Leçon 181.   Esthétique de l'humour      

   Dans ses créations, l’art peut être apprécié d’une manière purement esthétique, sans qu’il faille prendre en compte un ordre de considération technique, moral ou spéculatif. La musique est en ce sens pure : elle n’invite ni le jugement en bien ou mal, ni le commentaire intellectuel. Ce que nous aimons, c’est ce qu’elle nous touche, nous élève, nous transporte, de sorte que la présence de l’œuvre ne nous pas indifférent. Qui voudrait d’un art qui n’affecte pas notre sensibilité ? Ainsi peut-il y avoir une esthétique de la peinture, de la musique, de la poésie, de la sculpture, sans que personne n’y trouve jamais à redire.

    Il en est autrement avec l’humour qui est davantage impur d’un point de vue esthétique. Nous pouvons tous admettre que l’humour est un « trait d’esprit », mais de là à en faire un art ! L’humour se range communément dans le divertissement. Celui qui se divertit, ne s’investit pas, il cherche une échappée belle et la drôlerie est une façon agréable de se débarrasser de la lourdeur pesante du monde. Le paradoxe, c’est que l’humour est aussi très largement compromis avec le jugement moral. Très souvent, ce qui nous fait rire, c’est la critique la plus caustique. Il n’y a pas de limite précise entre le fait de tourner en dérision et critiquer, si ce n’est qu’il est plus habile d’emballer la critique dans l’humour ! Elle passera mieux. Comment dans ces conditions parler d’une esthétique de l’humour?

    Reste qu’il est tout à fait sérieux de s’interroger sur la signification de l’humour, ne serait-ce que pour comprendre ce qu’est le sérieux ! Il est aussi entendu que l’interrogation sur l’humour n’est pas là pour nous faire rire, mais pour nous aider à comprendre le rire. Nous avons beaucoup à y gagner. Alors osons tout de même cette question : l’humour peut-il être considéré comme un art ? En quel sens peut-il passer pour tel ?

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A. De la dérision à la communauté du rire

    Nous devons à Bergson un petit livre singulier Le Rire, qui est un des très rares textes que la philosophie ait consacré au rire. La seconde grande partie traite surtout d’esthétique, dans des pages magnifiques d’ailleurs. C’est surtout la première partie qui va nous intéresser. Bergson y montre à quel point le rire est social et il propose une définition très célèbre du rire. Nous allons lui emprunter quelques analyses pour examiner un premier point qui concerne l’ambiguïté fondamentale de l’humour.

    1) Partons de quelques observations simples. Nous vivons dans une société dans laquelle les comiques sont omniprésents. Nous consommons beaucoup d’humour. Pour une grande majorité de gens, regarder des DVD en famille à la maison, c’est regarder soit des films d’action ultrarapides, soit des sketches de comiques ! C’est partiellement le diktat imposé par les ados, mais c’est aussi une entente commune. Dans les deux cas il s’agit d’une sollicitation émotionnelle. Mais ce n’est pas la même. Les films d’action cherchent la tension vers la fin, le spectaculaire, la pression psychologique, l’extase de la frayeur, ils nourrissent le corps émotionnel. Par contre le comique agit plutôt en sens inverse, il provoque la détente des nerfs, le relâchement, il décharge le corps émotionnel, ce qui est une contrepartie indispensable à la tension constante de la vie quotidienne.

    Mais dire que le comique est social ne signifie pas qu’il est seulement un divertissement léger. Comme Bergson le montre, sous des dehors facétieux, il contient le plus souvent une critique morale. La tension critique peut être faible ou tendue à l’extrême à la limite du supportable. Poussée jusqu’au bout, et c’est une caractéristique postmoderne, la critique morale va jusqu’à dérision systématique. Dans un société très attachée à ses valeurs, on ne riait que des outrances, des caricatures. Le Prince avait son fou, son joker. Mais dans un monde sans règles, dans un monde de renversement des valeurs, plus rien ne sollicite le respect et la retenue. La puissance critique corrosive de l’humour s’étend à tout et peut conduire au débordement. Le postulat explicite devient : « on peut rire de tout » ; ce qui veut dire de manière implicite : « rien n’est sérieux, tout est dérisoire, alors autant rire de tout » ou encore :  « puisque la vie n’a pas de sens et que rien n’est sacré, tout ce qui nous reste, c’est d’en rire ». L’étendue de la verve comique va donc de la critique morale un peu pincée,

    Voici un exemple donné par Bergson (Le maire d'un village dans un roman d'About):

    "M. le Préfet, qui nous a toujours conservé la même bienveillance, quoiqu'on l'ait changé plusieurs fois depuis 1847".

… jusqu’à ce que nous avons appeler le nihilisme passif. Que nous vivions sous le règne de la dérision n’est pas un mystère. Il suffit d’observer pour s’en rendre compte. Gilles Lipovetsky dans L’Ere du Vide l’a très bien vu. L’indifférence généralisée de la postmodernité implique le nivellement de la culture et la tendance constante à tout ramener à la rigolade. Le fait est qu’aujourd’hui le comique occupe dans les médias une position intouchable lui confère une puissance inégalée jusque là. Qu’il peut parfois exploiter dans la vulgarité, la grossièreté, la veulerie et l’obscène. Le comique provoque le rire, mais le rire peut être jaune : ce qui veut dire qu’il laisse un certain malaise. Le propos de certaines blagues discriminatoires, racistes, ou sexistes, s’il était formulé dans des propositions claires, serait perçu immédiatement comme malsain.

