Nous ne nous en rendons pas compte, mais la
représentation la plus courante de la démarche scientifique est excessivement
idéalisée, aux bas mots… hors sol et décontextualisée. Nous avons tendance à
présenter la science comme une démarche méthodique rigoureuse, « pure », et
coupée de toute insertion sociale. Un élève de terminale scientifique ne connaît
strictement rien de Newton, mais il apprend des formules qui portent son nom et
qu’il doit savoir utiliser. Au mieux, il saura peut-être que la découverte des
antibiotiques est due à un hasard, mais il aura surtout assimilé l’explication
que l’on donne de leur effet. Et on peut
continuer indéfiniment avec les
exemples, et donner l’impression que la science est une démarche héroïque,
originale, rationnelle indépendante, dégagée l’influence reçue de ses acteurs
dont il ne reste au final que des étiquettes accrochées à des théories
abstraites. Par principe un
manuel scolaire
réduit au strict minimum les éléments d’anthropologie qui rendraient
compte du
milieu dans lequel une découverte a été faite. On fera même l’impasse sur les
motivations premières du « savant » quitte à brosser de lui un portait qui tient
plus de la légende que de la réalité. On ira jusqu’à gommer des sources jugées
un peu trop « hérétiques » qui pourrait altérer l’image du scientifique. Il
s’agit de préserver un idéal de l’objectivité qui
écarte toute forme de subjectivisme pour s’en tenir avant tout à la découverte
et de son explication analytique par des
lois
rigoureuses. Bref, le « fonctionnel » scientifique et technique, le fonctionnel
pour former des fonctionnaires de la science isolés du monde réel dans des
laboratoires. Pour un peu, le génie scientifique serait sorti droit de la cuisse
de Jupiter, sauf qu’il s’agirait alors de la progéniture de la déesse de la
« Raison ».
Mais
si nous regardions de plus près l’exercice
réel
de la science ? Le contexte réel ? La démarche historique nous donnerait à coup
sûr une autre version que celle de l’idéalisation qui se perpétue à travers les
manuels de la science normale. Une version qui pourrait même contredire le
discours officiel des manuels… qui se révèlent un peu trop « perchés », comme on
dit aujourd’hui, dans le discours qu’elle tient sur elle-même pour être
véridique. Sait-on
par exemple que Pasteur travaillait au départ sur la fermentation du houblon
pour un brasseur de bière ? L’hypothèse microbienne a été inventée pour rendre
compte de la fermentation du houblon ! Pas du tout pour un soin altruiste de
santé. Sait-on que la rigueur des
Principia de Newton
est un arbre qui cache une forêt, Newton a beaucoup plus écrit sur l’alchimie et
la théologie que sur la science proprement dit. Galilée tirait des horoscopes,
notamment pour ses filles et Kepler a beaucoup pratiqué l’astrologie ! Mais bon,
il ne faut pas en parler, cela écornerait l’image que nous entretenons des
scientifiques, image épurée au maximum que nous donnons des « savants » au grand
public. Mais, à force de mensonges pieux sur le contexte sociologique de la
science, au bénéfice d’une image rationnelle du savant, ne risque-t-on pas de
corrompre le contexte lui-même ?
Idéaliser le savant, n’est pas en
retour mépriser le contexte social dans lequel il est apparu ?
Un
des grands mérites que l’on peut reconnaître à Thomas Kuhn dans
La structure des révolutions scientifiques,
est d’avoir attiré l’attention sur cette sociologie
que les manuels ignorent. La question vaut le détour.
*
*
*
Nous avons théorisé de manière très linéaire l’histoire des sciences en
tirant un fil qui va des Grecs jusqu’à nous et dans lequel il est
sous-entendu que lorsqu’une théorie nouvelle apparaît, il est hors de
question 1) que l’idée ait jamais pu être formulée auparavant. 2) que le
contexte anthropologique ait pu jouer dans son apparition. Le but étant de
sauvegarder le « génie » très original, très
individuel d’un
savant. Ainsi se perpétue le complexe de supériorité extraordinaire qui nous
permet de regarder de haut le passé. « Autrefois les hommes croyaient
que… mais grâce à X ou Y aujourd’hui nous savons que… ». Il se pourrait bien
que nous soyons en présence de deux illusions. Des intuitions très anciennes
peuvent refaire surface dans un contexte scientifique. C’est possible. La
théorie holographique de Karl Pribam et David Bohm véhicule des idées qui en
vérité ne sont pas si nouvelles. L’idée que le Tout est présent dans chaque
partie de l’univers est dans les Upanishad.
Et ces mêmes Upanishad
on trouve la formule « ici-bas tout est mangeur et mangé » d’une allure
très… darwinienne !
Le
fait d’être le dernier à parler, le fait de placer notre confiance
uniquement dans l’objectivité scientifique risque de nous rendre aveugle à
la richesse de pensée qui nous précède.
Ce qui ne désarme pas pour autant les rationalistes qui vont encore fourbir
des arguments pour démontrer que la prouesse d’Archimède est impossible.
D’abord, qu’il n’y a que peu de sources
historiques fiables sur le sujet.
C’est vrai. Il faut attendre Anthème de Tralles au VIème
siècle pour disposer d’un traité des
Machines extraordinaires
pour en trouver la trace. L’homme n’était pas n’importe qui. C’est lui qui a
conçu la basilique Sainte-Sophie de Constantinople. Dans son traité sur la
Machines,
il pose effectivement le problème et répond qu’Archimède était parfaitement
capable d’un pareil tour de force. Galien, le médecin grec, dans son traité
sur Les tempéraments,
déclare effectivement « qu’Archimède a brûlé les
trières ennemies avec des pureia ».
Les érudits discutent le sens du mot pureia,
et le mot est bien employé au Ier
siècle pour désigner les miroirs ardents. Au IIème
siècle Lucien de Samostate écrit « qu’Archimède a incendié les navires
romains grâce à un artifice technique ». On voit donc que même si les
témoignages directs dont manquant, la possibilité demeure. Un autre point
sur lequel nous devons insister est celui-ci :
l’histoire est une discipline très lacunaire, mais l’absence de témoignages
ne préjuge en rien de la réalité.
Tout ce que l’on peut dire, c’est que
des traces directes manquent.
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© Philosophie et spiritualité, 2020, Serge Carfantan,
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