Chaque jour nous rencontrons des proches, des amis, des voisins, des êtres humains. Nous vivons avec autrui, nous sommes plongés dans le milieu de la relation. Nous reconnaissons l’autre à son allure, à sa voix, à ses qualités de caractère. Autrui nous est en cela familier.
Mais cela ne veut pas dire que d’emblée nous comprenons l’autre. Ceux que nous croyons semblables au premier abord se révèlent toujours différents de ce que nous aurions pu penser d’eux. L’expérience d’autrui est familière mais elle nous plonge aussi dans une formidable diversité ; elle nous fait rencontrer la particularité de chacun. Or, pour connaître le plus souvent que faisons nous ? Nous nous servons de catégories toutes faites. Nous disons de Pierre qu’il est « musicien », de Paul que c’est un « dépressif » ou un être « gamin ». Les termes de « musicien » ou de « dépressif » ou « gamin » conviendrait tout aussi bien à un autre que Pierre. Ils ne décrivent pas ce qu’il est, ce qu’il possède en propre ce qui le rend différent de A ou B. Aristote disait qu’il n’y a de connaissance que du général et d’existence que du particulier. Comment parvenons nous à surmonter cet obstacle?
Qu’est-ce qui nous permet de comprendre autrui ?* *
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Nous sommes habitués à un schéma de compréhension : nous pensons que comprendre, c’est saisir une idée, ou un concept. Dans l’ordre du savoir, comprendre un phénomène, c’est être en mesure de l’expliquer. Toutefois, comprendre, est-ce vraiment la même chose qu’expliquer ? A l’égard d‘autrui, que signifie le mot comprendre? On dira plus volontiers que l’on comprend quelqu’un et que l’on explique quelque chose. Nous ne pouvons pas dire « expliquer quelqu’un », car le mot expliquer appelle une réponse arrêtée, une « explication » alors que nous savons bien qu’une personne est toujours complexe et que nous ne pouvons pas en faire le tour dans une « explication » toute faite. Dans l’explication, il y a aussi une idée de décomposition, d’analyse qui ne va pas avec l’idée d’appréhension globale que comporte la compréhension.
.... Qu’est-ce en effet qu’une explication (R) scientifique ? Une explication scientifique est un système de représentations qui permettent de rendre compte d’un phénomène objectif. Un tremblement de terre a lieu au Pérou. On dépêche sur place des spécialistes et on attend d’eux des explications, qu’ils fournissent une explication dans une théorie précise, telle que la tectonique des plaques en géologie. La théorie scientifique invoque des causes, des antécédents, des lois ; bref, une liaison afférente des phénomènes dont on puisse rendre compte par la mesure et par un processus de répétition d’expériences. Ce qui est remarquable dans l’explication, c’est son caractère achevé. Une fois que l’on a une explication valide, on estime avoir fait le tour d’un phénomène, de l’avoir ainsi rangé dans l’ordre du savoir. L’explication est en ce sens le paradigme de l’objectivité, le paradigme général des sciences de la Nature.
Ordre de l’objet |
Ordre du sujet |
objectivité | |
Explication scientifique | |
cause/effet : causalité de la Nature | |
lois, antécédents et conséquents | |
= perception de choses | |
Sciences de la nature |
Ce point de vue est celui de Dilthey, un théoricien des sciences humaines. Il est clair d’après ces distinctions que l’approche objective de la connaissance ne peut pas nous permettre de cerner la question d‘autrui. L’existence d’autrui est toujours un scandale pour la pensée objective. Elle fait intervenir un facteur qu’elle s’empresse d’éliminer qui est la subjectivité. Inversement, l’approche subjective nous fait participer des motivations d’autrui, d'une conscience qui ...
2) Développons. Quand avons-nous le sentiment d’être compris ? Quand nos véritables intentions ont été reconnues. Nous nous montrons capables de comprendre les autres quand nous parvenons à ressaisir en nous les intentions d’autrui, quand nous pouvons aller jusqu’à ressentir par sympathie ce qui se présente comme une raison de vivre et d’agir. L’autre n’est plus alors seulement un exemplaire d’une catégorie, mais un être humain conscient comme moi, un être que je puis porter en moi dans mon affection.
La compréhension d’autrui est donc un processus beaucoup plus délicat que celui de l’explication d’un phénomène physique, car une conscience ne peut pas se réduire à une chose. L’âme a des replis qui vont à l’infini dit Leibniz. Cf. La Monadologie. On n’en fait pas le tour aisément : l’esprit est une fontaine vivante de significations. Le processus de l’explication permet d’objectiver le savoir, mais objectiver l’autre, c’est le réduire au statut d'une chose, ce qui veut dire le nier en tant que sujet. C’est par exemple ce qui se produit quand, délaissant la dimension de la conscience, on regarde le comportement seulement sous l’angle du stimulus/réponse. On ne voit plus une conscience créatrice de son univers mais une chose réagissant à des interactions, mue par des causes. Connaître autrui, c’est découvrir toute la profondeur d’un esprit, c’est découvrir le sens d’un acte ou d’une attitude. La compréhension d’autrui est un processus qui est le contraire de la chosification opérée par une explication objective. La compréhension se fait de l’intérieur, par participation à la conscience d’autrui, de l’autre côté, l’explication se fait de l’extérieur, par agencement de causes.
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Questions:
1. Comment se manifeste notre besoin "d'expliquer" autrui?
2. Parler de "compréhension scientifique d'autrui" peut-il avoir un sens? Pourquoi?
3. A quoi pouvons-nous attribuer nos erreurs dans la compréhension d'autrui?
4. Faut-il tout savoir sur l'autre pour être en relation authentique avec lui?
5. Ce que la présence d'autrui me révèle dans l'instant a-t-il un caractère définitif?
6. Des relations publiques ou des relations privées, lesquelles sont les plus révélatrices?
7. Est-il vrai qu'il suffit de se parler pour se comprendre?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan,
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