    Une brève de Coluche : « les vieux, on devrait les supprimer… pendant qu’ils sont encore jeunes ». Le début est violent, mais la fin est très paradoxale car elle détruit le début.

    ------------------------------C’est une pratique courante assez inquiétante que l’expression de la négativité dans le rire, car enveloppé dans l’humour, on peut placer n’importe quoi. D’où la contradiction qui fait que le rire peut être nerveux, de l’ordre d’un spasme qui secoue le corps, sans que l’esprit y coopère vraiment. Comme spasme, le rire nerveux rejoint le rire du fou, le rire qui devient délire d’une pensée incontrôlée, débordée par des tendances inconscientes.

     2) Bergson soutient que le rire implique une « complicité avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires ». Qu’est-ce que cela signifie ? Le rire se développe dans un contexte «social », autant que « culturel ». Tout d’abord, beaucoup d’effets comiques sont intraduisibles d’une société à l’autre, parce que « relatifs par conséquent aux mœurs et aux idées d’une société particulière ». Mais nous rions surtout de la condition humaine, et souvent de la rigidité sociale d’un personnage aisément identifiable. Il faut insister sur ces deux mots.

Ce qui se déroule dans un mouvement fluide, gracieux, élégant coule avec le mouvement de la vie et n’est pas drôle. Un mouvement souple et régulier se développe sans heurt. Un homme qui est pleinement présent à ce qu’il fait est toujours dans un mouvement fluide parce que son attention est pleinement au présent. Nous pourrions appeler un mouvement fluide un geste. Un léopard qui marche lentement est totalement présent dans son mouvement. L’écoulement fondamental de la Vie dans le Temps, Bergson l’appelle la Durée. Ce qui coïncide avec élégance avec le mouvement de la Durée ne peut prêter à rire, c’est tout simplement gracieux et naturel. Mais voilà que notre homme manque d’attention : il est perdu dans ses réflexions, sa démarche devient rigide et il loupe la marche du trottoir. Pof ! La pizza se retrouve par terre. C’est drôle ! S’il avait été présent, il aurait contourné l’obstacle avec élégance et nous n’aurions pas rit.

Et nous y voilà : pour Bergson, le rire c’est du mécanique plaqué sur le vivant. Dans toutes le situations de la vie dans lesquelles se manifeste une rigidité mentale, il y a en puissance (R) un ressort comique. Nous tenons là un principe et un procédé, avec lequel peut fabriquer des milliers d’effets comiques. C’est par exemple le principe de la farce. C’est le clown qui discute avec son voisin et se prend un poteau, qui s’assoie ensuite sur une chaise trafiquée et se retrouve par terre, qui trempe la plume dans un encrier et le ressort plein de colle etc. La mécanique de l’habitude porte le mouvement dans une direction mais sans la spontanéité vivante, donc dans la fixité de pensée, et dans ce décalage avec la vie, l’attention du sujet s’absente et hop ! C’est le gag. Pour faire rire un enfant, c’est très facile. On mime une action connue et hop ! on introduit un raté… et le petit s’esclaffe ! L’enfant sait parfaitement ce qu’est un mouvement vivant et spontané, car c’est ce qu’il vit, il est très sensible au décalage de la rigidité.

Un homme qui marche de manière souple, à pas de danseur, ne fait pas rire, par contre, s’il a l’allure d’un pantin désarticulé il va être drôle. Bergson ne pouvait pas soupçonner toutes les ressources que le cinéma allait offrir dans l’exploitation de ce filon. Il aurait sûrement adoré Le Dictateur de Charlie Chaplin où le personnage central s’agite frénétiquement et nous fait rire. Voyez à quel point Charlot utilise la rigidité dans La ruée vers l’or. Nous pourrions ajouter des dizaines d’exemples. (texte) Dès l’instant où un homme contredit la loi de la Durée, qui est celle de la perpétuelle nouveauté vivante, pour se figer dans des répétitions, il porte à rire. « Pourquoi ? Parce que j’ai devant moi une mécanique qui fonctionne automatiquement. Ce n’est plus de la vie, c’est de l’automatisme installé dans la vie et imitant la vie. C’est du comique ». Or on peut dire que la rigidité est déjà dans le concept même du personnage. Il suffit qu’une personne prenne la pose du vaniteux, du distrait, du macho, de l’arriviste, du timide, de l’avare, du blond (!), de l’idiote, de la punk, de la mère poule, de starlette de casino etc. en forçant l’effet, on obtient un personnage comique. Forcer l’effet veut dire accentuer les traits jusqu’à la rigidité mécanique. Bergson dit que c’est précisément ce qui explique pourquoi les comédies sont très souvent le nom d’un caractère : L’avare, Les Précieuses ridicules, au cinéma Le Distrait de Pierre Étaix. Inversement les tragédies se mettent souvent sous un nom propre. Hamlet. Richard III, Othello. Un personnage tragique est par nature complexe. On ne peut le ramener à une seule facette. Un personnage comique est simplifié dans un trait qui vise la caricature. Dans le langage de la jeunesse d’aujourd’hui, on dira que le personnage comique, il « est vraiment trop !» dans son genre. Trop peureux, trop inquiet, trop gay, trop râleur, trop excité etc.

