Dans nos conversations les plus banales, nous disons souvent, en guise d’acquiescement: « c’est logique », ce qui veut dire implicitement, « mais voyons, c’est évident ! ». Ce genre de formule est assez vague. Il faudrait préciser ce que nous entendons par « évident » et par rapport à quoi. Évident dans la perception, en tant qu’idée ou en relation avec un autre fait ? Être évident et être logique, est-ce deux termes identiques? Nous avons ce mot de logique sans cesse à la bouche, mais ne l’employons-nous pas à tort et à travers ?
Dans certains cas, ne vaudrait-il pas mieux dire « c’est un fait », ou « c’est vrai », plutôt que de dire « c’est logique »? N’y a-t-il pas un sens très particulier attaché à une formulation logique ? La logique est d’abord concernée par le raisonnement et sa valeur et non par l’observation. Elle peut très bien opérer avec des propositions qui ne comportent pas d’évidence factuelle, pas de certitude liée à une constatation.
Pour mieux comprendre le sens de la logique, la question que nous devrions nous poser est celle-ci :A quelles conditions un discours est-il logique ?
* *
*
Qu’est-ce que la logique ? Le sens commun interrogé dira que cela doit être est une sorte « d’étude de la pensée », « étude du raisonnement ». Mais la pensée peut s’entendre de deux manières. Le psychologue et le logicien ont tout deux affaire à la pensée en un sens, mais pas dans le même sens. Le psychologue s’intéresse aux faits de conscience, aux vécus de conscience et à leur explication. Ce n’est pas le champ d’intérêt, le point de vue du logicien sur la pensée qui est seulement intéressé par la question de la vérité. La psychologie ne rencontre la pensée du logicien que sous l’angle du statut de croyance dont elle peut chercher les causes, mais le statut de sa vérité n’est pas son problème. « Le psychologue n’a point à s’occuper de la vérité ou de la fausseté d’une croyance ; le jugement faux est pour lui un fait au même titre que le jugement vrai. Ce qui intéresse le logicien, c’est précisément la distinction du vrai et du faux.. Le premier recherche à quelles conditions une croyance est, le second à quelle condition une croyance est fondée »
. Ce sont là deux points de vue différents. La pensée, en tant qu’elle porte sur des idées, ne se réduit pas à du psychologique. On appelle justement psychologisme l’attitude qui tend à réduire l’idée à un phénomène de conscience passager. Par exemple, la théorie de l’éducation de Rousseau possède une certaine validité, un contenu logique qui mérite qu’on l’étudie. Ce n’est pas parce que Rousseau a laissé ses enfants à l’assistance publique que pour autant ce qu’il dit sur l’éducation est sans valeur. En rester à cette critique, c’est faire du psychologisme et perdre de vue la valeur de vérité d’une doctrine en ne voyant que la psychologie de son auteur. (texte)
---------------Cette distinction en appelle une autre. On pourrait objecter que la vérité contenue dans la pensée est en fait l’objet des sciences. Cependant, il faut distinguer l’attitude logique du spécialiste, de celui qui raisonne en mathématiques, en biologie, en histoire, de la réflexion logique qui est celle du logicien. L’attitude logique est nécessaire dans tous les domaines de la connaissance, sans quoi le savoir ne parvient pas à se structurer, sans quoi il n’est pas de science possible, puisque la science est une connaissance en forme de système. L'attitude logique n’est pas la réflexion sur la logique, n’est pas la logique réflexive. Il revient au logicien de s’interroger sur notre expérience intellectuelle
en tant qu’elle prend la forme d’un discours qui se caractérise par une
prétention à la vérité. Encore faudra-t-il que nous précisions exactement le
type de vérité qui regarde la logique.
