« Tenez, asseyez-vous, je vais vous faire une démonstration !». Et le vendeur de mettre du beurre dans la poêle pour faire cuire une crêpe, afin de bien démontrer que la poêle ne colle jamais ! De la même manière, vous pouvez assister à une démonstration d’un nouveau logiciel, d’une crème à épiler, d’un ouvre-boîte révolutionnaire, d’une nouvelle berline, d’un scaphandre, ou je ne sais quoi d’autre. Le public qui assiste à la « démonstration » attend d’être convaincu. Il l’est quand on lui démontre tout l’intérêt de l’usage de l’objet technique. Qu’on lui montre que l’échelle révolutionnaire A peut se transformer en escabeau, ou en tréteaux pour faire des travaux de peinture. Cet objet cumule en lui trois concepts en un seul et permet d’éviter d’acheter trois outils différents. Le public qui comprend le sens de la démonstration s’exclame : « Comme c’est ingénieux ! Comme c’est pratique ! Je vais en acheter une et en profiter pour repeindre le plafond de la cuisine » ! Si la démonstration en question aboutit, elle se conclut par l’acte de consommation qui lui correspond. Je fais un chèque pour commander l’objet que j’ai vu au télé-achat !
Mais peut-on vraiment parler de démonstration en pareil cas ? Il s’agit pour le vendeur de montrer, plus que de démontrer. Et encore, montrer s’entend ici dans un sens qui relève surtout du faire-voir et du faire-valoir. La soi-disant démonstration commerciale, c’est avant tout une exhibition pour vanter les mérites d’un produit. Elle ne se déploie pas dans le champ de la connaissance, elle n’est pas gratuite ni esthétique. Ce n’est sûrement pas comme une exposition de peinture. Elle répond à une intention. Celle de la persuasion commerciale qui consiste à faire plier de manière subtile l’assentiment d’autrui, afin qu’il obéisse à une suggestion implicite : acheter, consommer. La démonstration commerciale est une mise en scène qui se sert de tous les atouts de la rhétorique. Or, dans une véritable démonstration, ce qui est en jeu, c’est d’abord la logique et non la rhétorique. Est-ce à dire qu’il faille confiner la démonstration dans une sphère à part ? Dans la sphère des mathématiques ? Ne sommes-nous pas, en tant qu’intellect, toujours placés sur le plan de la logique, et donc sensibles à la démonstration ? Faut-il faire une opposition entre l’usage courant du mot démonstration et son usage rigoureux dans les sciences ? Qu’est-ce qu’une démonstration ?
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On montre la valeur d’une thèse en développant, dans un raisonnement bien construit, les arguments qui en donnent la justification rationnelle, c'est-à-dire les raisons qui la supportent. Une thèse n’est pas comme une idée claire et distincte, qui s’imposerait dans son évidence, de manière intuitive ; une thèse nécessite une argumentation. Une thèse a besoin de montrer quelle est sa pertinence et cela n’est possible que dans une démarche discursive. L’argumentation suppose toujours un raisonnement, une exposition logique. La thèse de Darwin selon laquelle l’évolution des espèces repose sur un processus de sélection naturelle du plus apte n’a rien d’évident. Au contraire, au titre d’une explication du phénomène vivant, elle ne constitue jamais qu’une hypothèse parmi d’autres et qui reste discutable. Il faut que Darwin déploie tout le dispositif argumentatif de L’origine des espèces pour parvenir à en montrer la valeur. Cela implique que soient explicités les principes adoptés par Darwin et que soit apportée une accumulation d’observations ...
1) Dans les sciences, à partir du moment où une thèse reçoit une mise en forme rationnelle cohérente dans des principes, des hypothèses, des lois, elle est considérée comme une théorie. On dit la théorie de la gravitation de Newton, la théorie de l’évolution de Darwin. On dit la théorie de l’inconscient de Freud, la théorie de la synchronicité de C. G. Jung, la théorie de Gaia de James Lovelock. On dit selon les thèses de Newton, de Darwin, de Freud, de Lovelock etc. on peut expliquer ce phénomène en disant que... La thèse tend à montrer la pertinence d’une explication plausible d’un phénomène, d'un fait. Dans le contexte qui est le nôtre, l’usage du terme « théorie » est devenue spécifique au domaine de l’approche objective de la connaissance. (texte) Il est devenu habituel de se servir du seul mot « thèse » dans un sens plus large, pour désigner l’élaboration analytique conduite dans un système philosophique. On dit « les thèses de Marx concernant l’aliénation du travail », « les thèses de Spinoza sur la nature du désir », « les thèses de Bergson concernant la nature du temps » etc. On peut se demander si la différence entre l’emploi du mot « théorie » dans le contexte des sciences et de celui de « thèse » en philosophie renvoie à une séparation réelle. Théorie vient du grec théoria, qui implique vue de l’esprit. Il y a dans toute philosophie une théoria.
