Questions et réponses
sur la leçon:
L'idée de Dieu
Dominique Levet
Depuis l’antiquité et jusqu’à la Renaissance, l’homme est face à l’évidence
du divin, de Saint Augustin, à d’Aquin. Lentement va émerger à partir de
cette époque une forme d’indépendance de la raison face au divin (Machiavel
et More qui « oublient » le divin, Luther dans le conflit entre raison et
gnose, jusqu’à Montaigne, premier agnostique). L’évolution inéluctable sera
l’affirmation de l’indépendance de l’homme (le doute chez Descartes, le pari
de Pascal, avant Voltaire « antidogmatique », et la notion de nature chez
Rousseau ». Quelques millénaires donc
pour passer du besoin de Dieu au refus
de Dieu, pour que l’homme se découvre libre.
Mais… Mais depuis
: théorisation du religieux de Kant, mort de Dieu pour Hegel, scientisme de
Comte, subjectivité catho-réveuse de Kierkegaard, athéisme, matérialisme,
existentialisme, nihilisme : depuis deux siècles, la pensée s’est-elle figée
dans des impasses diverses à partir de la toujours liberté qui n’est que
l’habillage de l’athéisme ?
Pierre Meur
Rhode-Saint-Genèse, Belgique
On ne peut croire en Dieu sans définir ce terme, ce
concept ; tenter de le définir conduit inexorablement à l'incroyance. Pas à
un athéisme, qui n'est que la négation du Dieu dogmatique de toute religion
et qui est muet sur tout autre explication, mais à un déisme qui est
l'acceptation d'un concept divin en dehors de toute compréhension puisqu'en
dehors même de toute "l'existence", de toute essence. Un dieu-créateur,
cause première, incausé lui-même, de tout ce qui est, ne peut être ce qu'il
crée, sauf à être un "tout" en croissance (croissance réelle ou "visible"
comme telle).
- La création, définie comme univers absolu, est un contenant infini
indivisible et un contenu divisible à l'infini.
- Le Dieu-créateur est, d'un point de vue
spatio-temporel, "extérieur" à la création, puisque que l'espace et le
temps doivent être considéré comme partie intrinsèque de la création. le
Dieu-créateur ne peut donc être inscrit dans le temps et dans l'espace. Il
est donc transcendant à la création, et on ne peut donc lui attribuer quoi
que ce soit qui soit attribuable à la création, fusse l'existence.
- Si on veut faire un anthropomorphisme, on pourrait
dire que le concept d'essence de "Dieu" est comparable à celui de la
"stase" dans laquelle se trouve l'homme non-né ou pas encore né. C'est une
potentialité non-nulle. Une "superposition d'états" au sens quantique de
l'expression. Dieu n'est pas la réponse, Dieu est la question dans sa
potentialité infinie de réponses.
- La vision humaine de Dieu est une décohérence de la
superposition d'états de Dieu, qui est due à l'appartenance de l'homme à
un "niveau" déterministe de la création. Une approche quantique du concept
Dieu, c'est-à-dire non-déterministe, peut être pensée puisque les acquis
de la science permettent d'affirmer l'existence d'un niveau
non-déterministe de l'univers : la mécanique quantique. Niveau quantique
(et complexe) qui est la couche fondamentale sur laquelle repose tous les
autres niveaux, internes, d'observation de l'univers.
- Quand au "Dieu-tout", il est l'acceptation de l'impossibilité de définir
Dieu et le report de ce concept sur la création elle-même, puisque seule
celle-ci nous est accessible en compréhension (en partie, en tout cas).
Nous sommes intriqué à la création (l'univers absolu). Tout comme l'unité,
seule valeur non nulle, donne sa valeur à l'ensemble des autres nombres,
Dieu est le seul support de la valeur minimale qui donne valeur non nulle
à toute chose "existante", puisque sa valeur acquise serait nulle si la
valeur de Dieu était, elle-même, nulle. Le Dieu-tout est à la fois l'Alpha
et l'Omega, puisqu'il est le seul constituant de tout l'univers intriqué
en toute chose. On peut donc "opposer" Descartes et son "Je pense donc je
suis" à Lavoisier (ou Démocrite) et son "Rien ne se perd, rien ne se crée,
tout se transforme". La première proposition étant la décohérence de la
superposition d'états de la seconde proposition.