On définissait autrefois la logique comme un art de penser droit et juste. Comme si la logique disposait en elle-même d’une sagesse. Cette définition serait correcte si la pensée ne se formait qu’à travers la cohérence de son discours. Mais suffit-il qu’un discours soit cohérent pour qu’il soit vrai ? Nous avons déjà vu précédemment que le mérite de l’approche objective de la connaissance est de ne pas seulement se fier à la construction conceptuelle des théories, mais de les soumettre à l’expérimentation. Nous avons aussi vu que la méthode pour bien conduire sa pensée ne se réduit pas à quelque règles de logique. C’est ce que nous montre Descartes. La logique ne peut pas se substituer à la science. Aristote, le fondateur de la logique en Occident, la plaçait sous le titre général d’Organon, ce qui signifie en grec outil. Il la plaçait au point de départ de la science comme une propédeutique, une introduction à la science. Cela signifiait que l’élève était sensé apprendre à user correctement des concepts, à manier le jugement avec rigueur, à procéder correctement dans ses raisonnements, avant de se livrer à l’étude scientifique de la Nature. Une pensée incohérente ne peut pas faire d'étude solide. Le sens de cette préparation est donc important. Il y a du logique partout où se présente une méthode. La logique est inhérente à tout savoir organisé, elle est inhérente aux mathématiques, comme à la biologie, ou à la physique. La logique est présente en toute théorie, et pas seulement d’ailleurs les théories scientifiques.
Le logicien est donc celui qui se propose de dégager ce qu’il peut y avoir de commun dans les divers procédés de la pensée. Il s’élève au dessus des différents discours du savoir, pour expliciter ce qu’est un discours vrai. La logique semble donc la science des conditions de la pensée vraie et du raisonnement valide. Une comparaison rendra les choses plus claires. Chaque langue dispose d’une grammaire, d’une orthographe. Il est indispensable pour être compris sans ambiguïté de respecter les règles de la grammaire, les règle de la langue, pour éviter les fautes d’expression. On dit faute et non pas erreur, car nous sommes sensés connaître notre langue. Disons que la pensée possède elle aussi sa grammaire qui est la logique. La logique est comme la grammaire essentielle que se doit de respecter la pensée raisonnante. C’est pourquoi on parle aussi de faute logique à propos d’une incohérence et pas simplement d’une erreur. Un discours qui ne respecte pas la logique perd sa signification, comme un texte truffé de fautes d’orthographe et de syntaxe devient illisible et incompréhensible. Les règles du raisonnement doivent être respectées, comme les règles de grammaire et d’orthographe.
Encore faudrait-il savoir exactement ce qu’est une faute logique ! C’est ce qui ressort de la logique formelle. Elle est l’étude des concepts, jugements et raisonnement considérés dans la forme (R) où ils sont énoncés dans le discours, abstraction faite de leur matière. La logique étudie les propriétés, la validité, les enchaînements, les conditions sous lesquels les jugements s’impliquent les uns les autres ou s’excluent. Elle est donc concernée surtout par la structure du raisonnement et non par son contenu.
En quoi consiste donc cette cohérence ? Si nous prenons deux énoncés :
-
Le dauphin est un mammifère- Tous les lapins sont carnivores
Nous ne dirons pas que le premier est « logique » tandis que le second ne serait pas « logique ». On dit que le premier est vrai tandis que le second est faux. S’agit-il alors d’une vérité d’ordre logique ? Non. Pas exactement. Il y a ici une ambiguïté à dissiper.
1° Une proposition se compose de termes qui sont des concepts. Un concept n’est ni vrai, ni faux. Il possède une définition qui enveloppe une extension et une compréhension. Nous jugeons qu’un concept possède certains attributs et d’autres non. Dauphin enveloppe des idées telles que celle d’animal marin, de mammifère etc. Mammifère se distingue d’ovipare et désigne un animal qui porte sa progéniture en lui et l’allaite après la naissance. On ne peut pas dire qu’un concept est « vrai » ou « faux » et on peut encore moins dire qu’il est « logique ». Pour le logicien, un concept a une définition qui le rend opératoire et c’est tout : il a un sens.
