La plus grande partie des concepts dont se sert le mental fonctionnent dans la dualité. Il n’existe pas d’ordre d’expérience humaine dans lequel la représentation n’est pas dualisante : capitalisme/communisme, fait/droit, bien/mal, vertu/vice, dieu/diable, vrai/faux, beau/laid, théorie/pratique, chaud/froid, joie/tristesse, force/faiblesse, absolu/relatif, (R) transcendant/immanent, abstrait/concret, idéal/réel, objectif/subjectif etc. Le caractère formel de ce type d’opposition finit par éveiller la méfiance. La dualité n’est pas seulement le propre des constructions mentales taillées par l’intellect. Une source constante de faux problèmes ? N’est-elle pas sur le fond fictive ? Sans véritable portée ontologique ? Si c’était le cas, l’accès à l’être devrait être non-duel, nous obligeant par à transcender la dualité du mental ordinaire.
Pourtant, toutes les dualités ne viennent pas nécessairement des artificielle. Ce n’est pas la pensée qui fabrique la dualité main droite/gauche dans la symétrie du corps, mâle/femelle chez les animaux, homme/femme, pôle +/pôle – sur la pile électrique, etc. On pourrait dénombrer un certain nombre de dualités qui existent dans la nature, antérieurement à toute pensée . Auquel cas, la dualité aurait aussi une portée ontologique.
La question est très complexe et, depuis Parménide et Héraclite (texte), elle ne cesse de resurgir dans la pensée occidentale. Dans l’histoire de la philosophie, il y a eu au moins un système qui s’est évertué à introduire une logique non-duelle, celui de Hegel. Hegel tente de montrer que la contradiction est à l’œuvre dans les choses, sa dialectique thèse-antithèse-synthèse entend surmonter les antinomies formulées par Kant dans la Critique de la Raison pure. Cependant, le caractère très systématique et formel de la dialectique hégélienne finit aussi par éveiller la méfiance.
La pensée contemporaine bute sur cette même difficulté. Elle a commencé l’examen critique de la pensée. C’est tout naturellement en logique que les tentatives se sont portées. Tout récemment, Stéphane Lupasco a pu développer un programme pour introduire le dépassement de la logique de la dualité, à travers de la refonte du tiers exclus en tiers inclus. Et cette refonte ne se ramène pas du tout à la dialectique de Hegel.
Quel statut devons-nous reconnaître à la dualité
? La dualité est-elle d...* *
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Il n’est pas nécessaire de donner d’emblée de la dualité une interprétation métaphysique. Il est plus facile d’en percevoir clairement la manifestation sur le plan psychologique et dans ses conséquences concrètes et pratiques. Or s’il est un vécu qui nous est très familier et qui a un rapport étroit avec la dualité, c’est bien l’état de contradiction dans lequel nous abordons la vie. (texte)
1) J’aime/je n’aime pas, je désire/je déteste, je veux/je ne veux pas etc. sont des mouvement qui dépendent de jugements qui, une fois prononcés, nous précipitent dans les contrariétés, les contrastes, les déchirements, les sautes d’humeur et les drames de la vie ordinaire. La plupart du temps, nous n’en avons guère conscience. Nous prenons la contradiction au niveau le plus tardif de sa manifestation, sans voir sa pensée racine. Nous avons appris à nous résigner par avance à penser que « la vie est une lutte ». Vivre dans des contradictions semble « normal ». Ce n’est que lorsque cela commence à faire très mal que nous nous en soucions vraiment.
Mais pourquoi ? Est-ce l’incurable sottise du genre humain qui est responsable de cet état de fait ? C’est un « fait » qui ne tombe pas du ciel, mais qui est constitué de l’intérieur par le sujet. Cette dualité est notre propre fait. Elle ne va nullement de soi.
La première approche consiste donc à examiner cette étrangeté de nos vies : je veux/je ne veux pas, vécus en même temps. Sur le même plan. Sous le même rapport. Donc je tire/je pousse en même temps, et… je m’étonne de ne pas avancer d’être mécontent, frustré et insatisfait. Je me mets dans une ambivalence et je me place délibérément dans un état de conflit et je ne vois pas l’immobilisme où je me suis placé. La Vie n’est pas statique, mais intensément dynamique. Si je pouvais couler avec le mouvement vivant de la Manifestation, sans introduire la friction d’une opposition contradictoire, ma vie serait elle-même portée. Je n’aurais pas le sentiment qu’elle est une lutte. Mais ce n’est pas mon expérience habituelle. Ce n’est pas du tout le lot de l’expérience ordinaire. Dès l’entrée dans la vigilance quotidienne, je perçois le monde et l’expérience, comme celui d’objets qui d’emblée sont séparés de moi, et s’opposent à moi. Il y a moi et ces choses que je dois affronter, moi et ces résistances que je dois vaincre, moi, dans l’affrontement continuel de ma volonté et des événements. Il y a moi et les autres, il y a moi et le tourbillon des événements du monde. Je vis harcelé par cette « réalité » dans laquelle je suis tombé et je me débats contre elle pour essayer de devenir quelqu’un. La traction de toujours devoir être ce que je ne suis pas encore me précipite dans le temps psychologique. J’attends tout de demain, j’espère que le futur pourra me combler, je crains qu’il ne soit fait que d’épreuves et d’échecs. J’ai peur de rater ma vie en n’atteignant pas les buts que je me suis fixés. Je cultive le scepticisme et l’amertume quand l’idéal n’est jamais au rendez-vous et que la vie n’est jamais à la hauteur de ce que je voudrais qu’elle soit. Et par-dessus ...
