Le mot passion possède une charge affective exceptionnelle. C'est le premier mot qui nous vient à l'esprit pour justifier nos raisons de vivre : ce dont on a besoin c'est d'une passion de quelque chose qui nous motive, qui nous tire en avant, qui nous pousse à l'action. Sans passion on s'ennuierait. Les passions sont là au moins pour nous donner une "occupation". Aussi confondons-nous "passion" et "divertissement" : la passion c'est : aller au cinéma, faire de la danse, c'est aussi tomber amoureux, avoir envie d'aventure etc.
Ce qui est curieux, c'est que le mot passion indique autre chose. Dans passion, il y a passivité. Cela suggère que là où il y a action il y a aussi passion. Mais passivité à l’égard de quoi ? Pourquoi voir une passivité dans la passion alors que nous pensons communément exactement le contraire ? Pour nous autres postmodernes, la passion, c’est l’action, c’est la vie. (C’est marqué sur toutes les publicités ! ) L’élément de passivité échappe à l’appréhension commune. Nous voyons dans la passion « ce qui pousse à agir », ce qui « donne des raisons d’agir ». Il ne nous vient pas à l’esprit que la passion est aussi un subir et un souffrir.
Cela veut-il dire qu’il y a plusieurs sortes de passions ? Ou bien, n’est-ce pas plutôt que nous ne comprenons pas bien ce que représente la passion ? Peut-être ne voulons nous voir qu’un aspect limité du phénomène de la passion, à savoir celui qui est le plus séduisant : l’exaltation de l’amour, du sport, du risque etc. Mais si l’on met de côté tout subterfuge, qu’est-ce qu'un état passionnel ?
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Partons de l’intention qui traverse la passion. Si toute conscience est conscience-de-quelque-chose, la passion est intentionnelle, et doit se définir par rapport à un objet. C’est ce que nous admettons quand nous parlons de « passion de quelque chose ». La passion, c’est la passion de ceci ou de cela : des jeux vidéo, des plantes carnivores, du jardinage, du tennis etc. Cela signifie que nous nous représentons la passion à l’intérieur de la dualité sujet/objet et que nous la situons avant tout dans l’objet. La passion a pour thématique l'objet qui la désigne : la natation, le golf, les échecs, la programmation etc. C’est encore cette représentation de la passion que nous trouvons dans une forme d’occupation ou de divertissement. La passion doit avoir un objet et elle est cet objet. Mais cet objet doit surtout être un désir. J’ai le désir du jeu et ce désir est son thème, devenu exclusif, le désir du jeu devient la passion du jeu. J’ai le désir de l’argent et il devient la passion de l’argent de l’avare, j’ai le désir de cette femme et il devient passion amoureuse, j’ai le désir du risque et ce désir devient la passion du risque de l’aventurier, j’ai le désir du pouvoir et ce désir obsessionnel devient passion du pouvoir chez le politique etc.
---------------1) Il semble donc que l’on peut poser autant de passions qu’il y a de désirs, puisque le désir semble donner à la passion son objet, comme la fin qu’il poursuit. Il peut en effet y avoir un désir sans passion, mais il ne saurait y avoir de passion sans désir, car la passion de quelque chose est précisément ce désir langoureux, longtemps poursuivi, secrètement recherché. C’est la tension extrême du désir, c’est le caractère exclusif du désir qui fait la passion.
(texte)
Notons bien : La passion est une exigence qui refuse tout compromis. Telle que nous la comprenons dans le cadre de l’intentionnalité, cette exigence se modèle dans une forme, son objet se limite d’ordinaire à l’accomplissement d’un désir. Comme les désirs sont multiples, on dit alors « les passions ».
Nous voyons déjà une conséquence : il est très réducteur d’interpréter le singulier « la » passion comme désignant la « passion amoureuse ». Notre sensibilité romantique y trouve certes satisfaction, mais nous sommes bien forcés de reconnaître qu’il y a bien d’autres passions toutes aussi fortes, éblouissantes, aussi ravageuses que celle de l’amour. D’autre part, nous ne prenons pas garde à ce que le mot passion indique quand il est pris au singulier, il ne veut pas seulement dire telle ou telle passion. La passion est un état de conscience bien particulier, un état de tension de l’âme qui se retrouve dans les différentes passions. C’est ce vécu de conscience qu’il faut cerner. Que se passe-t-il dans la passion ? Je me sens comme emporté dans une direction, celle de mon désir le plus cher.
