Leçon 14.   Sentir et percevoir   english flag       pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon  

    Dans l'attitude naturelle, nous nous accordons à penser que la perception, cela « tombe sous le sens ».  Il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour voir, parce qu'il y a des "choses" qui sont là !  C’est un fait, parce qu’il y a des choses avant moi. Il y a une lumière, des couleurs, des formes avant que je ne les voie. Il y a des bruits ou de la musique avant que je ne les entende. Nous pensons que l'esprit a sous le nez une réalité extérieure que les sens nous donnent, et qu’il n’y est pour rien dans la perception. C'est la chose qui stimule l'esprit pour qu'il perçoive. En somme, l'esprit est passif.

    Mais c'est oublier à quel point nous sommes actifs au sein de la perception, c’est oublier le travail souterrain de la projection de nos intentions, la manière dont l’esprit constitue la perception et y intervient de façon très active. Nous sommes si peu passifs dans la perception que ce serait une honnêteté au contraire d’avouer que la plupart du temps percevoir, c'est seulement reconnaître ce que nous cherchons, c'est anticiper ce que nous attendons, c'est identifier ce qui est bien connu. Ce qui est l'élément premier de la perception, c'est l'intention, l'activité qui la traverse et non la passivité.

     Comment départager ce qui dans la perception est de l’ordre de la réceptivité et de la passivité ? On peut distinguer d’un côté le sentir, qui est l’ordre de la passivité, et de l’autre, le percevoir, de l’ordre de l’activité de la perception.  Mais n’est-ce pas là une simplification commode ? Ne sommes-nous pas toujours dans l’état de veille sur le plan de la perception? Ne faut-il pas dire que la perception est seulement de la pensée ? Dans quelle mesure la perception comporte-t-elle une ouverture à ce qui est ?La perception n’est-elle que le reflet de la pensée ou bien est-elle davantage ?

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A. Perception et intentionnalité

    Nous avons vu que la conscience vigilante se définit par l’intentionnalité. La formule « toute conscience est conscience de quelque chose », désigne de prime abord pour Husserl la perception en tant que conscience-de-quelque-chose. Il existe plusieurs formes de l’intentionnalité, mais il est clair que la première et la plus importante est l’intentionnalité perceptive. (texte)

    1) Pourquoi ? Parce que c'est là que la dualité sujet/objet s'exerce en tout premier lieu. C’est dans la perception que le mot « chose » prend tout son sens. L’objet dont je suis conscient dans la perception est une chose et non une image, ou un souvenir. Cette table sur laquelle je pose mes mains m’est présente. Elle a sa forme, sa couleur brune, son parfum de bois ciré. En percevant, je suis conscient-de cette chose que je nomme table. Je pense à cette chose donnée dans la perception, en supposant une idée primitive, celle d’une substance pourvue de propriétés constantes. Cette table là, bien réelle, en bois faite en chêne et ciselée par les outils d’un ébéniste. Une chose, c’est un objet que nous posons comme en soi, une substance douée de propriétés stables qui manifestent une constance dans le temps. Il nous est naturel dans la vigilance d’appréhender un phénomène en le considérant comme une chose. Cette conscience des choses est notre conscience de la réalité, à l’opposé de la conscience d’image qui est une conscience de l’irréalité. C’est cette conscience des choses que nous opposons à l’illusion. Il serait tout à fait possible, si nous ne partions pas de la vigilance, de concevoir une conscience beaucoup plus f....