    Que nous ayons affaire à un personnage implique un type social qui doit être identifiable. Le plus souvent, c’est un caractère humain qui dans le mime peut faire rire partout. Parfois, c’est un type qui ne prend son sens que dans une culture donnée, l’humour devenant assez peu accessible à celui qui ne connaît pas les codes. Dans le comique, ce serait alors comme si la communauté humaine se voyait dans sa diversité typique et se gondolait de rire dans ce spectacle. le rire est tissé d’une connivence et il est communicatif. On y reconnaît quelques travers chez nos proches et parfois… on se reconnaît soi-même !

B. Les formes du comique

    A partir de ce fil conducteur, nous pouvons développer, en les distinguant, plusieurs catégories. Bergson étudie le comique de situation et de l’action et les artifices du langage dans le mot d’esprit, le comique de caractère.

    1) Par comique de l'action, on entend les motifs qui vont faire que dans le déroulement d’une histoire se développe un enchaînement machinal prêtant à rire. Le principe, Bergson le découvre dans  la comédie ou les actions des personnages les font ressembler à des pantins tirés par des ficelles. « La comédie est un jeu, un jeu qui imite la vie ». Le comique apparaît justement quand l’agencement mécanique de l’action devient si net et que l’illusion devient manifeste. Le type premier que prend Bergson, c’est le jeu d’enfant du diable à ressort. On ferme la boîte en serrant le ressort, on l’ouvre et brusquement le diable jaillit et cet inattendu fait rire. C’est le procédé de Guignol avec la succession des coups de bâtons, sur « le rythme uniforme d’un ressort qui se tend et se détend ». Ainsi, on éclate de rire à la suite d’une tension devant un imprévu.

Si nous ramenons à l’essentiel ce procédé du comique, nous verrons qu’il n’est rien d’autre qu’une illustration de l’opposition entre la Vie et sa caricature mécanique. La Vie dans son pur mouvement est écoulement, changement de forme et une progression continue de la conscience enveloppant son passé. Le processus intérieur de la conscience n’admet pas de répétition, ni de retour en arrière, il est dans son irréversibilité, un pur dynamisme créateur de la Durée. Ce qui vient contredire le mouvement de la Vie ne serait donc que caricature, ne serait qu’artifice. Prenons la Durée, dans ce qu’elle a de plus vivant, de plus souple et de plus changeant et cherchons son exact opposé. Que trouverons-nous ? Réponse de Bergson : « Nous aurons trois procédés… la répétition, l’inversion et l’interférence des séries ». Exactement de quoi nous faire rire dans le cours de l’action.   

La répétition tout d’abord. Considérons là, non seulement dans un geste, mais aussi dans une situation. Si je rencontre un ami dans la rue que je n’ai pas vu depuis longtemps, cela ne fait pas rire. La surprise est naturelle, parce que ce qui est neuf est l’indice même de ce qui est vivant et réel. « Mais, si, le même jour, je le rencontre de nouveau, et encore une troisième fois et une quatrième fois, nous finissons par rire ensemble de la ‘coïncidence’ ». Prenons plusieurs personnages au théâtre et pratiquons cette même répétition, et cela donne un effet comique, surtout si en plus les mêmes mésaventures se reproduisent à l’identique.

Second procédé, l’inversion. Il consiste à intervertir le cours normal de l’action pour en venir à renverser des rôles : quand c’est le prévenu qui fait la morale au juge, l’enfant qui donne des leçons au parents, le voleur qui est volé, et tout ce qui peut se ranger sous la rubrique « le monde renversé ».

Troisième procédé, l’interférence des séries. Sous ce nom Bergson désigne les situations de quiproquo où une série d’événements peut s’interpréter dans deux sens différents. Un personnage se représente la série qui le concerne et dont il possède pour lui-même la logique. Il règle son comportement sur une interprétation qu’il se donne de l’ensemble. Un autre personnage se représente la série d’événements tout en l’interprétant d’une manière radicalement différente, et comme pour le premier, et comme le premier, il ajuste ses actions et son comportement à cette interprétation. Les deux séries se croisent, mais l’un et l’autre ne font pas la même lecture des mêmes faits, d’où équivoque. L’effet en devient drôle quand l’équivoque est maintenue, qu’elle menace à tout instant de craquer, alors que de justesse, tout se raccommode. C’est un procédé du théâtre de boulevard.

