Cette leçon vient
compléter la leçon sur la nature du sujet conscient, elle prolonge les analyse
de Kant plus en détail. Elle est à relier notamment avec la leçon sur
la présence et l'éveil. Nous n'avons pas
voulu répéter les idées déjà exposée de Louis Lavelle sur la Conscience de
soi. Il s'agit ici surtout de clarifier la portée de la distinction entre
aperception empirique de soi et aperception transcendantale de soi.
Patrick Cresson
J’ai lu ‘’La transcendance de l’Ego’’ de Jean-Paul Sartre. C'est un texte très
difficile, très technique et dense, surtout pour moi qui ai suivi un cursus en
sciences de gestion (j’ai 55 ans) ; je pense que Sartre aurait pu dire les
choses plus simplement. La thèse centrale de ce texte c'est que la conscience
est ‘’impersonnelle’’, sans ego. « Le champ transcendantal (de la conscience)
devient impersonnel, ou, si l'on préfère « prépersonnel », il est sans Je »
(p. 19). Sartre reproche à Husserl d'avoir conservé le Je pur au sein de la
conscience. Pour Sartre : « Ce Je superflu est nuisible. S'il existait, il
arracherait la conscience à elle-même, il la diviserait, il se glisserait dans
chaque conscience comme une lame opaque. » (p. 23). En ce qui me concerne, ce
texte a suscité quatre questions, que je vous propose :
1/ D'abord, non pas la conscience selon ces deux
modalités (spontanée et réflexive), mais ce qui la fonde. N’y a-t-il pas un
niveau fondamental de la conscience non reconnu par JP Sartre ?
2/ La conscience spontanée ou pré-réflexive
est-elle vraiment dépourvue de toute trace égotique, comme le prêtant Sartre ?
Pour ce dernier le cogito pré-réflexif ignore tout principe égoïque, ‘’Le
champ transcendantal de la conscience .. est sans Je’’ TE p.19. Quand je cours
après le tramway il n’y a pas de ‘‘je’’ dans ma conscience. Par contre quand
j’abandonne cette attitude pré-réflexive, un ego fait son apparition. Ainsi
dans la réflexion, je prends conscience que je suis en train de courir après
le tramway. Le ‘’je’’ est donc bien un produit de la conscience réflexive , et
qui n’appartient pas originairement à la conscience pré-réflexive, selon lui.
Sartre affirme ainsi la transcendance de l’ego à partir d’une conscience
réflexive ! ‘’L’ego n’est pas le propriétaire de la conscience, il en est
l’objet’’ TE p.77
3/ A contrario, ne peut-on concevoir une
conscience réflexive pure, en d’autres termes une réflexion pure, vierge de
toute dimension égoïque, est-elle possible ?
4/ Que pensez-vous de cette phrase surprenante
de JP Sartre, phrase qu’on aurait pu retrouver sous la plume du sage indien
Nisargadatta Maharaj, et qui parle d’une sorte d’aliénation de la conscience.
De la conscience comme envoûtée ou hypnotisée et se prenant pour l’ego : ‘’
Tout se passe donc comme si la conscience constituait l’ego comme une fausse
représentation d’elle-même, comme si elle s’hypnotisait sur cet ego qu’elle a
constitué, s’y absorbait, comme si elle en faisait sa sauvegarde et sa loi’’.
TE p.82.
R. Ces questions sont largement abordées dans deux livres: Recherches
sur la conscience et
Vivre, Etre
et Exister.
Mais essayons de faire court. Le
sens de l'identité est omniprésent dans toute la création, la Vie se
sent elle-même comme Soi, et c'est ce que Ramana Maharshi appelle le Je
véritable, âtman. Totalement préréflexif, ainsi peut-il y avoir en tout
être un sens du Soi qui n'est pas donné par la pensée, qui précède tout objet,
qui est Sujet pur, donc transcendantal.
