Nous
l’existence consciente disions qu’avec l’homme apparaît le
mental. Si l’animal existe, sent et
connaît, l’homme en plus sait qu’il connaît. Nous disons (en principe)
que l’homme est conscient, ou du moins il peut être conscient de lui-même,
c’est-à-dire
lucide. La précaution oratoire veut
dire ici que la lumière de la conscience est loin d’être toujours actualisée. De
fait, la plupart des hommes sombrent dans leurs pensées plutôt qu’ils ne les
pensent vraiment. Nos pensées
pensées répétitives et non délibérées nous tirent vers l’inconscience. Et
pourtant ce sont bien des pensées. Toutefois, la
potentialité demeure en tout
homme d’être conscient de lui-même. Elle est la conscience elle-même,
c’est-à-dire plus que la
vigilance engagée dans le rapport
sujet/objet. Par exemple le qui-vive face à un danger. La conscience-de-soi
accompagne la
conscience-de-quelque-chose, mais elle n’est
pas une conscience d’objet.
Cependant, la nature du sujet conscient est subtile, elle ne se réduit pas à une question de logique ni de grammaire. Aussi étrange que cela paraisse, l’apparition dans l’état de veille d’un sujet qui dit « moi » n’est en aucune façon la preuve d’une forme élevée de conscience, mais juste l’entrée en scène de l’ego. Que l’ego monopolise toute notre attention ne veut pas dire que nous soyons davantage conscient, c’est même exactement le contraire. Plus la conscience égotique se manifeste et plus l’occultation du champ de conscience est forte, car elle voile la présence. Inversement, avec un sens de l’ego moins insistant, un ego presque transparent, la présence est davantage manifeste. C’est alors seulement de l’éveil qu’émerge le sujet véritable, plus large et plus profond que les accointances limitatives de l’ego. Nous le voyons par exemple dans la communication, plus nous sommes présent, moins nous y mettons d’ego, et meilleure est la relation, plus le partage est riche et doué de sens.
Donc, si ce n’est pas se planter en tant qu’ego face à un autre, se pose alors la question de savoir ce qu’il faut entendre par conscience de soi. Une pensée ? Un concept ? Une intuition parmi d’autres ? Est-ce une sorte d’intuition qui nous accompagne et n’est jamais perdue ? Qu’est ce que l’aperception originaire ? Kant a indéniablement touché du doigt le problème. Il emploie les expression « aperception pure », « aperception originaire » ou « aperception transcendantale » pour désigner cette conscience une et identique par laquelle le divers des impressions est rattachée à l’unité du je.
* *
*
Dans le développement du cours, comme nous l‘avons vu, il faut parler d’un je. du je suis qui n’est pas le moi mais le précède. Impossible de dire qu’il s’agit d’une simple pensée parmi d’autres, « une » pensée dans le défilé interminable de nos pensées. Il devrait être clair à tout esprit véritablement attentif que penser beaucoup et cogiter sans arrêt ne nous rend pas plus conscient, c’est-à-dire pleinement présent ici et maintenant. Et pourtant, ce défilé des pensées qui sans arrêt se retourne sur lui- même pour se hausser le col, pour s’affirmer face à un autre, pour se plaindre, ce défilé des pensées qui prend pour centre notre petite personne est précisément l’ego. Le moi empirique. Mais en tant qu’ego, c’est-à-dire identifié à l’ego, avons-nous une conscience de nous-même ?
1)
Très honnêtement, il faut reconnaître que non. A la place, et c’est différent,
nous avons un souci éperdu de nous définir et de nous
faire valoir.
Donc dans la pensée et par
concepts. Il est très important -pour la première fois peut être-, de pouvoir
l’observer. Rien de plus banal et de plus commun, de plus universel. Sans aucun
rapport avec quelque degré de culture que ce soit chez l’être humain. L’ego
n’est pas une dotation spéciale pour scientifiques, une propriété des savants,
un attribut du bon sens, ni un concept spéculatif, une invention des
philosophes, et pas davantage un noble idéal à réaliser, une création de la
morale, ni une invention religieuse. L’ego est le sujet le plus trivial qui
soit, le moins aperçu et le moins bien compris. Les guerriers de Gensis Khan
étaient tout autant doués d’un ego que leur maître conquérant, autant que les
vendeurs de drogue dans les bas-fond de Brooklyn, pas moins, ni plus, que les
petites mains des usines de Corée, les étudiants dans toutes les universités du
monde, les hommes et les femmes présent dans des communautés religieuses ou
s’agitant dans des quartiers d’affaire. L’esprit humain, en se donnant une
image
de lui-même fait naître l’entité ego, et nous dépensons une énergie folle dans
toutes nos activités pour chérir, préserver, renforcer, nourrir,
l’image que nous avons de nous-même. L’ensemble de
ces processus se situe dans ce que nous pouvons appeler la
conscience normale.
