Leçon 31.   Les éléments de la théorie scientifique         

    Il est assez commode de se représenter une théorie comme un ensemble de spéculations originales propre à tel ou tel savant. Nous pourrions donner en exemple la théorie de la relativité d’Einstein, comme nous pourrions aussi parler du transformisme de Lamarck, de la théorie de l’évolution de Darwin, ou même de la théorie de l’inconscient de Freud, la théorie des climats de James Lovelock.

    Mais une théorie n’est scientifique que si elle s’affranchit de la subjectivité de son auteur. En parlant de spéculations d’un auteur, nous ne voyons plus ce qu’ajoute le terme de scientifique, juxtaposé à celui de théorie. Pourquoi ne pas mettre alors sur le même plan la théorie de la numérologie et la théorie des quanta de Plank ? Il doit bien y avoir des caractères nous permettant de distinguer ce qui fait une théorie scientifique d’une autre qui ne l’est pas.

    Qu’est-ce qui nous fait dire qu’une théorie est scientifique ? Certains éléments sont reconnus comme des ingrédients de la théorie scientifique, tels le raisonnement à partir d’hypothèses, l’usage du principe de la causalité, et du déterminisme, de la notion de loi. Ces concepts suffisent-ils pour caractériser la théorie scientifique ?

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A. Poser une hypothèse

    Le mot hypothèse reçoit un sens particulier à l’intérieur de la théorie scientifique. Ce n’est pas la supposition gratuite, l’imagination fantaisiste dénuée de fondement que repère le sens commun. Il y a des hypothèses scientifiques et d’autres qui ne le sont pas. L’hypothèse peut prendre deux sens :

    1°) en mathématiques, c’est à dire dans une science eidétique ne portant pas sur les faits, les hypothèses sont les données du problème dont on cherche la solution. Ce sont aussi des propositions fondamentales qu’il faut admettre pour élaborer le raisonnement, à savoir les axiomes et les postulats. (texte)

    2° dans les sciences de la Nature, l’hypothèse est une explication plausible et provisoire des faits. Elle est une représentation des phénomènes qui est destinée à être soumise au contrôle de l’expérimentation. Lors d’un glissement important de terrain, on demande au géologue une explication. Il peut avancer une hypothèse, en indiquant par exemple qu’à cet endroit une poche d’eau devait s’être formée sous le calcaire, provoquant un affaiblissement de la résistance des roches. Mais l’hypothèse devra être vérifiée après une enquête. Ce n’est assurément pas une supposition gratuite, on n’avance pas une hypothèse au hasard, et ce n’est pas non plus un principe dogmatique qui rendrait raison de tout. Invoquer la colère de Dieu pour rendre raison de l’orage ne constitue pas une hypothèse scientifique. (texte) L’hypothèse est une vérité provisoire qui conserve un caractère problématique, tant que l’on pas reçu des assurances de l’expérimentation. Son vrai nom serait en fait celui d’idée directrice animant la recherche. L'hypothèse scientifique est une manière de formuler objectivement des questions que l’on pose à la Nature pour rendre raison d’un phénomène qui nous intrigue et dont nous cherchons l’explication.

    Ce qui fait la valeur de l’hypothèse, c’est la possibilité de sa vérification. Une hypothèse qui n’est pas vérifiable n’est pas une hypothèse scientifique. Ou bien elle est confirmée par l’expérience, à charge alors du chercheur delà convertir en loi, en lui donnant une formulation mathématique ; ou bien elle est infirmée par l’expérimentation, auquel cas elle demeure dans son statut premier d’hypothèse. L’abandon d’une hypothèse peut très bien être provisoire ; elle peut-être reprise plus tard, s’il s’avère que le chercheur dispose d’un nouveau protocole d’expérience plus fin, permettant de la tester. L’essentiel, c’est qu’elle puisse être soumise, au travers des ses conséquences, à un contrôle expérimental, donc à une ratification par les faits. Elle peut-être une hypothèse de travail, au sens où elle joue un rôle très actif en tant qu’outil de recherche et de découverte. On adopte alors une idée pour savoir ce qu’elle donne. On dit qu’un chercheur travaille sur telle ou telle hypothèse, c’est-à-dire qu’il l’exploite dans ses conséquences. Il peut par exemple travailler sur une hypothèse qui avait été avancée par un savant, mais n’avait jamais été vraiment vérifiée.

