Une crise est une phase d’aggravation dans le cours d’un processus normal de changement, un pic dans lequel les phénomènes deviennent extrêmes et où la potentialité dangereuse devient patente, impossible à nier. L’asthme suit son cours normal chez une personne, sans être complètement éliminé du terrain du corps, et un jour elle fait une crise d’asthme,l faut la conduire à l’infirmerie et on est très inquiet. Une personne qui a un terrain épileptique peut vivre sommes toutes très correctement, et puis arrive la crise d’épilepsie qui est très spectaculaire. Alors l’angoisse est grande. Attention, la notion de processus en elle-même est neutre. Il peut y avoir un processus de décision normal et une crise du processus de décision.
Nous ne pouvons parler de crise qu’en admettant au préalable la définition d’un processus normal au sein d’une entité définie. Les mathématiques ont suivi leur bonhomme de chemin pendant des millénaires. Ce n’est qu’au début du XX ème siècle que des conflits violents ont éclaté et qu’alors on a parlé de « crise des mathématiques ». Une fois admises ces notions, nous pouvons répliquer le modèle indéfiniment : crise de l’éducation, crise économique, crise financière, crise écologique, crise politique, etc.
Toute crise a une issue.
- Ou bien elle est surmontée, c’est-à-dire que la montée aux extrêmes est un tour de chauffe grave, mais que l’on parvient ensuite à résoudre pour revenir à la normale. (texte)
- Ou bien une crise conduit à l’éclatement de l’entité qui en est le siège, au démantèlement pur et simple, à une catastrophe.
Pour prendre une image, si le lait est chaud et qu’il monte, éteindre la flamme, c’est résoudre la situation momentanée de crise. Si personne ne le fait, le lait déborde et il est perdu, la casserole brûle, le gaz se répand. C’est la catastrophe! Bien évidemment, nous cherchons à surmonter les crises et à éviter les catastrophes. Mais ce n’est possible que si nous conservons une maîtrise sur l’ensemble du processus, que si nous pouvons l’orienter dans un sens favorable. Si le train est lancé à toute vapeur, que les freins on lâché, que le parcourt est en pente, que le mécanicien a sauté sur le bas-côté, il n’y a plus rien à faire et… on court à la catastrophe qui est la seule issue possible. Sauf évidemment à croire dans un miracle. Enfin, chose intéressante à noter, la catastrophe, après d’énormes dégâts, remet le système au repos. Le calme est revenu dans la cuisine, même si cela sent le brûlé et qu’il a fallu l’extincteur ! Le train est au fond de la rivière et il ne bouge plus !
La question qui se pose alors, dans le contexte très large de notre monde actuel, est de savoir s’il faut penser « la » crise en isolant ses différents facteurs de « crises » où s’il faut nécessairement les relier entre eux. Est-il possible d’avoir une vue englobante de la crise que nous traversons?
--------------------------------------------------------------------------- 1) Au niveau le plus global, il y a tout d’abord celle de la crise écologique majeure qui sévit aujourd’hui sur la planète et affecte l’ensemble de la biosphère. Nous avons vu précédemment que l’équilibre de l’écosphère, par exemple la température à la surface de la Terre, la composition de l’atmosphère, la salinité des océans, étaient liés à l’action régulatrice d’un certain nombre de thermostats naturels. Pendant des millions d’années, l’écosphère est restée remarquablement stable, ce qui rendait possible un développement optimum de la vie. Les mesures montrent sans aucune contestation possible que la Terre a atteint aujourd’hui un seuil de déséquilibre très important qui se traduit par des phénomènes tels que le dérèglement climatique lié à l’effet de serre, l’apparition d’un trou dans la couche d’ozone, les pluies acides liées à l’augmentation des émissions de souffre etc. Certes, dans le passé, il avait déjà existé des altérations de l’écosphère, comme la baisse des températures moyennes au cours des ères glacières, mais ce qui se produit aujourd’hui a une ampleur inégalée. La concentration actuelle de CO2 dans l’atmosphère dépasse de 35 % celle de l’ère préindustrielle, et survole de très loin le taux de CO2 des 600 000 dernières années. La corrélation entre le taux de CO2 et la température de la Terre est établie. Il faudrait très naïf pour croire que l’homme n’y est pour rien, alors que l’activité humaine génère une production considérable de CO2. L’augmentation des températures est devenue patente dans certaines régions du monde, elle produit une fonte des glaces massive aux pôles et dans les plus hautes montagnes, elle induit une désertification de certaines régions du globe, accompagnées de phénomènes météorologiques chaotiques de plus grande ampleur que de part le passé. Les scénarios les plus optimistes du GIEC de 2007 ont été revus à la baisse en raisons des observations sur le terrain. D’une montée des températures lente de 1° on s’attend maintenant à une élévation bien plus rapide qui devrait atteindre jusqu’à 6° sur une période relativement brève. On évalue au minimum à 200 millions le nombre de personnes jetées sur les routes comme réfugiés en 2050 en raisons des changements climatiques. Les hommes ont dans la plus haute antiquité migré vers des terres plus accueillantes, mais pas dans des proportions aussi énormes. Nous ne sommes pas du tout préparés à cette éventualité.
