Selon le rapport Pinheiro de 2006 de l’ONU, dans les 21 pays les plus développés de la planète, de 7 à 36% des femmes ont été victimes de violences sexuelles durant l’enfance. En 2007, la moitié des violeurs d’enfants et d’adolescents étaient aussi mineurs, tandis qu’en 2005, le taux était de 25%. Des statistiques sur la corrélation entre l’hypersexualisation de notre société et la violence, il y en a pléthore et les membres du corps médical les connaissent.
Problème : nous ne voulons pas voir en face les conséquences de ce que, dans Les Particules élémentaires, Houellebecq nomme la « consommation libidinale de masse ». Nous vivons une époque où les tabous sur la sexualité se sont inversés. Freud n’avait eu aucune difficulté à montrer à quel point le puritanisme produisait de la frustration sexuelle. Ses épigones comme Reich ont ensuite célébré en grande pompe la « révolution sexuelle ». Nous avons très bien retenu la leçon. Trop bien. Nous avons depuis les années 60 furieusement basculé du puritanisme vers le laxisme (texte) généralisé. Si l’ère victorienne fournissait à la psychanalyse ses clients et ses dévots, c’était sur fond d’une opinion acquise à une morale encadrant sévèrement la sexualité. Aujourd’hui on peut dire que de manière implicite, l’opinion est convertie au libertinage, qui était autrefois la subversion de la morale puritaine. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’inflation de la sexualité sur Internet, dans la publicité, les magazines, les programmes de télévision et au cinéma.
Comme Marcuse l’a bien compris, les thèmes freudiens de la répression sexuelle sont devenus obsolètes, l’homme postmoderne doit désormais apprendre à vivre dans un mode sans règle, un monde régi par les fantasmes sexuels où tout paraît possible. C’est Le Nouveau Désordre amoureux. Comme le titre Bruckner et Finkielkraut. Paradoxalement, ce qui est devenu tabou aujourd’hui, c’est de mettre en cause le laxisme ambiant en matière de sexualité. Mais en quoi la sexualité peut-elle générer de la violence ?
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_________ 1) Ce qui est très frappant dans l’atmosphère intellectuelle des années 60, c’est de voir à quel point le freudisme a été populaire. Il a littéralement investi et phagocyté toutes les dimensions de la culture. Pour être plus précis, en 1968 le sens critique devait passer sous le rouleau compresseur à la fois du freudisme, mais aussi du marxisme. Ces deux doctrines offraient un verni de culture à n’importe qui. Elles permettaient de tout expliquer, de tout critiquer, tant et si bien… qu’elles étaient justement au-dessus de toutes les critiques. On avait d’un côté le « tout est politique » et de l’autre le « tout est sexuel » (texte) et cela suffisait pour se fabriquer une « philosophie » ! En réalité, le freudisme et le marxisme ont fourni des justifications insurrectionnelles à une jeunesse en révolte. Le marxisme apportait sa vision de l’aliénation de la condition ouvrière et appelait à la révolution dans la lutte des classes. Il y avait son ennemi désigné, le capital. Le freudisme donnait un exposé de l’aliénation psychologique dans une théorie de la névrose liée à la sexualité. Il y avait son ennemi désigné, la morale répressive, on ne pouvait qu’en déduire que pour être heureux, l’homme devait « libérer » sa sexualité de son carcan moral. Ce qui nous donne les slogans 68, « jouissons sans entrave !» « Faisons table rase du puritanisme ! » « Jouir sans temps morts » etc.
Le freudisme, comme le marxisme, est rapidement devenu une idéologie à la mode. Le marxisme se répandait dans l’enseignement de l’histoire-géographie, en lettres, etc. il a été un temps un credo dogmatique de l’enseignement, un prêt-à-penser. Le freudisme finissait de même était tellement dans l'air du temps, qu'il finissait par constituer le contenu dogmatique quasiment exclusif de certains cours de philosophie. Incroyable image, (mais véridique) de cette enseignante en philosophie de l’époque, en tenue excentrique, pipe à la bouche, toisant le premier rang de sa classe, pour dire à une jeune fille terrorisée : « toi… tu baises pas assez » !