Que dans cette image figure un fauteuil à l’assemblée, un conseil
d’administration, à la tête d’une église ou une place reconnue dans un gang,
psychologiquement c’est la même chose, encore de l’ego. Qu’entre en jeu
une motivation liée à la libido, une référence au jugement d’un père ou d’une
mère, qu’il y ait une place obsessionnelle pour les jugements d’autrui, les
remarques insidieuses, les flatteries ou les humiliations, cela va de soi ;
c’est encore de la nourriture pour la défense et la préservation de l’image du
moi. C’est de l’ego au sens ordinaire du terme ; et tout ce trafic qui tourne
autour de « moi » peut très bien opérer de manière
subconsciente, sans que le
prétendu « moi » ait la moindre idée de son propre fonctionnement mental. C’est
la conscience normale qui n’est rien d’autre que l’inconscience ordinaire
dans laquelle de prime abord nous pensons en tant qu’être humain, nous
cherchons en scientifique, nous calculons en économiste, nous décidons en
politique, nous planifions et dominons avec de l’argent etc. En fait, à bien y
regarder, le meilleur de l’humain surgit précisément quand il s’élève pour
une fois au-dessus de cette conscience normale, dans un
accomplissement qui touche à l’universel. Dans ce qui est grand, nous oublions
les tribulations égotiques pour ne retenir que ce qui transcende l’individu en
tant que « moi ».
Maintenant,
comprenons bien, l’auto-définition ne nous fait pas avancer d’un pouce.
Contrairement à ce que l’on croit dans l’opinion, l’auto-définition n’est pas la
conscience de soi. Elle n’est pas non plus la connaissance de soi. Elle
s’inscrit dans le registre de l’affirmation du moi et elle est égocentrique.
Pourtant, dans ce que l’on appelle d’ordinaire «l’examen de conscience », on
admet que la réflexion nous révèle tel que nous sommes. En faisant dans une
introspection le tour de nos
« qualités » et de nos « défauts », on pense (c’est une idée tellement courante)
qu’on arrivera à « mieux se définir », le souci de définition exacte devenant
« la conscience de soi ». Du moins c’est ce que l’on croit. Suis-je un concept
mathématique auquel il faudrait rapporter une définition exacte ? L’exactitude
d’une définition de soi, n’est-ce pas une tentative de
clouer l’animal dans la
boîte pour en finir et dire fièrement « moi, je suis comme ça » ? Raide
comme un piquet. Apparemment oui ou en tout cas c’est bien dans cette croyance
que fonctionne l’introspection, du plus ordinaire des jugements que l’on porte
sur soi aux formes plus sophistiquées et
littéraires. Quand vais-je enfin
parvenir à me définir ? A trouver « moi » ? A définir « moi » ? Donner la
réponse ultime à la question : « qui suis-je ? » Dans la déclaration « moi, je
suis comme çà » il y a une étonnante prétention. « Il faut me prendre comme ça,
je suis jalouse, agressive, bornée… mais je le revendique, c’est « moi ».
« Je suis menteur, lâche, et vaniteux… mais je le revendique, c’est
« moi » ». « J’ai enfin trouvé mon moi précieux et définitif ! Et je le
revendique. (c’est à vous de le supporter, moi, je ne changerai pas) ». Prodige
d’égocentrisme! Miracle de l’auto-définition : figer la conscience dans l’ego et
la revendiquer comme telle. Aveuglement et aveuglement renforcé. Ignorance de
Soi.
Et cependant, dans une juste perspective, nous pourrions découvrir qu’effectivement l’ego se pose comme une entité séparée, que l’ego est par nature rigide, en perpétuel recherche pour se donner une substance, ce qui motive le besoin de se donner une « définition ». Mais pour se situer dans une juste perspective, il faudrait être dans la position de Témoin et observer le jeu de l’ego. Est-ce possible par la seule réflexion ?
2) Le
concept d’aperception a été formé par Leibniz pour dire
perception accompagnée de
conscience. Ce que Leibniz souligne, c’est que toute perception en
général n’est pas nécessairement consciente. « Il y a mille marques qui font
juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans
aperception et sans
réflexion,
c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas ».
(texte)
Le terme choisi précédemment dans le cours était celui de
sensation, que nous avons distingué
de perception qui, elle, comporte une
« distinction ». L’exemple donné par Leibniz est celui du jeu des
habitudes qui font qu’obsédé
par nos pensées, nous sommes distraits, nous avançant sans prêter attention à
rien, alors qu’en fait à chaque instant nous vivons dans un flux constant de
sensations. « C'est ainsi que l'accoutumance fait que nous ne prenons pas garde
au mouvement d'un moulin ou à une chute d'eau, quand nous avons habité tout
auprès depuis quelque temps. Ce n'est pas que ce mouvement ne frappe toujours
nos organes, et qu'il ne se passe encore quelque chose dans l'âme qui y réponde,
à cause de l'harmonie de l'âme et du corps, mais ces impressions qui sont dans
l'âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas
assez fortes pour s'attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des
objets plus occupants ». Remarquons la subtilité des observations de Leibniz :
les sensations demeurent en toile de fond, mais c’est bien notre activité
mentale ego-centrée qui nous occupe alors, voilant immédiatement la présence
sensible que pourrait découvrir l’attention,
ou mieux encore, comme nous l’avons montré,
l’attention panoramique de
la présence. Autre point important, Leibniz évoque aussitôt la
mémoire, or effectivement, la pensée
pour penser et identifier a besoin de la
mémoire et c’est par elle qu’il y a perception. La perception
ordinaire donne lieu effectivement lieu à une
identification. C’est bien
que l’on appelle aperception empirique.
