Il est admis communément que le langage est la fonction grâce à laquelle la pensée s’exprime à l’aide de signes. Mais cette définition va peut-être un peu trop vite en besogne, car quel contenu attribuer à cette "pensée" qui traverse le langage ? Le chimpanzé qui s’exprime pour avertir ses congénères d’un danger se sert d’un cri, mais ce cri est-il une pensée ou est-ce un simple signal pour provoquer la fuite devant le prédateur ? On a pu répertorier une trentaine de sons utilisés par les chimpanzés entre eux : celui de la faim, de l’inquiétude, de l’appel, de l’alarme, etc. Faut-il y voir un langage ?
Ce n’est pas la même chose que de considérer le langage comme moyen d’expression et de le voir sur le modèle des langues humaines, de se servir d’une langue humaine comme modèle du langage. S’agissant de l’homme, nous ne pouvons manquer de définir le langage comme expression de la pensée. Mais le terme d’expression n’est-il pas justement plus large que celui de pensée ? Ce qui est en jeu donc, c’est non seulement la différence entre le langage animal et le langage humain, mais la caractérisation précise de la manière dont se produit la signification dans l’usage du signe. Comment le langage parvient-il à signifier ?
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Quand nous nous approchons d’un buisson où se tiennent des oiseaux, nous pouvons remarquer qu’ils modifient leur manière de chanter à notre approche. L’oiseau module son chant d'une manière précise, suivant la présence d’une espèce hostile, neutre ou amicale. Il ne le fait pas évidemment par hasard, ni pour lui-même, mais pour ses proches qu’il avertit de cette manière. C’est-à-dire, qu’en tant que locuteur il émet, dans un certain langage, une information vers un interlocuteur, ses congénères. Difficile de refuser de voir là un langage. Nous voyons, par de simples observations très communes, que les mammifères et les oiseaux expriment leurs besoins et leurs émotions par des cris. De là à considérer les besoins et les émotions comme des formes rudimentaires de pensée il n’y a qu’un pas, que l’on franchit très vite en prêtant même à l’animal un langage analogue au nôtre. (texte)
1) Cependant, il est possible, en suivant les analyses de la psychologie du comportement tirée de Pavlov d’éviter une telle conclusion. Quand le chimpanzé voit la panthère approcher de l’arbre au pied duquel il se tient, il réagit par la fuite. On dit qu’un stimulus déclenche une réponse :
A - ð - C
(vue du prédateur) (comportement de fuite)
Dans cette perspective, comme le montre H. Laborit, on ne laisse à l’animal que trois types de comportement : la fuite, l’inhibition, ou bien le combat. Nous savons qu’il est possible de provoquer des stimuli et de les associer à des comportements. C’est ce qui se produit dans le dressage. C’est ce que Pavlov définit comme réflexe conditionnel. Le chien qui appuie sur une manette quand s’allume la lampe rouge, a été dressé à le faire au moyen de répétitions d’expériences. On peut ainsi de manière artificielle fabriquer un signal conditionnel pour déclencher un comportement. La liaison entre le signal et le comportement n’est pas pensée, elle est purement mécanique, répétitive, de l’ordre d’un automatisme acquis. Il suffit de rendre ce schéma un peu plus complexe pour donner une explication comportementaliste du langage. Quand le guetteur pousse un cri, cette fois-ci en direction de toute sa tribu, il émet un signal, ce signal joue le rôle d’un stimulus indirect, celui qui correspondrait au stimulus direct de la vue du prédateur. La troupe de singes réagit et s’égaille aussitôt dans les arbres.
A (cri du guetteur) Ê
B (vue du prédateur)
Ã
C (comportement de fuite)
---------------On peut dire qu’une information circule entre les animaux, mais il faut alors prendre garde au caractère purement réflexe de cette transmission. Dans le dressage, on utilise en quelque sorte des montages de réflexes qui se trouvent dans le système nerveux, tout particulièrement dans la moelle épinière. Le rapport entre le signal conditionnel et le stimulus premier n’est pas pensé par l’animal, il est seulement reproduit comme pure réaction. En d’autres termes, le signal n’est pas intelligent, mais bel et bien mécanique. Personne ne contestera que dans la Nature les animaux disposent d’un système de signaux, mais pour parler de langage, il faudrait prouver qu’en réalité il dispose d’un système de signes porteur d’une pensée, ce qui n’est pas la même chose. Ou alors, nous devons réviser notre définition précédente et appeler langage tout système de signaux.