1) Considérons le jeu. Voyez Dostoïevski Le Joueur. Le plaisir du jeu est somme toute une inclination qui semble naturelle, une tendance qui peut rester comme extérieure à moi. Le jeu est un rapport que nous entretenons spontanément avec la vie quand elle est libre. Mais c’est tout à fait autre chose quand ce plaisir devient le centre de ma vie, quand le désir du jeu est si violent qu’il réduit à néant toutes les autres inclinations. Il y a ce désir, il m’obsède, j’y pense sans cesse et je vis dans l’attente de ce moment d’excitation où je me trouve devant la table de baccara, devant la roulette, devant une table de poker. La passion de a ici sa thématique propre : le jeu. Ce désir me possède, je ne vis plus que par lui, je vis dans le souvenir des émotions éprouvées dans cette salle de jeu, je vis dans l’attente d’y retourner pour retrouver cette jouissance extrême qui est devenu mon absolu, ma divinité de joueur. Ce n’est plus un plaisir, c’est une sorte de transe. Je ne suis plus un homme quelconque, qui trouve parfois plaisir à jouer, je suis devenu un passionné du jeu
Je suis dans un tel état que ce désir m’impose un manque, me met dans une véritable accoutumance.Ce n’est pas pour rien que l’on fait des cures de désintoxication pour les joueurs. Dans la passion, je sais ce que représente le manque du désir. Le plus terrible, c’est que, lorsque je suis dans la passion, je ne peux pas lutter contre car la passion, c’est moi-même, je suis devenu cette passion, elle ne peut pas se détacher de moi. Je me suis identifié à la passion. Ce dont je souffre dans la passion, c’est de moi-même et de rien qui soit « autre ». Comme le dit Alain, la passion, c’est moi et c’est plus fort que moi. La passion, le plus souvent, suit son cours propre, elle me donne sa propre direction, le destin du joueur, le destin d’un passionné. Il y a une sorte de logique qui emporte le sujet passionné. Aussi, dans la passion, j’ai tendance à oublier tout le reste. Mon univers se dépeuple de toute autre présence que celle de l’objet de ma passion. Comme joueur, je vais dépenser l’argent du foyer ou réduire mes enfants à la misère et à une humiliation quotidienne ; mais je ne le vois pas, je ne vois que cette ek-stase d’émotions fortes que me procure le jeu.
Je ne puis être lucide, je suis aveuglé, fasciné, obnubilé par l’objet de ma passion, le jeu. Il faut que les situations d’expérience de la vie me frappent pour que je m’éveille de cette fascination. Ce n’est qu’à ce moment là que je pourrai me rendre compte de tout ce temps perdu, de cette vie perdue, de ce désert créé autour de moi, de la petitesse de mon existence. Dans la passion, je m’étais enfermé dans mon petit monde, je vivais dans le refus de la réalité, je cherchais à m’isoler du monde pour jouir en solitaire dans un refuge de plaisir. Ma passion n'était qu'une manière de fuir la réalité en m'enfermant dans une bulle d'auto-satisfaction.
2) Considérons un autre exemple, l’amour-passion. Le sentiment de l’amour est naturel, c’est un élan du cœur qui est là ou bien n’est pas là, sans que cela pose une quelconque difficulté. L’inclination amoureuse reste extérieure à moi. Mais qu’advient il dans la passion ? Il y a ce visage et l’éblouissement qui a suivi, le coup de foudre qui m'a traversé, le trouble est venu et avec lui un désir lancinant, celui d’avoir cette femme toute pour moi, de la posséder. La pensée de cet objet du désir prend barre sur moi et je ne peux plus la chasser. Je suis « tombé » amoureux, ce n’est plus une inclination délicate du cœur, c’est une passion. Une belle page de Rousseau dans les Confessions donne une bonne description de cet état qu’est la passion amoureuse.
« Et qu’on n'aille pas s’imaginer ici que mes sens me laissaient tranquilles, comme auprès de Thérèse et de maman. Je l’ai déjà dit, c’était de l’amour cette fois et l’amour dans toute son énergie et dans toutes ses fureurs. Je ne décrirai ni les agitations, ni les frémissements, ni les palpitations, ni les mouvements convulsifs que j’éprouvais continuellement ».
Dès le début du texte, la passion se présente dans sa thématique propre en tant que passion-de-quelque-chose, ici l’amour. Mais ce n’est pas simplement l’amour comme sentiment, c’est l’amour avec l’énergie et la fureur. Cela veut dire une certaine puissance, mais sous un jour particulier,
puisqu’il y a
ambivalence. La passion un aspect positif capable de créer,
"énergie", il y a aussi un aspect négatif capable de détruire, la
"fureur". Il y a passion-de, et pas seulement sentiment, parce que la dualité est présente et que l’on peut passer très facilement d’un contraire à l’autre : amour/haine. Celui ou celle que l’on a aimé passionnément, on pourra tout aussi bien le haïr passionnément. La passion est décrite ensuite comme une
sorte de catalyseur des émotions, tant et si bien que le passionné, non
seulement ressent tout ce qui touche à sa passion de manière plus intense, mais
il est perd aisément le contrôle de lui-même. La passion fait de nous un écorché
vif, elle nous donne une émotivité au-delà de toute mesure. Elle exacerbe nos
réactions. Et c'est d’autant plus étrange que la cause n’est pas réelle, elle est surtout fantasmée, imaginée :
« On en pourra juger par le seul effet que sa seule image faisait sur moi....Je rêvais en marchant à celle que j’allais voir, à l’accueil caressant qu’elle me ferait ».