Avec l'apparition du mental humain s'est développée la capacité de penser
(racine man en sanskrit) chez l'homme (manuh), le mental (manas).
Le mental possède cependant différents niveaux qui tous ne sont pas réflexif,
depuis le mental empirique à l'idéation intuitive. Au niveau normal le mental
il opère dans la dualité sujet/objet. La pensée la même la plus grossière est
toujours très duelle, donc dans la division sujet/objet. Elle est en fait
obsédée par l'objet et elle se perd dans l'objet. Cela Husserl l'a
compris dans l'intentionnalité. Cette caractéristique est dominante dans la
structure de jagrat, l'état de veille, là où la dualité se donne le
plus carrière (elle disparaît dans sushupti, le sommeil profond et elle
est plus floue dans svapna l'état de rêve). Sartre, en prolongeant Husserl
(dans Situation II) ne voit de conscience qu'accrochée à un objet, courant
après comme le garçon de café à l'affût. Il considère la pensée la plus
triviale en fait. Si on entrait dans la conscience du garçon de café, on
serait jeté dehors, dans l'objet, un main qui se lève table 12 ! S'il
n'y a de conscience que conscience-de-quelque-chose, la vigilance est un
courant d'air ; pour Sartre du vent, la conscience n'a pas de "dedans" elle
est tout dehors, (contre Proust "déglutition de lavabo" selon lui).
Sartre est enfermé dans une
version de la conscience issue de Descartes et Maine de Biran, qui est
réflexive, du coup il ne peut penser l'intériorité que comme un ego
réflexif, Sartre est hyperintellectualiste. Or cet ego, que ce soit celui de
l'homme ordinaire ou du penseur, (ahamkara) est un faux aham, "je", un
je artificiel kara, un sous-produit d'une pensée nombrilique se prenant
elle-même pour objet et imaginant par là qu'elle possède une existence
séparée. Moi, individu. Totale fiction. Ficticious self dit Eckhart.
L'ego il n'a rien à voir avec le Sujet réel qui précède toute réflexion et
n'appartient pas à la pensée, mais relève de l'âme. L'ego est un double, le
mot ré-flexion est pourtant suffisamment clair c'est un retour sur une
flexion originelle, le Soi qui jamais n'est donné dans le champ
de l'objet, car il est sujet pur. Là où Sartre a raison c'est qu'effectivement
le sens du Soi est par conséquent impersonnel, universel. Il est
personnalisé à travers l'ego et par l'ego seulement. Donc la conscience pure
n'est pas et n'a jamais été "réflexive", là où la Vie se sait elle-même comme
dirait Michel Henry, elle est immédiatement Soi sans distance, elle est pure
Passion. La réflexion crée une distance et simultanément une relation
sujet/objet et une identité fictive. Dès lors il devient facile de comprendre
pourquoi quelqu'un comme Aurobindo ne cesse de répéter que la plus haute
connaissance est intuitive et connaissance par Identité.
Intuitive car ne s'inscrivant plus dans une relation sujet/objet, Le Soi se
reconnaît dans la conscience d'unité, là où n'existe plus de dualité
sujet/objet. Donc connaissance par Identité.
Donc pour vous
répondre, Sartre n'a rien compris à la Conscience pure, le quatrième état,
turiya. La conscience spontanée comme pure sensation est effectivement
dépourvue de sens du moi, d'ego, l'ego arrive après l'expérience pour la
commenter et se donner un attribut, s'approprier la chose: "mon expérience à
moi!". Dans le flux vivant de l'expérience, l'expérience est non-duelle,
c'est ce que vit un enfant qui ne se divise pas pour se regarder, c'est aussi
ce qui porte un musicien ou un danseur. Pas de sens de l'ego. Le vécu
pathétique. Mais on en sort tout le temps pour se poser "moi" face à un
"autre", moi et et un autre moi, moi et l'objet. Laissons donc le terme ego à
Sartre, il est passé à côté du Soi et il ne comprend pas la subjectivité pure.