Pavlov sur ce point avoue lui-même son allégeance au paradigme mécaniste de Descartes qui dans ses Lettres ne dit rien d’autre. Descartes précise en effet que « notre corps n’est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais ...il y a aussi en lui une âme qui a des pensées », ce qui sous-entend que le corps de l’animal est une machine qui se remue de soi-même, tandis que le corps humain est habité par la pensée, ce qui implique deux formes différentes d’expression. La pensée, entendue de cette manière, désigne tout autre chose que de simples réactions venues du corps telles que les cris (ce qu’il nomme des passions). La pensée est intellectuelle, elle est une pensée réfléchie. C’est cette pensée, qui est le propre de l’homme, qui peut-être exprimée par différents signes, que ce soit des signes verbaux ou gestuels. « Les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix ». Non seulement cela, mais il faut encore ajouter que la structure du système nerveux de l’animal fait aussi que ce qui est obtenu par le dressage chez lui entre encore dans la même catégorie que les cris. « Si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu’elle la voit arriver, ... ce sera un mouvement de l’espérance qu’elle a de manger, si l’on a toujours accoutumée de lui donner quelque friandise, lorsqu’elle l’a dit ; et ainsi toutes les choses qu’on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes ne sont que des mouvement de leur crainte, de leur espérance et de leur joie, en sorte qu’ils les peuvent faire sans aucune pensée ». (texte)
Il est pourtant assez difficile de comprendre ce que peut bien vouloir dire « crainte », « espérance » ou « joie » sans conscience ! La crainte enveloppe la représentation d’un danger à venir, l’espérance la représentation d’un futur, la joie une plénitude de conscience momentanée. Peut-on réduire ces émotions à des mouvements mécaniques du corps ? Comment prétendre y voir seulement des réponses organiques sans élément de conscience ? Ma montre ne connaît pas la joie, la crainte ou l’espérance. Ce n’est qu’une machine. L’animal, lui éprouve des sensations, possède une mémoire et donc établit des associations entre le présent et le passé. Il ne peut pas, semble-t-il, « réfléchir » sa pensée dans des concepts et s’exprimer dans un langage abstrait, mais toute ré-flexion suppose nécessairement une première flexion. Cette flexion première de la pensée est pensée immédiate, une pensée immédiate qui rend possible chez l’homme la pensée réfléchie. La psychologie du comportement doit nécessairement reconnaître cette dimension de pensée immédiate, même si elle veut nous faire renoncer à l’idée selon laquelle l’animal serait doué de pensée, au sens de la pensée réfléchie. Il peut se trouver dans la Nature que certains animaux disposent d’organes capables de reproduire la parole humaine, mais posséder un tel organe et en user pour exprimer des pensées à l’image de l’homme est une autre chose. « Les sourds et muets inventent des signes particuliers par lesquels ils expriment leur pensée », mais « ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et l’on ne peut dire qu’elles parlent entre elles ; mais que nous ne les entendons pas ; car... ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées s’ils en avaient ».
Le texte de Descartes est très clair. Le cri est déjà une expression, mais il n’est pas une idée. Cette expression peut-elle donner lieu à une information ? Il est indéniable que dans leurs cris, les animaux transmettent quelque chose à leurs proches. Est-ce que ce n’est pas plus qu’un signal ? L’abeille éclaireuse qui danse devant la ruche semble utiliser un code très précis pour indiquer la direction dans l’espace et la distance d’une source de nourriture. Il serait assez compliqué de reproduire par concept ce message dans notre langage humain : « là bas, au sud-ouest, environ trois cents mètres, nourriture ». Ne peut-on voir dans la danse un signe qui renvoie à un signifié, le lieu où sont les fleurs ? Pour dire la même idée, l’homme doit disposer plusieurs phrases et user d’une syntaxe. La question reste entière.
Repérons, pour l'instant, les distinctions les plus importantes entre langage animal et langage humain (document) selon la linguistique :
1° le langage chez l’animal, est inné, héréditaire, toujours le même pour une même race d’abeilles ou d’animaux. Il ne s’est guère modifié depuis des millions d’années. Il relève de l’hérédité biologique. Le langage humain par contre est acquis, il est enseigné et l’enseignement passe justement par l’acquisition de signes. Il relève donc de l’héritage culturel et non pas de l’hérédité biologique. Il a connu des changements très importants dans l’Histoire, à un rythme qui est beaucoup plus rapide que celui de la Nature. Le langage est en constant devenir dans l’Histoire des hommes.
2° Le langage de l’animal est très bien adapté à l’expression de certaines situations naturelles, tellement d’ailleurs que cela marque ses limites les plus étroites. Von Frish, le chercheur qui a travaillé sur le langage des abeilles, a ainsi pu montrer que les abeilles ne pouvaient pas dire une hauteur dans leur langage. Si on leur met une coupe d’eau sucrée sur un pylône, elles sont seulement averties de l’emplacement au sol et elles tournent en rond sans trouver la coupe. Aucune fleur ne pousse dans les nuages et il n’y a donc rien de prévu dans le langage des abeilles pour dire « en haut ». Cet exemple nous montre la rigidité du langage animal. Tout à l’inverse, les mots humains possèdent une immense souplesse d’emploi qui les rend capable de quasiment tout dire, sans se limiter à quelques situations d’expérience bien repérées dans la Nature.
3° On ne voit pas comment les systèmes de signaux pourraient devenir des éléments de communication. L’abeille, qui voit l’éclaireuse exécuter sa danse, ne lui répond pas par un autre message. Les abeilles répondent au message par une conduite. L’abeille éclaireuse donne ainsi à la limite un ordre ou une information. Les autres ne répondent pas au message par un autre message. Tant qu’il n’y a pas de réponse linguistique, il n’y a pas de dialogue, or n’est-ce pas justement la vertu du langage humain de constamment pouvoir ébaucher un dialogue ? Le langage humain sollicite immédiatement une pensée ; même quand il est rudimentaire, il entame un dialogue. Il n’est pas voué d’abord à donner une information unilatérale ou un ordre.
4° Ces caractères précédents sont ramenés par les linguistes à des structures du langage. On dit que le langage animal est dépourvu d’articulation et que le langage humain est articulé. Cela implique que les éléments du langage animal sont très stéréotypés et ne peuvent pas se décomposer pour être utilisés différemment dans un autre énoncé. La direction et la distance de l’objet figuré dans la danse ne sont pas séparables du bloc que forme l’information. Ce genre de signe ne ressemble pas à des mots que l’on peut déplacer dans d’autres contextes, que l’on peut prendre au sens propre ou au sens figuré etc. Un discours humain peut s’analyser avec précision dans des termes très identifiables. Bref, le mot a une remarquable aptitude à symboliser une pensée complexe, ce qu’un système de signaux ne peut pas faire.
