Leçon 39.   Science, raison et irrationnel    pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon   

    Hegel, qui fait de la philosophie la science spéculative par excellence, pose que: « Tout ce qui est rationnel est réel, tout ce qui réel est rationnel ». (texte) Avec pareille formule, ce qui tombe en dehors de la raison est de l’ordre de l’inexistant, de l’illusoire, ou du superflu. Il est dans la logique du rationalisme dogmatique de choisir le parti de chasser l’irrationnel en dehors de la réalité et de refuser de lui reconnaître une réalité, de n’accorder de pleine et entière réalité, qu’à ce que la Raison peut expliquer. Le rationnel, c’est tout ce qui a été expliqué ou maîtrisé par la raison qui se voit alors charger de la tâche de pourchasser l’irrationalité. De ce point de vue, l’irrationnel n’est que le fantôme de l’ignorance humaine.

    Pascal nous présente un point de vue très différent. Pascal en effet, est à la fois un des esprits scientifiques les plus brillants de son temps, mais il est aussi doublé d’un mystique. Dans les Pensées il nous dit que « la dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n’est que faible si elle ne va jusqu'à connaître cela ».Accepter qu’il puisse y avoir de l’irrationnel, c’est être rationnel. Il est rationnel de reconnaître les limites de la raison. Cette position s’allie aisément avec la foi. Les vérités de la foi sont supérieures à celles de la raison.

    Y a-t-il à une contradiction ? La question est:donc :  jusqu'à quel point la raison a-t-elle à s’occuper de l’irrationnel ?

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A. Le terreau de l’irrationnel et l’arbre de la science

    Poser un savoir comme rationnel demande immédiatement que l'on fournisse une définition de l’irrationnel : ce sont des termes qui duels. Il est d’usage, dans l’attitude naturelle, d’aller d’un contraire à l’autre, ici de penser en terme de rationnel/irrationnel, dans la logique de la dualité. Comment comprendre cette opposition ? (texte)

    Une solution commode consiste à poser que le rationnel, c’est ce qui a le privilège d'une reconnaissance par le savoir scientifique, l’irrationnel marque le domaine de la pensée préscientifique. L’interprétation courante que l’on donne de la représentation scientifique marque une rupture, par rapport à une pensée dite préscientifique. Si la science progresse, c’est en gagnant du terrain contre son contraire, l'irrationnel. La rationalité scientifique se définit comme une conquête contre l’irrationnel, dont relève les formes de savoir qui n’ont pas encore reçu une formulation positive (= scientifique au sens d’Auguste Comte).

    Tel est le débat inauguré par les Lumières, du combat de la Science, contre l'ignorance, mais réactualisé sous la forme d'un combat contre l'irrationnel. 1) sur le plan de son modèle, comme paradigme mécaniste d’explication de la Nature, contre les interprétations animistes de la Nature, l’anthropomorphisme et le finalisme etc. 2) sur le plan idéologique, pour faire valoir les acquisitions du savoir objectif dont la vocation est l’universalité contre tout ce qui n’en n’est pas. Et la liste est large : l’obscurantisme, sagesses traditionnelles, philosophies subjectives, superstitions, croyances religieuses, pseudo-sciences, ( celles qui usurpent le titre de science cf. la psychanalyse, le marxisme selon K. Popper), contre ce que les ultra rationalistes ont appelés les pata-sciences comme l’alchimie, l’astrologie, numérologie, iridologie, chiromancie etc. Contre aussi les médecines parallèles (acupuncture, ...

    ---------------Cependant, une critique ne suffit pas, il faut encore positivement exprimer l’idéal scientifique de la rationalité que l’on revendique. La science, depuis ses débuts, afin de se développer, a dû expliciter, démontrer et enseigner des paradigmes explicatifs. Elle a aussi dû combattre l’irrationnel en donnant des figures exemplaires de son idéal, montrer ce qu’est le scientifique et ce dont il est capable et en quoi il se démarque du non-scientifique.