    ---------------A ce titre, les hypothèses peuvent être extrêmement libres. Il n’y a pas de règles pour faire naître une idée nouvelle. C’est à l’imagination du scientifique d’opérer cette invention d’une explication qui peut paraître souvent neuve et hardie pour la communauté scientifique de l’époque. L’idée neuve est en ce sens une intuition que le chercheur explore dans toute sa pertinence. Il est impossible de fixer une limite à la formulation des hypothèses. On ne peut pas non plus s’en tenir aux faits, se contenter de "ne pas feindre d’hypothèses", comme dit Newton, car c’est justement cette inventivité de l’hypothèse qui stimule la recherche. L’histoire des sciences nous montre que bien souvent les esprits les plus brillants et novateurs ont été au début traités de fous ou de charlatans. L’audace d’une hypothèse peut heurter le conservatisme de la science établie. La relativité d’Einstein a été à ses débuts tournée en dérision. Ce qui compte d’ailleurs, ce n’est pas la provocation, c’est surtout la fécondité  théorique d’une hypothèse. De toute manière, la Nature n’offre pas à l’observateur de faits bien propres, rangés et étiquetés. Il faut commencer par imaginer des causes, (R) et donc risquer une explication. Cela veut dire que l’esprit fait un effort hardi pour expliquer un phénomène, pour systématiser ses différents aspect « sous une thèse », ce qui est le sens étymologique de hypothèse. On ne peut même pas exiger qu’une hypothèse soit en accord avec des idées admises, tout au plus peut-on attendre qu’elle puisse se fonder sur des observations, qu’elle soit non-contradictoire en elle-même et qu’elle constitue pour la science un progrès par rapport aux hypothèses précédentes. Comme Claude Bernard l’a lui-même reconnu, une idée ne doit pas être repoussée pour la seule raison que ses conséquences dérangent une théorie régnante. L’absurde suivant nos théories n’est pas l’impossible suivant la Nature.

    A l’inverse pourtant, la liberté de l’hypothèse a pour contrepoids la servitude de devoir être confrontée à des faits. Et il ne faudrait pas s’imaginer que le triomphe d’une hypothèse à travers une vérification par les faits, lui assure le statut de vérité éternelle. Une hypothèse scientifique n’est pas un dogme religieux ni un principe métaphysique. Une hypothèse n’est tout d’abord que rarement vérifiée en elle-même, ce que l’on vérifie, ce sont surtout ses conséquences dans les faits. D'autre part, le raisonnement expérimental qui se sert de l’hypothèse aboutit à une simple probabilité. Pascal par exemple, raisonne de cette manière : si c’est vraiment la pression atmosphérique qui, au niveau de la mer, équilibre à 76 cm la colonne de mercure, alors on devrait constater qu’en s’élevant dans l’atmosphère, la hauteur de mercure diminue. Il s’agira donc de vérifier cette conséquence. De manière schématique :

        Si l’hypothèse est vraie, on doit observer que

        Or, on observe (ou on n'observe pas) que

        donc l’hypothèse est vraie (ou fausse)

    Ce type de raisonnement ne serait logiquement concluant que dans le cas d’une hypothèse fausse, qui serait infirmée par la non-apparition des conséquences attendues. En d’autres termes, si l’expérience rate, on est sûr que l’hypothèse est à revoir ! Par contre, si l’hypothèse réussit, on ne peut jamais dire qu’elle soit absolument sûre, il est seulement probable que l’hypothèse est vraie. Il reste encore possible qu’une autre expérience prenne un jour en défaut l’hypothèse, auquel cas, il nous faudrait revoir nos explications. Or cela arrive fréquemment dans l’histoire des sciences. Il faut alors à revoir des théories qui enveloppent ces hypothèses, théories que l’on croyait bien confirmées jusque là.

B. Déterminer des causes

    S’il est un mode de raisonnement spontané, devant un phénomène qui nous surprend, c'est bien celui qui consiste à rechercher « sa cause » (R) (texte). Si je trouve le vase renversé sur la table, je me demande comment cela s’est produit, je cherche une explication. Est-ce le chat qui a sauté sur la table ? Est-ce le poids des fleurs ? La balle des enfants ? ... Un esprit frappeur ? ! Une explication me satisfait quand elle me livre une cause intelligible qui puisse rendre raison de l’apparition du phénomène B à la suite d’un phénomène A, de telle manière que le passage de A à B me devienne compréhensible. Si on me dit que le chat a sauté sur la table, je suis satisfait, j’ai la cause du fait que le vase ait été renversé. Il ne m'en faut pas plus. Nous procédons ainsi très fréquemment, dès qu’un phénomène nous surprend et n’entre pas dans notre ordre normal des choses. Où est donc la cause scientifique ?

