Leçon 216.  Sur l’art de l’investigation      

    Nous avons débuté notre introduction à la philosophie avec Socrate et il est nous est apparu que l’essentiel de la méthode philosophique tient à son questionnement. Une investigation bien conduite est le prolongement logique d’une question. On notera que les questions philosophiques les plus difficiles sont aussi les plus directes et les plus simples dans leur formulation. Au point que même les enfants peuvent les poser, ce qui désarçonne les parents qui ne savent comment y répondre. « Qui suis-je ? » ou « la vie a-t-elle un sens ? » sont des formulations très courtes, mais en toute honnêteté intellectuelle, nous voyons bien qu’il n’est pas possible d’y répondre en trois phrases. Les pirouettes verbales sont très superficielles. Elles ne font qu’éviter l’investigation sérieuse.

    Il faut d’autre part distinguer une question technique et scientifique d’un questionnement philosophique. Les questions techniques ou scientifiques sont très spécifiques d’un contexte, elles doivent d’être précises et limitées dans leur objet. Après tout, le mécanicien qui se trouve devant une panne du tableau de bord de la voiture se pose aussi une question : d’où vient la panne ? Il va chercher quelque part un contact électrique qui fait court-circuit. Le comptable qui obtient un résultat surprenant va devoir en trouver la raison. Le biologiste qui travaille sur une maladie génétique se pose aussi une question technique, quels sont les gènes impliqués dans l’apparition de la maladie etc.

    Si chacun d’eux prenait du recul, ils pourraient se poser des questions à portée plus globales qui ne relèvent plus simplement de compétences techniques, mais d’un questionnement à portée philosophique. Le mécanicien devenant philosophe se rendrait compte que sa machine n’est pas douée d’auto-réparation. Le comptable pourra découvrir que la pensée calculatrice est mécanique. Le biologiste se demander si l’intelligence du vivant n’excède pas le codage des gènes.

    En mettant en œuvre une compétence technique acquise sur un champ défini, nous utilisons des procédures déjà connues et nous mettons en œuvre des routines éprouvées. Pour l’intellect, c’est rassurant, l’esprit acquiert une habileté et il y a une satisfaction dans la maîtrise d’une problématique bien cadrée. Sur le fond, il n’y a pas vraiment de différence entre les techniques. Entre remplir une grille de mots croisés et résoudre une équation du second degré c’est une affaire de technique, mais dans ce registre, nous ne faisons qu’un usage très limité de notre intelligence et la compétence technique ne nous sert à rien quand il s’agit d’aborder la vie dans sa globalité. Mais en dehors du cadre proprement technique, comment procéder ? Y a-t-il des règles à suivre, des recommandations à mettre en œuvre pour mener une investigation philosophique ?

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A. De l’importance des mots

     Nous avons vu précédemment que toute question bien posée contient en elle-même sa réponse, le tout est de savoir la poser. Et c’est là toute la difficulté, car il faut se garder de la précipitation, des jugements sommaires, des tentatives pour se débarrasser du problème à la va-vite. Sans compter les effets de dispersion qui nous font partir trop loin de la question sans y revenir. Cela fait penser à ces livres qui annoncent un titre, mais se perdent dans d’interminables digressions, sans revenir au sujet. Il y a nécessité pour mener une investigation sérieuse de se livrer à une étude du sujet la plus complète possible. Bref, une investigation se mène avec de la méthode et doit être conduite avec diligence et attention.  Il y a un art qui consiste à demeurer avec une question.

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    1) Pour entendre correctement ce qu’une question veut dire, il importe d’être clair sur les mots qu’elle contient. Toute confusion dans les termes engendre un flou dans lequel il est impossible de conduire une investigation sérieuse.

    Prenons un exemple, soit la question : Doit-on excuser les actes dont on pense qu'ils émanent de l'inconscient?