Là encore, il faut le souligner, rien de très mystérieux, ni de particulièrement
"philosophique", c’est le lot habituel de toute perception humaine, toute
perception de ce genre est enveloppée de concepts.
La thèse de Leibniz consiste à soutenir qu’il existe cependant une marge de « petites perceptions » inconscientes, un flou impressionniste qui n’est pas le conscient, mais participe de la perception à l’étage de la sensation inconsciente. Leibniz recourt à une analogie : « Pour juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du mugissement ou du bruit de la mer dont on est frappé quand on est au rivage. Pour entendre ce bruit comme l'on fait, il faut bien qu'on entende les parties qui composent ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de tous les autres ensemble, c'est-à-dire dans ce mugissement même, et ne se remarquerait pas si cette vague qui le fait était seule ». Le « mugissement » de l’océan est confus, mais le bruit d’une vague est distinct. Entre les « petites perceptions » et l’aperception d’un objet, quel qu’il soit, Leibniz marque une différence d’intensité. Plus exactement, soit nous ne mettons pas en œuvre notre capacité d’attention, auquel cas le flou impressionniste de la sensation demeure, soit nous exerçons notre pensée et il y a perception. « Souvent quand nous ne sommes plus admonestés pour ainsi dire et avertis de prendre garde, à quelques-unes de nos propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans être remarquées ; mais si quelqu'un nous en avertit », alors nous y prenons garde et la pensée se met en mouvement. L’aperception empirique enveloppe nécessairement une pensée, une identification d’objet et prend donc appui sur la mémoire.
3) Maintenant, que veut dire aperception empirique de soi–même? Ici le « mugissement » en toile de fond ne serait rien d’autre que noise in the head, le bruit dans la tête de la pensée habituelle, le bourdonnement continu du mental qui est le lot ordinaire de notre condition dans la conscience normale. Il y aurait aperception empirique de soi-même quand le sujet fait véritablement usage de sa pensée, au lieu de se laisser emporter dans son bourdonnement continu, en faisant acte de réflexion sur lui-même. En termes techniques, cela s’appelle se livrer à une forme d'introspection.
Dès lors, le
moi se divise en observateur/ observé et tente de se saisir comme un objet
qu’il peut définir. D’un point de vue
psychologique on aura la dualité moi analysant/moi analysé. D’un point de
vue moral on aura la dualité moi juge/moi
condamné. Ou encore, le moi qui joue à se poser comme
caractérologue et regarde d’en haut un moi
en
dessous qu’il définit comme « passionné », « émotif », « sentimental », à savoir
lui-même. Un moi dressé à la performance qui prononce une évaluation sur un moi
jugé bon, pas assez bon ou nul, conformément aux exigences imposées. Ce qui est
la « connaissance de soi » dans le sport : connaître ses limites. Dans
l’examen de
conscience religieux le moi juge est d’un côté du confessionnal, le moi
pêcheur de l’autre. Le moi idéal, par la réflexion, prend position face au moi
réel et le juge de ses intentions, de ses paroles et de ses actes. On dira alors
que « l’âme se repend » après s’être égarée dans le péché, l’égarement est le
péché lui-même, tandis que le salut est la contrition face à la reconnaissance
du péché en tant que tel. Etc. on peut continuer indéfiniment avec toutes les
formes de « connaissance de soi » jusque dans les magazines, où « connais-toi
toi-même devient : « testez vos performances sexuelles ». C’est toujours le même
registre empirique, même s’il faudrait mieux parler de psychologique.
L’aperception empirique se situe donc dans l’expérience, il faut ajouter dans l’expérience empirique pour bien comprendre ce que cela veut dire (l’expérience empirique n’est qu'une forme de l’expérience humaine) et en Occident on donne une extension très large à ce concept. Sous l’influence des empiristes anglais, Locke et surtout Hume qui a influencé Kant. Est empirique tout ce qui relève de la constatation par les sens, de l’observation ordinaire, dans une signification plutôt basique. Ce qui concerne avant tout l’œil de chair selon Ken Wilber. Il faudrait y inclure la démarche des sciences de la Nature, mais puisque nous sommes ici dans le domaine de la subjectivité, on ne retiendra de savoir empirique que l’observation en matière des comportements, des conduites que l’on juge, qualités et défauts que l’on cherche, pensées, humeurs, émotions, traits du caractères et du tempérament, aptitudes que l’on veut cerner, les méandres du cœur humain comme dit Hegel. (texte)
Une remarque, toujours avec Ken Wilber : les méthodes « empiriques » valent dans le domaine de l’objectivité (le quadrant SD) mais deviennent inadéquates dans le domaine de la subjectivité (le quadrant SG), littéralement elles sont hors sujet, or c’est bien le sujet et uniquement le sujet qui nous importe ici. Le terme "empirique" doit être pris dans un sens particulier.