------------------------------Les trois procédés ont en commun le fait d’introduire de l’artificiel, contre le naturel. La conséquence que nous ne voyons jamais, c’est qu’aussi bien, notre vie nous semblerait un vaudeville assez comique, si nous pouvions voir ce qu’elle a d’artificiel et de mécanique. Elle le devient nécessairement dès l’instant où, manquant d’attention, nous agissons de manière très mécanique, rigide, sans être pleinement conscient et entièrement créateur à chaque instant. La distraction nous éloigne de la fluidité de la Durée tandis que la présence nous en rapproche. Ainsi, « le vaudeville est à la vie réelle, ce que le pantin articulé est à l’homme qui marche, une exagération très artificielle d’une certaine raideur naturelle des choses ».

     2) Qu’est-ce que le comique de situation ? Prenez dans la bande dessinée cette scène où Gaston Lagaffe laisse son collègue écartelé dans son bureau entre la mouette, le poisson rouge et le chat, le premier et le dernier convoitant le second. Situation ingérable. Impossible. Très drôle. Le comique de situation est abondamment illustré dans le vaudeville. Il s’agit de mettre en place une complexité de relations quasi impossible à gérer par les personnages. L’amant est dans l’armoire et sa mère vient d’arriver et voudrait récupérer un objet volé qui justement, le père… Il faut donner dans le compliqué, l’improbable, le surréaliste et faire monter la pression de telle sorte que la moindre erreur risque de faire éclater la vérité, frôler sans arrêt la révélation qui dévoilerait le pot aux roses. Surgit alors la gène, le ridicule, l’allusion et c’est très amusant de voir ces malheureux empêtrés dans cette colle et qui cherchent à s’en tirer au mieux. . Dans une pièce de  Sacha Guitry, le médecin est attendu chez lui par sa femme et ses amis et il se fait tard. Sa femme s’inquiète. Un homme rapporte son veston laissé chez un patient, mais dans la poche elle trouve un testament qui n’aurait jamais dû tomber entre ses mains, testament dans lequel elle apprend qu’il veut léguer de l’argent à une ancienne maîtresse dont il aurait eu une fille. Et cette fille est peut être… Voilà le médecin qui rentre, alors que l’on a lu le testament à haute voix et que prestement, on doit le cacher. La situation va se compliquer encore plus quand on va comprendre que tout ce beau monde a beaucoup de choses à cacher. Le placard à balais est ouvert, faisant que tous les protagonistes sont pris dans une sorte de piège invraisemblable et comique.

Nous retrouvons encore le jeu du mécanique plaqué sur le vivant. Chacun des protagonistes est malgré lui devenu une sorte de pantin, tiré par des ficelles, une caricature typique : il y a la femme légère, le mari trompé, le séducteur ridicule etc. Bergson montre qu’après le type du diable à ressort, le type du pantin à ficelle, on en vient naturellement ainsi à un autre pur mécanisme comique, l’effet boule de neige. Dans une pièce, cet effet ressemble aux jeux de domino dont l’un entraîne la chute de l’autre et ainsi de suite jusqu’à la complète catastrophe. La situation s’aggrave irrésistiblement, soit directement avec des objets, de conséquence en conséquence, soit avec une enchaînement d’erreurs qui mène à une situation folle, qui va nous faire rire du fait même de son accroissement mécanique vers le pire. Dans Don Quichotte, il y a une scène à l’hôtellerie que reprend Bergson. Nous seulement la succession linéaire nous fait rire, mais Bergson ajoute que le summum du comique… c’est de revenir au point de départ de manière circulaire ! Tous ces efforts pour rien ! Thème courant dans le théâtre de Labiche. Faire tellement d’effort pour conjurer un drame et finalement en revenir au point de départ, c’est arriver à un résultat nul, ce qui est très risible. En riant, nous prenons une distance vis-à-vis ce qui est mécanique. Nous prenons conscience du décalage entre un enchaînement mécanique et la fluidité de ce qui est vivant, ce qui veut dire aussi d’une sorte d’imperfection  dans la condition humaine et le rire en fait tout de suite la correction. Si la personne est devenue une sorte de pantin risible, c’est par défaut d’attention, par défaut de conscience. Bergson dit par distraction. Le rire rappelle l’attention. Conséquence intéressante : « le rire est un certain geste social, qui souligne et réprime une certaine distraction spéciale des hommes et des événements ».

    3) Le mot d’esprit est complexe, Bergson a raison,  il est exact que le jeu de mots est lui aussi lié à un processus de tension/détente, à une continuité linéaire/suivie de la chute. Nous pouvons observer que dans l’histoire drôle, il s’agit d’embarquer les convives qui écoutent dans une direction logique bien linéaire, une fois que la direction prise, on amène brusquement la chute qui va provoquer le rire. (documents)

    La palme de la brièveté dans le genre est à remettre à Pierre Dac :

    Si jeune et déjàponaise !