En résumé, dans le conflit intérieur il y a a) La conscience d’une séparation entre moi et le monde est une dualité. b) L’opposition entre moi, en souci de devenir, et ce qui est, entre le devoir-être et l’être est une dualité. c) L’élément commun dans lequel la dualité prend naissance, c’est le sujet moi. Que tombe le sentiment de séparation entre moi et le monde et la dualité vole en éclat. Que prenne fin la projection du souci de devenir, et la dualité perd son fondement. Que disparaisse le sens de l’ego, et la dualité n’a plus rien qui puisse l’alimenter.
La situation de conflit interne je veux/je ne veux pas, suppose nécessairement un choix, mais c’est un choix très particulier qui alimente la pensée duelle. Un choix qui exclut son contraire. Je veux le plaisir, sans la douleur. Je veux la joie, mais pas la tristesse. Je veux l’ordre, mais pas le désordre. Je veux la paix, mais pas le conflit. Je veux la liberté, mais pas la servitude. Je veux de la chance, sans la malchance. Je veux le bien sans le mal. Je veux de l’amour-passion, sans la haine passionnelle etc.
Et c’est là que la question devient très subtile. La Vie, dans son processus vivant, dans son expansion dynamique est une et sans division. La pensée duelle introduit la division et implémente cette idée fausse, selon laquelle nous ne devrions avoir que le positif, sans le négatif (texte) ; alors précisément que ce qui est, c’est l’unité vivante qui les englobe tous les deux. Si bien que la contradiction ne se fait pas attendre. Le seul fait de rechercher d’avantage de plaisir invite aussi l’expérience de plus de douleur. En cherchant une joie sans tristesse, inévitablement j’invite la tension des hauts et des bas, du sommet de la vague et de son creux, de la joie et de l’abattement. L’ordre sans désordre devient autoritaire et obsessionnel, le désordre revenant comme confusion mentale. La paix imposée de force, sans la capacité de comprendre le conflit, réassure et perpétue le conflit. Le culte de la bonne fortune me met à la merci du destin et me prive des bénédictions que la vie m’apporte. Le rigorisme moral du bien que l’on veut « purifier » de tout mal, si on le laissait faire, nettoierait très vite la planète de tout ce qui est vivant. On a fait au sujet de Beethoven et de Vivekananda une remarque identique : la puissance de personnalité colossale de l’un, comme de l’autre, aurait pu en faire des tyrans d’une extraordinaire cruauté. Et bien non, cette puissance s’est donnée à elle-même dans la musique chez Beethoven. Vivekananda est devenu disciple d’un grand saint de l’Inde. Cela n’élimine en rien la puissance. Quant à l’exemple de l’amour-passion, sans la haine passionnelle, c’est une illusion romantique soigneusement entretenue. Que l’on... s médias.
La question de fond est que « si je choisis une des contradictions, la paix et ne comprends pas son opposé », je n’enveloppe pas la Vie dans sa totalité et je me trouve en fait paralysé, incapable d’intégrer les contraires que j’ai moi-même engendrés. « Choisir un des opposés n’engendre pas l’intégration ». Dans le monde relatif, une chose ne peut exister sans son contraire. Ce mode de penser est une pensée complètement erronée, inadéquate. Penser de cette manière, ce n’est pas penser correctement. Ainsi, « ce n’est pas le choix, mais le fait de penser correctement qui engendre l’intégration. Lorsque l’on pense correctement, les contradictions ne sont pas possibles ; si nous savons penser correctement la contradiction cessera… La contradiction est la nature même du moi, le siège du désir ». Choisir dans ce qui est un pôle duel, sans son pôle complémentaire, c’est être incapable d’accepter ce qui est, c’est refuser la réalité. (texte)
Les domaines dans lesquels la pensée duelle opère sont légion. Rien ne lui échappe, car elle est liée à une erreur de l’intellect que nous ne voyons jamais, mais que nous reproduisons à l’envie. La question revient donc : comment penser correctement ? Le terme « correct » est assez gênant. Il a été oblitéré d’un sens excessivement statique, qui s’allie aisément avec un mode de pensée duel assez rigide. Krishnamurti le souligne immédiatement : « penser correctement et se livrer à une pensée correcte sont deux états différents… Penser juste est une chose à découvrir, tandis que la pensée correcte n’est qu’un conformisme. Penser juste est un processus, tandis qu’une pensée correcte est statique. Penser juste est mouvement continuel, constante découverte ; c’est-à-dire que ce n’est que par une constante lucidité en action ...