- Quand à la religion, elle n'a de valeur que dans sa proposition
politique, pas dans l'argument d'autorité du "Dieu" qu'elle évoque.
L'athéisme a encore moins de valeur, puisqu'il ne fait aucune proposition
politique, il n'est que dans la négation de l'argument d'autorité. Sans
l'argument d'autorité que représente le divin, le terme même de religion
n'a plus de sens. Alors on rentre dans le cadre de la spiritualité qui
n'est, au fond, que la question de la définition de "Dieu", et cela depuis
que l'intelligence s'est révélé à l'homme.
voir les définitions
Jean Marzec
J’ai lu avec attention le texte, mais comment répondre à des adolescents qui
posent la question suivante : Quel est le vrai « Dieu » ?
R. Cela suppose qu'il faut distinguer entre
des "faux" et le vrai. Si c'est une position religieuse : "mon dieu... et
pas le vôtre"! Ce qui est une sottise intégriste qui porte beaucoup de mal
dans l'histoire. Mieux voudrait abandonner le mot "Dieu", il est surchargé
dans cette question. L'Absolu serait meilleur, au-delà de toutes les
différences et de toutes les conceptions humaines, la puissance de
Manifestation de ce qui est.
Jean-Pierre Castel:
Sur Freud, monothéisme et
polythéisme : "Entre le monothéisme [de Moïse] et le polythéisme effréné[des
Egyptiens] [se manifeste] une différence de niveau intellectuel, l'une des
religions étant restée très proche de celle des temps primitifs, tandis que
l'autre s'est élevée vers les sommets de l'abstraction pure." Moïse et le
monothéisme, Freud. "Ce qui se donne à entendre dans le passage du
polythéisme idolâtrique au monothéisme, c’est l’abandon de l’imaginaire en
tant que maternel, au profit du symbolique, du Nom du père : « Reléguer au
second plan les perceptions sensorielles directes en donnant le pas aux
souvenirs, aux déductions, aux réflexions, tous processus intellectuels
tenus pour supérieurs, c’est décider, par exemple, que la paternité, bien
que les sens ne la puissent déceler, est plus importante que la maternité.
C’est pourquoi le fils porte le nom de son père et en hérite» (Freud,
Moïse et le monothéisme) « Il est impossible de ne pas se rendre compte
en quelle large mesure l’édifice de la civilisation repose sur le principe
du renoncement aux pulsions instinctives» (Freud, Malaise dans la
civilisation)[...] La substitution du principe de réalité au principe de
plaisir, c’est à dire l’émergence du Surmoi, est présentée non pas comme une
destruction pure et simple du principe de plaisir, mais comme un moyen
d’assurer sa continuité sous une forme plus spirituelle et symbolique, que
pulsionnelle et imaginaire [...]
Qu’est-ce que Freud entendait par là, sinon que les croyances polythéistes
sont des croyances hautement pulsionnelles, croyances en des dieux multiples
tout comme les pulsions du Ça sont elles-mêmes multiples et partielles,
tandis que le monothéisme est, lui, la religion du Surmoi ? [...] Le passage
de « l’hénothéisme » au monothéisme est équivalent, dans l’inconscient, au
passage de l’imaginaire au symbolique." « Un plaisir instantané, aux
conséquences peu sures, est abandonné, mais ce n’est que pour gagner, sur
cette nouvelle voie, un plaisir plus tardif, assuré » S. Freud,
Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique , 1911,
Œuvres complètes, PUF, 1998, vol. XI. "Là encore, l’archétype de cette
substitution était à retrouver dans le mythe religieux du paradis
terrestre", Croyance et Psychanalyse, Christophe Bormans, publication
en ligne disponible sur http://www.psychanalyse-paris.com/Croyance-et-Psychanalyse.html
En résumé, selon Freud, le monothéisme est une religion du Surmoi, par
opposition aux polythéismes qui sont des religions dont les différents
cultes partiels sont chacun basés sur une impulsion instinctive née dans le
ça (Wikipedia et d’autressites).
J.P.