On peut donc en déduire que ce n’est pas seulement une différence quantitative qui sépare le langage animal du langage humain, au sens où nous disposerions de milliers de mots par rapport aux 35 sons du chimpanzé. La différence est plus radicale, c’est une différence qualitative. Ce n’est pas un langage de la même nature. Le langage de l’animal exprime une pensée immédiate, liée à la prescription des besoins. Il est orienté vers l’adaptation au milieu. Il est d’abord fait pour prolonger les réactions instinctives immédiates.
Mais cela ne veut pas pour autant dire que l’animal soit dépourvu d’intelligence. Cela ne veut pas dire que l'intelligence et le langage soient non plus identiques. Il y a au moins trois formes distinctes d’intelligence :
a) L’intelligence abstraite qui se meut dans le pur concept comme en mathématiques (celle que mesure le QI).
b) L’intelligence relationnelle qui régit les rapports entres les individus. C’est ce qui donnera à certains une grande habileté dans la manière de faire travailler ensemble des personnes.
c) L’intelligence concrète qui est ingéniosité, habileté à résoudre des problèmes pratiques. C’est le type d’intelligence de l’inventeur ou du bricoleur astucieux.
La culture occidentale nous a habitués à valoriser surtout l’intelligence abstraite, celle du concept ; aussi, quand on se tourne vers l’animal, on voudrait qu’il soit intelligent à notre manière, on aimerait le voir faire des opérations mathématiques ou s’exprimer dans un langage conceptuel comme le nôtre. Comme il n’y parvient pas, on déclare un peu vite que l’animal n’est pas intelligent. (texte) Si nous ne pouvons pas comprendre le langage des animaux, ce n’est pas parce qu’ils n'ont pas de pensée, ce n'est pas parce qu'ils ne communiquent pas, mais que l’homme ne parvient qu'avec difficulté à penser une intelligence qui n'est pas modelée sur le modèle de la sienne. Par opposition à la langue humaine, qui nous sert de référent dans la comparaison, le langage animal est assez pauvre, stéréotypé. Il est erroné de croire que les animaux signifient comme les êtres humains, sous la forme de phrases, en manipulant des concepts, et élaborant une représentation. Ce qu’il faut comprendre par contre, c’est que beaucoup d’espèces animales manifestent un très haut degré de formes d'intelligence qui ne sont pas forcément développées chez l'homme. Le dauphin a une conscience très aiguë de ses proches, il est à tout instant prêt à leur porter secours. Il perçoit avec un sonar, comme en volume et garde avec son environnement une conscience d'unité, là où l'être humain pense et perçoit dans la séparation. Certaines espèces animales sont douées d’une ingéniosité remarquable. Le castor possède un sens étonnant de la fabrication des digues. Il sait organiser une structure, repérer si elle est correcte ou pas, la réparer dès qu’un défaut apparaît. Beaucoup d’oiseaux savent faire des nœuds, ce dont les singes semblent incapables. Certains insectes tissent comme l’être humain et avec un soin tel que l’on croirait les coutures faites à la machine à coudre. Mais comment comprendre cette intelligence qui ne passe pas par des concepts ? Comment comprendre une pensée qui n'élabore pas un projet avant de le réaliser? Une pensée non-intentionnelle peut-elle être intelligente ?
---------------Même si l’animal ne s’aventure pas de lui-même en dehors de la pensée immédiate, il est important de reconnaître l’intelligence, la richesse et la complexité de la pensée immédiate. N’en déplaise aux partisans du paradigme du mécanisme,
l’homme n’a pas le privilège de l’intelligence, de la sensation, de la mémoire et des sentiments. L’animal est capable de souvenirs, d’émotions, de frustration, de jalousie, et d’attachement. Rousseau d'ailleurs admettait que c'est par la liberté que l'homme se différencie de l'animal et non pas la pensée. Parce que l’animal est déjà une Vie qui s’éprouve elle-même, il enveloppe déjà la dimension de l’affectivité. L’erreur serait de conserver une conception trop réductrice de l’intelligence. Chaque espèce vivante est dotée d’aptitudes et de moyens d’information qui lui sont propres. Les zoologues contemporains admettent aujourd'hui que plutôt que de vouloir penser l’animal sur un modèle humain, il faudrait tenter de cerner la spécificité de chaque espèce dans sa forme de conscience et son type spécifique d’intelligence. Les travaux entrepris pour tenter d’apprendre à des chimpanzés un langage humain, avec des pastilles de couleur, ou l’utilisation du langage des sourds-muets avec le gorille ont une pertinence, mais les résultats restent décevants. Dans le principe ils sont limités. Ce langage n’est pas naturel. Il vient de l’homme, le singe ne l’invente pas. On s’étonne alors du fait que, lorsqu’il s’en sert, c’est surtout pour exprimer un besoin et non pour tenter une « réflexion » à l’image de l’homme. Le chimpanzé n’arrive pas à établir un raisonnement causal. Il ne sait pas utiliser une syntaxe. Il peut manipuler des mots, sous la forme de morceaux de plastique, mais il ne parvient pas à les manipuler pour faire des phrases cohérentes, ce que l’enfant sait faire très vite. Il est pourtant assez ingénieux, capable de se servir d’un outil et de résoudre des problèmes pratiques. La femelle chimpanzé apprend à son petit comment on prépare un bâton et comment on l’utilise pour manger des fourmis avant d’être attaqué. L'intelligence n'est pas enfermée dans la manipulation des concepts, elle l'excède, l'intelligence créatrice dans la Nature ne se limite par à l'intelligence conceptuelle chez l'homme..