    La ligne logique « si jeune et déjà» nous mène dans une direction, par un effet mécanique, l’esprit prolonge le mouvement et anticipe  quelque chose du genre : « et déjà déçue », « et déjà enceinte », « et déjà cynique » etc. Mais la suite nous prend de court, elle enchaîne avec des mots habituels, mais c’est absurde. La rupture fait rire. Le plus souvent, le jeu de mot provoque ce dérapage logique en jouant sur un double sens, le sens propre étant par exemple utilisé dans la première lancée et le sens figuré dans la chute. On peut utiliser un troisième, un quatrième sens etc. Plus rien n’est logique, l’auditeur ne sait plus sur quel pied danser car on saute constamment d’un sens à l’autre d’où la drôlerie. Exercice parfaitement maîtrisé, souvent très ramassé et ciselé chez Raymond Devos :

Sans dessus, dessous

Actuellement,
Mon immeuble est sens dessus dessous.
Tous les locataires du dessous
Voudraient habiter au-dessus !
Tout cela parce que le locataire
Qui est au-dessus
Est allé raconter par en dessous
Que l’air que l’on respirait à l’étage au-dessus
Était meilleur que celui que l’on respirait
A l’étage en dessous !
Alors le locataire qui est en dessous
A tendance à envier celui qui est au-dessus
Et à mépriser celui qui est en dessous.
Moi, je suis au-dessus de ça !
Si je méprise celui qui est en dessous,
Ce n’est pas parce qu’il est en dessous,
c’est parce qu’il convoite l’appartement qui est au-dessus, le mien !
Remarquez… moi, je cèderais bien mon appartement à celui du dessous
A condition d’obtenir celui du dessus !
Mais je ne compte pas trop dessus.
D’abord parce que je n’ai pas de sous !
Ensuite, au-dessus de celui qui est au-dessus,
Il n’y a plus d’appartement !
Alors, le locataire du dessous qui monterait au-dessus
obligerait celui du dessus à redescendre en dessous.
Or, je sais que celui du dessus n’y tient pas !
D’autant que, comme la femme du dessous est tombée amoureuse de celui du dessus,
celui du dessus n’a aucun intérêt à ce que le mari de la femme du dessous monte au-dessus !
Alors, la dessus…
Quelqu’un est-il allé raconter à celui du dessous
qu'il avait vu sa femme bras dessus bras dessous avec celui du dessus ?
Toujours est-il que celui du dessus l'a su !
Et un jour que la femme du dessus était allée rejoindre celui du dessus, comme elle retirait ses dessous ...
et lui, ses dessus ...
Soi-disant parce qu'il avait trop chaud en dessous ...
Je l'ai su parce que d'en dessous,
On entend tout ce qui se passe au-dessus ...
Bref ! Celui du dessous leur est tombé dessus !
Comme ils étaient tous les deux saouls, ils se sont tapés dessus !
Finalement, c'est celui du dessous qui a eu le dessus.

    Noter l’effet musical du langage et la drôlerie qui vient de la gène à lire le texte sans faire d’erreur, car il est piégé d’une ligne sur l’autre. On marche sur des œufs et il y a un vrai talent littéraire à miner le chemin qu’emprunte le spectateur ou le lecteur. Noter aussi que le jeu de mots se sert de l’allusion, du sous-entendu, ou de l’implicite. Freud dans Le Mot d’Esprit et ses Rapports avec l’Inconscient, cherche évidemment l’allusion à la sexualité. Vu le nombre de textes qui y recoure cela se justifie, mais il est tout à fait possible de faire de l’humour sans utiliser ce registre qui n’ajoute rien à l’humour et ne peut certainement pas en constituer l’essence. L’allusion permet de développer l’effet de second degré, ce qui est une marque de l’esprit de finesse. L’humour spirituel y recourt souvent.

    4) Le comique de caractère est abordé au chapitre III du texte de Bergson et c’est dans ce même chapitre que se situent ses analyses d’esthétique. Bergson considère comme tâche la plus importante que l’élucidation du caractère comique. Il commence par accentuer une opposition. « Il y a des états d’âme… dont on s’émeut dès qu’on les connaît, des joies et des tristesses avec lesquelles on sympathise, des passions et des vices qui provoquent l’étonnement douloureux, ou la terreur, ou la pitié chez ceux qui les contemplent… Tout cela intéresse l’essentiel de la vie. Tout cela est sérieux, parfois même tragique». L’essentiel de la Vie est donc connu dans un pathétique dans lequel il y a une profonde unité. Pour qu’il y ait comique, à l’inverse, il faut que prenne fin le pathétique parce que nous repérons dans un personnage une posture si raide qu’il ne coule plus avec le mouvement naturel de la vie. Le personnage comique est comme à part, il « suit automatiquement son chemin » au point de perdre toute relation avec les autres. Que fait alors le rire ? il « est là pour corriger sa distraction et pour le tirer de son rêve ». La thèse de Bergson consiste à soutenir que moquerie du rire est un rappel à l’ordre moral, « le rire est une espèce de brimade sociale ». Cette dimension moralisante dissimulée dans le rire explique pourquoi « le plaisir du rire n’est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé ».