Pour être précis, la formule transcendance de l'ego est complètement absurde,
l'ego n'est pas du tout transcendant, il est entièrement empirique et tout à
fait banal. Le Soi est effectivement transcendant dans un sens très spécial,
non pas là-bas, au-delà, dans on ne sait quel nuage, ce qui est une
interprétation erronée de la transcendance. Le Soi est transcendant car il
précède toute expérience qui se déroule en lui dans la coloration d'un vécu,
il est inaccessible car il transcende la division sujet/objet dans lequel le
mental voudrait l'atteindre comme un Objet. Ce qui est vide de sens.
"L’ego n’est pas le
propriétaire de la conscience, il en est l’objet’’. Juste pour le début, il en
est la manifestation dans le mental ordinaire. Par rapport à l'âtman, l'ego
est effectivement un objet et âtman est le champ ultime de la Conscience pure.
Remarquez que Freud dit la même chose, et il commence à comprendre que le
propriétaire est l'âme, pas le type qui dirige la baraque et qui dit "moi",
"moi". Tandis que Sartre a tendance à surintellectualiser le Soi, Freud le
descend dans les basses fosses de l'inconscient. cf critique de Ken Wilber.
"Tout se passe donc comme si la conscience
constituait l’ego comme une fausse représentation d’elle-même, comme si elle
s’hypnotisait sur cet ego qu’elle a constitué, s’y absorbait, comme si elle en
faisait sa sauvegarde et sa loi’’. TE p.82. Une phrase remarquable si on met
Conscience exactement dans le sens du Vedânta.
Q. Comment comprendre
cette affirmation radicale de l’advaïta Vedânta : « Conscience est tout ce qui
est » ou « Tout est conscience »? 1/Cette affirmation déifie à la fois
l’entendement (notre perception direct à l’état de veille) et la morale (tout
est égal), 2/Est- ce que les deux formules sont équivalentes (Tout est
conscience et conscience est tout) ?
R. La Conscience est à
prendre dans un sens cosmologique, la source de tout ce qui est. Elle est
omniprésente comme le champ à partir duquel émerge toute la Manifestation.
"Tout est Conscience" est en effet une affirmation dont l'entendement humain
ne peut saisir toute la portée car il est sévèrement limité et plutôt adapté à
un monde 3D; celui de l'état de veille. Or l'étendue de la Conscience c'est
tout ce qui est présent dans le spectre de la Conscience bien au-delà de ce
que nous pouvons percevoir à partir de l'état de conscience ordinaire dit
"état de veille". Pour mémoire l'Inde distingue 7 états de conscience humain,
la veille est le troisième. Pour chacun l'expérience d'un pan entier de
réalité.
Ne pas introduire de considérations morales
ici. Nous sommes sur le plan psychologique et métaphysique. Etre présent,
c'est juste être conscient. il n'y a ni bien ni mal là-dedans. Ne surtout pas
confondre conscience morale et conscience psychologique. C'est une gêne par
exemple quand on lit Rousseau.
Les deux formules précédentes sont
équivalentes mais induisent une explicitation différente. Dans la première il
est dit que absolument tout ce dont nous faisons l'expérience est une
Manifestation de la conscience. La seconde dit que si nous cherchons l'ultime
composant de la Réalité, la meilleure réponse est : la Conscience.
Dans la Réalité, sur le plan de
l'âme, les notions morales dont nous nous servons à l'état de veille ne
fonctionne plus vraiment. Prenez le cas de la mort. Quel jugement pourrait-il
y avoir dans une conscience qui se sait immortelle? C'est mal? Il faut en
avoir peur? Mais la Vie est éternelle et toutes les formes sont passagères.
L'âme dépose le corps quand il ne lui est plus utile pour les besoins de
l'incarnation. Ce seul exemple est déjà à même de montrer que dans des états
de conscience différents, l'idée du bien et du mal est différente.
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Avec la participation de Patrick
Cresson.
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