2° Selon ce qui est contenu dans le concept nous établissons des propositions qui font le plus souvent à appel à l’expérience ou à l’ordre des faits. Nous voyons bien que le lapin ne répond pas à la définition du carnivore, comme le ferait le renard. Le dauphin répond par contre à la définition du mammifère. Il est possible d’en appeler à des observations de fait pour établir que la première proposition est vraie et que la seconde est fausse. La valeur de vérité que l’on donne à une proposition dépend d’autre chose que de la seule logique, c’est pourquoi on parle de vérité matérielle. texte. Cf. Alain. CF. Eléments de philosophie. En parlant de vrai , nous voulons dire qu’une relation pensée par l’esprit, telle que celle entre « dauphin » et « mammifère », correspond à une relation observée dans les faits. Dans le faux, la relation n’est pas observée, elle n’existe pas. Le lapin est un rongeur qui se nourrit de racines, de plantes.
---------------3° La logique demande seulement que l’on convienne d’une valeur de vérité, que l’on attribue à la proposition A la valeur du vrai et à la proposition B la valeur du faux. C’est ainsi seulement que l’on obtiendra ce qui s’appelle les prémisses d’un raisonnement. Une fois les prémisses posées, il sera possible d’examiner ce que nous en faisons dans le discours. La logique n’est pas encore pleinement présente au 1° ni au 2° , elle l’est au 3°. Elle n’est pas là pour s’interroger sur les concepts, ni pour décider de la pertinence d’une proposition, elle est là pour étudier le raisonnement. La validité des concepts, la pertinence des propositions appartient à la science, ou à la doctrine dont ils sont issus.
Le domaine de la logique est celui de la vérité formelle, domaine qui a trait à l’enchaînement des propositions entre elles. Il y a donc les briques que sont les concepts, les murs que sont les propositions et un ensemble de murs qui tiennent correctement ensembles qui est le raisonnement pour une construction générale qui est la représentation dans le discours. Le bon architecte a en vue le bel édifice, l’édifice cohérent et solide. Il doit s’assurer bien sûr que le matériau est solide et que la maçonnerie est bien faite, mais il n’est pas le fabricant de briques ni le maçon. Il appartient au philosophe, au physicien, à l’astronome, à l’historien au linguiste etc. de forger leurs propres concepts, de montrer quelles assertions on peut tenir sur la réalité. Le logicien lui est seulement capable de dire si le discours des uns ou des autres tient debout ou est tissé d’incohérences et de contradictions.
(texte)
Pour comprendre en quoi consiste la validité formelle (R)d’un raisonnement, nous devons être attentif à ce que signifie la cohérence ou l’incohérence dans le raisonnement. La logique est concernée par les étapes du raisonnement, par le passage d’un énoncé à l’autre. Nous disposons pour cela d’un modèle du raisonnement valide, celui de la déduction. C’est déjà celui que donne Aristote pour modèle de ce qu’il appelle le syllogisme, ou raisonnement à trois termes comme dans l’exemple classique :
(N°1) 1.
Tous les hommes sont mortels2. Or Socrate est un homme
3. donc Socrate est mortel
Les concept « hommes », « Socrate » et « mortel » sont nommés les termes du syllogisme. Les proposition 1 et 2 sont appelées les prémisses, et la proposition 3 est la conclusion. Le passage de 1, 2, vers 3 est dit nécessaire, de telle manière que si on pose 1,2 on est obligé de reconnaître 3. La certitude que contient la proposition 3 n’est alors plus du tout empruntée à l’expérience, elle est tirée logiquement de propositions admises. C’est donc qu’il y a quelque chose de contraignant dans la forme même de l’enchaînement de proposition qui nous y oblige et pas la matière des propositions qu’il contient. En ce sens l’exemple suivant est exactement du même ordre :
(N°2) 1.