Leibniz dit que « nous ne sommes qu’empiriques dans les trois quarts de nos actions.» Chez la plupart des hommes la pensée tourne et vire au gré de l’association des idées. Nous enregistrons des perceptions de toutes sortes sans savoir si elles sont vraies, fausses, ou illusoires. Nous brassons des concepts à la pelle, mais des concepts vides d’un principe supérieur de discernement. Le courant de nos pensées saute deci-delà, ce qui pourtant tient lieu de compréhension pour la plupart des hommes. Que nous soyons empiriques veut aussi dire que notre pensée est une répétition sans fin d’associations habituelles venues du passé, de désirs, de préjugés, d’idées préconçues ou de préférences inculquées. Chercher l’unité du Soi dans les pensées est donc tout simplement comique. Cela n’existe pas. Il faut dire « il pense » comme on dit « il pleut » dit W. James. De plus, quand bien même l’ego chercherait à se composer une unité, il la tirerait de la mémoire, mais la mémoire est pleine de trous, elle est parfaitement incapable de composer une unité réelle. Quand elle est fragmentée apparaissent des personnalités multiples. Une « aperception empirique de soi-même » ne peut être qu’un défilé de postures et de personnages, un kaléidoscope d’impressions diverses, un courant d’air d’influences ou un paquet de conditionnements hétéroclites. Et pourtant, pour qu’une expérience soit possible, il faut qu’elle apparaisse à quelqu’un, dans ces conditions le sujet réel, Je, peut-il encore être empirique ?
1) Nous avons vu que Kant, fait usage de l’expression « aperception empirique de soi-même », et il semble bien qu’il n’envisage la connaissance de soi que sur ce mode. On peut le voir dans son Anthropologie du Point de vue pragmatique. La preuve en est qu’il distingue l’aperception empirique de soi de l’aperception transcendantale, (texte) tout en disant que seule la première aurait valeur de connaissance, tandis la conscience de soi n’est pas une connaissance. Le sous-entendu est clair : la connaissance de soi s’appuie sur « l’aperception empirique de soi » mis en forme par une psychologie, d’ailleurs très peu élaborée chez Kant. Du coup, l’aperception transcendantale a paru négligeable aux yeux de bien des lecteurs de Kant, évacuée sous prétexte qu’elle n’était pas une « connaissance de soi ». Invitation indirecte à se replier sur l’individualité psychologique, ses détours et ses travers : l’idiosyncrasie de l’ego. Et on passe alors complètement à côté de l’essentiel.
Si
l’aperception empirique est un fait d’expérience, l’aperception transcendantale
n’est pas une expérience empirique, la réponse que donne Kant est qu’elle
précède
toute
expérience en la rendant possible. Le sens de l’Identité
est immanent à toute la création, c’est l’ipséité pure qui
jamais ne quitte le sujet, car précisément c’est bien ce par quoi le sujet ne
peut se séparer de lui-même et s’éprouve comme Soi. Là se termine la
philosophie de la représentation de
Kant et commence la philosophie de la Vie de
Michel Henry.
Mais il s’en faut de beaucoup que Kant ait compris toute la portée de sa découverte, car ce qu’il retient, c’est avant tout un principe « logique ». Il faut jusque dans l’expérimentation en physique que le divers de l’expérience soit ramené à une unité. Kant est fasciné par Newton et l’œuvre inaugurée par Galilée, même quand il évoque l’aperception pure, c’est encore avec des exemples de physique ou de mathématique. Il veut montrer que dans le savoir scientifique, la raison ne trouve que ce qu’elle a produit selon ses propres plans. Elle ne va pas glaner au hasard l’universel dans la Nature. Ce n’est pas en regardant les pommes tomber que l’on inventera la théorie de la gravité. C’est aussi l’histoire célèbre de l’expérience de Galilée des boules sur le plan incliné. La raison porte en elle le principe d’unité de la Conscience, principe qui ne saurait se trouver dans le divers des données empiriques, la raison ne peut même pas l’inventer, elle trouve l’Unité pure en Soi, dans la spontanéité pure de l’aperception originaire. Là même où réside le Je du je pense qui porte le divers des pensées. Nous pouvons en dire autant dans le domaine des mathématiques, l’aperception pure fournit l’archétype de l’Unité qui préordonne les règles du nombre, fournit les schèmes directeur fondamentaux de la géométrie et de la représentation de l’espace. C’est sur le fondement de l’aperception pure qu’il est possible d’anticiper l’universel et qu’existe un a priori dans la connaissance.