    Le mot excuser désigne le fait de demander de ne pas juger avec sévérité ce qui ne serait qu’une maladresse. « Excusez-moi pour ce retard !» Pour s’excuser, on doit fournir des raisons valides : « j’ai été coincé dans des bouchons en venant du centre ville ». A quoi l’interlocuteur rétorque « ce n’est pas grave, « vous êtes tout excusé ». Il est important dans une question de ne pas changer un mot pour un autre, ce qui changerait la question. Notons par exemple ici ce qu’il adviendrait si on mettait « pardonner »  à la place de « excuser ». On pardonne quand une souffrance a été causée,  une violence psychologique ou une violence physique. « Je vous demande pardon pour mon éclat de colère hier soir, je vous ai blessé et je me suis conduit comme un imbécile ». Implicitement, le fait d’excuser suppose une action involontaire, tandis que pardonner suppose que l’on reconnaît qu’il y a bien eu une intention de blesser et  pourtant nous demandons de ne plus tenir rigueur. Pour réponde correctement à une question, il faut en conserver les termes et ne pas les modifier dès le début ou en cours de route. Dans la question précédente, la présence du mot « actes » désigne des initiatives précises : le fait d’être sorti sans avoir refermé la porte par exemple, le fait de ne pas avoir fait part d’une information que l’on connaissait etc. Le singulier donnerait une généralisation : « l’acte humain », alors qu’il s’agit ici de certains actes. Si nous examinons les débats polémiques, nous verrons que très souvent les protagonistes dérapent vers des pistes différentes de la question initiale, parce qu’ils ont subrepticement remplacé la question en jeu par une autre.

    D’où l’importance de s’entendre clairement sur une définition. Nous ne pouvons pas résoudre une question si nous ne sommes pas capables d’en définir les termes. (texte) Il n’est pas obligatoire d’aller chercher tout de suite un dictionnaire. Nous pouvons très bien composer nous-mêmes une définition correcte en partant d’expressions communes dans lesquels le problème initial se trouve posé. Le tout est de formuler un genre (R) et une spécificité. « Veuillez m’excuser pour ce retard ». Mettons qu’une ex-cuse est une demande que nous formulons à autrui pour éviter qu’il nous ac-cuse en maintenant un reproche, nous reconnaissons nos actes,  mais nous plaidons avec des circonstances atténuantes qui  permettraient, si elles étaient reconnues, de faire cesser l’accusation.

    Disons que la définition fait partie de la pratique de la dissertation dont elle constitue un aspect de la préparation. Mais si nous y regardons de près, en réalité c’est un enjeu présent dans toute communication un tant soit peu élaborée. Si je veux échanger avec autrui sur n’importe quel sujet, je dois être sûr que nous nous servons des mots dans un sens précis, clair et partagé par chacun d'entre nous. Sinon c’est le règne de l’équivoque et du quiproquo. La définition est un préalable que nous ne pouvons pas éviter. Il n’est donc pas inutile, si nous discutons de la question soulevée plus haut, de nous demander : « qu’est-ce que vous appelez acte ? », « quand vous utilisez le mot inconscient, à quoi pensez-vous ? », « qu’entendez-vous par émaner de l’inconscient ? » et puis ici « on pense que, cela veut dire quoi ou juste ? ». Il peut sembler très fastidieux de se livrer à ce travail et en apparence, nous pourrions penser que c’est un pinailler sur la question. Mais ce n’est pas vrai. Il faut toujours partir du principe qu’au début nous sommes dans une certaine confusion qu’il s’agit de dissiper et mettre au clair les mots est très important. Ce que nous remarquerons alors immédiatement, c’est justement la confusion où nous sommes. Un esprit qui voit sa propre confusion est déjà plus clair. Il en est déjà sorti en fait.

    2) Les mots peuvent nous aider,    

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Questions:

1. "Le philosophe a parfois besoin de quelques leçons de journalisme": en mettant de côté la polémique, où est la pertinence de cette formule?

2. Pourquoi le commentarisme est-il devenu un problème?

3. Dire : "c'est un problème de philosophe", peut avoir plusieurs sens. Lesquels?

4. Pourquoi est-il si difficile de voir les choses telles qu'elles sont et faire preuve d'un solide bon sens?

5. En quoi l'argument d'autorité peut-il être préjudiciable à une investigation sérieuse?

6. Peut-on aussi retourner l'investigation contre le moi, alors qu'il est plus facile de la diriger vers le monde?

7. Qu'est-ce que la fragmentation du savoir?

 

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    © Philosophie et spiritualité, 2012, Serge Carfantan,
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