------------------- L’ère industrielle a donné naissance au modèle de vie occidental qui devenu de fait le standard adopté sur la planète. Nous avons depuis des décennies convié toute l’humanité à se joindre à notre célébration des fastes de la consommation et la propagande a si bien fonctionné que les peuples de la Terre ne doutent pas une seconde que la meilleure manière de vivre est celle de l’occidental. Mais il faudrait très bientôt trois ou quatre planètes pour satisfaire tout le monde et y parvenir. Les pays dits « développés » ne sont pas prêt à renoncer à leur mode de vie et d’un autre côté, les pays émergent veulent rattraper leur retard, égaler ou même par défi surpasser l’occident. Le modèle occidental n’a rien de frugal ni de respectueux de la Nature, il consomme une énorme quantité d’énergie et des ressources naturelles prodigieuses. La Terre n’a de ressources que limitées dont beaucoup sont d’ors et déjà en voie d’épuisement. (texte) Pour ne s’en tenir qu’aux métaux : le terbium approximativement pour la fin 2012, l’argent pour 2020, le palladium pour 2023, l’or pour 2025, 2028, fin de l’étain, 2030 fin du plomb et du lithium, 2039 fin du cuivre, 2040 fin de l’uranium, 2048 fin du nickel etc. Il y a peu de chances, au rythme d’exploitation actuel, que nous ayons encore beaucoup de pétrole en 2050. Il est incontestable que les limites vont être dans l’avenir de plus en plus pressantes. (texte) Au rythme de l’exploitation, actuelle, l'humanité aura besoin dès 2030 d'une deuxième planète pour répondre à ses besoins. Nous savons que dans l’histoire humaine la lutte pour le contrôle des ressources est une des causes principales des guerres. Cette lutte est engagée depuis longtemps mais avec la rareté elle ne fera que s’intensifier. Le Canada vient d’embaucher des chasseurs pour patrouiller sur les futurs champs dégagés par la fonte des glaces dans le grand Nord. Partout sur la planète, les multinationales qui extraient les minéraux, le pétrole etc. manigancent pour s’assurer la mainmise sur les ressources et elles le font en achetant directement ou indirectement le soutient des gouvernements locaux.
L’exploitation industrielle des sols partout sur la planète, à des fins de production en tout genre, l’utilisation massive des herbicides, la suppression des territoires sauvages en faveur des cultures ont fait partout reculer la biodiversité. Nous vivons à l’heure actuelle la plus vaste extinction de masse des espèces que ne se soit jamais produite sur Terre. Entre 17 000 et 100 000 espèces disparaissent chaque année. Une plante sur huit est menacée, un cinquième des espèces vivantes devrait disparaître d’ici 30 ans. Qui peut y être indifférent ? Qui, sinon justement le produit passablement dénaturé de cette société que l’on nomme le « consommateur »? (texte) Les écosystèmes les plus riches en diversité, comme les récifs coralliens, les forêts tropicales, les marais, les mangroves, sont attaqués par l’activité humaine. Sans compter que la mobilité humaine accélère le déplacement d’un bout à l’autre de la Terre de toutes sortes de champignons, de bactéries, d’insectes pour les introduire dans des écosystèmes qui ne sont pas les leurs. Ce développement s’avère souvent très dommageable. Il n’y a rien d’exagéré dans l’affirmation réitérée selon laquelle nous vivons au milieu d’une agonie planétaire de la biosphère. (texte) C’est un constat désespérant et déprimant, mais il est vain de vouloir enfouir la tête dans le sable pour le nier. C’est justement l’aveuglement qui nous a mené à cette extrémité. Pour le penseur norvégien Arne Naess tout est là. La crise écologique majeure à laquelle nous sommes confronté résulte d’une perception erronée du monde. A sa racine, il y a cette représentation fausse de l’homme comme entité séparée et indépendante de la Nature. (texte)
2) En 2007-2008 nous avons vu apparaître dans 35 pays des émeutes de la faim et nous avons alors commencé à comprendre l’ampleur de la crise alimentaire de part le monde. Du krach alimentaire ont dit les experts. Le prix des denrées alimentaires de base a connu une forte hausse sur les marchés internationaux car il est inscrit non pas dans le domaine de l’économie locale, mais dans la mondialisation financière. Entre février 2007 et février 2008, le prix du blé doublait. Le riz atteignant son niveau le plus élevé depuis dix ans. Le soja voyait son prix monter à son plus haut niveau depuis 34 ans. Le maïs augmentait fortement. Dans certains pays le lait et le pain ont plus que doublé. Le phénomène a débuté en 2005 quand la consommation des produits agricoles de base a dépassé sa production à l’échelle mondiale et que les stocks alimentaires se sont mis à baisser. Des sècheresses massives dans plusieurs pays ont divisé les récoltes par deux. Depuis 1990 les agronomes constatent avec effarement que les rendements des cultures stagnent ou se mettent à baisser. Les pays émergents, tels que la Chine ont changé leurs habitudes alimentaires et sont maintenant attirés par la consommation de viandes et de laitages. Or ces changements supposent une surexploitation des sols, sachant que par exemple, pour 1kg de poulet, il faut 4 kg de protéines et de céréales végétales. La consommation de viande détourne les zones cultivées des aliments de base traditionnels au profit de l’élevage. Mais dans le même temps, les pays émergents construisent beaucoup, ils éliminent fortement les terres arables. La Chine a perdu entre 2005 et 2008 1 million d’ha de terre. Les pays émergents doivent donc importer encore plus ou même louer des terres en dehors de leur territoire pour subvenir aux besoins de leurs populations.