Venons-en maintenant aux éléments de linguistique de base que nous devons assimiler pour aborder l’étude du langage humain. La linguistique est définie comme un sous-ensemble de la sémiologie, science qui étudie les éléments cognitifs tels que les signaux, les indices, les icônes, les symboles et autres signes linguistiques.
1) Le langage humain est un système de signes, mais tout d’abord, cela exclut-il toute valeur de signal ? Le langage humain conserve, dans certains cas, une valeur de signal. Quand un régiment défile et que le sergent crie « halte », les soldats réagissent par un comportement en claquant les talons pour se mettre au garde-à-vous. On peut dire que le mot « halte » est une sorte de stimulus capable d’entraîner une réponse qui est ici une réponse active. Il en serait de même pour tout emploi du mot à caractère de provocation émotionnelle. Un cri qui demande "à l'aide !" est de cet ordre. Tous les ordres brefs rentrent dans cette catégorie ainsi que les appels Le sergent se sert du langage comme d’un simple signal. Ce qui est remarquable dans cette situation, c’est qu’en fait, comme il s’agit d’un signal d’action, l’homme qui entend n’a pas besoin de chercher à « comprendre » ou à « interpréter ». Il suffit qu’il se borne à répondre au signal par un conditionnement qui a été appris.
Le processus de réponse à un signal par un conditionnement n’est pas intelligent. A la limite dans ce cas, le stimulus peut ne pas passer par la parole et être aussi efficace. C’est ce que l’on rencontre dans le système de signaux du code de la route. Le panneau de circulation est d’abord un signal avant d’être un signe. Il ne requiert qu’une simple reconnaissance conditionnelle et non pas une interprétation. A la limite, pour qu’il soit efficace, il doit être simple et suggestif pour ne pas appeler une réflexion quelconque. On ne demande pas à l’automobiliste une réflexion mais surtout des réflexes ! C’est le signe qui invite la réflexion, le signal lui invite surtout le réflexe. Le code de la route vient quadriller le fonctionnement social des transports routiers ; il en fait la régulation quasi-mécanique, selon une théorie qui s’apparente à la physique des flux. L’automobiliste, du point de vue du code, n’est pas supposé d’abord très intelligent, il est seulement supposé informé, ce qui n’est pas la même chose ! On souhaiterait même qu’il réponde mécaniquement aux sollicitations des signaux, comme un animal bien dressé, car cela permettrait d’éviter les accidents ! Si devant le panneau « ralentir » je réagis immédiatement de façon conditionnelle en levant le pied, je fais exactement ce que l’on souhaite que je fasse. Les concepteurs des systèmes de signaux savent qu’il faut faire simple et direct, qu’il faut modeler le signal sur une simple réaction, et éviter toute ambiguïté qui pourrait éveiller une réflexion. Avouons-le, dans le principe, nous ne sommes pas loin de la situation du chien de Pavlov devant la lampe rouge avant que la décharge électrique n’arrive !
Pourtant, l’homme reste ce qu’il est, c’est-à-dire un être intelligent capable, de par sa pensée, d’interpréter des signes et en un sens chez lui, même le signal est pensé, mais c’est là une pensée minimale, puisqu’elle se résume à un ensemble d’automatismes qui ont été acquis. C’est cette information que l’on donne dans l’apprentissage du code.
2) La spécificité du langage humain doit se caractériser par le type d’intelligence propre à l'homme, et donc par un certain nombre de traits fondamentaux des systèmes de signes. La pensée conceptuelle chez l'homme ne se développe vraiment que dans l’usage des signes. C’est l’aspect que retient tout particulièrement la linguistique contemporaine. La linguistique structurale est concernée par le langage en tant que système de signes. Pour être plus précis, ce qu’elle analyse, ce sont d’abord les signes verbaux.
---------------Qu’est-ce exactement qu’un signe ? Pour acheter un bouquet, j’utilise un billet de banque ou de la monnaie. Réduit à sa forme concrète, le billet n’est qu’une feuille de papier, il ne vaut pas grand-chose. Mais ce n’est pas ainsi que nous le considérons dans l’échange ; nous en faisons le symbole d’une certaine somme d’argent, voire d’une quantité d’or déposée à la banque. Le billet en fait représente une certaine somme d’argent. Ce qui fait sa valeur est une abstraction instaurée par la représentation. Nous pouvons dire, de même, que le mot représente un idée ; il est un son concret qui sonne à l’oreille, que le perroquet sait répéter, mais c’est surtout un son qui possède un sens dans une langue. Privé de sa représentation, le billet est un bout de papier sans valeur, privé de son sens, le mot est une sorte de gazouillis curieux qui n’a plus d’intérêt qu’esthétique. C’est notre expérience en présence d’une langue dont nous ne comprenons pas un seul mot. Les gazouillis du chinois, le chant rauque du russe ont chacun leur charme - quand on n’y comprend rien.
Un signe est donc un substitut symbolique d’une réalité posée par la pensée, qui correspond à la manière dont la pensée s’exprime chez nous autres humains. Parler avec des mots, c’est en quelque sorte se donner une image auditive des idées qu’ils représentent, les évoquer, les dire, les échanger. Attention, nous devons comprendre des idées et non des choses. Le mot « pomme » renvoie à cette chose sucrée et douce qu’est la pomme. Pourtant quand je le prononce, ce que j’ai en vue, c’est l’idée de pomme. Le mot « liberté » ne renvoie à aucune « chose », mais il désigne aussi une idée. Même quand nous pensons à la pomme, nous n’avons pas en vue telle ou telle pomme, mais un concept , le genre auquel correspond ce fruit la pomme. Le concept est dans son usage, inséparable du mot. Les mots nous permettent de nommer des aspects de plus en plus complexes de la réalité. La pomme golden n’est pas la reinette ni la canada. Un genre se subdivise en différentes espèces, il est par nature abstrait.
