Puisque nous admettons qu’il appartient à l’éducation de montrer le monde tel qu’il est, il lui appartient aussi de donner les moyens d’éviter que l’élève et l’étudiant se fasse des idées fausses. Nous avons vu précédemment. Devant toute information de seconde main, il est essentiel de faire preuve de discernement afin de ne pas tirer de conclusions hâtives et sauter dans des généralisations vagues et incertaines.
La difficulté est d’autant plus vive que l’arrivée d’Internet a mis à la disposition de chacun d’entre nous une pléthore d’informations qui, si elle est mal maîtrisée, ne peut que plonger l’esprit dans un nuage d’inconnaissance. C’est vrai. Ce n’est pas une raison pour autant pour disqualifier en bloc Internet comme le font quelques intellectuels. Il s’agit plutôt désormais d’apprendre à chacun les clés d’un discernement positif, pour éviter les écueils de la crédulité facile et de la noyade dans l’information. Il faut souligner la nouveauté de cette situation. Dans le passé, l’argument d’autorité régnait en maître sur des sources qui étaient, sommes toutes, très limitées. L’accès à l’information demandait une longue préparation et était réservé à une élite cultivée capable de maîtriser un langage technique. Désormais, la pression de l’argument d’autorité est plus faible, la facilité des publications, le travail de vulgarisation, les efforts pédagogiques développés depuis des années mettent les avenues du savoir (R) à la portée de tous.
Nous disposons de moyens formidables. Il est hors de question de les laisser entre les mains des affairistes, du marketing, et des manipulateurs de tous poils. Le tout, c’est d’être armé pour donner les moyens d’un jugement solide. Apprendre à recevoir les faits et à les considérer de manière intelligente. Mais peut-il y avoir une éducation du discernement ? Peut on apprendre à voir plus clair sans risquer dans cette apprentissage de tomber dans une sorte de « police de la pensée » ? Il ne faudrait pas qu’en guise de méthode, nous cherchions de manière déguisée à ramener des ouailles au bercail dans nos propres opinions convenues et nos positions bien assurées ! La liberté de pensée est sacrée. Il est important de ne pas tomber dans une idolâtrie de la « raison » qui ferait d’elle la gardienne d’une doctrine indiscutable pour l’éternité. Encore une fois, la « raison » ne peut pas désigner une doctrine. Elle est une faculté qui allie de manière synthétique intellect et intelligence.
* *
*
Un pilote qui vole à une altitude trop basse peut avoir par temps nuageux du mal à « discerner » les formes qui émergent du brouillard. Cette image est plus qu’une analogie (R). Il y a dans l’invitation à davantage de discernement un appel à une intelligence du voir. Il s’agit de « ne pas prendre des vessies pour des lanternes ». Un esprit confus manque de discernement, il mélange tout et ne sait plus marquer des distinctions claires. Il faut partir de là. Il est impossible de comprendre ce qu’est le discernement tant que nous n’avons pas pris conscience de notre confusion, le fait même de prendre conscience de notre confusion revient illico à en sortir, ce qui veut dire justement s’en dégager en faisant preuve de discernement. Plongé dans la confusion l’esprit est comme perdu et il ne peut s’en dégager qu’en se retrouvant lui-même. Ainsi voir ma propre confusion est un acte suprêmement positif,..
1) Il y a des signes qui ne trompent pas et que nous pouvons tous reconnaître. En tout premier lieu le surgissement de l’émotionnel. A chaque fois que j’entre dans le champ des réactions émotionnelles, je perds contenance et aussitôt mon esprit est troublé. Non seulement les réactions émotionnelles jettent le trouble, mais elles provoquent au niveau mental un effet de projection. Ce qui s’ensuit est dès lors mécanique, je vais projeter sur l’objet mon inquiétude, ma peur, mon envie, ma colère, mon adoration etc. Mon esprit en devient agité et confus. Je « vois » ce que je m’attend à voir ou bien ce que je craints de voir : mes propres surimpositions. Et bien sûr, adieu clarté et distinction, je perds tout discernement. Je ne me retrouverai moi-même qu’une fois revenu au calme. Sous le coup de l’émotionnel, j’avais comme on dit spirituellement « perdu la tête » dans le sens où mon intelligence était sur le moment altérée par une sorte de bouffée délirante.