D’autre part, comme la raréfaction du pétrole nous guette, la tentation des États, dès que les cours deviennent élevés, est de favoriser la production de biocarburants. Mais toute conversion des cultures alimentaires en faveur du pétrole vert prive les populations locales de la possibilité de planter ce qui est nécessaire à leur subsistance. Quand il s’agit de choisir entre l’homme et le pétrole, il faut faire un détour par la case profit pour cocher la bonne réponse. S’il est plus intéressant de planter pour une production de biocarburant, le choix est vite fait. Et ce n’est pas tout, l’agriculture mécanisée requiert l’utilisation de fertilisants qui sont eux-mêmes utilisent du pétrole. En fait toute augmentation du pétrole se répercute très fortement sur la production alimentaire. Ce qui ne fait aucun doute aujourd’hui, c’est que les subventions versées par les États en faveur des biocarburants sont un facteur majeur dans la crise alimentaire mondiale. Le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, Jean Ziegler parle carrément de « crime contre l'humanité » dans l’utilisation des biocarburants et la spéculation financière sur les denrées de base.
Un être humain meurt de faim toutes les 4 secondes, ce qui fait 25000 chaque jour, plus d’un milliard d’êtres humains vivent dans la famine… tandis que dans le monde occidental d'autres jettent à la poubelle 50% de la nourriture qu'ils achètent au supermarché. Pour exemple, au Royaume-Uni, 1/3 de la nourriture achetée n'est pas consommé. Rien qu’aux États-unis, les pertes dans le système de distribution sont estimées à environ 100 milliards de dollars par an. A titre de comparaison, les besoins du Programme Alimentaire Mondial, (texte) qui vient au secours des populations souffrant de la faim, se sont élevés à 3,5 milliards de dollars. Chaque jour la Terre accueille 200.000 être humains. D’ici 2050 la population mondiale devrait atteindre 9,2 milliards d’habitants. Les chiffres avancés impliquent que d’ici là, il faudra augmenter la production mondiale de 50%. Le bon sens voudrait que l’on décide de partager la nourriture et que l’on gère l’eau de façon intelligente. Le monde a un besoin urgent d’une nouvelle agriculture. Nous ne prenons pas la mesure de la gravité du problème et nos intérêts vont ailleurs. Depuis 2000 les États les plus riches n’ont trouvé que 82 milliards pour mettre fin aux épidémies et à la faim, et pendant ce temps des milliers de milliards de dollar ont été brûlé par la crise financière. Avec seulement 5% de ce qui a été versé aux banques depuis, on aurait pu améliorer les conditions de vie des pays en souffrance et enrayer la faim sur toute la planète. On baigne dans l’absurdité complète. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise alimentaire sans précédent sur la Terre et nous continuons à faire comme si de rien n’était, alors que la tension collective monte de partout.
3) Enfin, en poursuivant avec avidité une consommation immédiate, sans prendre en compte les conséquences de nos actes dans l’unité de la Nature, nous avons répliqué sur le plan économique le même type de comportement qui nous a conduit au désastre écologique en cours. La crise écologique montre que l’humanité vit très au-dessus de ses moyens terrestres. Le krach écologique est en vue. La crise économique montre de manière symétrique que l’humanité vit au-dessus de ses moyens financiers et le krach économique lui est déjà là. La crise économique explose au moment même où le paradigme de la croissance infinie est remis en cause par la réalité de la finitude des ressources de la Terre. Est-ce un hasard ?
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Questions :
1.
Que répondre à celui qui dirait: "La crise actuelle, c'est une invention des médias, il n'y a pas de différence entre aujourd'hui et hier, on a toujours été en crise"?2. Quelles relations pouvons-nous trouver entre le mythe du progrès du XIX ème et la crise actuelle?
3. Quel sens aurait la notion de fatalité appliqué à un contexte de crise?
4. Le notion de crise est-elle une objection majeure à la philosophe de l'Histoire?
5. Une crise peut-elle être prévisible?
6. Peut-on expliquer la convergence des facteurs de destruction que nous connaissons à l'heure actuelle en invoquant des coïncidences malheureuses où faut-il d'emblée les relier?
7. L'évolution consciente ou inconsciente, exclut-elle l'apparition de crises?
© Philosophie et spiritualité, avril 2009, Serge Carfantan,
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