Quand nous disons que le langage utilise des signes, nous voulons par là expliquer qu’il permet de composer des énoncés symboliques donc la vocation est la
signification. La signification suppose le partage d’un sens. L’homme parle non seulement dans le but d’agir, (des signaux pourraient suffire), mais surtout dans le but de
signifier à autrui. Une valeur élémentaire des systèmes de signaux montre qu’ils ont une vocation de transmission d’informations, mais un système complexe de signes peut aller plus loin. Dans le langage humain, le moindre mot peut-être exprimé, compris, commenté, expliqué etc. en bref, la signification se déploie dans les valeurs de la communication. Cela nous montre que la vocation pratique du langage n’est pas son plus haut degré, le langage trouve davantage dans la communication du sens sa vraie valeur plutôt que dans la visée d’une action.
3) Reste à rendre compte de la structure par laquelle la signification est inscrite et se déploie dans le langage. Partons du plus petit élément pour remonter vers le plus large. Un son musical quelconque ne signifie rien. Si on analyse la verbalisation dans son découpage le plus fin, on obtient un son qui peut ne pas prendre de signification. Le son « i » dans « nid », est seulement un son, ce n’est pas encore du sens. Une langue est faite à partir de certains sons. On parle en linguistique de phonèmes. Chaque langue utilise une gamme de phonèmes et ceux-là seulement. C’est un peu comme dans la musique modale, où il existe une gamme dont le musicien ne s’écarte pas. Une trentaine de sons suffisent pour fabriquer une langue comme le français. Il est remarquable que les langues n’utilisent pas les mêmes phonèmes, certains leur étant communs et d’autres pas. En français et en allemand, il y a un son « ü » et « é » que l’on ne rencontre pas en anglais. Cela explique nos difficultés pour apprendre une langue nouvelle. Nous sommes habitués aux phonèmes de notre langue maternelle, nous butons sur ceux qui ne figurent pas dans la langue qui nous est habituelle. Un locuteur anglais aura toujours tendance à tire les « ü » ver le « ou », car dans sa langue « ü » n’existe pas.
Le découpage analytique en phonèmes est ce que les linguistes nomment la seconde articulation du langage. Cf. André Martinet Eléments de linguistique générale.
Il faut aller plus haut pour trouver la signification. Si j’entends vaguement une conversation, je pourrai repérer des sons, mais cela ne me donnera pas des bribes minimales de signification. J’entendrai « rendez-vous »... « acheter », « non »... Ces éléments premiers sont les monèmes ou plus petites unités signifiantes. Ainsi je pourrai dans la conversation être frappé par quelques mots et dire: « d’après ce que j’ai vaguement entendu, il devait être question de la vente d’un appartement, de plusieurs personnes car il a dit 'on' ». Le monème est une sorte d’atome de signification, ce qui ne l’identifie pas au nom, ni à la seule racine. Le mot « chantons » ne contient pas qu’un seul monème mais deux : il y a le mot chant qui possède un sens, mais aussi la terminaison -ons qui indique la première personne du pluriel. Les monèmes d’une langue comprennent donc toutes les racines et tous les suffixes et préfixes qui permettent de décliner diversement les racines, de composer des verbes, des adjectifs, des adverbes etc. On peut avec seulement quelques milliers de monèmes constituer des dizaines de milliers de mots qui font une langue. Les linguistes donnent cette analyse pour la première articulation du langage.
Mais cela n’est pas encore réellement la signification. Des mots projetés pêle-mêle ne font pas une signification. La pensée ne peut pleinement s’achever que dans la phrase. Le sens n’est en fait ni contenu dans les phonèmes, ni dans les monèmes, il se cristallise dans des énoncés linguistiques. Ce qui compte, ce n’est pas la longueur ou la brièveté d’une énonciation, c’est sa capacité de rendre la totalité de l’idée. Si, devant un danger d’effondrement d’un étalage quelqu’un crie « attention, sauvons-nous », la phrase est courte, mais l’idée est claire et complètement exprimée. Les mêmes mots pourraient très bien se rencontrer dans un autre énoncé linguistique où ils revêtiraient un autre sens. « Je fais ce travail avec attention », « il a sauvé la situation ». On rencontrera ailleurs le - ons , le nous etc. Ce qu’il importe de noter, c’est que la signification se manifeste dans une totalité, mais cette totalité est exprimée avec des éléments, des parties que sont des mots. La compréhension impose une saisie globale et jamais fragmentaire. Une intention de signification de la conscience est une totalité de sens qui se manifeste dans une totalité expressive et celui qui l'entend ne peut la comprendre qu'en totalité.
Les énoncés linguistiques appartiennent eux-mêmes à un tout plus élevé, celui de la langue. Quelle idée nous faisons-nous d’ordinaire de la langue ? Pour le sens commun, la langue est une sorte de collection de mots dans laquelle nous puisons pour communiquer nos pensées à autrui. Jusqu’à présent, nous ne nous sommes pas écartés de cette manière de voir, parce que nous n’avons pas encore considéré la langue comme une structure globale et surtout comme système. Nous pourrions donc nous en tenir à cette représentation de la langue comme une vaste collection de mots structurés suivant ces deux articulations phonétique et significative. Une langue présente un vaste vocabulaire qui permet de combiner les mots dans des phrases.