   Ce qui doit donc être spécifique à la théorie scientifique, ce n’est pas le raisonnement causal, (tout esprit raisonne avec l'idée de causalité) mais surtout la manière dont on interprète la causalité. Dans les sciences de la Nature, nous ne sommes pas prêt à accepter n’importe quelle cause, surtout des causes impondérables et invérifiables. La science donne à la cause une interprétation rationnelle. D’autre part, elle pense la causalité à l’intérieur d’une représentation du déterminisme qui n’est pas celle du sens commun.

    La cause est représentée comme un phénomène qui est potentiellement porteur d’un effet, effet qu’il produit dans des conditions favorables. Il est fréquent de lire dans des revues scientifiques des rapports du genre : « Des chercheurs américains viennent de démontrer que la consommation de café chez la femme enceinte pouvait être la cause d’accouchements prématurés ». Dans cette forme de représentation, il est très facile de passer de la causalité à la responsabilité. Voyez sur ce point Jonas Le principe Responsabilité. Dire que le café est cause, c’est en même temps lui attribuer une responsabilité, un peu comme l’auteur d’un crime est mis en cause dans un procès. On dira dans le même sens que l’inondation est la cause de la destruction d’une digue et des cultures qu’elle protégeait. A chaque catastrophe on traque les causes, comme on traque le criminel auteur d’un délit, ce qui montre que nous ne pouvons pas nous empêcher de donner une interprétation anthropomorphique de la causalité. C’est un peu comme si nous cherchions une mauvaise intention dans la Nature pour l’accuser. Mais, conformément au modèle mécaniste d’explication que partage les sciences, nous n’avons pas le droit de raisonner ainsi. Une cause scientifique d’un phénomène n’est pas une responsabilité humaine. Le mécanisme ne voit pas de conscience à l’œuvre dans les phénomènes. Il regarde la Nature seulement comme une immense horloge.

    Cependant, la question de la causalité est très délicate et bien plus complexe que la Modernité ne l'a pensé. A la limite observons-nous jamais des causes ? Non. Comme le souligne Hume, dans l'Enquête sur l'Entendement humain, quand je vois une boule de billard provoquer un choc sur un seconde boule de billard, je ne vois pas de cause produire un effet. Je vois, au cours des répétitions de l’expérience, qu’un premier mouvement en précède constamment un second. Ils sont là ensemble dans une succession temporelle. Il y a  conjonction de deux événements. Mais cela ne m’indique rien sur la causalité intrinsèque. Deux événements peuvent très bien se suivre, sans relation de causalité intrinsèque. La perception ne donne pas la causalité et peut même tromper sur les causes.

    1° La nuit précède le jour. Le jour précède la nuit. Qui est cause ? L’effet ne doit pas seulement survenir après la cause, il doit surtout résulter de la cause de telle manière que sans son apparition l’effet ne se serait pas produit. A et B peuvent être les phases positives et négatives d’un seul et même phénomène. (texte)

    2° Il est possible que A et B soient effets d’une même cause. L’éclair de l’orage n’est pas la cause du tonnerre. Il se manifeste avant parce que la lumière est plus rapide que le son, la cause c’est la décharge électrique entre les nuages.

    3° Il est même possible que la relation entre A et B soit de l’ordre d’une simple coïncidence. Pour illustrer cette idée supposons une personne qui boit un jour le mélange whisky +soda et tombe malade. La seconde fois il boit le mélange gin + soda et tombe encore malade. La troisième fois, il prend le mélange vodka + soda et tombe encore malade. Comme il y a un élément constant derrière un phénomène, le facteur soda, une logique un peu simple fera qu’il l’assimilera à la cause A, l’effet B, la maladie, ce qui est une erreur. (texte)