L’amour passion se nourrit d’images, il fantasme son objet, si bien qu’il doit le plus souvent lutter contre la réalité pour y demeurer. Non seulement il déclenche des émotions vives qui font parfois perdre contrôle, mais il tend à faire en sorte que le mirage émotionnel ait une continuité, une durée. A cet égard, il y a loin de l’émotion à la passion. Une émotion passe, comme le dit Kant, c’est comme une eau qui rompt une digue. On reprend contrôle peut après, quand on « retrouve tous ses esprits ». Mais dans la passion, c’est différent, la passion s’inscrit dans le temps, elle a son projet qui est l’accomplissement d’un désir et elle ne peut s’éteindre qu’avec le désir. Le passionné peut avoir des moments de semi-lucidité, il peut voir un bref instant dans quel état la passion l’a jeté, mais la force du désir est si grande dans la passion, qu’elle a tracé un sillon que la conscience n’a plus qu’à suivre. (texte)
---------------« Instruit du danger, je tâchais en partant de me distraire et de penser à autre chose. Je n’avais pas fait vingt pas que les mêmes souvenirs et tous les accidents qui en étaient la suite, revenaient m’assaillir sans qu’il me fût possible de m’en délivrer ».
Inutile de multiplier les exemples. Il y a bien des caractéristiques communes aux états passionnels, même si l’objet se modifie. Aussi étrange que cela paraisse, le zèle du fanatique, la flamme de l'aventurier partagent quelque chose avec la passion brûlante du joueur, ou avec la fièvre de l’amoureux passionné. Il y a un état de tension de l’âme dans le désir, l’investissement total de la conscience dans la réalisation du désir. C’est tout juste si certaines passions parviennent à dissimuler cette tension sous un dehors qui cache les vrais sentiments. La vengeance a ce caractère. C’est ce qui a amenés certains auteurs à vouloir distinguer des passions « froides » et des passions « chaudes ». Mais nous voyons bien que ce n’est pas l’essentiel de la passion. Ce qui est essentiel dans la passion c’est le souffrir-de-soi-même qu’elle impose, cette tension et cette exigence de l’âme et par dessus tout, l’immense énergie qu’elle met en jeu. (texte)
Quelle place reste-t-il à la pensée dans la passion ? Garde-t-elle une autonomie ou bien est-elle entièrement emportée par la passion ? Se contente-t-elle de porter le désir ? Conduit-elle la passion ?
1) Il nous est tout à fait possible, en partant de l'attitude naturelle, de distinguer d’un côté la conduite passionnelle et de l’autre, la conduite raisonnable. (texte) Quand nous sommes un tant soit peu rationnels dans nos décisions, nous pesons le pour et le contre, nous délibérons et choisissons de manière réfléchie, nous considérons les conséquences de nos actes. Une conduite raisonnable est une conduite inspirée par la raison, une conduite sensée et mesurée et non pas une conduite qui résulte d’une impulsion aveugle portée à l’excès. Une vie libre est conduite par une pensée juste, le sujet restant maître de ses pensées. Mais que se passe-t-il dans la passion? Cette maîtrise peut-elle exister? N’est-ce pas la maîtrise de la pensée qui est perdue sous l’empire de la passion ? Au lieu de vivre sous la conduite de la Pensée, le passionné est comme fasciné, manipulé par une seule pensée, au détriment de toutes les autres. Il n’y a pas de passion-de-quelque-chose, sans une idée fixe, sans répétition d'un même thème. Loin de raisonner en quoi que ce soit, le passionné se borne à s’auto-justifier. L'argumentation dans la passion dissimule toujours ses vrais motifs. Nous sommes déjà très irrationnels dans nos réactions émotionnelles, mais dans les passions, nous faisons un pas de plus dans le délire, en mettant notre raison au service de nos fantasmes. Il y a en effet quelque chose de délibéré dans la passion, non pas parce que la raison y préside, mais parce qu’une logique implacable s’est mise en mouvement, la logique de la passion. Suivre la passion, c’est suivre son destin dans la logique même inscrite dans la thématique de la passion, ce n’est évidemment pas suivre la logique de la raison. Il y a un destin du joueur, un destin de l’amour passion, un destin de la passion du pouvoir. La passion semble suivre son cours de manière implacable et nous entraîner à sa suite. Nous aimons cet abandon passionnel qui nous fait comme on dit "perdre la tête", même s'il nous faut à un moment revenir sur terre et retrouver la réalité. En résumé sous forme de tableau, dans la dualité:
(exercice 3e) (à compléter)
Conduite raisonnable |
Conduite passionnelle |
C'est-à-dire sensée |
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Dans laquelle on s'auto-justifie | |
Fondée sur la réflexion, la délibération |
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Conduite mesurée |
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Dans laquelle les conséquences |
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Dirigée par |
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Logique de la passion : | |