    « On dit souvent que les défauts légers de nos semblables sont ceux qui nous font rire ». C’est juste et c’est exactement ce qui permet de comprendre le comique de caractère. Mais c’est aussi un peu plus complexe que cela. Ce n’est pas que le comique s’en prenne aux défauts, mais ce qu’il vise c’est surtout la raideur d’un caractère, qu’il soit vertueux ou vicieux. (texte) En fait, il y a ressource comique chez toute personne qui prend une pose. Bergson dit joliment : « Un vice souple serait moins facile à ridiculiser qu’une vertu inflexible ». La raideur artificielle contrarie la sympathie que nous pourrions éprouver pour la personne si elle était spontanée. Elle empêche d’entrer en relation avec l’âme. Dès qu’un être humain est simple et spontané, il est aussi touchant. Dès lors qu’il pose, il devient un poseur et un poseur  offre illico un caractère comique : l’avare, le parvenu, l’intellectuel pédant, l’écervelée ou le bellâtre, etc. Le poseur se transforme en guignol. On passe ainsi de l’attention que nous pourrions accorder à la personne et à l’action, vers l’attitude typique. Le caractère comique est un condensé caricatural, il réside dans l’ornière d’un automatisme dont il ne sait plus se départir. Ainsi, « le personnage comique est un type. Inversement, la ressemblance à un type a quelque chose de risible ». Nous pouvons avoir fréquenté autour de nous des personnes sans jamais avoir trouvé en elle de drôle, mais le jour où elles entrent dans l’ornière d’un type identifiable, elles deviennent risibles. Ainsi, formule très classique : « peindre des caractères, voilà donc l’objet de la haute comédie ».

    Il y a des gens qui, en consommant des spectacles comiques, croient pouvoir fuir la vie et se réfugier dans une sorte de marge, celle du divertissement. C’est une erreur. Personne de peut quitter la vie et l’humour n’a jamais été une évasion. Nous venons même de voir que sous la légèreté de l’humour, il y a un pouvoir spirituel.

C. Vertige de l’absurde et finesse de l’humour

    On dit de quelqu’un qui a le sens de l’humour qu’il est « spirituel ». Bien sûr, ce n’est pas communément dans le sens des « exercices spirituels » chez Ignace de Loyola, ou de la vie spirituelle selon Ramdas ou Gandhi. Toutefois, ce n’est pas un hasard, l’humour est lié inséparablement à la spiritualité. Mais de quelle manière ?

    1) Nous avons vu précédemment qu’à côté de l’expérience esthétique pure de la beauté et de ses contrastes, il existait une opération davantage impure, par laquelle l’art, travaillant au cœur de la sensualité, la retournait, la fouillait pour la libérer. Aristote attribuait à la tragédie et à la musique un pouvoir de catharsis. La catharsis implique en effet une libération de l’excès des émotions dont l’homme est possédé, de sorte qu’il puisse en être délivré.

    Le rire a un bien effet cathartique au sens où il dénoue de ce qui est serré, crispé.  Or nous avons par ailleurs montré à plusieurs reprises que pour l’essentiel, le travail de conscience consiste à dénouer ce qui est retenu, ce qui obstrue et empêche la libre circulation de l’énergie entre la conscience et le corps. Un des mots clé des Yoga-sûtra  de Patanjali est « désobstruction ». Logiquement, il existe (très sérieusement !) un yoga du rire qui se situe dans le prolongement exact du yoga postural, le hatha-yoga, et de celui de la respiration le pranayama.  On y apprend le « rire bonjour » qui consiste à aborder une personne, lui serrer la main en riant ; il y a le « rire de l’estime de l’autre », qui consiste à aller vers autrui le rire en bandoulière, ce qui favorise le lâcher prise de l’échange ; il y a le « rire du lion » accompagné de mouvements des mains et de pantomime ; enfin, et c’est le but, l’invitation est de retrouver en soi « l’enfant rieur ». Le rire de l’enfant est bien différent du rire de l’adulte. Il est très spontané, tandis que celui de l’adulte est marqué par la retenue. Cela peut sembler paradoxal de chercher le rire. En effet, on ne rit pas sur commande, car le rire n’est pas un acte de volonté, il est vrai seulement quand il spontané, car il est intimement lié à la joie. Cependant  l’approche du yoga du rire garde un sens. D’abord parce le rire est par nature communicatif et qu’en groupe on passera très rapidement de l’exercice au fou-rire. D’autre part, dans un monde très crispé comme le nôtre, c’est presque une démarche de santé publique que d’aider à libérer les tensions individuelles. Et le moyen ici est simple et agréable. Notons que hasya, le comique, est considéré dans l’esthétique indienne comme l’un des rasas,  des saveurs esthétique, le même mot de rasa est aussi employé pour les saveurs du goût.

