Textes philosophiques

Shri Aurobindo   Le péril d'un État mondial


    "Telle est donc la forme extrême que peut prendre un État mondial, la forme rêvée par les penseurs socialistes, scientifiques et humanitaires qui représentent la mentalité moderne à son point de conscience le plus haut, et qui sont donc capables de déceler le sens de sa marche, bien que pour la mentalité semi-rationnelle de l’homme ordinaire dont les perspectives ne dépassent pas le jour présent et son lendemain immédiat, leurs spéculations puissent paraître chimériques et utopiques. En fait, elles ne le sont nulle ment ; dans leur essence (mais pas nécessairement dans leur forme) elles sont, nous l’avons vu, non seulement le résultat logique mais l’aboutissement pratique inévitable de l’élan naissant vers l’unité humaine, à supposer que celle-ci doive s’effectuer selon un principe d’unification mécanique, c’est-à-dire par le principe de l’État. Pour cette raison, nous avons trouvé nécessaire d’examiner les principes et les nécessités opérantes qui ont présidé à la formation d’un État national unifié, et finalement socialiste, afin de voir comment, pour une unification internationale, le même mouvement devrait aboutir aux mêmes résultats, par une nécessité de formation analogue.
    Le principe de l’État conduit nécessairement à l’uniformité, à la réglementation, à la mécanisation; …d’une vie vigoureuse auraient disparu : la liberté,  le flux des variations, le choc mutuel des vies différenciées qui se développent librement. On peut dire que cette situation ne pourra pas se produire puisque l’État mondial sera un État démocratique libre et non un empire ni une autocratie étouffant la liberté, puisque la liberté et le progrès sont les principes mêmes de la vie moderne et qu’aucune conjoncture ne sera tolérée qui vienne à l’encontre de ce principe. Mais dans tout cela, la sécurité apparemment offerte, n’existe pas vraiment. Ce qui existe maintenant, ne persistera pas nécessairement en des conditions tout à fait différentes, et l’idée même de cette persistance est un étrange mirage que les circonstances actuelles projettent sur les circonstances probablement toutes différentes de l’avenir. La démocratie n’est d’aucune manière une sûre garantie de la liberté ; au contraire, nous voyons aujourd’hui le système démocratique de gouverne ment s’acheminer régulièrement vers une annihilation organisée de la liberté individuelle, à un point que l’on n’aurait pas pu imaginer dans les anciens systèmes aristocratiques et monarchiques. Certes, il se peut que la démocratie ait mis fin aux formes d’oppression despotique les plus violentes et les plus brutales qui s’associaient à ces systèmes, et délivré les nations assez fortunées pour parvenir à des formes libérales de gouvernement — et c’est sans doute un gain considérable. L’oppression ne se réveille plus maintenant qu’en temps de révolution et d’excitation, souvent sous la forme d’une tyrannie de la populace ou d’une sauvage répression révolutionnaire ou réactionnaire. Mais nous sommes en présence d’une dépossession de la liberté, plus respectable en apparence, plus subtile et plus systématique, plus modérée en sa méthode parce que épaulée par une force plus grande, et qui pour cette raison même est plus effective et plus totale. La “tyrannie de la majorité” est devenue une locution familière, et ses effets abrutissant ont été décrits avec une grande force de ressentiment par certains intellectuels modernes mais ce que l’avenir nous promet, est quelque chose de plus formidable encore : la tyrannie de la totalité, de la masse auto-hypnotisée, sur les unités et les groupes constitutifs
       Nous sommes là devant un fait très remarquable, d’autant plus remarquable que la liberté individuelle était l’idéal proclamé à l’origine du mouvement démocratique, tant dans l’antiquité que dans les temps modernes. Les Grecs associaient la démocratie à deux idées principales : d’abord, pour chaque citoyen, une part effective et au gouvernement, à la législation et à l’administration réelles de la communauté ; ensuite, une grande liberté individuelle de tempérament et d’action. Mais aucune de ces caractéristiques ne peut fleurir dans le type moderne de démocratie".
 

L’idéal de l’unité humaine    Chapitre XX VII, Buchet-Chastel.

Indications de lecture:

Cf. Voir le projet de paix perpétuelle de Kant. Cinq Leçons sur la Violence et Philosophie du Pouvoir. Aurobindo comme Proudhon préfère l'idée de fédération d'Etats libre à celle d'un Etat mondial à risque totalitaire.

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