    La causalité est une conceptualisation a priori qu’effectue l’esprit afin de rendre compte d’un phénomène. Elle est purement conceptuelle. Elle prend donc une forme beaucoup plus complexe que nous pouvons nous l’imaginer en lui surimposant la valeur de la responsabilité, ou en partant de la seule perception. Les phénomènes naturels sont toujours complexes. Nous simplifions à l’excès en mettant deux états A et B l’un à la suite de l’autre et en voyant entre eux une relation linéaire. Et d’abord, où serait donc le début, où serait la fin de la cause ?C’est seulement une commodité pour raisonner sur des systèmes clos reproduits en laboratoire. Mais il n’y a pas de système clos dans la Nature, semblables à ceux que l’on essaie de recréer dans un laboratoire. Toute choses agit sur toutes choses, tout influence tout. Le jeu d’action, d’interaction et de retour est sans fin. Il existe une multitude de causes qui se croisent dans chaque événement physique et non pas seulement une. Si Paul prend une tuile sur le pied en allant à son rendez-vous chez le dentiste, on pourra toujours invoquer plusieurs séries de causes. Le bois qui supportait la tuile était pourri (t), le vent était violent ce jour là (v), l’ouvrier qui était venu changer quelques tuiles avait sans le vouloir appuyé l’échelle à un endroit très fragile(y). Le dentiste avait demandé de déplacer le rendez-vous (z) etc. Changer une seule série revient à modifier l’événement. Ou serait alors « la » cause ?

     Quand on fait des mesures en laboratoire, cette complexité oblige à tenir compte d’un grand nombre de variables fonctionnelles susceptibles de perturber ou de modifier l’expérience. Le simple fait de garder les mains chaudes sur un instrument de mesure peut modifier un enregistrement. Plutôt de parler d’une cause  derrière un phénomène, il vaut mieux raisonner en parlant de système causal, en percevant chaque phénomène comme une structure et cette structure est elle-même en interactions avec d’autres structures. Ce qui nous oblige à penser qu’il faut comprendre la causalité de manière complexe et globale. La cybernétique nous aide alors à comprendre cette complexité et y ajoute un élément supplémentaire de complexité. Elle introduit l'idée de causalité circulaire. Elle propose de considérer les boucle de rétroaction qui interviennent dans les phénomènes physiques. La boucle de rétroaction ou feedback désigne un retour des effets vers la cause, facteur que l’on rencontre avec évidence dans les phénomènes vivants, en écologie, et en climatologie. Nous devons renoncer au schéma un peu simpliste :

             A à B

    pour le remplacer au moins par un autre :

   A   à    B

   ß   ß

    Par exemple, l’homéostasie, la température du corps, ne résulte pas de la seule rencontre de diverses causes telles que la digestion et la respiration. L’ensemble du phénomène est organisé. Cela veut dire que dans ce cas les séries w, x, y, z ne sauraient être séparées, comme des lignes prolongées dans une sorte d’espace vide, mais elles sont intimement corrélées.

    Nous devons nous éloigner de plus en plus du schéma empirique A à B. Non seulement nous devons concevoir le croisement d’un grand nombre de cause, mais cette causalité peut aussi constituer un système. Cette complexité nous oblige à plusieurs contorsions intellectuelles, afin de penser la causalité de manière moins analytique que dans la conception causale courante, ce qui veut dire de manière plus synthétique, ou mieux, de manière systémique, en incorporant la notion de boucle (texte) de retour et de totalité dynamique.

    Non seulement cela, mais la complexité causale des processus naturels peut même nous obliger aussi à penser la causalité de manière différente à différentes échelles de réalité depuis le microscopique au macroscopique, du vide quantique aux étoiles. Au niveau des particules élémentaires, quand sont mises en jeu des masses nulles, des vitesses très grandes, c’est la notion même d'irréversibilité d’un processus qui devient un problème. Où sont la cause et l’effet à ce niveau ? On va jusqu’à dire que certaines particules voyagent dans le temps sans respecter notre succession macroscopique passé-présent-futur ! De même, à l’échelle de l’immensité de l’Univers, l’astronomie pose aussi des problèmes aigus d’interprétation de la causalité.

    Que reste-t-il alors de cette causalité linéaire A à B que nous exigeons dans l’attitude naturelle à titre d’explication ? Peut-être que ni la relation empirique de l’observation du déroulement des événements, ni la relation temporelle de l’avant et après ne subsistent tels quels ! Ce qui reste de la causalité, c’est seulement la relation logique ! Qu’est ce que représente l’exigence d’une cause ? Rien de plus qu’une raison explicative d’un phénomène. La cause, c’est ce qui nous permet d’expliquer un phénomène, ce qui le rend intelligible pour la raison, dans le cadre de son analyse de la Nature. Nous voyons un phénomène B, nous le considérons comme une conséquence de la réalisation d’un certain principe à l’œuvre dans le phénomène. La tuile est tombée, « en raison de » l’application du principe de la gravité. Il était logique que la tuile se détache si le bois était pourri. La gravité correspond à une loi de la Nature, une relation inhérente à la nature des choses. De la seule observation des phénomènes nous ne pouvons pas dégager des causes. La Nature ne dispose devant nous qu’un ensemble de faits. Nous présupposons des causes, parce que nous présupposons que la Nature est déterminée, qu’elle suit un certain nombre de règles invariables et qu’alors il doit être possible de trouver ses lois.