Mais c’est sans compter sur l’importance de la langue en tant que tout. Une doctrine, considérée comme un acquis de la linguistique structurale, soutient que la langue forme un système qui ne renvoie qu’à lui-même. A cet égard, dans l’usage empirique de la langue, nous partageons un certain nombre de préjugés que la linguistique contemporaine a voulu dénoncer : 1) Nous voyons la langue comme une sorte de nomenclature. Pour parler, il suffirait de se servir des mots en piochant dans la langue comme on prend les pièces adéquates dans une boîte de puzzle. 2) Nous supposons donc que la pensée est déjà constituée avant le langage. 3) Que les différences sont perçues dans la réalité par la pensée avant de pouvoir être traduites dans les mots. 4) Nous avons une telle confiance dans le langage qu’il nous semble naturellement en rapport avec ce qu’il désigne dans la réalité.
Reprenons ces idées tour à tour. Pour les linguistes contemporains, la langue n’est pas une nomenclature, elle n’est pas une simple collection de mots. Le croire reviendrait à penser que la langue est comme une sorte de table de multiplication dont on devrait apprendre toutes les formules pour s’en servir. La linguistique regarde au contraire la langue comme un tout qui fait système, tout dans lequel tous les termes sont en relation interne.Le tout précède la partie. L’enfant qui apprend sa langue maternelle ne l’apprend pas de manière fragmentaire. On ne peut apprendre de manière fragmentaire qu’un code, tel le morse, mais cela suppose qu’auparavant on est déjà acquis un langage. L’enfant ne peut pas apprendre sa langue non plus par un conditionnement, ce qui serait le cas si elle n’était qu’un système de signaux. Il l’apprend intelligemment en pénétrant en quelque sorte dans « l’esprit de la langue » qu’il reçoit de ses parents. Son intelligence se développe à l’intérieur de différenciations mises en place par la langue, parce que l’intelligence elle-même travaille de façon globale. C’est de cette manière donc que l’enfant entre dans le champ de la culture. Il apprend les choses par leurs noms, il découvre que tout a un nom et il se met à demander le nom des objets et la signification des noms qu’il ne connaît pas. Il pénètre par là simultanément dans le réseau des règles sociales, des interdits, des prescriptions. Il gagne dans l’acquisition du langage un éventail complexe de symboles qui sont à l’œuvre dans la culture dans laquelle il vit. Enfin, on ne peut pas dire que la langue soit une chose extérieure à la pensée, car nous aurions bien du mal à définir ce que serait une pareille pensée sans le langage.
La langue n’est pas une collection de mots, mais un système qui comporte une structure rigoureuse dont on ne peut pas faire ce que l’on veut. A la limite, pour suivre le fil du structuralisme, nous ne parlons pas, nous sommes parlés par la langue. De la conception structuraliste de la langue résulte donc une forme de relativisme, le relativisme linguistique. De même, pour ce qui est de l’inconscient, nous sommes travaillé par la structure de l’inconscient, comme nous sommes régis par les structures en vigueur dans notre société et notre culture. La structure est comme une trame sur laquelle sont cousus les individus. Le réseau de la langue et de son système ne sont pas moins importants que les autres structures, mais à maints égards plus importants, car la langue est le cœur de la culture. La pensée est donc ici relative à la langue.
Il serait alors tentant de parler d’un conditionnement individuel par le langage, mais le terme est impropre, puisqu’il s’applique surtout aux systèmes de signaux. Le système de la langue ne nous apporte pas seulement des mots pour nous exprimer. Disons plutôt que la linguistique entend montrer que la langue nous communique des pensées, une manière de penser et de s’exprimer. La pensée n’existe pas de manière individuelle, différenciée, en dehors de la langue, elle se développe dans la langue. La langue forme un système de différences valides dans une communauté donnée ; et cela dans le cadre général de la communication. Il est clair qu’en entrant dans la langue, nous assimilons aussi les représentations de la conscience collective du peuple qui la parle. Comme le dit une formule populaire « Héritage de mots, héritage d’idées ».
---------------Pourtant, si avant le langage la pensée est somme toute confuse, elle ne peut sortir de la confusion qu’en rencontrant le langage. Il est naïf de penser qu’il suffit d’appliquer à chaque objet de la réalité la désignation qui lui convient. C’est faire comme si le monde de la pensée était déjà ordonné dans des catégories que le langage n’aurait qu’à reproduire. Le linguiste dira que les catégories de la pensée ne peuvent apparaître qu’avec le langage. Avant la structuration du langage, le monde perçu n’est qu’un magma indifférencié de sensations, d’images, ou de souvenirs. Ce n’est même pas un amas confus de « choses » indistinctes puisque le concept de « chose » appelle une désignation par un mot. C’est le langage qui permet de discriminer dans cette confusion. L’enfant qui apprend une langue sort de cette confusion sensorielle pour effectuer une mise en place de son monde propre à travers les mots qu’il apprend, de telle sorte qu’il met simultanément en place des distinctions dans le réel en apprenant les distinctions dans les mots. L’enfant qui apprend à parler ne dispose pas d’une pensée toute faite, il apprend à distinguer, à séparer dans la structure de la langue. Il n’apprend donc pas un catalogue de mots, son intelligence pénètre dans l’esprit de la langue maternelle et s’y éveille. C’est à partir du moment où l’enfant se met à parler qu’il devient réellement plus intelligent que le bébé singe. L’enfant éprouve un pouvoir créateur immanent à la langue. On ne peut pas dire que la langue soit apprise par conditionnement, comme c’est le cas des systèmes de signaux. La langue est une structuration intelligente qui parle à une intelligence et l’enfant qui apprend la langue y découvre peu à peu le pouvoir de la pensée. C’est au moyen du langage que peut s’effectuer le pouvoir de l’analyse de la réalité. Ainsi, le phénomène homéostasie est identifié à travers un mot, il est isolé par le mot. Le mot traduit le fait qu’un phénomène a été caractérisé. Plus le savoir progresse, plus il développe un vocabulaire technique. Il en est ainsi de tout domaine technique et c’est en partie ce qui fait que nous avons du mal à entrer dans ce que nous pouvons très bien considérer comme un simple jargon de savant.
