Une précision pour commencer : le terme de
déconstruction
dans ce titre est pris dans un sens technique,
il fait référence à un thème popularisé par Jacques Derrida caractéristique de
la pensée postmoderne,
la French theory
aux Etats-Unis.
Pour faire simple, nous dirons aussi :
la pensée 68, celle
de la génération des soixante-huitards,
ou,
aux Etats-Unis, des boomers,
pour employer un terme déjà consacré. Ceci dit, nous
examinerons s’il y a une filiation entre les tentatives de déconstruction tous
azimuts menés dans les années 60 et une sorte de démontage des repères moraux
traditionnels. Cela ne veut pas dire que la conscience commune a lu, étudié, les
auteurs qui ont contribué à cette déconstruction mais que ses implications sont
descendues dans le sens commun qui les partagent en Occident sans même s’en
rendre compte.
Nous
prendrons ici le mot
morale
dans un sens tout à fait ordinaire, non pas
une morale
dans un sens particulier, comme une déontologie dans un corps de métier, ou une
éthique de
vie philosophique raisonnée, mais ce que communément la pensée du monde
reconnaît comme critère pour distinguer bien/mal, ce qui est moralement
acceptable et ce qui est répréhensible, insupportable, moralement choquant et
condamnable. Il est entendu que ce n’est pas exactement la différence entre
légal/illégal, distinction qu’opère le droit et qui est plus générale. Il est
possible qu’une loi soit jugée comme immorale, quand bien même nous
souhaiterions que la justice soit un prolongement légal de la moralité.
Seulement voilà, nous vivons une époque troublée et c’est peu de dire qu’elle est un monde sans repères. La morale est toujours présente, parce que nous gardons notre capacité de juger moralement et nous sommes très fort pour juger et condamner. Mais encore faut-il savoir au nom de quoi et si les repères de la morale deviennent vagues, flous, indistincts, le jugement moral devient flottant ; en un mot relatif. Et nous sommes en plein relativisme moral. Mais ce relativisme n’arrive là pas par hasard. Il a été préparé. Le problème est donc de savoir dans quelle mesure la pensée postmoderne a-t-elle œuvré à une déconstruction de la morale ? Il est possible que l’état des lieux de notre temps soit très conjoncturel, l’effet d’un processus historique horizontal. Mais un auteur comme René Guénon opterait plutôt pour une perspective beaucoup plus large du Devenir, voyant dans notre époque le moment où on a touché le fond du Kali-Yuga, auquel cas, la pensée postmoderne n’aura été qu’un processus parmi d’autres dans l’historial de l’aventure humaine sur cette Terre.
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D’abord observer qu’il est dit partout et
de manière répétée que l’Occident est engagé dans une décadence morale aux
conséquences morbides. 1987 le philosophe très universitaire Michel Henry sort
un essai retentissant, La Barbarie dont le titre est déjà annonciateur.
1997 Pierre Thuillier signe un chef-d’œuvre La grande implosion avec
pour sous-titre : rapport sur l’effondrement de l’Occident. 2006 Yves
Paccadet, naturaliste de l’équipe du Commandant Cousteau, dresse un portrait
amer de la situation écologique et pointe l’imbécillité humaine : L’humanité
disparaîtra, bon débarras. 2008, le scandale des subprimes éclate, le
monde connaît une crise économique d’une envergure sans précédent. Une floppée
d’articles sort dans la presse pour pointer la corruption des acteurs du monde
de la finance. Arte sort un documentaire
Noire finance. 2011 David Cameron, alors premier Ministre, suite à des
émeutes, parle « d’un effondrement moral à petit feu » de la société
britannique, accusant « accusant pêle-mêle "les enfants sans père, les écoles
sans discipline, les récompenses accordées sans effort ». 2014 Éric Zemmour sort
Le Suicide français, qui devient très vite un succès d’édition, avec la
décadence morale de la nation comme fil conducteur. Zemmour est très net pour
notre sujet, il attaque bille en tête la génération des bobos. Janvier
2017, Michel Onfray suit avec le gros volume Décadence. Nous serions
selon lui parvenus à l’effondrement final de la civilisation judéo-chrétienne.
Le déclinisme est devenu une posture à la mode : il ne manque pas de plume pour
souligner que nous sommes désormais au temps des crétins, du populisme et de la
barbarie. Seulement, une fois le constat effectué, reste à tisser des liens et à
chercher des raisons. Autant commencer par des exemples précis pour fixer les
idées. Précisons que dans tout ce qui suit il ne s’agit pas de se livrer à des
attaques personnelles, mais de pointer un certain nombre de manifestations qui
peuvent être reliées entre elles dans la mentalité d’une époque.
1) Le mieux pour
commencer, c’est de pointer les tendances extrêmes. Remarquons par exemple que
jamais l’actualité n’a autant insisté sur la présence du viol dans nos sociétés.
Rien qu’en France, soixante-dix mille femmes sont victimes de viol chaque année.
Il n’y a pas de viol sans violence, c’est-à-dire atteinte à la dignité de la
personne, à la fois une violence physique d’imposer un acte sexuel sans
consentement et violence morale, et on ne peut guère imaginer pire comme
traumatisme et comme humiliation morale que celle du viol. Toute personne douée
de bon sens pointera le viol comme étant l’acte
immoral par excellence L'agresseur
sexuel est conscient de son agression, et il en est pleinement responsable.
Ceci dit, il y a tout
de même des choses étranges dans ce monde. Comment comprendre qu’une institution
hautement moraliste, (pour ne pas
dire militariste), comme les scouts ait connu un nombre invraisemblable d’abus
sexuels aux Etats-Unis ? Le nombre de victimes se compte par milliers, mais la
plupart des gens ne diront jamais rien, le secret restant enfermé dans la honte.
Et pourtant, s’il est un milieu dans lequel on pourrait s’attendre à une sévère
intégrité morale, c’est bien celui des scouts. Qu’il puisse y avoir quelques des
cas de déviance, cela resterait compréhensible sous l’angle de la pathologie,
mais dans de telle proportions, il y a forcément autre chose.
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© Philosophie et spiritualité, 2020, Serge Carfantan,
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