Arrêtons-nous sur une application de la dualité nature/culture. Le monde postmoderne a fait de la femme un objet. C’est la femme-objet que voyons sur nos magazines, c’est la femme-objet qui sert à attiser la convoitise, à vendre, qui permet d’imposer des stéréotypes, de former un idéal esthétique au service de la publicité. La femme-objet est une représentation, une image omniprésente, comme peut être omniprésente la sollicitation de la sexualité dans notre culture. L’un ne va pas sans l’autre. Sommes nous pour autant mieux au fait de ce que peut être la féminité parce que l’image de la femme est partout ? On peut craindre que non. L’image de la femme de la postmodernité n’est qu’une image, ce n’est pas l’essence de la féminité ; ce qu’une culture comme la nôtre en a fait, ce qui est très différent. Mais peut-on parler d’une « nature » de la femme indépendamment de sa représentation dans une culture ?
Bien sûr, il y a eu la révolte du féminisme, la sainte colère contre les valeurs traditionnelles de la femme-à-donner-du-plaisir, de la femme-au-fourneau, de la femme-à-faire-des-enfants, de la femme-artifice de la publicité etc. Mais le féminisme, dans son combat, n’est-il pas souvent passé d’un extrême à l’autre ? A en croire certains textes, devenir une femme, ce serait au fond faire comme les hommes et cela sur tous les fronts. Une femme, pour être femme doit-elle devenir un homme ? C’est absurde. On ne définit pas une essence en opposition avec une autre, on la définit par elle-même. Avons-nous dans notre culture un problème d’identité sexuelle liée à la féminité ?
La question classique est celle-ci: la féminité est-elle un artifice de culture, ou une différenciation de nature ?
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Par nature, on entend – dans un contexte traditionnel – ce qui constitue les caractères propres d’une existence donnée, et ce qui oriente en quelque sorte son devenir. Il est dans la nature du feu de brûler. Il est dans la nature du gland de devenir un chêne et certainement pas un abricotier, il est dans la nature du bouton de rose devenir une rose et pas un lilas, ou un tournesol. La nature contient en germe les virtualités qui sont appelées à se réaliser, conformément à la Nature, conformément aux lois de la Nature, lois non humaines qui déterminent le devenir d'une chose naturelle. Aristote dirait que le petit écureuil contient en puissance (R) l’écureuil adulte et que la croissance ne fera que réaliser son Idée, l’Idée d’écureuil. Il ne peut faire autrement que de réaliser sa nature. Quand il devient adulte, il a réalisé en acte, ce qui était en lui en puissance.
--------------- 1) Il ne vient pas à Aristote l’idée que l’homme pourrait faire exception à la règle, car lui aussi fait partie de la Nature. Cependant ici, Aristote pense bien évidemment au genre humain et non à la nature masculine. Cependant, nous serions en droit de parler aussi d’une nature de la femme qui est encore en puissance dans la petite fille, puis qui s’éveille quand elle devient jeune fille et que naturellement, elle devient femme, sans qu’intervienne autre chose qu’un processus naturel par lequel se réalisent ses potentialités féminines. Les potentialités de l’Idée de la femme s’ouvrent et se déploient comme le bouton de rose à un moment devient rose, sans que cela fasse mystère. La jeune fille devient ...
J’entends d’ici l’orage des objections gronder ! Ce n'est pas du tout de cette manière que nous pensons aujourd'hui la féminité.
a) Première raison : ce type d’analyse ferait hurler les tenants du culturalisme !) Comment ! ! On ne naît pas femme on le devient (c’est Simone de Beauvoir qui le dit dans Le Deuxième sexe). Et puis, l’idée de « femme », c’est un concept culturel, au même tire que, la politesse, les croyances et le langage, un concept culturel parmi d’autres, un concept relatif, donc variable d’une culture à l’autre. Artifice de culture. Un point c’est tout.
b) Il y a une seconde raison, plus large, qui nous permet, à nous autres modernes, de refuser le concept de nature. L’idée de nature d’une chose participe d’une représentation de la Nature qui est typiquement celle du paradigme finaliste, paradigme qui n’a plus court dans notre paysage intellectuel depuis des lustres. Pour nous autres modernes, la Nature est pensable d’abord selon le paradigme mécaniste, elle est d’abord et avant tout une vaste machine, régie par des lois physiques, des mécanismes que la science explique. La « nature » d’une chose, cela ne veut rien dire de précis dans ce contexte, il y a bien des propriétés biologiques, des propriétés physiques, des éléments, mais une « nature » ? C’est quoi ? C’est un terme vague pour nous, un terme qui enveloppe une sorte d’animisme primitif. La nature d’une chose, c’est un peu comme cet « esprit » que le « primitif » voit dans le vent, dans l’eau, dans l’antilope. Ce n’est pas objectivable, ce n’est pas très "scientifique". Nous avons été formé dans une science fondée sur un paradigme mécaniste, et dans ce modèle, il n’y a pas de place pour l’idée de « nature d’une chose ».
c) L’implication concrète en est que, lorsque nous nous interrogeons sur la nature de l’homme, nous ne pouvons que la ramener à ce qui est objectivable, nous la réduisons immédiatement à son corps, à sa biologie. Le corps est le support de ce qui est inné, ce qui est naturel - et tout le reste, c’est de l’acquis – ce qui est culturel -. Dès lors, dans la logique même du paradigme mécaniste, il ne saurait y avoir un inné spirituel, une nature spirituelle, l’inné, c’est de l’organique. Nous nous glorifions d’avoir entièrement inventé l’homme comme être de culture, un être qui ne doit plus rien à la nature, rien à part ce corps-objet, somme de mécanismes biologiques. Il nous est donc par là même impossible de parler d’une « nature » de la femme. La femme, c’est une invention « sociale », une figure « historique », un « artifice » : un être de culture qui ne doit plus rien à la Nature.