C. Élaborer des lois

    1) La loi a des avantages incomparables, par rapport au concept de cause. Elle évite toutes les confusions de l’anthropomorphisme, elle permet de formaliser une relation causale dans un langage dépourvu d’ambiguïté, celui des mathématiques. (texte) Qu’est-ce donc qu’une loi ? Qu’est ce qu’une lois scientifique ? Montesquieu donne cette définition simple de la loi : la loi est un rapport nécessaire qui dérive de la nature des choses. Elle peut s’appliquer aux sciences de la Nature. Nous supposons que les phénomènes de la Nature se succèdent en fonction de relations permanentes. L’accélération que subit un objet qui tombe en chute libre ne se produit pas n’importe comment, elle respecte une loi d’accélération. La science physique s’efforce de donner à cette relation une formalisation mathématique exacte, qui deviendra la loi de la chute des corps. Les composantes principales du phénomène deviennent des variables qui figurent dans une équation. Par exemple, avec m pour la masse, v pour la vitesse, t pour temps, p pour l’accélération on a :

    p = mvt² qui formule la manière dont sont liés de manière constante plusieurs facteurs qui composent le phénomène de chute.

    La célèbre équation d’Einstein sur la possibilité de la conversion de l’énergie en matière considère E l’énergie, m, la masse, c la vitesse de la lumière. Elle établit une relation entre ces composantes qui est :

    E = mc2

    ---------------La loi est l’énoncé d’une relation nécessaire entre les composantes d’un phénomènes, relation exprimée par une fonction mathématique. « La loi physique est une proposition qui établit un lien permanent et impossible à rompre entre des grandeurs physiques mesurables, de telle sorte que l’on peut calculer une de ces grandeurs quand on a mesuré les autres ». Elle permet de saisir dans une seule formulation la totalité des variations de l’effet en fonction des variations de ce qui est cause et mieux encore, elle permet de savoir et de prévoir, par exemple de combien l’objet sera par exemple déplacé ou modifié et à quel moment, en combien de temps. C’est cette alliance de savoir et de prévision qui permet l’emprise de l’action sur la Nature et le développement des techniques. C’est à l’échelle de la formulation de loi qu’une science acquiert le plus de rigueur et de systématisation. C’est seulement la loi qui permet la quantification exacte des phénomènes. Sans elle, la mesure reste un simple constat de fait qui n’aboutit à rien, un travail qui reste stérile, des données qui n’ont pas reçu de mise en forme.    

    2) Toutefois, la notion de loi s’est elle-même modifiée dans l’histoire de la physique. La physique classique se bornait à l’étude de phénomènes matériels, considérés comme des faits isolés, dans des systèmes clos à l’échelle humaine. Les relations entres de tels phénomènes y sont exprimables par des lois assez simples. On continue d’y raisonner avec un concept de matière qui reste chosique. La théorie quantique introduit à l’échelle des particules élémentaires un concept nouveau qui est celui de loi statistique. La nature de la matière amène à considérer des lois qui expriment en réalité des moyennes, elle permet de constater l’existence d’une régularité d’ensemble. La position d’une particule est décrite dans une région qui est comme un nuage de probabilité, sans que l’on puisse obtenir de précision plus exacte. En même temps, la matière est perçue non plus comme chose, mais plutôt comme une fonction d’onde.