Tous les dinosaures sont épiciers2. Or Léon est un dinosaure
3. Donc Léon est épicier
Ce n’est pas parce que les énoncés sont fantaisistes que pour autant le raisonnement n’a pas de logique. La déduction y est tout aussi contraignante que dans le cas précédent. Pour mieux comprendre ce qu’est la validité formelle, il faut donc nous dégager du rapport à la seule expérience et considérer la structure formelle. Au fond, il suffirait de ne voir « homme », « Socrate » et « mortel » comme des exemplaires singuliers de variables que l’on pourrait remplacer par des lettres et qui figurerait des concepts. Si :
a = Socrate, Léon : le plus petit terme
b = homme, dinosaure : le moyen terme
c = mortel, épicier : le plus grand terme
On a la structure :
Tout b est c prémisse 1
Or a est b prémisse 2
donc a est c conclusion
Nous voyons que la nécessité logique tient à la nature des énoncés en tant que types de jugements et à la manière dont est posée la relation impliquée entre eux dans le raisonnement. On a :
«
Tous les hommes sont mortels » est une proposition universelle affirmative, UA.«
Socrate est un homme »’ est une proposition particulière affirmative; PA.«
Socrate est mortel » est une proposition particulière affirmative; PA.Le jugement consiste à déduire de la proposition universelle une propriété valide. En terme de la théorie des ensembles d’Euler, cela implique que l’on tracerait successivement les trois ensembles en remarquant que le plus petit est inclus dans le plus grand.
La conclusion ne fait que déduire l’inclusion dans la proposition UA, le cas particulier d’une proposition PA, ce qui est tout à fait autorisé.
Mais il n’en n’est pas toujours ainsi. Comparons ces deux raisonnements élémentaires :
(N°3)
Tous les batraciens sont des animauxOr les grenouilles sont des batraciens
donc les grenouilles sont des animaux
et :
(N°4)
Tous les batraciens sont des animauxOr les grenouilles sont des animaux
Donc les grenouilles sont des batraciens
Le premier reprend la même forme que la déduction que nous avons vue précédemment. Par contre le second a la forme
Tout b est c
Or a est c
donc a est b
Transposé dans la théorie des ensembles, cela donnerait cette situation :
Nous ne savons pas quelle est la relation exacte entre « batracien » et « grenouille ». Il est possible logiquement :
- qu’aucune grenouille ne soit un batracien : nul a n’est b.
- que quelques grenouilles soient des batraciens : quelques a sont b.
- que toutes les grenouilles soient des batraciens : tout a est b.
- que tous les batraciens soient des grenouilles : tout b est a.
Aucune conclusion ne paraît nécessaire et surtout il n’y a pas de conclusion unique. Dès lors, ne sachant pas laquelle est vraie, nous n’avons pas le droit de choisir. Le raisonnement est dit non-concluant.
Dans le raisonnement précédent cela reviendrait à dire en effet :
(N°5)
Tous les hommes sont des mammifèresOr je suis un mammifère
Donc je suis un homme
Ou encore :
(N°6)
Tous les hommes sont des mammifèresOr mon chat Alfred est un mammifère
Donc mon chat Alfred est un homme
Pour que le raisonnement soit correct, il faudrait que la mineure soit négative :
(N°7)
Tous les hommes sont des mammifèresOr les escargots ne sont pas des mammifères
Donc les escargots ne sont pas des hommes
Et là, cela marche. Ce genre de dérapage explique certaines transitions illogiques d’une idée à l’autre dans notre manière de penser, les simplifications abusives que l’on rencontre parfois dans les discours politiques ou dans ceux des journalistes et aussi les fautes rencontrées dans des dissertations de philosophie ! (texte)
Il revient à la logique d’étudier les règles qui font qu’un raisonnement est correct ou non. Pour cela, elle se doit de formaliser les propositions et de repérer la manière dont sont conduites les liaisons. On appelle logique propositionnelle la partie de la logique qui s’occupe du calcul le plus élémentaire en ne retenant que deux valeurs de vérité vrai/faux, V/F. Elle est dite bivalente : elle fonctionne sur la base de la dualité présente dans la pensée ordinaire, celle qui est mise en place par le mental dans la vigilance. Si nous sommes très attachés à l’opposition stricte vrai/faux, c’est parce que cela reflète la condition de la dualité de la vigilance.
