. Quand nous faisons tourner des usines pour produire de l’électricité, du métal, des objets techniques, nous le faisons avec un impératif de coût minimal. Ce qui revient toujours à prendre des solutions très polluantes pour l’environnement, car toutes les solutions moins polluantes sont plus onéreuses. Nous préférons dans la plupart des cas ce qui engendre une productivité maximale, même si cela se payera par l’emploi d’une technologie destructrice. On dit que l’on n’a pas le choix, qu’il faut satisfaire aux besoins de la nation. Avec le même raisonnement, on peut justifier n’importe quoi : la culture du pavot pour fabriquer de l’opium et de l’héroïne : "ces pauvres paysans, ils vivent de la culture du pavot, on ne va pas les jeter dans la misère ! » C’est encore le même cercle vicieux qui est là quand il s’agit de fermer une usine qui rejette des tonnes de charbon dans l’atmosphère et salit l’environnement : « et les ouvriers qui y travaillent alors ? Il faut bien qu’ils vivent ». cf. David Bohm et Mark Edwards Pour une révolution de la conscience.
Cependant, ce genre de cercle vicieux n’est que la conséquence d’une représentation de la Nature qui est la nôtre. L’homme moderne jouit depuis l’aube de la science moderne d’inventions techniques stupéfiantes. Il a tous les moyens de réaliser un programme mis en œuvre depuis le début de la science occidentale, le programme de maîtrise de la
Nature, programme qui est de fait devenu le programme de la domestication de la Nature au nom d’une fin prétendue, la satisfaction des besoins humains. Et comme les besoins d’une société comme la nôtre sont constamment multipliés et encouragés, la nécessité de les satisfaire implique ...Est-ce que pour autant ce modèle culturel était voué à être une idéologie de la manipulation de la Nature ? Il est honnêtement très difficile de répondre « non » à pareille question, tant l’Histoire nous accuse. Claude Lévi-Strauss ne prend pas de gants sur cette question. Il remarque que d’un côté « nous entourons d’une véritable vénération certaines synthèses… les œuvres des grands artistes : peintres, sculpteurs, musiciens. Nous construisons des musées qui sont un peu l’équivalent des temples d’autres sociétés, pour les y recueillir, et il nous apparaîtrait comme un désastre, une catastrophe universelle, que toute l’œuvre de Rembrandt ou de Michel-Ange fût anéantie… ». Mais de l’autre, que faisons nous des chefs d’œuvre de la Nature ? Sommes-nous seulement capables de les respecter ? « Lorsqu’il s’agit de synthèses infiniment plus complexes encore, et infiniment plus irremplaçables aussi, que sont les espèces vivantes, qu’il s’agisse des plantes et des animaux, alors nous agissons avec une irresponsabilité, une désinvolture totale ». Nous sommes prêts à respecter une œuvre de la pensée humaine, mais pas prêts à respecter l’œuvre de la Nature. Il y a des traits convergents de la culture occidentale qui vont dans cette direction : cette sorte de nocivité explique Lévi-Strauss, qui « de la tradition judéo-chrétienne, et, d’autre par plus près de nous, de la Renaissance et du cartésianisme, fait de l’homme un maître, un seigneur absolu de la création ». La tradition judéo-chrétienne en effet véhicule l’idée que l’homme a reçu la Nature des mains de Dieu, afin d’en jouir à sa guise, puisque de toute manière, en vertu du péché originel, la Nature est maudite. La science moderne, elle, prend son élan dans la tentative de devenir « maître et possesseur de la Nature », au-delà de ce que Descartes avait lui-même escompté. Dans une direction, comme dans l’autre, la Nature est vue comme un objet et non comme un sujet à part entière. Si l’homme avait un tant soit peu d’humilité pour « respecter toutes les formes de la vie en dehors de la sienne », il se « mettrait à l’abri du risque de ne pas respecter toutes les formes de vie au sein de l’humanité même ».
... si nécessairement tous les modèles culturels conduisent à la prédation de la Nature. Et ce n’est pas du tout le cas. « Même les
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© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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