La langue joue donc un rôle fondamental dans la mise en place de la culture, tant et si bien que nous pouvons dire que langue et culture coïncident. Ce que nous connaissons se voit donc prédéterminé par le langage. Que dire alors de la perception et de ce qu'elle peut nous livrer? Les différences sont-elles dans la réalité ou dans la langue ? Prenons un exemple. Dans l’arc-en-ciel, un français, d’accord avec la plupart des occidentaux, distingue, violet, bleu, vert, jaune, orange et rouge. Ces distinctions sont en fait des concepts qui appartiennent à une certaine culture et qui sont déposés dans une langue. Le phénomène arc en ciel est lui continu, sans rupture nette, sans distinction précise. C’est nous qui posons des distinctions par l’analyse. De là suit qu’il est possible de trouver des langues qui ne feront pas la même analyse de la réalité (cf. le langage des Hopi). La langue propose un système de différences. Le gallois utilise un seul mot pour dire à la fois bleu et vert. Par extension, il est tentant de dire que tous les phénomènes de la réalité sont en fait repérés d’abord à travers le langage. Quelle langue mieux que l’arabe est donc à même de parler du désert ? L’arabe possède une immense variété de termes pour désigner le milieu du désert. Là où le français dira « chameau », l’arabe sera capable d’employer des centaines de mots différents en traduisant toutes les nuances de l’analyse : race, état de grossesse etc. L’esquimau peut dire la neige et ses différents états avec une complexité très riche. Dans ces deux cas la langue propose une analyse très développée que ne possède pas une autre langue, analyse qui poserait bien des problèmes aux traducteurs. Cela ne veut pas dire que l’esquimau ou l’arabe voit autre chose que le français. Non. Sa langue l’aide surtout à repérer des éléments de la réalité. Le français est tout à fait capable d’apprendre à voir et à nommer, il se trouve seulement que sa langue naturelle ne l’a pas préparé à détailler un phénomène auquel il n’est pas habitué.
D’un autre côté, si un système de signes détermine un sens, il peut laisser aussi une grande latitude d’expression et d’interprétation. Le pouvoir créateur de la langue rend possible une invention permanente de signification. Chaque individu parlant une langue acquiert un certain savoir de sa langue qui est sa compétence linguistique, un système intériorisé de règles dont dépend d’après Chomsky chaque performance, ou énonciation effective d’une phrase. Plus la maîtrise de la langue est complète, plus elle autorise une expression complexe et raffinée. Il y a dans le langage une faculté qui a pour caractéristique universelle la créativité. C’est cette créativité qui rend possible 1) la paraphrase qui fait que nous sommes capables de renouveler la désignation d’une référence objective, 2) la critique qui nous permet de l’améliorer, 3) c’est aussi elle qui permet au langage de se prendre lui-même comme objet dans une réponse, 4) ou bien de se prendre lui-même comme référence, dans le commentaire, enfin, 5) c’est la créativité du langage qui lui permet de fonder la communication et donc le dialogue.
Nous voyons donc que la linguistique modifie notre façon de nous représenter le rapport entre le signe et la réalité. Dans l’attitude naturelle, le signe est spontanément perçu comme commandant à la réalité et il finit par se confondre avec la réalité. Telle est le fondement de la croyance commune dans le pouvoir magique du verbe. Le linguiste regarde comme une forme d’animisme l’idée selon laquelle on pourrait manipuler la réalité en manipulant des mots. Le pouvoir magique du verbe suppose une relation entre le nom et la forme que la linguistique justement récuse.
Les signes de la langue sont posés par Saussure dans son Cours de Linguistique générale, comme arbitraires par rapport à la réalité. (document) Le son « s-oeu-r » (l’image acoustique) n’a aucun rapport avec le concept de « soeur », il pourrait tout aussi bien être figuré par « cheval » ou « ficelle ». Saussure propose d’employer le terme de signifiant pour désigner l’image acoustique employée par une langue et d’employer le terme de signifié pour désigner le concept auquel il renvoie. (texte) D’une langue à l’autre, les signifiants utilisés seront différents, même quand ils renvoient au même signifié. Telle est la célèbre théorie de l’arbitraire du signe. Le sens de l’arbitraire ne contredit pas du tout l’idée générale que nous venons d’exposer de système de la langue. Le locuteur d’une langue ne dispose pas de liberté gratuite vis-à-vis des désignations présentes dans la langue. La désignation résulte d'une convention (texte) entre les sujets parlant une même langue. Le mot arbitraire, dans la théorie de l'arbitraire du signe « ne doit pas donner l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu’il n’est pas dans le pouvoir de l’individu de changer un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu’il est immotivé , c’est-à-dire arbitraire par rapport au signifié avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la réalité ». Le signe forme la totalité du signifiant et du signifié. Il y a bien une dualité, mais ce n’est pas la dualité entre le nom et la forme. « Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique ». La langue, dans les relations qu’elle établit, n’est en rapport qu’avec elle-même et non avec la réalité. Le sujet parlant trouve dans la langue un réseau de différences qui n’est pas celui de la réalité. La dualité entre le plan de la nature, de la réalité et celui du langage est ainsi pour la linguistique entière. La langue forme un système de signification qui fait que le sujet parlant n’a pas dans la langue un contact avec la réalité, mais avec sa culture, dans la relation du système de différences repérées dans la langue.