Il est possible de construire des logiques plus complexes que celle qui est fondée sur la dualité de la vigilance. Une logique complexe introduirait par exemple un statut nouveau au tiers exclus, c'est-à-dire au principe qui soutient qu’une proposition est soit vraie, soit fausse, aucun autre mode n’étant acceptable. Une logique complexe prendrait en compte des quantificateurs admettant des degrés ou des plans de vérité différents. Il pourrait donc exister une logique qui dépasse la pensée duelle de l’attitude naturelle et sa logique du fini.
N’allons pour l’instant pas plus loin dans l’analyse et voyons nos résultats. Qu’est-ce que la logique nous apporte pour répondre à notre question : à quelles conditions un discours est-il logique ? L’analyse du discours permet de déceler sa structure et de mettre en évidence des fautes. Cela suppose que l’on puisse formaliser les langues naturelle en propositions logiques quantifiables. Si cette opération est possible, c’est-à-dire si l’on parvient à surmonter l’incroyable complexité des formulations du langage naturel, on trouvera au fond assez peu de choses. Le principal intérêt de l’analyse logique est de nous montrer ce qui a lieu quand on introduit du faux en raisonnant de travers. C’est ce qu’il est en effet possible de montrer en jouant sur les valeurs de vérité V/F attribuables aux propositions. Ce n’est pas le logicien qui peut se prononcer sur les propositions qui servent de prémisses et dire leur valeur. Par contre, il est possible de qualifier le résultat d’un raisonnement correct ou incorrect.
Quelles sont en effet les possibilités, si une erreur s’introduit soit dans les prémisses, soit dans le raisonnement ? Quel en sera le résultat au bout du compte ? Nous pouvons le figurer dans le tableau suivant :
prémisses |
raisonnement |
conclusion
|
entièrement fausses |
incorrect |
généralement fausse, accidentellement vraie |
entièrement fausses |
correct |
généralement fausse, accidentellement vraie |
partiellement fausses |
incorrect |
généralement fausse, accidentellement vraie |
partiellement fausses |
correct |
généralement fausse, accidentellement vraie |
entièrement vraies |
incorrect |
généralement fausse, accidentellement vraie |
entièrement vraies |
correct |
Nécessairement vraie |
Il nous est tous est arrivé de faire une erreur dans un calcul en un point et de faire une autre erreur plus loin qui la rattrape, si bien que le résultat en définitive était juste. Ce que montre ce tableau, c’est qu’une fois l’erreur introduite, soit dans les données, soit dans le raisonnement, on ne peut rien dire avec certitude du résultat. Contrairement à une vue répandue, le raisonnement correct ne transporte pas nécessairement l’erreur. Ce n’est pas du blé de mauvaise qualité que l’on porterait au moulin avec l’assurance que la farine qui en sortira sera mauvaise.
Par exemple :
(N°8)
Tous les tigres sont des oiseaux
(N°9)
Tous les hommes sont bleus
Socrate est
un homme
Donc Socrate
est bleu
Le raisonnement est valide, une prémisse fausse,
la conclusion est fausse.
(N°10) Quelques hommes sont bleus
Socrate est un homme
Donc Socrate est bleu
La conclusion est fausse, une prémisse
fausse et le raisonnement est invalide.
(N°11) Quelques hommes sont mortels
Socrate est un homme
Donc Socrate est mortel
Une prémisse fausse, la conclusion est
vraie, mais le raisonnement n'est pas valide.
Nous n’avons donc en tout et pour tout qu’une seule certitude : il est impossible de se tromper si on raisonne juste à partir de données qui sont vraies. C’est la loi fondamentale de la logique :
données vraies + raisonnement correct = conclusion nécessairement vraies.
