C’est une opinion assez répandue que celle qui dit que la science se suffit à elle-même et qu’une fois qu’on possède des certitudes scientifiques, que l’on en maîtrise la performance, que l’on peut se vanter d’être un « vrai scientifique », on est assez sûr de soi pour se passer de philosophie.
Le problème, c’est que cette opinion ne résiste pas à l’examen. Il faut être assez crédule pour tabler sur des « certitudes » dans les sciences, il faut être assez ignorant de la réalité de la science en devenir et de son histoire pour croire pouvoir séparer science et philosophie. La maîtrise de la performance, cela donne une formation de technicien, mais un simple technicien, n’est jamais qu’un tâcheron de la science, pas un vrai chercheur. Si à la rigueur – et encore – on peut admettre un laborantin ignorant la philosophie, au moins, nous savons bien que ce qui intéresse un véritable scientifique, c’est la stimulation de la découverte et de la recherche : c’est exactement cela qui le rapproche du philosophe !
Plutôt que de faire de la mauvaise philosophie en s’imaginant pourvoir se passer de la philosophie au nom de la science, il vaudrait mieux prendre conscience de manière globale et réfléchie de ce qu’est la science elle-même ; or faire retour par la réflexion sur la science, ses pratiques, ses méthodes et ses fins, c’est exactement philosopher sur la science.
Quand nous parlons, nous faisons de la grammaire de manière implicite. Il n’y pas de honte à en faire de manière explicite. Quand nous raisonnons, nous faisons de la logique de manière implicite. Il n’y a pas de honte à en faire de manière explicite. Quand nous pensons, nous faisons de la philosophie de manière implicite. Dès que l’esprit pense sérieusement, il fait de la philosophie et là aussi il n’y a pas de honte à en faire de manière explicite !
Cela dit, qu’est-ce qui caractérise en propre la démarche scientifique ? Quelles relations unissent science et philosophie ?
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La science se présente à nous comme une connaissance en forme de système dont la marque spécifique est d’être une représentation de la connaissance, comme un savoir fondé sur l’approche objective. Il nous faut donc être assez précis pour bien comprendre tout d’abord ce que veut dire approche objective, ce que signifie savoir scientifique, ce que science veut dire.
Par science nous désignons un ensemble de savoirs que l’on peut répartir en trois catégories :
Les sciences de la Nature : appelées parfois sciences physiques, ou aussi sciences rigoureuses : désignent la physique, la chimie, la biologie, l’astronomie etc. avec toutes leurs subdivisions internes. Les sciences de la Nature tentent, par les moyens qui leur sont propres d’expliquer les phénomènes naturels. Elles portent chacune sur une région particulière de l’existence, (la matière, le vivant, le cosmos,) sur un ordre spécifique de faits (faits physiques, biologiques, observations astronomiques). Il y a les faits qu’étudie le physicien, les faits dont rend compte le climatologue, dont rend compte le biologiste, l’astrophysicien etc. La séparation des couleurs dans un prisme, la réaction en chaîne lors d’une explosion nucléaire, la production d’une enzyme à partir de l’ADN, le mouvement de mercure, l’explosion d’une étoile, le mouvement des galaxies, voilà des phénomènes qui font l’objet d’explications dans les sciences de la Nature. (texte)
Les sciences humaines, autrefois appelées sciences de l’esprit, ou sciences morales, désignent l’histoire, la linguistique, la sociologie, la psychologie, l’économie politique, l’ethnologie etc. Par commodité, on y rattache dans l’enseignement universitaire la philosophie. Comme pour ce qui concerne les sciences de la Nature, les sciences humaines tentent elles aussi de comprendre la diversité des phénomènes humains. Elles portent elles aussi chacune sur une forme spécifique d’existence (existence historique, existence sociale, existence psychologique etc.) et sur un ordre spécifique de faits (faits sociologiques, faits historiques, faits psychologiques, observations anthropologiques, observations sur l’usage des langues, sur les phénomènes économiques etc.). Mettons par exemple les statistiques du suicide pendant une période donnée pour le sociologue, le dépouillement des archives de la police de la Stasi pour l’historien de l’histoire contemporaine, les comportements compulsifs pour le psychologue, l’étude des tribus vivants dans la jungle de l’Amazonie, le langage des esquimaux, les statistiques économiques etc.
Les sciences eidétiques : dans cette catégorie on place la logique et les mathématiques. Le terme eidétique est utilisé par Husserl et désigne les essences (eidos en grec), les idéalités pures. En effet, en mathématique, comme en logique, nous n’avons pas affaire à des faits, mais seulement à des entités abstraites et à leurs relations. Un point, une ligne, une racine carré, un vecteur, un connecteur logique etc. cela n’existe pas dans l’expérience factuelle. Cependant, ce sont bien des
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© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan,
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