Le dérapage depuis le domaine purement scientifique, vers une idéologie absorbée par le sens commun et produisant un nouveau conformisme est flagrant. Depuis les années 60, la littérature, le cinéma, les émissions de l’audio-visuel, la presse à grand tirage ont constamment recyclé du freudisme. Le résultat est qu’aujourd’hui, tout le monde ou presque sait ce que veut dire « refoulement », « complexe d’Œdipe», « surmoi », « pulsion de mort », « pulsion de vie » etc. Les ambitions littéraires de Freud ...
---------------Or, dans le même temps, dans les Universités des pays anglo-saxons, aux Pays-Bas, la psychanalyse en entrée dans un rapide déclin. Déjà en 1987, sur 1000 articles de psychologie produits par la recherche, il n’y en avait que 16 d’obédience psychanalytique. La psychologie scientifique ne mentionne plus aujourd’hui la psychanalyse que pour son intérêt historique. Mais cela ne gène en rien sa diffusion dans l’opinion qui continue d’être massive, même si sa pertinence scientifique et sa valeur thérapeutique sont très discutables.
Pourquoi ? Parce que la révolution sexuelle est passée par là et que de ce côté, la leçon a été retenue. Très bien. Trop bien même. Il faut dire qu’entre l’introduction de la pilule et l’apparition plus tard du SIDA, toute une génération a eu droit à une période décomplexée où tout semblait permis. Souvenons-nous qu’en France, au printemps 1968, tout a commencé à Nanterre par une révolte contre l’interdiction faite aux garçons d'accéder aux dortoirs des filles ! La libération sexuelle exigeait que cessent les interdits qui font obstacle à la jouissance. « Il est interdit d’interdire » ! La formule est contradictoire, mais la suggestion qu’elle contient a parfaitement fonctionné : la morale comme système d’interdits portant sur la sexualité devait être rejetée ; mais attention, ce n’était pas un conseil, mais une obligation impérative ! Donc au final, en matière de sexualité, tout est permis et on devra désormais se sentir coupable de ne pas céder aux pulsions sexuelles. Comme dit Pascal Bruckner, c’est le régime imposé, priorité absolue au plaisir et orgasme obligatoire. Sinon la condamnation tombe : « t’es coincée », « t’es pas libérée » avec la honte de ne pas être normale. Époque farfelue qui culmine dans les communautés éphémères de barbus christiques passablement défoncés où l’on devait obligatoirement changer de partenaire toutes les nuits. Cela s’appelait « l’amour libre » mais de fait le nom véritable serait plutôt « échangisme » sous couvert d’adhésion au dogme de la libération sexuelle. Avec en amont une pensée du soupçon comme c
2) « Le projet d’une révolution sexuelle, centrée sur la communauté génitale, n’est peut être qu’un moyen de renforcer la domination masculine en accélérant l’échange des femmes. Ce n’est pas la libération de la femme que l’on vise ainsi mais la libération totale aux hommes, de son échangeabilité ». Une rhétorique habile, emballée dans les propos prétendument sérieux de la science ultime appelée sexologie, a permis de voiler cette réalité en la présentant comme une « révolution ». Soyons honnête. La question mérite d’être posée en toute franchise : on aura beau politiser les perversions, en faire des idées, des slogans, existe-t-il un privilège « révolutionnaire » de la sexualité ? Et si la libération sexuelle prônée par Reich n’avait fait que donner un nouveau visage à un très vieil assujettissement ? Et si elle n’avait fait qu’inciter les masses à céder, dans une douce inconscience, à la fascination de la pulsion ? Rien de très nouveau sur le fond, rien de révolutionnaire, les pulsions font partie de notre humanité, elles font partie de notre conditionnement biologique. Ce qui est révolutionnaire, c’est la manière dont une culture parvient à civiliser les individus, de sorte qu’ils ne soient pas des animaux en rut cherchant femelle pour se soulager. Toute culture digne de ce nom prend en compte le vital en l’homme, mais lui permet aussi de le dépasser, d’éveiller en lui conscience, intelligence et sensibilité. La libération sexuelle, sur selon les étapes de l’éducation de Platon, reviendrait à ne même pas encore avoir franchi le premier degré, la maîtrise du corps, pour régresser le plus possible dans le vital.
En 1963, Herbert Marcuse
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© Philosophie et spiritualité, 2011, Serge Carfantan,
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