En toute
rigueur, il faudra dire que l’Identité pure du Je suis est par la
pensée projetée dans le divers des représentations, donnant lieu à une
conceptualisation de l’identique. Mieux, l’Identité pure est de ce
fait spontanément accaparée par le moi empirique qui se drape de ses
atours, se proclamant à son corps défendant siège de l’identité. L’ahamkara,
l’ego, joue à être aham,
Je. Mais cela, Kant ne le
comprend pas, il n’est pas psychologue et il n’est pas, disons, un
chercheur spirituel. Il en reste à
l’idée d’un principe formel. Ce qu’il retient, c’est tout à la fois que les
formes logiques du jugement, et celles de l’intuition de l’espace
et du temps proviennent de l’esprit et de l’esprit
seulement, elles constituent toute aperception empirique, mais elles ont leur
siège dans l’aperception originaire sans laquelle elles ne pourraient tout
simplement pas exister. L’esprit préforme l’univers qu’il connaît, il
le
constitue de l’intérieur, mais il n’a pas d’ordinaire conscience de le faire.
Si nous poussions un peu plus loin avec David Bohm,
dans La Plénitude de l’Univers, nous dirions que la Conscience, Une en
tant qu’Esprit, perçoit à travers le système nerveux humain qui est le nôtre,
une représentation holographique de l’Univers qu’elle constitue de l’intérieur.
Ce monde qu’elle appelle « objectif »
à l’état de veille.
Le mental peut toujours chercher une unité au dehors, il se trompe de direction et s’égare, l’unité principielle est au-dedans et à la source de l’esprit. Elle réside dans le je suis, matrice de toute pensée, mais la catastrophe métaphysique, c’est que je suis est très vite occulté et il devient le je pense qui prend sa place. Et on obtient la formule trompeuse, l’erreur de Descartes, « je pense donc je suis » où on attribue à tort une conscience de soi à la pensée, pour la retourner fièrement vers le « je suis » en croyant l’avoir inventé ; d’où une somme colossale de méprises dans toute la philosophie en Occident. L’aperception originaire je suis est l’évidence même de la donation à Soi, l’évidence absolue et la clarté originelle dans laquelle la pensée a séjour. La pensée mère si on veut de toutes les pensées filles. Bien sûr Kant tombe dans le panneau en maintenant une ambiguïté. Il écrit : « Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations; car autrement serait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui revient à dire ou que la représentation serait impossible, ou que, du moins, elle ne serait rien pour moi ». Le Je est toujours présent et l’aperception transcendantale, bien que jamais remarquée (parce qu’elle n’est pas une expérience) accompagne toute représentation. Une représentation est toujours représentation de quelqu’un, et tout objet de conscience n’existe que pour un sujet.
2) Dire de la représentation « elle ne serait rien pour moi » est superflu. Il n’y a rien du tout en l’absence du sujet, ni pensée, ni sentiment, ni expérience. Ce qui se produit dans le sommeil profond. Du côté du « divers », il y a ce que Kant appelle la « sensibilité » qui fait référence aux sens, et non à l’auto-affection du sujet en lui-même. Ce que dit Michel Henry. Kant admet que le Je transcendantal se manifeste comme « un acte de la spontanéité », ne provenant pas de la « sensibilité », mais jaillissant de Soi-même. Nous avons employé précédemment les termes de pulsation de la Conscience en tant que Je. La suite du texte de Kant devient désormais plus claire : « Je la nomme aperception pure pour la distinguer de l'aperception empirique, ou encore aperception originaire parce qu'elle est cette conscience de soi qui, en produisant la représentation je pense, doit pouvoir accompagner toutes les autres, et qui est une et identique en toute conscience ». Cette conscience-de-soi est une et identique en toute conscience, elle est la Conscience, elle produit la représentation je pense. A part Karl Jaspers, très peu de commentateurs ont mis le doigt sur l’importance de ce texte. Il ne veut pas dire que je suis une représentation, la représentation « je pense » découle de mon être comme l’attribut découle de la substance, ou comme l’ombre n’a d’existence que par l’arbre qu’elle projette. Elle est fondée sur : « l'unité transcendantale de la conscience de soi » et de là vient « la possibilité de la connaissance a priori qui en dérive ». Ce que nous avons examiné plus haut.
Pour que les
perles du collier tiennent ensemble, un fil doit les traverser. Le fil de
l’unité transcendantale de la conscience-de-soi tient ensemble toute
conscience-de-quelque-chose, tout « divers » des impressions. « Les diverses
représentations qui sont données dans une certaine intuition ne seraient pas
toutes ensemble mes représentations si elles n'appartenaient pas toutes ensemble
à une conscience de soi ». Mais attention, dans toute cette analyse nous n’avons
nullement parlé du moi empirique au sens ordinaire. Celui là
n’est
qu’une pensée parmi d’autres, une pensée recourbée sur elle-même devenue une
entité, qu’après avoir enfanté, nous avons cru devoir maintenir de gré ou de
force. Une pensée qui apparaît dans l’état de veille fait son tour de manège et
disparaît dans le sommeil. Ce n’est pas la
conscience transcendantale.