    Nous avons vu pourquoi Antonin Artaud pensait qu’une société a besoin du théâtre pour exorciser ses démons. Le théâtre, et parfois le cinéma, peuvent effectuer une catharsis dans  la conscience collective. Le rapprochement avec l’humour est ici nécessaire. Le succès actuel des comiques est en relation directe avec l’extrême crispation dans laquelle nous vivons et le besoin de la défaire. Ce qui veut dire qu’en réalité ce n’est pas du tout très bon signe. Dans un monde psychologiquement équilibré, nous n’aurions pas besoin de «consommer » autant de tranches de rire, de nous chatouiller (texte) ou de nous forcer à rire comme nous le faisons. La surconsommation médiatique du rire est le corollaire d’une société névrotique, le reflet d’une société très dysfonctionnelle. Dans un monde plus équilibré, le rire serait différent. Il ferait partie de la vie et il retrouverait sa place comme expression très spontanée de la joie de vivre et non pas comme procédure de défoulement obligatoire pour purger la négativité ambiante et les tensions résiduelles. Observons dans les soirées ces gens qui font des efforts pour « faire rire », nous sentirons le malaise et comme un vide. Il suffit de voir les regards terne et les visages de cendre peu après l’hilarité générale. Nous comprendrons alors que l’on peut être extérieurement « gai » en intérieurement complètement désespéré. Masquer le vide et le désespoir par de l’humour forcé, c’est creuser encore plus le vide et le désespoir, car c’est vouloir donner l’illusion que tout va bien quand en réalité intérieurement on est au plus mal. Perpétuer le mensonge des apparences .On peut très bien être pince-sans-rire et suicidaire, ce n’est pas contradictoire. D’ailleurs la plupart des comiques de talent sont très souvent anxieux et ils savent tirer de leur misère intérieure de quoi faire rire. Autant que de la bêtise ambiante. Pierre Dac était très dépressif. Pierre Desproges était désespéré.

    2) Maintenant, qu’est-ce que l’humour ? L’humour est l’esprit du rire qui en est le corps. Quelle est donc l’opération spirituelle de l’humour ? L’humour produit un détachement amusé devant le réel, un détachement amusé devant nous-mêmes et devant ce monde tel que nous l’avons fait. Traditionnellement il existe plusieurs voies qui conduisent au détachement. Le stoïcisme présente la voie de la lucidité au sein du réel, dans l’aptitude à prendre les choses telles qu’elles sont et à ne plus s’y perdre ou s’y égarer. L’acceptation intégrale de ce qui est libère et produit le détachement. La contemplation esthétique parvient au détachement en laissant-être le paysage terrestre dans la grâce de la beauté. Voir la beauté, c’est, sans aucun effort, mettre fin à la prédation du désir, dans un état où l’âme goûte à la plus fine expérience de la sensibilité.

    Ce qui est remarquable, c’est que l’humour est aussi capable de produire un détachement et il le fait en retirant le masque du sérieux mortel que nous mettons trop souvent sur les choses et en sublimant l’absurdité de notre existence. C’est étrange, mais on peut rire aux larmes, ce qui est à la fois très tonique et très sain, mais… rapproche curieusement le comique du tragique qui est son opposé.  C’est un point que nous ne remarquons à peine, mais c’est justement cette tension qui donne à l’humour sa puissance spirituelle. Il existe bien sûr des formes d’humour assez pauvres qui restent dans la platitude ou la négativité imbécile et nous reconnaissons facilement que ce type de talent reste assez médiocre. Là où l’humour touche juste, là où il possède une puissance, c’est quand il descend dans la pâte existentielle de l’humain sur la pente de l’absurdité. C’est très sensible chez Devos qui va jusqu’à fait basculer le vertige jusque dans le rapport surréaliste à l’imaginaire. Voyez le sketche Qui tuer ? et celui du cauchemar d’un sens giratoire dont on ne peut plus sortir une fois engagé. Dans ce dernier exemple, si nous prenons la situation au sérieux, c’est effrayant d’être condamné à tourner en rond (avec l’ambulance et le corbillard) indéfiniment. C’est absurde. Mais si nous pouvons rire de ce piège démentiel, c’est extraordinaire et libérateur. (texte)

    Chaque fois que l’humour se pose sur un détail, sur une situation insensée de la vie pour en rire, il révèle l’absurdité en tant que telle. Sans cela, nous sommes très souvent piégés dedans, nous sommes dans l’absurdité sans en avoir conscience ; et c’est dans l’absence de la conscience de soi que la vie devient tragique et vaine, prisonnière des limites et condamnée à des répétitions dépourvues de sens. Pour Schopenhauer, (texte) l’homme rit avant tout de l’absurdité de la vie humaine. Ce qui n’implique pas le cynisme, mais essentiellement la lucidité. Le cynisme ajoute l’interprétation maligne de la méchanceté. La lucidité consiste à voir les choses telles qu’elles sont, voir ce qui est. C’est tout. Sans introduire par-dessus un jugement moral. Ce qui s’accorde très bien avec une touche légère d’humour. Pensez au maîtres Zen. Il ont souvent une allure austère, car ils insistent sur la pleine conscience, mais si on y regarde de plus près, même sur les tableaux, il y a toujours un léger sourire, comme le léger sourire du Bouddha sur les statues. Au Viêt-Nam, dans les maisons il y a toujours un « fat buddha », un bouddha avec une grosse bedaine complètement hilare. Si vous avez un problème, un regard sur le bouddha et vous vous dites que ce n’est pas si grave !

    3) Maintenant, questions fondamentales : sur le fond, de qui rions-nous ? Qui est ce personnage qui prend des poses et dont nous rions ? Qui est donc ce sujet rigide, décalé, entièrement mental et qui ne coule par avec la Vie ? Qui est ce sujet qui se prend terriblement au sérieux ? Qui est complètement pris dans l’attachement ? Qui aime le drame ? … Qui sème de l’absurdité dans notre existence ?