2) De ce point de vue, s’il y a du « naturel » dans la féminité, ce doit donc être dans la structure du corps et sur ce chapitre il n’y a beaucoup moins à dire par rapport à la réappropriation culturelle de l’idée même de femme. C’est vrai qu’une femme par son corps diffère d’un homme. Du point de vue physique : il y a des différences ; si tout être humain vit, sent, éprouve, souffre dans son corps de la même manière ; la femme a pour elle sur le plan objectif de sa physiologie des attributs distinctifs :
- a) - qui ont trait à son apparence naturelle, ceux par lesquels justement de part son corps elle est féminine. Une femme a des proportions particulières, une intonation de la voix, une gestuelle, une manière d’être au monde, qui ne sont pas celle de l’homme. Il y a dans la démarche d’une femme un mouvement particulier qui identifie immédiatement la féminité. La musculature des femmes est moins développée que celle des hommes, globalement leur taille est plus petite. Le bassin des femmes est plus large que celui des hommes. Un biologiste ajouterait aussi que l’importance de la poitrine chez la femme lui impose un port particulier du buste pour soutenir le poids des seins, port que n’aura pas un homme. Il fixerait aussi d’autres détails : en ce qui concerne la pilosité de la peau qui est nettement moins abondante chez la femme que chez l’homme. Les traits du visage sont chez la femme plus fins et plus réguliers. Plus généralement, le corps féminin enveloppe une grande harmonie que celui de l’homme. De ce point de vue, il est tout à fait possible de regarde la femme comme un objet esthétique, un objet à...
- b) Des attributs qui ont trait à sa fonction naturelle, car elle seule peut porter l’enfant et donner la vie. L’allaitement et la maternité sont naturellement inclus dans la biologie du corps féminin. Au regard de quoi, pour être assez brut et vulgaire, on dirait que la femme est biologiquement une femelle. Une jeune fille découvre souvent sa nature de femme avec la grossesse. Porter l’enfant dans son ventre, c’est retrouver un caractère que la jeune fille ignore encore, celui de pouvoir donner la vie. La fécondité selon la chair est un attribut spécifiquement féminin, l’homme ne pouvant connaître que la fécondité selon l’esprit. L’allaitement instaure une relation dans la durée, la relation entre la mère et l’enfant par laquelle une femme découvre en elle ces qualités qui font d’elle un être qui s’épanouit dans le don de l’amour, dans le soin qu’elle a pour l’enfant. La femme, de ce point de vue, se définit dans sa fonction qui est de porter l’enfant et de l’éduquer. La réduction de la femme à sa fonction biologique est une représentation commune, une représentation machiste. Dans les campagnes, on juge la valeur d’une nouvelle jument à sa capacité de faire des poulains : « une belle bête qui va bien donner ». On a souvent regardé les femmes de la même façon en guise de préparation au mariage : « une femme bien faîte avec des hanches bien larges qui te donneras des enfants solides » !
---------------- c) La différence que nous mettons le plus souvent en valeur entre un homme et une femme est avant tout sexuelle. Le corps féminin est, du point de vue de la vitalité fruste qui ne voit dans la femme que ses attributs sexuels, un corps-objet, l’objet du désir de l’homme. C’est sur ce concept que s’appuie la pornographie. La femme ainsi définie, est cet objet capable de procurer du plaisir, objet d’une l’étreinte fugitive, objet de fantasmes dont l’unique finalité est d’assouvir le plaisir sexuel, d’atteindre l’orgasme pour évacuer au plus vite la pulsion, en lui donnant satisfaction. Le corps-objet ne vaut plus alors que par l’exhibition de ce qui appelle la pulsion : seins plantureux promis à des mains avides et orifices de chair livrés aux violences du mâle en rut. Tout ce qui dans le corps-objet appelle la pulsion est démultiplié dans l’image et toute l’inventivité de la représentation n’est plus alors que la redite ennuyeuse des fantasmes préliminaire à la pénétration, tout ce qui reste du corps féminin, n’est plus que son usage comme vagin, un gant de chair au service de la masturbation. Il est indéniable que la culture occidentale a réussi en ce domaine à franchir toutes les limites que les cultures traditionnelles avaient fixées. Elle a tellement su ramener le corps à un objet, qu’elle a ramené le corps féminin à un corps-objet du plaisir de l’homme. Ce faisant, elle a fini, avec forces représentations, par dissoudre la violence faite à la femme dans l’esthétisme, au point que la violence elle-même finisse par passer pour de l’amour. (texte)
Le point commun entre ces diffé
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© Philosophie et spiritualité, 2003, Serge Carfantan.
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