Le Je.
Bien que ténue et inaperçue l’aperception originaire est fondamentale, un peu comme l’écran blanc sur lequel se projette le film de la phénoménalité. Si d’aventure nous en venions à l’oublier, si d’un trait comme Sartre nous biffions la conscience-de-soi, il ne resterait que la conscience-de-quelque-chose et nous ne verrions plus la conscience que comme un courant d’air (texte). On peut même tomber encore plus bas : ne voir dans l’homme que des « comportements » du behaviorisme, à l’image des réactions stimulus-réponse mécaniques de l’animal. De l’animal-machine humain sans âme ni esprit. Une chose, le corps, avec ses réactions où la conscience à la limite n’est plus qu’une ombre. Techniquement cela s’appelle épiphénoménisme et dans l’âge de l’ignorance, ou la seule conscience de l’objet prédomine, c’est logiquement la représentation qui la plus partagée.
Quand l’être humain ne se sent plus exister dans la Plénitude de la Vie, quand il est devenu « fonctionnel » dans la plupart de ses activités et qu’il ne fait plus que s’activer dans un non-sens abyssal, quand, dépourvu de Passion, il ne se sent plus vivre au sein de la Vie, le sentiment de l’Être dissipée, la conscience se réduit à l’objet. Le voilement du Soi est presque complet et la vie perd son Sens, car c’est par la conscience-de-soi que l’homme est en contact avec lui-même, avec l’âme, la monade spirituelle qui préside à sa vie psychique: dans cette absence l’existence devient fantomatique comme dit Günther Anders.
L’expression
« aperception originaire » peut paraître très abstraite et technique, d’aucuns
ne se sentiront pas concernés et diront qu’il s’agit là d’un « problème de
philosophe » ; mais c’est une méprise tragique, l’aperception pure est en
rapport direct avec le vif du vécu de la conscience : l’éveil à Soi dans
le sens intime. Qu’un homme, guère plus conscient qu’une botte de
foin, ou une potée de souris, vivant sa vie par inadvertance, s’éveille, qu’il
éprouve pour la première fois le sentiment formidable de
se sentir exister, et il saura
tout de suite l’importance ce que nous voulons dire. Faire de la
conscience-de-soi un principe purement formel en éliminant sa dimension vécue,
est au minimum une erreur ; au pire, un meurtre métaphysique, se tuer soi-même
par négligence,
ne
pas être attentif à soi. A la présence à soi.
« Écrabouiller son âme » comme dit Stephen Jourdain.
1) Il est indispensable pour y voir plus clair de considérer attentivement les états de conscience. Nous devrons y revenir souvent. Les trois états relatifs (texte) que nous traversons de manière cyclique sont la veille, le rêve et le sommeil profond. Il est important d’en saisir la texture. Parler de « la conscience » en l’air, de manière abstraite, c’est se payer de mots, non seulement nous ne voyons pas de quoi il retourne, mais nous sommes surtout trop éloigné du vécu. Or quand nous parlons de conscience, il s’agit d’expériences conscientes, qui toutes font référence à un état. Le plus souvent, implicitement, sans que nous le formulions clairement, il s’agit de l’expérience à l’intérieur de l’état de veille et qui se situe dans la dualité sujet/objet.
Dans le
sommeil profond, il n’y a pas de dualité
sujet/objet, mais un état d’unité indifférencié enveloppé de torpeur qui exclut
donc toute expérience. Le sujet est en quelque sorte replié en lui-même, en Soi,
dans l’immanence de la Nature, il n’y a pas de pensée, donc pas d’ego, de sens
du « moi », pas de « moi empirique ». (texte)
Nous ne recommençons pas la vie à zéro au petit matin. Nous « rassemblons nos
esprits » et rappelons alors notre identité personnelle. Cependant, cette
identité personnelle a été perdue dans le sommeil et un sens plus subtil et plus
large de l’Identité a assuré une continuité qui n’est pas liée à la pensée, au
sens de l’activité mentale de veille. Cette
conscience
transcendantale est appelée en sanskrit turiya, le quatrième état.
Dans l’état de rêve la dualité sujet/objet se manifeste avec éclat, mais sur un plan purement onirique, essentiellement à partir des contenus subconscients. Un moi partiel vit et se débat dans une histoire de sa propre fabrication. La dualité est présente dans l’expérience, mais, au sortir du rêve nous disons qu’elle est fictive. Le mental a produit tout à la fois le sujet, l’objet, l’espace-temps-causalité du rêve. Mais le rêveur, emporté par les contenus oniriques, ne s’en ait pas rendu compte. Tout se passe comme si la manifestation se produisait sur l’écran, sur la toile de fond de la conscience transcendantale, mais celle-ci est occulté. L’écran n’est pas « expérimenté » comme tel, il rend possible la manifestation, mais il recouvert par elle. Il faudrait que le sujet soit Témoin de son rêve, or la plupart du temps, il est jeté dedans. S’il pouvait ne pas se quitter lui-même pour fuir dans les images, il serait adossé à la conscience transcendantale. Au quatrième état. Ce serait un rêve lucide. Mais ce n’est pas ce qui se produit habituellement, le rêveur n’est pas conscient de la projection mentale en tant que manifestation onirique. Il la croit « réelle », ce qui veut dire existant en soi en dehors de lui-même. Il en fait l’expérience et l’expérience est réelle pour lui au moment présent où il la vit. Le pathétique de l’expérience est le vécu même dans sa donation présente.