Curieusement, nous voyons que le raisonnement correct n’est rien de plus qu’une technique de transfert du vrai. Raisonner, c’est transporter une vérité des prémisses vers une conclusion. Le raisonnement ne crée pas de vérité. Il ne peut qu’éventuellement développer de l’implicite.
Il y a alors trois possibilités :
1) Soit les prémisses renvoient à une expérience possible, voire à un constat de fait empirique qui les valide. Je dis qu’il y a au bout de ce chemin un château magnifique. A vous d’aller constater si c’est le cas. Ainsi, bien souvent, nous nous appuyons sur des expérience susceptibles de vérification. Les énoncés reçoivent leur valeur de vérité d’une source qui relève d’un témoignage sensoriel, ou si possible de la convergence des témoignages (l’intersubjectivité fondatrice de l’objectivité scientifique). L’historien convoque des documents, le sociologue des statistiques, le physicien des rapports d’expérience etc. C’est là un ordre de vérité donc matériellement constatée, c’est la preuve dans les sciences expérimentales.
2) Mais il est aussi possible que les prémisses soient seulement supposées, posées comme hypothèses et non pas matériellement constatées. La forme n’en reste pas moins indépendante des données et soumise à la logique.La déduction correcte nous garantit que si les données sont vraies et que le raisonnement est correct, alors, la conclusion est nécessairement valide. C’est un procédé qu’utilisent fréquemment les mathématiciens pour démontrer certaines propositions. Ce mode de raisonnement (si... alors) est appelé hypothético-déductif. Le si nous renvoie au rôle de l’hypothèse dans les sciences et tout particulièrement au raisonnement expérimental. Ainsi, toute science fondée sur ce type de raisonnement, ou sur l’expérimentation est dite
hypothético-déductive. « Si la théorie de la relativité a raison, concernant la propagation de la lumière, alors on devrait observer qu’un rayon lumineux venu d’une étoile lointaine »... « si les hypothèses de Darwin sont exactes alors on devrait observer que... ».
3) Les prémisses peuvent aussi recourir à des principes fondamentaux l’on admet, des axiomes ou des postulats que l’on demande d’admettre. C'est ce qui a lieu en mathématiques dans la démonstration.
La déduction correcte garantit que le passage qu’effectue le raisonnement valide transportera la vérité des prémisses vers la conclusion. Dans le premier cas, le raisonnement s’appuie sur des « évidences » sensibles, dans le second il s’appuie sur des hypothèses de travail, dans le troisième, il recours à une idée générale. Le caractère « constaté » de la vérité de la prémisse, son caractère « hypothétique », ou purement « théorique » est conservé. Nous avons vu que la falsification d’une théorie physique venait de ce que de résultats incorrects on remontait logiquement vers les prémisses pour les accuser de fausseté, (texte) dans la mesure où le raisonnement était bien conduit. CF. Karl Popper. C’est ce qui nous a fait dire, en vertu du type même de ce raisonnement conditionnel, que la validité définitive de la construction hypothétique ne pouvait être définitivement établie. Par contre, c’est la contrainte logique qui nous oblige à falsifier une hypothèse qui succombe à un test non-concluant.
Si la fin que poursuit toute pensée rationnelle est bien la connaissance, nous devons pour y parvenir de manière discursive, c’est-à-dire en recourant au raisonnement, respecter les conditions dans lesquelles tout raisonnement théorique se trouve inscrit. Il faut donc :
a) que l’on utilise des principes susceptibles d’être admis par tous, des vérités générales susceptibles d’être partagées par la communauté des hommes de connaissance.
b) que nous ne tirions nos données vraies de l’expérience, de l’observation, des résultats de la science, voire d’un ordre d’intuition qui soit communicable.
c) que nous raisonnions de manière correcte, en respectant la cohérence formelle d’un langage qui reste rigoureux.