   

    Autre exemple : Giordano Bruno, parce qu’il a soutenu que l’espace et l’univers sont infinis et qu’il existe une infinité de mondes analogues au nôtre, a été rangé dans l’avant-garde de la science moderne. Il est devenu aussi la figure exemplaire du martyr de la science. Son côté iconoclaste séduit. Il a été brûlé pour avoir contesté plusieurs dogmes de l’Église, en particulier parce qu’il avait affirmer l’infinité de l’univers, et qu'il admettait la réincarnation. Le mythe du martyr de la science est né avec lui. Il est facile de projeter sur lui un concept du scientifique moderne, en ne retenant que ce qui cadre avec notre interprétation actuelle, de ce que doit être la rationalité scientifique. Mais quand on lit ses textes, que découvre-t-on ? C’est avant tout un philosophe de la Nature,  qui entre mal dans le schéma de la représentation mécaniste de la science moderne. Il ne semble même pas avoir compris les travaux de Copernic. Il ne croit pas aux mathématiques. Il est dans son orientation très loin de l’idéal scientifique moderne. C’est plutôt un philosophe de la Nature mû par un enthousiasme mystique. C’est d’ailleurs ce qui a séduit les Romantiques. Il révère l’âme des astres et toute son œuvre est empreinte d’une vision lyrique d’une finalisme très éloigné du mécanisme. Giordano Bruno est l’exemple de ce que la religiosité cosmique constitue un ressort puissant de la recherche scientifique. Ce n’est pas vraiment un scientifique ...

    Newton passe pour une sorte de Père fondateur de la Science moderne. Il est connu pour ses Principes mathématiques d’une philosophie de la Nature et la célèbre théorie de l’attraction gravitationnelle. C’est à lui que l’on se réfère pour dire que le savant ne doit pas « feindre d’hypothèse », mais seulement observer, induire les hypothèse de l’observation. La forme géométrique de sa présentation des Principes est aussi un modèle que l’on admire pour son application rigoureuse de l’idéal de la mathésis universalis.. Newton est non seulement une autorité, mais il devenu un mythe de la science moderne. Au point que la majorité des historiens font l’impasse sur le reste de son œuvre et en gomme les aspects les moins orthodoxes. Ce n’est qu’à demi-mot que l’on dit que Newton s’est « un peu » intéressé à l’alchimie et qu’il faisait aussi de la théologie. Mais ce « peu » est énorme ! Newton a beaucoup écrit sur l’alchimie, plus encore que sur la théologie. Il connaissait très bien les alchimistes du Moyen-Age. Une historienne, Betty Dobbs précise : « Newton avait lu les alchimistes grecs, les alchimistes arabes, les alchimistes de l’Occident latin médiéval, de la Renaissance et de sa propre époque ». Il a même été chercher confirmation de ses propres vues dans la philosophie de Pythagore et sa mystique des nombres. Étrange scientifique que ce Newton !

    Mais il y a encore plus curieux dans la réception du travail scientifique de Newton. Comment a-t-il été considéré par ses pairs ? Newton inventait en fait un nouveau paradigme au sein de l’explication mécaniste de l’univers, le paradigme de électro-magnétisme. Et c’est le modèle scientifique qui a été critiqué par le mécanisme néo-cartésien. Ce qui a choqué les cartésiens, c’est l’obscurité de la notion nouvelle de force et l’idée d’une « action à distance » et non par contact. La théorie de la gravitation s’est heurtée a des résistances considérables quand elle est apparue, de la part les tenant du paradigme mécaniste issu de Descartes. Leibniz lui reproche d’avoir dans l’idée d’attraction universelle, introduit une « qualité occulte ». Selon l

   

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Vos commentaires

Questions:

1. Ne faut-il pas reconnaître que la notion d’irrationnel est historique et idéologique ?

2. Peut-on se faire une idée précise de l’irrationnel ou est-ce en soit contradictoire ?

3. N’y a-t-il pas un facteur irrationnel important dans les découvertes scientifiques ?

4. Sous quelles formes l’irrationnel apparaît-il dans le processus d’invention scientifique ?

5. A quoi se résume la critique de la raison de Feyerabend ?

6.  Dire que la raison ne peut pas tout appréhender, n’est-ce pas avouer en définitive qu’il y a une intelligence qui passe notre intellect ?

7. Dire que le réel est a-rationnel est différent que de prétendre que le réel est irrationnel. Où se situe la différence ?

 

    © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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