L'ordre de |
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Une pensée nous tient en laisse | |
Sauvegarde la liberté de jugement |
Le plus curieux, c'est que, bien que cent fois bernés par le processus, nous continuons à croire que la pensée nous appartient toujours, qu’elle demeure ce que nous possédons de plus intime et qu'elle ne saurait nous échapper. D'ailleurs le passionné n'est -il pas toujours un croyant? Mais la pensée dans la passion demeure-t-elle indemne? Elle suit le développement de la passion. Où est donc ce for intérieur qui serait sensé échapper à la passion? La passion peut-elle se développer en dehors de la représentation mentale? Non. La passion n’est pas dépourvue de pensée, dans la passion le mental est même extrêmement bavard. Dans la passion, nous sommes prêt à discourir, à argumenter à perte de vue pour nous persuader et persuader les autres autant qu’il faudra de la validité de notre conduite. Nous voudrions nous persuader du caractère rationnel de nos décisions, mais la cause est par avance entendue ; toutes nos pensées sont issues du désir et elles travaillent à sa justification. Nous faisons tous les efforts possibles pour tisser une illusion agréable et demeurer dans la vision exaltée de la passion. Le passionné est très éloquent, il semble raisonner, mais en réalité, il ne raisonne pas, il n’examine rien, les jeux sont faits d’avance dans le parti pris du désir. (texte)
Qu'en est-il donc de la représentation que le passionné se donne du monde? Le résultat, c’est évidemment que l’univers de la passion est très réduit. A la limite, il ne contient plus qu’un seul objet, celui de la passion. Il n’y a plus que le jeu, que l’amour, il n'y a plus que l'argent qui compte, il n’y a plus que l’objet, le réel lui est en retrait. Que pense le joueur au fond de lui sans oser le dire ? « Que m’importe le monde et les autres, pourvu que je trouve satisfaction dans ma passion. Laissez moi tranquille. Plutôt sacrifier le monde entier que de me refuser mon plaisir ! ». Ce qui est alors
remarquable, c’est que la passion tend à modifier le sens des valeurs jusqu’au renversement le plus complet. La distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal relève normalement de la dignité et de la sauvegarde de la personne. Le bien supporte la vie et marche dans la direction d’un bonheur plus grand, le mal renie la vie et engendre la souffrance. Mais le passionné interprète la dualité du bien et du mal d'une manière toute différente. Pour lui : est « bien » ce qui me fait plaisir, est un « mal » ce qui me déplaît, ce qui s’interpose entre moi et mon désir. Dès lors, il s’ensuit un complet renversement. Dans le fanatisme par exemple, ce qui pour un esprit lucide serait vu comme un meurtre est compris dans la représentation exaltée comme un sacrifice. Chez le passionné du jeu, ce qui serait compris comme une indifférence à autrui et un renfermement sur soi est simplement vu comme une manière de s’isoler du
bruit du monde pour jouir de sa passion. Ce qui serait vu dans la lucidité comme une conduite cruelle et insensible est dans la passion interprété comme une réaction juste etc. Le passionné est dans son monde, il n’est pas dans le Monde ; il ne se voit pas lui-même, il ne voit pas ses propres motivations, il ne voit que sa passion. Il y a dans la logique des passions un mouvement irrépressible de clôture de l’ego sur lui-même. Et le comble, c’est que ce rétrécissement de l’intérêt pour la vie autour d’un seul objet, est vu comme un
renouvellement constant de l’intérêt! Le passionné ne saurait voir les choses telles qu’elles sont, il les voit telles qu’il voudrait qu’elles soient, telles qu’il les
rêve. Il vit dans son monde passionnel, celui de sa passion et ne rencontre que rarement le Monde. Ou bien il le rencontre dans des moments de
semi-lucidité, de manière épisodique, à travers les contrecoups de l’existence. La semi-lucidité, c'est pour l'amoureux prendre conscience qu'au fond ce n'est pas elle qu'il aime, mais être amoureux. Le passionné perçoit le plus souvent les choses et les événements dans la coloration que donne les lunettes de sa passion. On dit de l’amoureux qu’il
"voit le monde en rose". Il voit le monde tel qu’il est lui-même, dans la coloration que donne la passion. Les choses, les événements, les personnes prennent valeur à la mesure de la contrariété ou de la satisfaction de ses désirs.
---------------2) Il y a production d'illusion. Comment se développe le processus d'illusion dans la passion-de-quelque-chose? Nous avons vu avec
Spinoza que le désir peut produire la valeur de son objet. Le processus par lequel la passion s’enivre elle-même de la valeur de son objet en la produisant est nommé
cristallisation. Dans
De l’Amour,
Stendhal prend la métaphore d’un rameau que l’on jette dans une mine de sel, à Salzbourg.
(texte) Auparavant, le rameau était ordinaire. C’était une simple branche. Sous l’action de la cristallisation, il s’est recouvert de milliers de cristaux étincelants.