   --------------- Comment la chose m’apparaît-elle ? Je vois cette table, même si j’en fais le tour en me déplaçant dans l’espace, elle reste la même table, présente ici et maintenant. Ce qui est étrange, car ma perception ne cesse de se modifier. Je regarde de près ou de loin, en-dessous, au-dessus. Ce que je perçois, c’est en fait une série de perceptions, ou mieux dirions-nous avec Husserl, d’esquisses de la table. D’où vient que je puis dire, « la » table, comme si elle était une et identique ? Ma perception est entraînée dans un flux incessant de variations de l’expérience, d’un maintenant-vivant de conscience à un autre maintenant-vivant. Pour donner lieu à une reconnaissance, il doit bien y avoir une constitution de cette diversité (texte). La conscience de l’identique se réfère à un noyau constant, le noème de la perception, qui est à chaque fois visé dans chacune de mes perceptions. Non seulement cela, mais c’est chacun de ses aspects qui lui aussi possède sa constance propre. La couleur de la table par exemple est la même couleur qui m’apparaît, quand bien même je me détournerai de la table pour regarder ailleurs. Je pose le concept de table pour identifier cet objet, comme je pose le concept de couleur pour identifier ce brun. Si je suis très assuré dans la vigilance de la réalité de « cette table », d’où vient mon assurance ? Puis-je dire que cette certitude vient du seul flux de mes sensations ? Non. La sensation est trop diverse, trop variable, trop fragmentaire et changeante. Le réalisme du sens commun croit pourtant trouver la réalité de la table dans la sensation. « Je ne crois que ce que je peux toucher, je peut cogner sur la table, c’est réel, cela ne part pas en fumée !». En fait, la réalité que nous posons dans la vigilance a beaucoup à voir avec le langage, avec le concept et l’identification !

    Une sensation, sans le langage, c’est une appréhension fuyante, ce qui me parait réel, c’est ce que j’identifie de constant dans toutes mes perceptions. A travers le changement, j’appréhende cette « table », donc une identité-d’objet qui n’est rien d’autre que le noème de la table. Je vois dans la table une chose et ce sont les choses qui me semblent réelles. Une chose, ce n’est pas comme une simple image. Une image, cela n’a pas de teneur, ce n’est pas la chose en personne, en chair et en os, si je puis me permettre. Une image de rêve par exemple, ne peut pas demeurer. Une chose par contre se laisser explorer sous toutes ses coutures, se présente à moi sous des esquisses multiples, qui font que j’en n’ai jamais fini de la découvrir. La vigilance est vécue dans la dualité, ce qui implique une nette séparation sujet/objet qui devient l’opposition du sujet et des choses. Je suppose toujours, dans la vigilance, que la chose est une certaine substance qui est indépendante de moi. La chose est douée de propriétés qu’il m’est possible d’explorer :

    a) Elle possède des qualités premières : sa forme, sa localisation dans l’espace, son mouvement. Ces qualités premières sont au fondement de l’appréhension objective du monde, l’appréhension scientifique de la réalité. Les qualités premières sont celles qui donnent prise à la mesure. (texte) ce que dit Locke par exemple.

    b) La chose possède aussi des qualités secondes : sa chaleur, sa couleur, son parfum, sa rugosité. Ces qualités, je ne peux d’abord que penser qu’elles appartiennent à la chose. Je dis que tel parfum est troublant et sensuel. Je dis le ciel est rougeoyant, que la pomme est douce et le pamplemousse amer, l’eau est brûlante, la branche est lourde. Mes ces mots « troublant, sensuel, rougeoyant, doux, amer, brûlant, lourd » sont-il exactement des composantes de la chose ? Oui, en un sens, mais les qualités appartiennent surtout à mon expérience de ce que j’appelle les choses, cette expérience qui est donnée dans la perception. Les qualités secondes sont celles par lesquelles la vie sensible et sa diversité nous est donnée, elles sont dites subjectives.

    2) De toute manière, la perception est une forme de conscience, exactement comme l’est l’imagination. Si j’enlève la dimension de la conscience, (cela ne veut rien dire !), la perception perd tout sons sens. La différence entre la perception objective et la perception subjective, c’est qu’elle est formée sur la base d’un consensus de témoignages, elle est intersubjective, tandis qu’une perception subjective au sens individuel n’est le fait que d’un seul.

