Textes philosophiquesJean Ziegler Malthus ou l'art de se décharger de sa responsabilité"Comme la peste au Moyen Age, la faim était considérée comme un fléau invincible, de telle nature que la volonté ne parviendrait jamais à l'endiguer. Plus qu'aucun autre penseur, Thomas Malthus a contribué à cette vision fataliste de l'histoire de l'humanité. Si la conscience collective européenne, à l'aube de la modernité, est restée sourde et aveugle au scandale de la mort par la faim de millions d'êtres humains, si elle a même cru deviner dans ce massacre quotidien une judicieuse forme de régulation démographiques, c'est en grande partie à lui que nous le devons"... La thèse centrale du livre (1) est organisée autour d'une contradiction qu'il juge insurmontable : "Dans le règne végétal et dans le règne animal, la nature a répandu d'une main libérale, prodigue des germes de vie. Mais en comparaison, elle a été avare de place et de nourriture"... Pour le pasteur Malthus, la "loi de la Nécessité" est l'autre nom de Dieu... Pour Malthus, la réduction de la population par la faim était la seule issue possible pour éviter la catastrophe économique finale. La faim relevait donc de la loi de la nécessité... L'idéologie malthusienne servait admirablement les intérêts des classes dominantes et leurs pratiques d'exploitation. Elle permettait aussi de résoudre un autre conflit apparemment insurmontable: concilier la "noblesse" de la mission civilisatrice de la bourgeoisie avec les famines et les charniers qu'elle provoquait. En adhérant à la vision de Malthus - les souffrances induites par la faim, la destruction de tant de milliers de personnes étaient certes effroyables, mais à l'évidence nécessaires à la survie de l'humanité... Admirable Malthus! Probablement sans le vouloir clairement, il a libéré les Occidentaux de leur mauvaise conscience. Sauf grave cas de dérangement psychique, personne ne peut supporter le spectacle de la destructions d'un être humain par la faim. En naturalisant le massacre, en le renvoyant à la nécessité, Malthus a déchargé les Occidentaux de leur responsabilité morale." Destruction massive, Paris, Seuil, 2011, p.103, 105,107, 108. Indications de lecture:cf. Voir les leçons
Un monde en crise.
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