La cristallisation provoquée par le désir fait qu’une valeur est projetée, surimposée à
son objet. C'est le désir, dans la mesure où il porte en lui les aspirations secrètes du moi, qui produit la foule de ses attentes fiévreuses,
et qui engendre l'idéal capable de le combler. Descartes raconte : « lorsque j’étais enfant, j’aimais une fille de mon âge, qui était un peu
louche ; au moyen de quoi, l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s’y faisait pour émouvoir la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres
Tel est le jeu de l’illusion passionnelle, une des plus puissantes illusions dont l’esprit humain puisse être le siège. Ce que le passionné aime au fond, c’est de pouvoir s’étourdir dans la volupté de la passion et il ne peut s’étourdir qu’en s’évadant de la réalité. Soyons honnêtes : il est impossible de séparer la passion de quelque chose de la genèse d’illusions. Ce que nous pouvons aussi comprendre, c’est que « les » passions nourrissent l’ego et flattent l'égocentrisme. Les passions tournent autour du moi. Les passions sont par nature égocentriques. Elles sont autant de manières qu’a le moi de se donner le culte de lui-même, de se procurer du plaisir, autant que de se faire valoir devant autrui, ce qui revient au même. La poursuite des passions se déroule dans l’enceinte même de la pensée de l’ego. Elle ne rencontre réellement ni le Monde, ni les autres, ni la Réalité. La conduite passionnelle est aveugle du fait de sa propre clôture sur soi, elle ne connaît pas la générosité. Elle ne sait que prendre ou consommer, le plus souvent, elle ne sait pas donner.
Mais faut-il en rester à cette opposition ? La dualité que nous trouvions plus haut est-elle réelle? Est-il vrai qu'une conduite sensée, dégagée de toute illusion, doit être réellement "dépourvue" de toute passion ? Est-il nécessaire d’être intellectuel et froid pour se conduire de manière rationnelle ? N’y a-t-il pas tout de même un pathos propre à la raison, à savoir un pathos plus apaisé, mais qui est encore une
valeur de sentiment ?
1) Simone Weil observe que tout état de passion contient en lui une exceptionnelle puissance ascétique. Le joueur est capable de se priver de manger, de renier ses besoins comme un ascète qui s’est décidé, à l’ombre d’une caverne, à meurtrir son corps pour connaître l’expérience de Dieu. Il y a du prodige dans toute passion. Dans un cas il y a le vice, dans l’autre la vertu, mais aussi étrange que cela paraisse, le joueur et le saint se ressemblent, portés par le même état sous-jacent qui est la Passion. L’homme rationnel, est pourtant souvent représenté comme délivré de la passion, comme s’il devait être entendu que le gouvernement de l’intellect excluait par avance la passion. Mais est-ce bien exact ? Cela a-t-il du sens de dire que l’intelligence est « sans passion » ?
Dans passion, il y a bien passivité, mais cela ne veut pas dire nécessairement immobilité, ni insensibilité. La passivité de la passion n’est pas celle de la « perception ». Il y a plusieurs formes de réceptivité, celle de la perception et de la sensation et celle de l’émotion et du sentiment. Fondamentalement, dans la passion en quoi suis-je passif ? Je suis passif, parce que livré à moi-même au cœur du sentiment. C’est en quelque sorte comme si ce moi ne pouvait pas sortir de lui-même, mais en même temps se cognait contre lui-même ; le sujet restant entièrement aux prises avec lui-même. Contrairement à ce que le sens commun admet, la Passion fondamentalement n’est pas passion-de quelque chose. Ce à l’égard de quoi je suis passif dans la Passion, ce n’est pas un « objet » extérieur, dans une expérience structurée dans la dualité sujet/objet ; au contraire, la Passion est cet état dans lequel le sujet se trouve aux prises avec lui-même et précisément éprouve et connaît qu’il ne peut se défaire de soi. La Passion est le s’éprouver-soi-même, le souffrir de soi immanent de la Vie qui fait de la Vie un Soi rassemblé dans une unité indivisible. Telle est la thèse défendue par Michel Henry.
Comment
donc pourrions-nous placer d’un côté la "raison" et de l’autre la "passion" comme s’il s’agissait de deux
objets rangés l’un à côté de l’autre? La Passion n’est pas une chose que je pourrais ou non posséder, un objet
que je pourrais mettre hors de moi. La passion n’est pas dans l’objet, elle est le sujet aux prises avec
lui-même. Il ne peut pas y avoir un « moi intellectuel », luttant contre un autre « moi passionné ». Le sujet n’est sujet que parce qu’il est Soi, parce qu’il s’éprouve lui-même passionnément. La véritable distinction entre raison (comportement rationnel) et passion (comportement passionnel) est celle que l’on peut découvrir entre un pathos paisible, serein, qui est celui d’un voir de l’intelligence, à un pathos plus violent, allié au désir, que l’on voudrait placer hors de soi, dans « des passions » en général. La Passion se développe dans une intériorité radicale qui ignore l’objet et ignore aussi la
division entre soi et soi. Elle n’est pas causée de l'extérieur, par « le corps » comme provenant de lui, pas plus qu’elle n’est causée par l’objet du désir. La passion est Passion de l’âme et elle enveloppe la dimension de la corporéité. Cette sphère d’immanence radicale où nous conduit la Passion, Michel Henry l’appelle l’affectivité. L’affectivité ne concerne pas seulement certains états émotionnels particuliers ou « les » passions. La Vie ne cesse pas un seul instant
d'être affective, pour autant qu’elle est précisément la Vie. La Vie est par essence affective.