    Au vu des précédentes leçons il n’y a aucune hésitation à avoir : l’ego est la réponse. Plus l’ego est fortement affirmé, plus il y a de la pesanteur et de la rigidité mécanique dans notre vie. L’affirmation de l’ego va de pair avec le poids du passé et les sornettes que nous nous racontons dans notre monologue intérieur. Ce qui veut dire aussi avec la prison que nous nous sommes construit. L’humour est un instrument spirituel de premier ordre, car il permet l’auto-dérision au sens de la pointe de dérision portée sur l’ego. L’humour désamorce la charge de sérieux fictif entretenu par l’ego. Il est très sain de mettre en lumière l’ego par l’humour et de pouvoir se déprendre de son empire

    Deux brèves mises en humour de l’ego :

    « L'avis de tous vaut bien le mien… parfois."  

    « Qu’est-ce qu’un égoïste ?... C’est celui qui ne s’occupe pas de moi.»

    Quand nous pouvons surprendre la voix de l’ego… et pour la première fois en rire, il est pris sur le vif, cela provoque un lâcher-prise qui laisse place à la simplicité Cette région de l’humour n’a plus la pesanteur de l’humour habituel. Disons que c’est de l’humour spirituel. C’est pétillant, fin, léger, intelligent, joyeux et libérateur. Ce type d’humour est très présent dans la spiritualité vivante.

    « L’humour est partie intégrante de la vie spirituelle. Si celle-ci se fait pesante, c’est le signe que quelque chose ne va pas. Notez que, même en termes physiques, plus on s’approche du centre de la Terre, moins il y a de " gravité ". Pourquoi n’en irait-il pas de même avec ce centre de l’Univers qui se trouve là, en nous ?» Douglas Harding

    Voici par exemple une blague commentée par Eckhart Tolle :

    Humour Zen :

    -Disciple, comprends-tu le Zen ?          (do your understand Zen ?)

    -Euh.. Non… maître…                   (No, Master)

    -Moi non plus !                              (Neither do I !)

    Le maître veut montrer que la Présence n’est pas conceptualisable. Le Zen adore les raccourcis saisissants des koans qui arrêtent la logique et laissent l’esprit en suspend. Une autre blague d’Eckhart Tolle où il s’amuse des croyances tout en montrant qu’aucune croyance ne conduit à l’éveil :

    Autocollant sur une voiture de chrétien :

    Born again christian

    Sur une voiture de bouddhiste :

    Born again, again and again

    La spiritualité n’est pas triste, elle élève au contraire l’humour au rang d’un art très subtil. C’est ici que la très jolie formule  rire aux anges  prend son sens, car ce n’est pas le rire gras, lourd, scatologique, mais un rire radieux, (texte) pur, cristallin capable même de flirter avec la plus haute métaphysique.

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Le titre d’artiste pour désigner le comique n’est pas surfait. Au-delà du glauque et du graveleux, du divertissement facile et de la négativité indirecte, l’humour peut être élevé au rang d’un art. Au sujet de la peinture, Kandinsky titre Du Spirituel dans l’Art et nous ne pouvons pas douter qu’il y ait effectivement une dimension spirituelle de l’humour. Il y a bien un rasa esthétique dans le comique. Partout où l’Esprit s’exprime au sens le plus élevé du terme l’humour vient à se manifester. Pascal dans les Pensées dit que c’est une erreur de se représenter les philosophes en robes de pédants, car ils savaient rire. C’est une chose que l’on oublie trop souvent en lisant Platon, mais il était très moqueur. Il n’aurait pas apprécié la froideur et la pesanteur académique avec laquelle nous avons enrobé sa pensée. Il est évident que dans certains textes, comme Le Banquet, il s’amuse beaucoup.

Et puis, honnêtement, comment pourrions-nous supporter toute cette laideur que nous avons répandu dans le monde sans une touche d’humour ? C’est l’humour qui nous sauve du désespoir, car l’humour est le messager du Cœur qui vient nous dire que la Vie n’a pas besoin d’avoir une finalité lointaine. La Vie s’aime aime elle-même et elle trouve son délice à se vivre dans la joie simple de l’instant. L’humour nous fait vivre cette dimension du Jeu cosmique.

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Vos commentaires

Questions :

1.       Peut-il réellement y avoir un rire sadique, ou faut-il plutôt parler de rictus ? (cf. le joker de Batman !)

2.       En quel sens le rire peut-il être blessant ?

3.       Comment expliqueriez-vous l’exemple rapporté par Jung de cette femme qui dans son rêve entre dans une étable alors qu’elle s’attendait à entrer dans une réception mondaine ?

4.       Y a-t-il des sujets dont on ne devrait pas rire ?

5.       Si le bonheur peut parfois nous visiter quand on s’y attend le moins, faut-il en dire autant du rire ?

6.       Peut-on, sans le trahir, ramener le rire à un spasme physiologique ?

7.       Pourquoi y a-t-il un usage si fréquent de la sexualité dans l’humour ?

 

  ,© Philosophie et spiritualité, 2008, Serge Carfantan,
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