Textes philosophiquesSartre la réflexion et l'état de veille par rapport au rêveNous ne savons rien encore du rêve, qui est difficile à atteindre, puisque nous ne pouvons le décrire qu'en usant de la mémoire éveillée. Mais il est au contraire un terme de la comparaison établie par Descartes que je puis facilement atteindre : c'est la conscience qui veille et qui perçoit. Je puis en faire à chaque instant l'objet d'une conscience réflexive qui me renseignera avec certitude sur sa structure. Or cette conscience réflexive me donne tout de suite une connaissance précieuse : il est possible que, dans le rêve, je m'imagine que je perçois; mais ce qui est certain c'est que, lorsque je veille, je ne puis pas douter que je perçoive. Chacun peut essayer de feindre un instant qu'il rêve, que ce livre qu'il lit est un livre rêvé, il verra aussitôt, sans pouvoir en douter, que cette fiction est absurde. Or, à cette évidence de la perception nous pouvons opposer d'abord les cas fréquents où le rêveur passant soudain sur le plan réflexif constate lui-même, au cours de son rêve, qu'il est en train de rêver. Nous verrons même tout à l'heure que toute apparition de la conscience réflexive dans le rêve correspond à un réveil momentané ; bien que souvent le poids de la conscience qui rêve soit tel qu'il anéantit aussitôt la conscience réflexive, comme dans les cauchemars où le dormeur pense désespérément « je rêve», sans parvenir à se réveiller, parce que sa conscience réflexive disparaît aussitôt et qu'il est « repris par son rêve. Ces quelques exemples suffiraient à nous montrer que la position d'existence du rêveur ne peut être assimilée à celle de l'homme éveillé, puisque la conscience réflexive, dans un cas, détruit le rêve, du fait même qu'elle le pose pour ce qu'il est, au lieu qu'elle confirme et renforce la conscience réfléchie dans le cas de la perception. L'Imaginaire, IV, 4, p. 308-310. Indications de lecture:Voir le texte de Descartes auquel il est fait référence. Sartre prétend le réfuter, mais l'argument est superficiel. Le rêveur croit dans la réalité du rêve de la même manière que le veilleur. Il y a une constitution par la conscience de l'image, comme il y constitution de la chose dans la perception de la veille. cf. Leçons sur la Cosncience, ch. II. Il est possible de réfléchir en rêve et il existe même des rêves lucides. Descartes est plus subtil car il introduit l'idée d'une cohérence logique supérieure dans la représentation de la veille. Voir les leçons L'existence consciente, Le sujet conscient, Les formes de l'illusion. Il est faux de croire que la "réflexion" réveille quoi que ce soit, car la réflexion n'est pas la conscience et elle ne crée pas la conscience. Sartre se trompe et il ne saisit pas la phénoménalité commune à l'état de veille et au rêve, il en reste à un préjugé naïf sur la pensée. Quand un homme est perdu dans ses réflexion, il n'est pas du tout plus conscient. C'est justement là que l'on dit : "tu rêves?"
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