    D’un autre côté, une perception ne se donne jamais toute seule. Il n’existe pas de perception fragmentaire. Il n’existe qu’une analyse fragmentaire. La seule identité-d’objet ne suffit pas encore à poser la pleine réalité de la chose perçue. Ce qui m’assure de la réalité de la chose, c’est sa présence au sein du Monde. La chose ne se donne jamais toute seule, elle se donne avec un entour. Chaque objet réel fait corps avec d’autres objets perçus et rejoint la présence du Monde Le Monde dans sa totalité soutient l’existence de chaque chose (texte). Ce que mon attention détache, qu’elle désigne comme étant une « chose », quand je porte mon attention sur tel ou tel objet, n’existe qu’attaché à la totalité de l’existence, telle qu’elle m’est donnée à même la perception. Chaque chose possède un horizon indéterminé qu’il m’est possible d’explorer, chaque chose se donne à moi dans une infinité d’esquisses. Mais l’horizon de toutes choses se comprend dans l’horizon du Monde. Ce qui est extraordinaire dans la perception c’est qu’elle est partie prenante du Monde et d’un monde qui est inépuisable, tant il à m’offrir d’esquisses multiples et variées. « l'ensemble de ces objets co-présent à l'intuition de façon claire ou obscure, distincte ou confuse, et cernant constamment le champ actuel de la perception, n'épuise même pas le monde qui pour moi est «là » de façon consciente, à chaque instant où je suis vigilant. Au contraire, il s’étend‚ sans limite selon un ordre fixe d’êtres. ». Ce Monde, c’est celui que je pose face à moi, comme un et identique dès mon entrée dans la vigilance, comme condition implicite de sa réalité, contre le monde du rêve qui, lui, n’est pas un et identique. La conscience thétique d’un Monde est présente dans la conscience de la réalité de l’objet. (texte)

_______________la constitution des unités identiques, qui sont de la nature de l’identité-d’objet. La perception implique la constitution d’un Monde cohérent unique et réel : celui de létat de veille. La vigilance est, dans le temps psychologique, vécue dans l'anticipation d'un monde perceptif unique et cohérent.

    Il arrive pourtant que l’objet me surprenne et qu’un de ses aspects ne soit pas tel que je l’attendais. La synthèse d’identification peut-être prise en défaut. Dans les illusions d’optique je puis être troublé par une apparence perceptive, qui vient défier mon opération continue de synthèse. Je vois une façade de maison, je passe de l’autre côté, je m’attends à découvrir toute la maison et ... rien ! Le reste a été démoli, comme dans les mises en scène du cinéma. Je suis quelques secondes inquiété. Mais cela n’entame en rien ma croyance en la réalité du Monde ! Je recouds les morceaux de perception aussitôt, pour me figurer la cohérence du monde. J’ai besoin de penser ma perception dans un monde cohérent. Il doit y avoir un Monde cohérent comme toile de fond des phénomènes. Quel que soit le phénomène, il est toujours phénomène de quelque chose, il est la p

   

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Vos commentaires

Questions:

1. Pourquoi la croyance selon laquelle la perception ordinaire serait passive est-elle très largement illusoire?

2. La perception est-elle en elle-même fragmentaire, ou bien est-ce la pensée qui y est impliquée qui l'est?

3. Peut-on dire que tout objet est en réalité mystérieux et que nous ne portons qu'une regard superficiel sur les choses les plus simples?

4. La physique quantique dit que l'univers tout entier est impliqué dans l'apparition d'un événement, nous disons que le monde soutient l'existence de chaque chose: quelle conséquence en tirer?

5. Faut-il arrêter notre agitation temporelle pour être davantage présent au sein de la perception ?

6. Est-ce l'habitude et la monotonie d'un paysage qui finissent pas ternir notre perception?

7. La poésie perceptive est-elle une forme d'imagination collée sur la perception par l'intellect ou bien une sorte de langage naturel de nos sensations?

   © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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