La recommandation est d’un cynisme politique achevé, mais le conseil machiavélique ici, que serait-il ? Que chuchoterait à l’oreille des puissants un démon qui voudrait nous priver de tout jugement ? « Si vous voulez détruire le discernement des hommes, bombardez-les en permanence avec de l’émotionnel, cela les jettera dans la confusion et si vous le faites de manière constante, vous n’aurez plus qu’un troupeau d’esprits confus, très malléables et faciles à suggestionner. Prenez les informations à la télévision. Si vous voulez qu’elles produisent de la confusion, semez de la peur, mettez-y le maximum de provocation émotionnelle, d’excitation, de manière à mettre le spectateur dans un état énervé et réactif. Ne le saisissez pas tranquille. Rendez-le émotif, agité et superficiel. Cela interdira toute possibilité de réflexion et en plus il pourra se croire bien informé, parce qu’il aura hurlé sa colère, son dépit, son enthousiasme naïf, sa vengeance devant l’écran. Si vous lui servez en guise d’information une bouillie de mensonges et des jugements simplistes, il ne s’en rendra même pas compte… »
---------------d’attirer notre attention sur un point trop souvent négligé : nos pensées apparaissent sur le fond d’un état de conscience et quand celui-ci est coloré par des réactions émotionnelles, toutes les pensées en sont affectées et se ressemblent. Il n’y a aucun sens à évoquer la question du discernement si nous faisons complètement abstraction de l’état de l’esprit pensant. Il faut considérer le contenu logique de la pensée comme étant porté par un flux psychologique. On aura beau prodiguer à l’infini des conseils logiques, ils ne seront de nul effet face à un esprit agité, désemparé et inquiet, car c’est sur ce terrain que prolifère la pensée confuse. Donc, d’abord prendre conscience de la confusion, et au beau milieu de cette prise de conscience, retrouver ce qui est indispensable à un exercice correct de l’intelligence, la tranquillité. Un espace de quiétude très alerte et cependant sans excitation. Nous vérifierons alors qu’un esprit serein retrouve de lui-même le chemin du discernement.
Ce serait une avancée considérable si nous pouvions dans l’éducation aider chaque être humain à comprendre en quoi consiste l’émotionnel et comment il fonctionne. Cela fait partie de cette connaissance de soi qui est un appui indispensable pour approcher la vie de manière juste, avec finesse, pertinence et clarté. Une fois qu’une compréhension profonde de l’émotionnel est établie, il devient possible de flotter avec les émotions, sans être complètement emporté par elles. C’est une libération extraordinaire pour l’intelligence. C’est sur la base de la stabilité du mental que se construit le discernement. Il est parfaitement futile de croire qu’il est possible d’en faire l’économie. Il suffit d’observer ce qui rayonne d’une personne au regard intelligent, capable de s’exprimer avec pertinence. Il y a toujours une présence puissante, large et profonde, une stabilité intérieure, de sorte que la parole ne provient pas d’une simple réactivité superficielle, mais de la position du Témoin, de l’observateur impartial. Quand l’intelligence accède à la position de Témoin, le discernement devient aigu et la vision gagne en profondeur. Si la parole est frontale, réactive, jetée dans l’émotionnel, l’expression devient très vite tout et n’importe quoi. L’esprit pour déployer son discernement a besoin de paix, de calme et de silence. Empêcher l’un des trois, ou bien les trois ensembles et vous ferez des esprits confus, chaotiques. Ne dit-on pas du fou qu’il est aliéné ? Et être aliéné, cela veut dire être égaré et ne plus être soi. Et comment voulez-vous, quand vous être plongé dans la confusion mentale, quand vous n’être plus vous-même, faire preuve de discernement ?
2) Bref, pour trouver le discernement, il faut que l’esprit soit lucide et le demeure. C’est dans la lucidité qu’il trouve la neutralité, l’impartialité nécessaire au discernement. Toutefois, nous avons vu que la lucidité enveloppe aussi une sensibilité, mais qui n’est pas la réactivité émotionnelle, ni la froideur intellectuelle distante et indifférente. Il ne faut pas confondre l’émotionnel réactif, la contention de l’isolement et le sentiment de ce qui est. La lucidité est une Passion sans motif qui n’est dérivée vers aucun objet. S’il n’y avait pas ce Feu de l’intelligence, il n’y aurait pas de pouvoir de discernement. L’intelligence apporte la lumière, l’intellect apporte son sens de la distinction (texte) et l’un et l’autre concourent pour démêler la confusion. Nous avons vu l’origine du mot critique dans le grec kritikein, qui veut dire discriminer et « distinguer ». Notons que le terme de « discernement » est resté proche du grec, tandis que le mot « critique » a lui été dénaturé. Le discernement est le travail de discrimination, l’action de mettre à part ce qui est mélangé à tort.
En premier sens, le dictionnaire Littré cit
--------------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier
Questions :
1. En quoi le manque de discernement relève-t-il d'un défaut de logique?
2. En quoi le sens de l'observation est-il tout particulièrement concerné dans l'art du discernement? ?
3. En quoi le bombardement publicitaire peut-il affecter le discernement du public?
4. En quoi l'illusion est-elle liée au manque de discernement?
5. Qu'est-ce qui pourrait contribuer à un certain talent dans le discernement?
6. Faire preuve de discernement, n'est-ce pas sur le plan moral se montrer prudent?
7. Dans un monde où le conditionnement de masse est devenu culture peut-on reproches aux hommes de manquer de discernement??
© Philosophie et spiritualité,
2009, Serge Carfantan,
Accueil.
Télécharger.
Notions.
Le site Philosophie et spiritualité
autorise les emprunts de courtes citations des textes qu'il publie, mais vous devez mentionner vos sources en donnant le nom
de l'auteur et celui du livre en dessous du titre. Rappel : la version HTML n'est
qu'un brouillon. Demandez par mail la
version définitive, vous obtiendrez le dossier complet qui a servi à la
préparation de la leçon.