Une fois sorti du rêve et entré dans la vigilance, nous pouvons congédier l’hallucination, balayer le sujet effrayé et la cause de ses frayeurs, dire « ouf, ce n’était qu’un rêve », mais le même processus mental de la dualité sujet/objet continue. Le sujet table une fois de plus sur la réalité des objets dont il fait l’expérience à l’état de veille et se perd dans une histoire. Mais entendons nous bien, il s’agit encore d’un vécu de la conscience, mais d’un vécu au sein d’un monde co-présents à tous les sujets dans le même état, à savoir l’état de veille, un monde dont la cohérence est nettement mieux assurée que celle du rêve. Il n’y a ici aucun mystère, mais un phénomène naturel. L’ego qui était à demi-manifesté dans le rêve, est maintenant pleinement manifesté dans la veille. Et voici en demi jour notre « conscience » dite normale. Tout ce que nous pouvons penser, croire, inventer, imaginer, tout ce que nous pouvoir dire ou faire se déroule sur ce plan de conscience et nulle par ailleurs.
Il n’y a
pas d’ailleurs, ni d’en dehors de la conscience. (texte) Il existe cependant des
points de vue différents sur le monde, point de vue relatifs à chaque
individualité et qui déterminent aussi une manière pour le sujet de se définir.
Vu de l’intérieur, il n’y a que celui de la
première personne, celle qui
s’affirme dans le je, le Je du Je suis, le seul et unique sujet réel,
bien vivace et ancré dans la Vie chez l’enfant, trop souvent perdu de vue dans
la folie du monde. Le développement de l’ego met l’accent sur une toute autre
forme de « conscience de soi » : celle du moi, par rapport à un autre.
La position de l’ego nécessite un regard en
troisième personne. C’est aussi du point de vue de la troisième
personne, le « il » ou le « on », que le sujet s’identifie au corps. Vu de
l’extérieur, chacun d’entre nous
devient
un objet pour un autre sujet réel ou supposé. Réel
pour l’individu qui me regarde du fond du couloir et qui me surprend dans une
posture de voyeur comme chez Sartre. Supposé quand naît en moi la
pensée qu’on me regarde et qu’on me juge. Cette extraversion est typique de la
conscience de soi égotique, en fait elle est inséparable de la nature même de
l’ego (on me regarde donc j’existe).
Toutefois, si nous pouvons communiquer, c’est en mettant entre parenthèse ce « on » pour le nous. Les philosophes de l’intersubjectivité ont très bien compris que la relation d’autrui n’est possible qu’en mettant un point final à l’identification de l’autre comme un objet. Chiffonner l’image pour rencontrer l’autre disions-nous. C’est dans la mesure où je rencontre je, où la conscience parle à la conscience, que la relation a un sens, et que la seconde personne est vivante. Il ne s’agit en rien d’une simple grammaire. Pour que la conscience parle à la conscience, pour que la relation ait lieu, il est nécessaire que nous soyons pleinement présents Que la conscience de soi ne soit pas occultée, engloutie dans les objets, les formes et les pensées, bref que la condition de Témoin soit assumée. Nous pourrions dire avec Husserl « spectateur transcendantal », ce serait bien parler. Le spectateur transcendantal n’est possible qu’avec l’appui de la conscience transcendantale. Quand cette conscience Témoin est affinée nous parlons de lucidité.
2) Résumons. Trois états relatifs de conscience, un quatrième non-relatif qui est la conscience transcendantale. Nous pouvons répéter avec un sens tout à fait nouveau ce que disait Kant : la conscience-de-soi n’est pas une expérience, mais rend possible l’expérience empirique à l’état de veille en portant l’unité de la conscience de Soi. Cette conscience de soi accompagne toute représentation car elle est un état, le quatrième, qui est sous-jacent à la phénoménalité et toujours déjà-là. La conscience-de-soi nouménale soutient le monde phénoménal. La Conscience ne se quitte jamais et demeure Soi. (texte) Ce n’est pas une pensée ou une représentation parmi d’autres, ni une intuition parmi d’autres. La conscience transcendantale est au fondement de la représentation, de la pensée et de l’intuition. Surtout, la conscience-de-soi est par essence non-duelle. Impossible de retourner les formules. De là suit que la Conscience pure n’est pas représentable, elle n’est pas pensable, et ne peut être intuitionnée comme peut l’être un objet.