Ou est donc la relation du signe avec la Nature ? Il existe certes deux catégories de signes, le signe naturel et le signe artificiel. Par exemple, la fumée est le signe naturel du feu. Le fait de percevoir un signe amène la pensée logiquement vers l’autre, dans une relation qui est présente dans la Nature. Sur un plan seulement logique, le signe naturel est le plus souvent un indice. On appelle indice un fait immédiatement perceptible qui nous fait connaître quelque chose à propos d’un autre fait qui ne l’est pas. Ce qui est plus important, c’est que dans la relation humaine, le corps d’autrui, le visage de l’autre sont signifiants à partir du langage naturel de l’expression.
Le signe naturel est celui dont le rapport avec la chose signifiée résulte des lois de la Nature. Ce n’est pas le cas du langage humain.
La langue relève avant tout du signe artificiel, c’est-à-dire de celui dans lequel le rapport entre signifiant et signifié n’est pas inscrit dans les lois de la Nature, mais dépend de la sphère de la culture et de ses conventions. Tels sont aussi les système de signes comme ceux des mathématiques, de la logique, de la musique. Les symboles +, -, <, >, ö , sont des signes qui résultent entièrement d’une convention et pas de la nature des choses. De même pour la notation des notes de musique. Il y a un seul cas où le langage humain pourrait faire penser qu’il est du côté du langage naturel celui où des mots imitent des sons naturels. En français, le mot « coucou » semble directement calqué sur le chant de l’oiseau qu’il désigne. « Fleuve », « effluve » ont une sonorité assez bien appariée à ce qu’ils désignent. Ce phénomène de mimétique se rencontre dans toutes les langues. Mais ce n’est pas la loi générale de formation des mots, ce ne sont là qu’exceptions qui confirment la règle. On ne voit pas pourquoi « arbre » serait adéquat à la forme qu’il désigne. Ce n’est pas plus indiqué que « tree ». Le rapport entre le son et la forme n’a rien d’évident dans de tels exemples.
Mais c’est justement cette question du rapport entre le langage et la réalité qui fait pour le philosophe justement problème, c’est-à-dire le rapport entre le nom et la forme.. Le point de vue de la linguistique consiste à ne pas vouloir se prononcer sur la question. On peut reconnaître un mérite à l’analyse linguistique, c’est de faire de la relation du nom et de la forme un problème que justement le sujet empirique ignore. Nous devons rencontrer cette difficulté. On pourrait penser que la signification implique le fait de communiquer à autrui des différences reconnues dans la réalité, ou éprouvées dans le vécu, or ces thèses nous disent plutôt que la signification renvoie à des différences structurées dans la langue et pas dans la réalité, puisque justement cette réalité sans la langue n’est que confusion. La signification se manifeste comme une sorte d’effet interne de fonctionnement de la langue. C’est ce qui explique la difficulté des traductions. Que signifie un texte anglais ? Essentiellement un sens déployé dans des distinctions que propose la langue anglaise. L’analyse des phénomènes réels serait diffférente dans une autre langue, car elle serait un autre système de significations. Appelons relativisme linguistique cette tendance générale à vouloir ramener toute la signification à la langue. Il est clair que le relativisme linguistique ne résout pas vraiment les problèmes de fond du rapport entre le langage, la pensée et la réalité. Il en prend congé en laissant au philosophe le soin d’en discuter.
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Nous nous retrouvons avec deux types de difficultés :
1) la signification doit nécessairement être porteuse d’un sens et être le propre d’une système de signes. En parlant de système de signaux chez l’animal, la psychologie du comportement se permet de faire l’économie d’une conscience chez l’animal, ce qui lui permet d’éviter la question d’une pensée chez l’animal. Mais est-il vraiment possible de parler encore de langage, s’il n’y a pas de pensée ? Parler d’expression, n’est-ce pas nécessairement en appeler à une signification et à une pensée ? C’est au prix d’une réduction que l’on décide de manière arbitraire que l’animal ne dispose pas d’une pensée lui permettant de participer déjà proprement du sens. S’il y a une conscience, il y a déjà du sens, quand bien même celui-ci resterait très élémentaire.
2) En disant que le langage humain parvient à signifier à l’intérieur du système que constitue la langue la linguistique ne résout pas le problème de la signification. Plusieurs questions restent sans réponses. Il faut en effet préciser 1° qu’est-ce qui distingue la pensée et le langage, 2° Dans quelle mesure y a-t-il signification au-delà du langage ? 3° quel rapport entretient le langage avec la réalité ?
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Questions:
1. Le fait qu'un système de signaux utilisent des mécanismes conditionnels implique-t-il pour autant l'absence d'intelligence?
2. Comment distinguer la pensée et l'intelligence?
3. En quoi la rationalité implique-t-elle nécessairement l'utilisation d'un système de signes?
4. Le relativisme linguistique confirme-t-il l'ethnocentrisme ou bien le réfute-il?
5. La théorie de l'arbitraire du signe fait-elle de la culture un artifice?
6. La linguistique peut-elle admettre l'existence d'un langage non-verbal?
7. Si on accepte le relativisme linguistique, peut-il y avoir réellement une traduction d'un texte d'une langue à une autre?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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