Aussi, la représentation elle-même, comme voir est portée par une auto-affection en laquelle elle se sent elle-même pour ce qu’elle est. L’auto-affection en laquelle est donnée toute passion est « le sentir originel, le se sentir du sentir, le videor dans lequel le videre s’éprouve lui-même
». Le voir de l’intelligence, n’est pas seulement déterminé par son objet dans la vigilance quotidienne, le voir est aussi en son Fond sentiment de soi.Mais la passion n’a-t-elle pas besoin de quelque chose pour naître ? Sans objet, il n’y aurait pas de passion. Et puis, ne peut-il advenir que la passion déserte la Vie ? N’est-ce pas là d’ailleurs un fait très ordinaire dans nos vies ternes et sans passion ? Et comment se peut-il, si la Vie est par essence Passion, qu’elle puisse être vécue dans l’ennui, la répétition, la médiocrité ? La réponse que donne Michel Henry est importante.
En substance : le Soi ne peut cesser d’être soi et pourtant, l’ego peut aussi ne pas coïncider avec soi. La Vie ne se pas dans ce qu’elle a d’essentiel, mais elle peut en nous se diviser au point de perdre ce contact avec soi qui fait d’elle la Vie. C’est dans la coïncidence avec soi que la vie est éprouvée pour ce qu’elle est une pure Passion. Mais l'effort pour se diviser d’avec soi-même introduit une faille par laquelle la Vie cesse de s’éprouver pour ce qu’elle est. C’est par exemple le regard du soupçon sur soi-même, la division de la mauvaise conscience en moi-juge et moi-condamné, le regard rentré de celui qui se sent perpétuellement observé, le jugement sur soi qui condamne : les processus sont nombreux par lesquels la conscience peut produire une scission par rapport à soi. Or, si la coïncidence avec Soi fait la force passionnée de la Vie, la division fait la faiblesse qui la vide de toute passion. Ce n’est pas que le Soi le plus intérieur ait pour autant changé. Ce qui a changé, c’est le rapport à soi, le contact avec Soi, c’est la coïncidence avec Soi qui est rompue. La Vie demeure ce qu’elle est, une pure Passion qui ne cesse de se donner à soi et de parvenir à soi, mais en cherchant à introduire une division, l’intellect a quand même réussi une chose : à rompre la relation. Je me mets à me détester, je me divise contre moi-même, et aussitôt je produis ce qui se nomme faiblesse. La vraie Force réside toujours dans la coïncidence avec soi, dans le rassemblement originel avec Soi. Même dans la faiblesse, la vie est encore passion, mais ce n’est plus que la passion de son impuissance, la vie est devenue malade d’elle-même, souffrante, vidée de sa propre passion. Ainsi, la maladie de la vie, selon les termes de Michel Henry, se traduit par tous les modes par lesquels la vie tente de se fuir, de s’étourdir, de s’oublier, bref de se nier en cherchant à se diviser en elle-même. Cet état de malaise de la vie produit l'expérience du vide.
Nous comprenons mieux maintenant le pourquoi de la critique de l’ascétisme chez Nietzsche. Si le moralisme ascétique de la religion s’en est pris aux passions, c’est qu’il croyait que la sagesse en était dépourvue. Il voyait dans le sage une sorte de surhomme de l’intellect, austère, froid et rigoureux. Il est vrai que les passions ont toujours à leur début un caractère étroit, nombrilique. Les passions ont besoin de s'étendre et d'être sublimées. Mais, critiquer « les passions », pour ce qu’elles ont de limité, de fanatique, d’égocentrique, est-ce la même chose que de s’en prendre à la Passion ? Nier la Passion, explique Nietzsche, n’est-ce pas attaquer la Vie à sa racine ? Or, « éliminer la volonté, écarter tous les sentiments sans exception, à supposer que cela fût possible : comment donc ? Ne serait ce pas là châtrer l’intellect
? ». (texte) Comment comprendre d’ailleurs que le christianisme, si sévère dans la condamnation des passions, puisse en même temps désigner l’amour du Christ par ce mot la "Passion" ?2) Il faut reconsidérer le problème de la passion en dehors de toute interprétation régie par la relation sujet/objet. Un feu couve sous les braises de l’intelligence. La lucidité enveloppe aussi la Passion. N'est il pas possible que le feu de la lucidité puisse brûler au milieu de la passion? Tentons un exercice. Supposons que, cessant de toujours nous juger, nous diviser, nous puissions demeurer en état d’expérience vécue, sans créer la division sujet/objet, au cœur même de ce qui est vif dans le vécu, que trouverons-nous ? Le feu de la Passion. L'auto-affection de la Vie est là en nous. La lucidité est Passion, flamme d’attention. Nous pouvons en deçà de l’intellect suivre le flux originaire de la conscience s’éprouvant comme pur pâtir de soi-même. C’est justement cette donation de soi à soi qui est aussi la flamme de la lucidité.