---------------La logique impose des exigences formelles qui interdisent les errances
fantaisistes dans l’imagination, ou une pensée régie par de simples associations
d’idées. Cette rigueur est un préalable à toute clarté intellectuelle, c’est une
sorte d’hygiène de l’intellect. Sous cet angle, sa valeur est importante.
Il y a des règles à respecter qui conditionnent par exemple le mouvement de la
pensée dans une dissertation. Du point de vue de la logique les définitions
des concepts doivent être données et il faut que les mots ne changent pas de
sens au cours du développement du raisonnement. Ce que nous devons retenir,
c’est que la validité formelle est indépendante des propositions qu’elle met en
jeu. Il est tout à fait possible de raisonner correctement sur des propositions
douteuses, c’est ce que fait un raisonnement hypothético-déductif. Il est aussi
possible de raisonner sur des propositions fausses, c’est ce qu’en mathématiques
on appelle un raisonnement par l’absurde. De toute manière la validité du
raisonnement ne tient pas à son contenu mais à sa forme.
La seule fonction de la logique devient alors de dégager les formes valides, et de nous mettre en garde contre des formes non-valides de raisonnement que l’on risquerait de confondre avec les formes valides. Nous ne devons pas attendre trop de la logique. Le risque c’est de croire qu’elle suffit à nous pouvoir de vérité. Nous n’allons pas passer notre vie à étudier comment éviter l’erreur, ce qu’il faut c’est d’abord chercher la vérité. Une théorie de la preuve ne fera jamais une connaissance de ce qui est. Les acrobaties de la logique ne font pas de la science. Comme on l’a souvent fait remarquer, les découvertes de la Renaissance sont dues avant tout à des naturalistes, des voyageurs, des artisans, des physiciens. Elles ne sont pas venues des logiciens.
* *
*
Nous avons vu qu’il existe bien des conditions qui font qu’un discours est logique. Ces conditions concernent seulement la forme du raisonnement et non son contenu. Les exigences de la logique ne peuvent être que formelles. Elles s’imposent dans des règles que nous devons suivre, mais la « méthode » logique s’arrête là, elle s’arrête à la définition de la cohérence. Si l’on veut pourtant aller plus loin dans cette investigation, on verra que la logique autorise des développements formels importants. En se prenant elle-même pour objet, elle devient une spéculation pure qui rejoint de près les mathématiques et la théorie de la démonstration.
C’est ainsi que ce sont développées des logiques à plusieurs valeurs de vérité qui étendent à de multiples dimensions le calcul propositionnel de base fondée sur la dualité vrai/faux. Là encore les logiciens auraient beaucoup à dire, car cette spéculation a sa valeur qui libère l’imagination scientifique des limitations de la représentation naturelle. Cependant, le problème qui est en suspend, c’est de savoir d’où vient la dualité vrai/faux qui régit la logique. Pourquoi la pensée a-t-elle tendance à se développer dans la dualité ? Quel rapport peut-il y avoir entre la cohérence logique du discours et l’Être ? La cohérence du discours est-elle un indice de la cohérence du Réel ? Ne se peut-il pas parfois que nos contradictions renvoient à une complexité du Réel qui passe les limites de notre logique ? La contradiction est-elle alors nécessairement un signe de l’erreur ? Est-ce que la pensée logique ne relève pas purement et simplement de la mécanique du calcul et de la pensée mécanique en général?
* *
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Questions:
1. Est-il pertinent de dire d’une affirmation quelconque qu’elle est « logique » ?
2. La logique augmente-t-elle notre savoir sur la Nature?
3. Peut-on manquer de logique et pourtant dire la vérité ?
4. Dire que l’Univers a en lui une cohérence, est-ce la même chose que de dire qu’il respecte notre logique ?
5. Est-il exact d’affirmer que l’homme ordinaire ne se sert pas de la logique et n’en a pas besoin?
6. La preuve par les faits, est-ce la même chose qu’une démonstration mathématique ?
7. Quelle pourrait être la différence entre la logique du fou et celle d’un homme sain d’esprit ?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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