Castel Je suis parti de l’absurdité de l’expression
« vrai dieu » ou « faux dieu », absurde vu l’absence, en l’occurrence, de
critère de vérité et de procédure de validation extérieurs, autrement dit vu
le caractère autoréférentiel de ces expressions. Or nombre d’auteurs
(Assmann et beaucoup d’autres) voient une analogie entre « la distinction
mosaïque » (la distinction entre « vrai dieu » et « faux dieux ») et
l’invention du tiers exclu chez les Grecs. Il y a pourtant pour moi plus
opposition qu’analogie : « vérité d’autorité » contre « vérité par la
raison ». Mon étonnement a redoublé lorsque j’ai vu des scientifiques de
renom (comme Lévy-Leblond) expliquer l’apparition de « la science moderne »
dans l’Europe chrétienne par la recherche biblique de « la vérité ». Cela
me paraissait relever du contresens, mais je ne trouvais aucune
bibliographie sur la question, ni aucune réponse, jusqu’à ce que l’un de mes
correspondants me mette sur la piste des Maitres de vérité de Marcel
Détienne, ce texte qui montre comment le sens d’alètheia est passé, de la
Grèce archaïque à la Grèce classique, de vérité d’autorité, proche de
l’emet hébraïque, à vérité par la raison. J’avais d’ailleurs remarqué que
l’expression « faux dieux » ne figurait pas dans la Torah hébraïque, mais
n’apparaît qu’avec la Septante. J’en ai déduit que c’est une sorte
d’erreur de traduction, de emet à alètheia, qui nous a fait passer de
l’emet hébraïque à la vérité au sens moderne, et des dieux interdits aux
« faux dieux » : d’un interdit local, ethnique, à un interdit universel ;
des dieux à ne pas adorer aux dieux à détruire. Autrement dit, dans
le dialogue sur la vérité entre Jésus et Pilate, il s’agit d’un malentendu
culturel. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver cette analyse dans une
conférence donnée à Notre Dame en mars dernier par le bibliste Jacques
Cazeaux, puis de découvrir que le célèbre théologien Bultmann avait écrit un
article apparemment comparable sur alètheia (je n’ai pas accédé à l’article
mais à des critiques), et en avait déduit une « théologie existentielle »,
condamnée depuis quasiment comme hérétique Il me semble de fait que
deux conceptions de la vérité s’opposent : - d’un côté
celle correspondant à l’emet hébreu et à l’alètheia de la Grèce archaïque,
que l’on peut me semble-t-il caractériser par son caractère autoréférentiel,
une vérité d’autorité énoncée par un « maître de vérité,
- de l’autre une vérité correspondant à l’alètheia de la Grèce
classique, que l’on peut me semble-t-il caractériser par son
caractère non-autoréférentiel, une vérité qui signifie
correspondance entre la parole et la réalité, et qui fait appel à des
critères de vérité et à des procédures de validation extérieurs au locuteur.
Or: - je n’ai pas trouvé de biblio sur la caractérisation,
pourtant élémentaire me semble-t-il, de ces deu notions de la vérité par
l’autoréférence - de même la thèse de Détienne sur l’évolution
du sens du mot alètheia me paraît d’une portée telle que je me serais
attendu à une importante bibliographique sur la question. Je ne l’ai pas
trouvée ‒ hors quelques textes de Vernant, Benvéniste, JJ Rosat, et d’un
certain Gérard Leclerc, - Détienne et Heidegger disent-ils la
même chose? Ne pas oublier et dévoiler ne sont en effet pas exactement la
même chose ! Maurice Sachot, qui a traduit le poème de Parménide, ne semble
pas partager les conceptions d’Heidegger… - je n’ai pas trouvé
de relation entre Bultmann et Détienne, ni entre Détienne et
existentialisme, ni entre Détienne et l’emploi du mot vérité dans la Bible.
Jacques Cazeaux n’avait pas lu les Maitres de vérité de Marcel Détienne
Autrement dit, la synthèse, voire le rapprochement, n’a semble-t-il
jamais ( ?) été fait entre l’article de Bultmann sur alètheia, Les maîtres
de véritéde Détienne, le dialogue entre Jésus et Pilate, sans même parler
d’Heidegger (qui a fortement influencé Bultmann). Je ne connais pas non plus
les arguments qui ont conduit à mettre la théologie existentielle de
Bultmann au placard, sinon bien sûr son caractère dérangeant pour
l’orthodoxie, et son anhistoricité. Je serais reconnaissant si vous
acceptez de m’aider à démêler cet écheveau. Je tiens à votre disposition un
texte de 18 pages que j’ai rédigé pour tenter d’y mettre de l’ordre, ainsi
que des critiques de la thèse de Bultmann, critiques plus d’autorité
qu’argumentées.