Mais qu’est-ce que la Passion s'il faut en écarter tout objet ? L'épreuve de Soi, l'épreuve qui se déroule dans le flux intérieur de la Vie en cette région antérieure à cette dualité sujet/objet, antérieure au concept, cette région intérieure où la vie se donne à soi sans que prenne place une quelconque intentionnalité. Ce qui est donné avant toute dualité consciente, c'est la Présence, la présence par laquelle le vécu est donné comme immédiat. Si je n’introduis aucune division dans le flux du vécu, il n’y a pas de distinction entre moi-juge/moi-condamné, il n’y a que l’épanouissement sensible de la conscience dans son dévoilement pathétique. Cette conscience est vulnérable, elle est un sentiment de soi non-divisé en lui-même, elle est un feu que n'alimente aucun objet. La flamme de l'attention qui brûle ici et maintenant est la passion sans objet, ou aussi la passion sans motif
: c’est exactement cela que nous devons appeler Passion. Supposons par exemple que je sois brûlé par le mécontentement. Je ne peux pas m’empêcher de projeter ce mécontentement sur l’objet, sur les
autres, sur l’état du monde. Je suis insatisfait et je rejette la responsabilité de ce mécontentement sur les autres. Au fond, je suis comme l’amoureux passionné qui brûle le feu de la passion en le rapportant à son objet. Je me bats contre les autres, j’accuse, je déteste, sans pouvoir apaiser ce feu qui me brûle. Le mécontentement déplacé dans l’extériorité me rend cynique, agressif vis-à-vis des autres, comme je suis négatif, cruel vis-à-vis de moi-même. Si je pouvais mettre fin à
la division, cesser de voir dans les autres, dans un objet quelconque (y compris moi-même), la cause de mon mécontentement, que se passerait-t-il ? Que devient ce feu du mécontentement si je cesse de le décharger dans les objets ? Quand il est vu dans une vision pénétrante, le feu du mécontentement devient le feu de la Passion. Ce feu dans lequel consciemment j’entre sans refus, sans identification, peut alors se sublimer, devenir une exigence sans compromis, il peut devenir le Feu incandescent d’un désir de l’excellence qui ne sort pas de soi. Ce qui advient alors, au sein même du mécontentement, c’est selon
Krishnamurti :
« qu’on a une passion pour cela, la passion de l’excellence.
I . Cela implique-t-il que cette passion n’ait pas d’objet ? »
Le résultat c’est « une passion brûlante - pas une passion pour quelque chose
». (texte)Dans toute passion-de-quelque-chose, il y a la Passion. Tant que la passion est seulement passion-de-quelque-chose, passion vers l’objet, elle reste limitée par le désir et enfermée dans les attentes de l'ego. Elle est un feu qui se donne un exutoire dont la violence et l’aveuglement même nous effraye. Quand, au cours de ses luttes continuelles, sous le coup des contrariétés et des déceptions, elle en vient à s'essouffler, elle n’abolit par pour autant son feu. Ce feu devient le feu du mécontentement et de l’insatisfaction, le feu de l’amertume. La passion qui se renonce, se retourne contre soi et devient haine de soi et médiocrité. Soyons clair, qu’est-ce en effet qu'est ce que la médiocrité ? Tiens, c’est curieux., rien d’autre que l’absence de passion ! La médiocrité, c’est une vie que la Passion a désertée, une vie qui s’est renoncée à elle-même et se contente de survivre : une vie qui n’est pas vraiment vécue. Inversement, que devient la Passion qui s’affirme, grandit, qui crée ? Enthousiasme et excellence. Le souci de l’excellence est le feu de la Passion brûlante auquel on ne donne pas d’exutoire. Mais cette passion qui brûle avec intensité, n’est-ce pas la Vie elle-même ? Quand la passion est devenue sans objet, cela signifie qu’elle brûle de soi-même, qu’elle est passion de la Vie. C’est dans cette flamme que la Vie est tout à la fois vécue et affirmée sans compromis. (texte)
Que faire de la passion? Il ne s'agit certainement pas de la nier, ni de la condamner et de la juger. Il ne s’agit pas donc de se demander, comme nous l’avons parfois entendu autour de nous, de se trouver « une passion » dans la vie. "vas donc sur un terrain de sport, trouves-toi une passion" ! Avons-nous besoin d’un exutoire du sens ou un divertissement pour nous sentir vivre ? Il ne s’agit pas non plus de moraliser en demandant de « faire » de la vie une passion ce qui sonne tellement artificiel. La vie est-elle par nature si vide et terne qu’il faille de force la doper avec « une » passion ? Ce que la Vie exige c’est d’être vécue et l’intensité même dans laquelle elle est vécue est Passion. Ce n’est pas un mystère, ce qui s’impose ici de soi-même, c’est que la Vie doit être pleinement vécue pour ce qu’elle est. C’est le sens des analyses de Michel Henry : la Vie est pathétique, la Vie est Passion, parce qu’elle porte en elle cette auto-affection par laquelle elle s’éprouve elle-même passionnément comme Vie. C’est cette auto-affection qui fait du monde son terrain de conquête et son terrain de jeu.