Nous avons vu que par nature la conscience-de-quelque-chose était harnachée à la structure sujet-objet et travaillée par la dualité. Husserl a écrit des milliers et des milliers de pages sur ce thème. L’intentionnalité. Husserl a exploré l’état de veille. Toute conscience, conscience de quelque chose. Le processus intentionnel de la dualité fait apparaître sujet et objet de manière simultanée et nous les séparons brutalement. C’est même la caractéristique principale de la vigilance. Sur le plan onirique nous serions d’accord ; mais nous n’aurions certainement pas l’idée à l’état de veille que le coupe-papier puisse n’être un objet qu’au sein d’une Conscience globale qui le porte et qui est véritablement la conscience de Soi. Sans séparation aucune. (texte) Non, non, pas du tout, nous disons que c’est un objet, un truc qui m’est étranger et opposé, étranger et opposé à « moi », le sujet. Le moi se pose en s’opposant ! Dixit Fichte et Hegel. A l’infini il n’y a que des objets séparés, extérieurs, étrangers à moi et les « autres » sont autant d’objets séparés, extérieurs, étrangers qui s’opposent à « moi ». L’enfer c’est la dualité. L’enfer c’est les « autres » ! Dixit Sartre. Et il sont d’autant plus autres que je les vide de toute conscience de soi, que je les réduits à une forme, que je les ratatine dans une apparence. Une forme, sans conscience, c’est rigoureusement rien. Non substantiel. Du fond de mon ego personnel, (de la haine de soi ?), je peux néantir l’univers en le voyant comme privé de toute conscience. Il y a des scientifiques qui font cela très bien. Je peux même tenter d’annuler ma propre conscience en cherchant à devenir un objet pour un autre. « Je suis ta chose ». Quintessence du nihilisme, mais tentative par avance avortée et impossible de venir à bout de la conscience de soi car elle se heurte à l’invincible.
Le Soi ne peut pas être nié et il n’est pas possible en réalité de s’en éloigner ni de le fuir et toute tentative de l’objectiver est à jamais compromise. Le Soi est Subjectivité pure, insécable, affectivité pure (texte) et primordiale s’expérimentant elle-même dans la manifestation en tant que Je monadique. En réalité, il n’y a qu’un état d’expérience non-duel où la Vie s’expérimente sans fin dans sa dimension pathétique. La Vie même se vivant dans une aventure sans fin, s’effrayant elle-même dans la peur, la Vie qui jubile d’elle-même dans la Joie, dans l’épreuve d’un vécu. Le reste est supputation objective. L’Un qui est nous-même, l’Un qui est le Soi, devenant expérience. Passion. L’idée d’un sujet et d’un objet distincts et séparés est en définitive illusoire. Mais le mental après coup fait apparaître l’un et l’autre.
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Qu’est-ce que la conscience de soi ? Quel rapport entretient-elle avec l’aperception originaire ? Ce que Kant a tenté d’analyser de manière formelle pointe en réalité sur le sans-forme, le Soi est la Conscience absolue sans forme. La Conscience pure dans sa nature est non-manifestée, elle devient manifestée dans le monde des formes dans le champ du sujet et de l’objet. A travers l’ego, l’Identité pure devient une identité limitée.
Le message immémorial de la spiritualité est de dire qu’en vérité l’Identité pure, le Soi, n’a jamais été perdu, qu’il n’a pas besoin d’être complété, amélioré. L’Éveil n’est rien d’autre que la compréhension fulgurante qu’il en est bien ainsi. Dévoilement de ce qui a toujours été là mais semblait définitivement obscurci. La véritable aperception originaire non plus comme simple idée, concept, description théorique, mais connaissance par identité.
Le Je suis entr’aperçu par Descartes comme une évidence absolue le portait déjà. Mais il a été trituré en tout sens et très mal compris. Chute dans la pensée discursive – alors que Descartes avait clairement précisé qu’il n’existe aucune déduction pour atteindre je suis, car cela est connu immédiatement pour intuition. Descartes avait même compris que ce cogito (bien mal nommé à vrai dire) était le prototype de l’Évidence. Bien au dessus de toutes les définitions, sociologiques, culturelles, psychologiques que se donne l’ego pour se fabriquer une identité. Avec beaucoup de finesse, Leibniz s’était mis en demeure de chercher ce que pouvait bien vouloir dire une perception accompagnée de conscience, l’aperception, tout en édifiant une théorie monadologique de la conscience. Il revenait à Kant de rassembler le legs laissé par Descartes et Leibniz pour un résultat suggestif, mais en dessous des attentes. L’histoire de la pensée occidentale a fait le reste en faisant exploser les contradictions. Faute d’une compréhension en profondeur de l’esprit, faute d’une compréhension spirituelle, la question de la conscience-de-soi est devenue très embrouillée. Seul Michel Henry a pu clore le bal en pointant l’ipséité et il est intéressant de noter que ses intuitions mènent étonnamment tout droit en direction du Vedânta.
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Questions:
© Philosophie et spiritualité, 2015, Serge Carfantan,
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