R. Mon approche est
très directe et ne passe pas par les références. J'ai cependant de la
sympathie pour les approches qui s'éloignent de l'orthodoxie. Le concept de
"vrai dieu" ou de "faux dieu" est lesté par l'argument d'autorité, le
sous-entendu est clair: le vrai dieu, c'est le mien, quelque soit le bord où
on se situe et l'autre est un faux: argument religieux par excellence qui
ramène la vérité à la récitation studieuse de ce que dit telle ou telle
écriture sainte. Ou l'interprétation qu'on en donne. Il faut entrer dans la
théologie avec une grande humilité, tout ce que l'on affirme est très
limitatif. Nous savons très peu de choses sur Dieu et nous ignorons bien des
choses sur le processus de la Manifestation. Partons plutôt de l'idée que la
compréhension de la substance divine passe l'entendement humain et ceux qui
croient pouvoir l'enfermer dans un concept sont déjà dans l'erreur. Il y a
tellement d'anthropomorphisme dans les religions que la confusion est
inévitable. La parole des mystiques qui ont fait l'expérience directe de la
conscience d'unité est bien plus pertinente.
Les généralisations hâtives de Heidegger
sur l'aletheia ne m'ont jamais convaincu, il met dans l'histoire ce qui ne
peut pas s'y mettre. Le rapport de l'être humain à la vérité est intemporel,
pas historique.
J.P. Castel
Je suis d’accord avec ce que vous dites, mais le
discours Foi et Raison qui traverse toute l’histoire chrétienne (ou du moins
catholique) refuse de reconnaître que la vérité biblique n’est qu’une vérité
d’autorité, et je ne connais guère d’affirmation dans ce sens, a fortiori
étayée par l’autoréférence « Mon »
autoréférence est celle du paradoxe du menteur, qu’on retrouve en théorie
des ensembles (le paradoxe de Russel, a/s de l’ensemble de tous les
ensembles). Prendre
l’autoréférence (oui ou non) pour distinguer la « vérité d’autorité » de la
« vérité par la raison » coupe court aux discours prétendant qu’il y aurait
un continuum, une « tension riche de sens » entre ces deux notions.
R. Je suis un peu gêné pour
vous répondre parce que je n'utilise pas du tout le terme auto-référence
dans le sens où vous le prenez. Je m'explique :
-sur le plan psychologique, la vie est
autoréférente, elle ne se quitte pas elle-même comme Soi. On peut distinguer
avec Rousseau l'amour de soi (autoréférent) et l'amour propre qui est
réalité excentré, car lié au regard et au jugement d'un autre.
-su le plan biologique, le vivant est
auto-référent, il fonctionne comme une totalité auto-référente etc.
L'auto-référence est omniprésente dans la
Nature. En fait elle est dans la nature même de la conscience de soi, elle
renvoie à la non-dualité.
Je ne prend donc jamais l'auto-référence au
sens purement logique car cela engendre des confusions.
L'argument
d'autorité est très simple à comprendre, il est d'un usage banal comme
critère de la vérité. On le rencontre aussi bien dans le sens commun (untel
est un type sérieux, donc ce qu'il dit est vrai) que dans les sciences
(Selon Einstein, selon Bohr etc.) en philosophie (selon Kant, Descartes
etc.) L'université forme cette perversion intellectuelle: il faut donner des
noms pour appuyer une affirmation! Dans les religions monothéistes etc.
Cela
sous-entend que l'autorité est en soi véridique et ne saurait se tromper
(pourtant en politique Einstein a sorti des bêtises et il y a des âneries
dans les propos de généticiens célèbres, les religions racontent des
histoires pour enfants...)
Pour bien
comprendre la falsification énorme de l’argument d'autorité, rien ne vaut la
lecture de Krishnamurti qui refuse radicalement toute autorité et démolit
systématiquement toute tentative d'aller citer qui ce que ce soit. Il est le
meilleur antidote et sa lecture montre à quel point il est difficile de
penser sans appui (imaginez une dissertation impeccable dans le
raisonnement, mais ne citant aucun auteur!) De là suit clairement que
l'argumentation rationnelle doit se tenir par elle-même et par ses propres
raisons.
pour
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Avec la participation de Dominique Levet, JP. Castel, Jean
Marzec, Pierre Meur.
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