Il y a dans toute passion, avec le feu qui la traverse, un degré d’ouverture. Ce qui manque à la passion-de-quelque-chose, ce n’est pas la Vie, c’est la plénitude de la conscience, la clarté et la générosité. La Passion portée à sa plus haute intensité est lumière de l’intelligence, accueil et don de soi. La pure Passion ne se réduit pas aux limites d’un désir, qui sont les limites du moi. Nous ne pouvons plus maintenant confondre la Passion et les passions. Le pluriel est égocentrique. Tant que la passion est « ma » passion, elle dépend de l’objet, elle ne fait que renforcer l’ego et obnubiler ma vision, elle est fanatique. Le plus souvent, elle ne sait pas
donner, elle ne fait que prendre. La lucidité qui brûle au cœur même de la Passion, n’a pas cette limite, parce qu’elle n’est pas l'œuvre d’un désir. Aussi la Passion peut-elle être en même temps compassion. La compassion signifie la Passion qui prend avec soi, la passion aimante qui embrasse ce qui est sensible et vulnérable, la générosité du cœur qui ne saurait se séparer de ce qui souffre. Ainsi s’explique qu’une religion aussi ascétique que le christianisme qui condamne les passions, réhabilite en même temps La Passion quand il s’agit de la Passion du Christ. La Passion des passions pour l'homme religieux, c'est l'amour de Dieu.
Cela nous permet aussi de comprendre que le moi trop humain de la passion-de-quelque-chose ne peut jamais éprouver de la compassion. Il peut tout juste mesurer sa pitié, tout en soignant ses désirs, et en faire un argument condescendant vis-à-vis de cet « autre » qui souffre. Il ne connaît pas cette unité sans division que la Passion délivre, qu’un cœur aimant éprouve quand il aime. Quand nous aimons vraiment, nous ne divisons pas. Le cœur qui se donne est le flot indivisible du sentiment, dans une générosité qui ne compte pas. Si d’ailleurs nous ne devions cultiver qu’une seule passion, ce devrait être celle-là, car la passion de la générosité est auto-expansive et n’est pas la clôture sur soi du désir.
Dans la compassion il y a Passion, de même que dans la lucidité réside aussi un feu qui est passion, mais c’est la Passion sans objet et non la passion de quelque chose. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le joueur et le saint puissent se comporter de manière identique. Il peut y avoir autant de passions que d’objets de la passion, mais il n’y a qu’un état passionnel dont le sens ne s’épuise pas dans l’intentionnalité. La compréhension de la Passion ouvre la voie de la connaissance de soi, mais dans une dimension qui n’est pas seulement « psychologique ». La Passion nous indique ce qu'est la Manifestation de la Vie. Il est superficiel de considérer la passion sous l’angle d’une « cause » antérieure qui la ferait apparaître. Il est possible de déceler dans le passé un motif dont la répétition ferait apparaître la passion. Mais cette explication ne dit pas ce qu’elle est, cela ne nous aide pas à comprendre l’expérience passionnelle, à comprendre cette prise avec soi qu’est la passion, le s’éprouver soi-même qui la constitue en propre dans la conscience qui l’éprouve.
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L’état passionnel n’est pas un simple mode psychologique parmi d’autres, dont on pourrait ou ne non se passer sans que la vie en soit modifiée. Quand nous disons que sans passion la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue, nous sommes dans le vrai. Mais le malheur, c’est que nous faisons les choses à moitié. Nous imaginons qu’il faut "des" « passions » pour donner du sens et nous nous prenons à croire qu’avec de gentils divertissements nous aurons le sentiment d’exister quand il nous manque. Ce dont nous manquons c’est de la Vie elle-même parce que nous ne la vivons que de manière superficielle. Nous n’avons pas rencontré la Passion immanente à la Vie, la Passion qui la constitue de part en part. A côté de la Passion sans motif, toutes les petites passions ne sont qu’étincelles fugitives et non le grand feu, le Feu intérieur de l’âme qu’est la Passion.
Or le Feu intérieur de l’âme est aussi sa clarté. La Passion n’éteint pas l’intelligence, elle l’éveille. Le voir de l’intelligence est lui-même passion. La lucidité est elle-même Passion. Il n'y a donc pas de sens à vouloir opposer une condition passionnelle de l'homme à une condition où soit-disant il serait sans Passion. Il n'y a qu'une différence entre le pathos emporté, furieux du désir et le pathos serein, rassemblé de la lucidité.
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Questions:
1. Définir la passion par son objet est très superficiel, pourquoi?
2. Comment pourrait-on classer les passions?
3. Pourquoi dit-on que la passion nous aveugle?
4. Comment retracer la genèse et le développement de l'illusion passionnelle?
5. Passion et sentiment peuvent-ils réellement se distinguer?
6. La lucidité implique-t-elle nécessairement une froideur glacée des sentiments?
7. Comment se fait-il que le mot compassion contiennent en lui le terme passion?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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