2) Quand l’esprit commence par un schéma pour se tourner ensuite vers ce qui est, ou bien, quand il part de l’idéologie, pour rejoindre ensuite les faits, ou encore, quand il cultive le souci de construire en théorie, avant d’observer ce qui est, il pense de manière assez statique. Il perpétue de l’ancien et ne sait pas voir de manière neuve. Et comme l’ancien a largement été modélisé par le travail de la pensée duelle, il perpétue en fait des représentations fondées sur un mode de pensée incorrect.
-Dans quelle mesure sommes-nous collectivement enrégimentés par la pensée duelle ? N’est-ce pas l’inertie de la conscience collective qui maintient son empire ? Il n’y a, sur cette question, qu’à examiner le statut très étrange de nos valeurs dans la postmodernité. Nous découvrions alors la liste indéfinie de nos oui…mais.
---------------Prenons le plaisir sexuel. Nous aimerions nous servir de la sexualité comme instrument de notre gratification personnelle, mais nous avons aussi appris que c’était mal de le faire. Les religions en occident ont enseigné que l’on ne devait pas tirer plaisir des joies du corps et surtout pas du sexe. Nous abordons toujours la sexualité avec des relents de honte et de culpabilité. Le sexe est adulé, mais c’est aussi lui qui livre le registre de vocabulaire du mépris.
Prenons l’argent. Nous sommes très contents de pouvoir en posséder et nous avons le désir d’en acquérir d’avantage, mais... en même temps l’argent, ce n’est pas bien. Il est entendu que celui qui aime faire quelque chose ne devrait pas en plus recevoir d’argent. Et à la limite, il est moral de gagner de l’argent en faisant ce que l’on déteste faire ! Et nous payons des salaires dérisoires à des hommes qui consacrent leur vie au bien d’autrui, tout en donnant des fortunes à ceux qui ne se livrent qu’à des exploits médiatiques.
Nous cherchons le pouvoir, ne serait-ce parce que nous apprécions le fait de sentir notre territoire augmenter. Nous nous sentons grandis quand en nous se développe un plus grand pouvoir... mais on nous a répété que le pouvoir c’est mal. Le pouvoir corrompt l’homme et un homme qui dispose de beaucoup de pouvoir doit forcément être mauvais.
De manière très ingénue, nous adorons la gloire, sous la forme des vedettes du show business, et nous sommes prêts à leur jeter à la tête des sommes d’argents considérables, mais on nous a dit et répété que la gloire, ce n’est pas bien et qu’il est mal de chercher à glorifier sa propre existence.
Nous attribuons une très haute valeur à la liberté individuelle, c’est elle que nous dressons comme le dernier rempart de notre civilisation contre la barbarie... mais nous prenons soin de faire en sorte que nos enfants soient solidement encadrés et conformes à nos modèles sociaux, bien « intégrés ». Nous les maintenons le plus longtemps possible sous notre autorité physique, religieuse, économique, idéologique, politique, de manière à ce qu’ils ne fassent pas un mauvais « usage de leur liberté ».
Nous savons bien qu’il est important de nourrir l’amour de soi, que c’est seulement dans la réconciliation avec soi que la vie peut prendre son essor, mais on nous a aussi appris que l’amour de soi, c’est mal, qu’il vaut mieux se soucier d’abord des autres et surtout ne pas s’accorder une importance. Ce ne serait que complaisance, égocentrisme et narcissisme. Pascal dit dans les Pensées qu’il « ne faut aimer que Dieu et ne haïr que soi ». La supériorité de la religion chrétienne, dit Pascal, vient de là, de ce qu’elle enseigne la haine de soi. Nous avons un peu honte de ce qui nous procure une gratification personnelle. Si une chose doit être faite, par pur devoir, contre notre propre sensibilité, alors c’est assurément qu’elle est bonne. Aller contre soi-même nous permet de mériter le bonheur, comme prix de notre sacrifice, comme prix d’une mortification de l’amour de soi. Ce qui veut ...
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2004, Serge Carfantan.
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