Textes philosophiques Rousseau
l'élévation de l'amitié
Le premier sentiment dont un jeune homme élevé
soigneusement est susceptible n'est pas l'amour, c'est l'amitié. Le premier
acte de son imagination naissante est de lui apprendre qu'il a des
semblables, et l'espèce l'affecte avant le sexe. Voilà donc un autre
avantage de l'innocence prolongée : c'est de profiter de la sensibilité
naissante pour jeter dans le cœur du jeune adolescent les premières semences
de l'humanité : avantage d'autant plus précieux que c'est le seul temps de
la vie où les mêmes soins puissent avoir un vrai succès.
J'ai toujours vu que les jeunes gens corrompus de bonne heure, et livrés
aux femmes et à la débauche, étaient inhumains et cruels; la fougue du
tempérament les rendait impatients, vindicatifs, furieux; leur imagination,
pleine d'un seul objet, se refusait à tout le reste; ils ne connaissaient ni
pitié ni miséricorde; ils auraient sacrifié père, mère, et l'univers entier
au moindre de leurs plaisirs. Au contraire, un jeune homme élevé dans une
heureuse simplicité est porté par les premiers mouvements de la nature vers
les passions tendres et affectueuses : son cœur compatissant s'émeut sur les
peines de ses semblables; il tressaille d'aise quand il revoit son camarade,
ses bras savent trouver des étreintes caressantes, ses yeux savent verser
des larmes d'attendrissement; il est sensible à la honte de déplaire, au
regret d'avoir offensé. Si l'ardeur d'un sang qui s'enflamme le rend vif,
emporté, colère, on voit le moment d'après toute la bonté de son cœur dans
l'effusion de son repentir; il pleure, il gémit sur la blessure qu'il a
faite; il voudrait au prix de son sang racheter celui qu'il a versé; tout
son emportement s'éteint, toute sa fierté s'humilie devant le sentiment de
sa faute. Est-il offensé lui-même : au fort de sa fureur, une excuse, un mot
le désarme il pardonne les torts d'autrui d'aussi bon cœur qu'il répare les
siens. L'adolescence n'est l'âge ni de la vengeance ni de la haine; elle est
celui de la commisération, de la clémence, de la générosité. Oui, je le
soutiens et je ne crains point d'être démenti par l'expérience, un enfant
qui n'est pas mal né, et qui a conservé jusqu'à vingt ans son innocence, est
à cet âge le plus généreux, le meilleur, le plus aimant et le plus aimable
des hommes. On ne vous a jamais rien dit de semblable; je le crois bien; vos
philosophes, élevés dans toute la corruption des collèges, n'ont garde de
savoir cela.
Emile, ou de l'Education, livre IV.
Indications de lecture
Cf. L'exemple est utilisé par Descartes, cf.
Les Méditations métaphysiques. Voir les leçons
Sentir et percevoir, voir aussi
La raison et le sensible.
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