    Ce remaniement modifie la portée de nos considérations sur la nature de la loi, mais sans enlever la pertinence de l’idée de loi elle-même, qui reste entière, en tant que visée de la recherche dans les sciences. Cependant, nous ne devons plus nous méprendre sur ce qui peut-être dit de l’existence même des lois scientifiques. Nous ne devons pas oublier que les mathématiques sont seulement un langage. Le physicien Max Plank va jusqu’à dire : « Il n’est pas évident que le monde obéisse à des lois physiques, il n’est même pas évident que la permanence de leur empire jusqu’à l’heure actuelle étant admise, il en sera toujours de même à l’avenir ». La science admet les « lois physique à titre de postulat primordial et préalablement à toute démarche afin de pouvoir vivre et se développer ». Nous ne savons pas exactement si la Nature obéit exactement à nos lois physiques. Nous ne pouvons faire autrement que de mettre au nombre de nos catégories a priori, le principe de causalité, l’idée de loi physique, et le déterminisme, tout en continuant d’interroger la Nature dans des expériences pour traduire leurs résultats dans des formules aussi générales que possibles. Cette généralité ne peut pas honnêtement se hisser jusqu’à l’universalité. Nous ne pouvons, d’un point de vue scientifique, nous prononcer sur l’être des choses à partir des seules lois physiques qui ont été découvertes. La loi scientifique n’est pas une loi métaphysique, elle n’est qu’une approximation relative de la notion de loi de la Nature que l’on poserait à partir d’une philosophie de la Nature admettant un déterminisme strict. La science classique part du principe selon lequel le monde de la science est déterminé, aussi croit-on que la science est déterministe ou elle n’est pas. Cette idée se retrouve dans la formulation du rêve de Laplace (texte) pensant qu’une intelligence supra humaine, si elle connaissait la position exacte de chaque corps physique, les forces de la Nature, pourrait enfermer la dynamique de l’univers dans une seule formule, et prédire exactement son statut à l’avenir. C’est là une sorte de fatalisme physique qui identifie le déterminisme et la prévisibilité, et ouvre grande les portes de la puissance de l’action technique sur le monde. Quel savant ne rêve pas de trouver cette formule qui enfermerait toutes les lois de la Nature ! L’esprit humain qui pose ce principe, parie en fait sur la réalisation de son vœu le plus cher, que le monde se plie exactement aux lois qu’il a découvert ! Nous voyons dans le réel des régularités, des répétitions, des concordances, et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que cet ordre vient d’une constance de la Nature qui pourrait être traduite dans des lois. (texte)

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    La théorie scientifique ne comporte guère d’éléments invariables, tels que l’on pourrait les repérer dans toute discipline qui se déclarerait comme scientifique. Le point commun des théories scientifiques tient surtout à leur effort d’idéalisation du réel dont l’accomplissement se trouve réalisé dans une formalisation mathématique. Pour le reste, les concepts fondamentaux dont se sert la science sont eux-mêmes en devenir et ne sont pas de l’ordre de dogmes que l’on pourrait définitivement fixer. Une théorie scientifique vaut surtout par sa fécondité explicative et non pas avec l’idée arrêtée de ce que devrait être une théorie.

    La théorie scientifique a le mérite d’accepter ses propres limites, tout en se prêtant à une vérification. Elle ne se met pas au dessus de toute discussion. Freud voulait faire admettre à Jung que la théorie de sexualité était un dogme fondamental de la psychanalyse. La théorie de la relativité, elle, n’est pas un dogme de la physique. La théorie scientifique gagne par là une validation dans de la communauté des esprits, dans le dialogue permanent de la raison avec la Nature. Il faut avouer pourtant que le fossé que l’on prétend trouver entre les théories qui sont scientifiques et celles qui ne le sont pas n’est pas très large. Les revirements de l’histoire des sciences, le scandale qu’ont toujours apporté les théories nouvelles, devraient nous donner plus de prudence et d’ouverture, sans que pour autant nous n’abandonnions l’idéal de rigueur qui fait tout la valeur de l’approche objective de la connaissance. La complexité du réel ne craint pas l’usage du paradoxe, elle est donc au fond servie par une manière de penser non-conformiste !

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Vos commentaires

Questions:

1. Quelle différence y a-t-il entre une hypothèse et une opinion?

2. Peut-on dire que dans l'histoire des sciences les hypothèses théoriques pertinentes finissent un jour par être définitivement admises?

3. Quelle différence marquer entre causalité et responsabilité?

4. Quelle différence y a-t-il entre la causalité linéaire et la causalité circulaire?

5. Une loi scientifique est-elle foncièrement différente d'une loi juridique?

6. Pourquoi trouvons-nous une grande satisfaction dans la formulation mathématique d'une loi que dans l'énoncé d'un principe?

7. Le déterminisme est-il un principe à l'œuvre dans les phénomènes ou une exigence de méthode et un présupposé de nos raisonnements?

     © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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