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se situe entre ce qui est argumenté et ce qui ne l’est pas, entre ce qui n’a pas de justification et ce qui en reçoit. On peut marquer une différence entre une simple opinion et une thèse. Une thèse est argumentée, une thèse n’existe pas sans un corps de propositions qui permettent de la justifier, tandis qu’une opinion, on l’a, sans trop savoir pourquoi. C’est du genre « moi je pense que » ! Et si on demande pourquoi ? Ce « moi » ne sait plus trop quoi répondre. Dans l’opinion, nous n’avons pas de justification sérieuse, notre savoir est surtout de l’ordre du ouï-dire et pas de l’ordre d’une justification rationnelle précise, ou d’une perception de la vérité que nous pourrions expliciter dans un discours convaincant. Dans le processus des constructions de l’intellect, il n’y a pas à distinguer en quoi que ce soit une argumentation « scientifique » et une argumentation « philosophique ». Elles se rangent dans le même genre, celui d’un essai de construction intellectuelle rigoureuse, s’opposant à l’opinion en général. Il n’y aurait aucun sens à vouloir les distinguer, car ce genre de fragmentation serait purement illusoire. Il y a l’argumentation rationnelle et un point c’est tout.
Mais alors quelle est donc la différence entre une argumentation et une démonstration ? Selon le Dictionnaire Lalande, « une démonstration est une déduction destinée à prouver la vérité de sa conclusion en s’appuyant sur des prémisses reconnues ou admises comme vraies ». (texte) La démonstration a deux points d’appui fondamentaux : celui de la logique et celui de la consistance du système dans lequel elle se déroule. A l’intérieur du système de la géométrie d’Euclide, on peut démontrer que la somme des trois angles d’un triangle forment 180°, équivalent à deux droits. On dresse pour cela des parallèles aux côtés du triangle, on examine l
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Dans la pratique, une démonstration prend dès lors souvent la forme d’un calcul, le calcul étant justement l’application d’une règle opératoire à l’intérieur d’un système. Pour ces différentes raisons, il est d’usage de rattacher l’usage rigoureux de la démonstration à la logique et aux mathématiques, tandis que l’on replacera l’argumentation dans l’ordre concret des faits, dans l’ordre de la vérité matérielle, les mathématiques demeurant sur le plan des idéalités, dans le champ de la vérité formelle. Parce que dans la démonstration la puissance de la logique se trouve libérée de toute entrave, de toute référence avec la nécessité de consulter des faits pour savoir si ce que l’on dit est vrai, la démonstration emporte avec elle une force que n’a jamais l’argumentation. La démonstration fournit des preuves contraignantes, l’argumentation, elle, ne fait que préciser les raisons en faveur ou contre une thèse déterminée. Dans la démonstration, l’esprit est obligé de plier, de s’incliner et il ne peut pas se dégager. Fondamentalement, nous ne pouvons pas nous dérober devant les conséquences de nos propres principes, parce qu’elles vont avec. Ce qui est agaçant, car cela vaut pour tous les principes, des axiomes mathématiques, aux principes de la logique, jusqu’aux principes des systèmes les plus dogmatiques… y compris ceux des sceptiques ! La vertu de la démonstration, telle que la déploie un professeur de mathématique en cours, c’est d’habituer l’élève à une rigueur qui l’oblige à suivre le fil de la logique, de ne plus procéder par association d’idées. La démonstration est un modèle d’objectivité (texte). La vertu de la démonstration est d’obliger l’esprit à s’émanciper de toute opinion ou vue trop subjective, au sens le plus vague du terme. La contrainte logique de la démonstration nous oblige à abandonner nos opinions personnelles, nos vues fantaisistes, pour nous soumettre à un système et à sa la logique. La démonstration est une école de formation intellectuelle en ce sens. Elle nous apprend l’impartialité. Elle nous oblige à reconnaître la vérité comme ce qui est indépendant de nos opinions personnelles, comme ce qui est valide pour tout esprit rationnel. Mais attention, cela doit s’entendre dans un sens qui n’est pas intuitif, (R) car tout processus de démonstration est discursif, (R) c’est-à-dire repose sur le raisonnement. La démonstration nous demande de nous situer d’emblée sur le terrain d’un auditoire universel, celui de la communauté des esprits capables de reconnaître la validité d’un savoir objectif. En pratique, cette communauté est celle du consensus des savants.
Le programme de l’approche objective de la connaissance de la science moderne a été d’emblée défini par le modèle de la démonstration mathématique. Le génie de Descartes et de Galilée est d’avoir mis en place une méthode dans laquelle l’univers est considéré comme un livre écrit en langage mathématique. C’est un programme très ambitieux, qui a conduit a des résultats immenses, mais qui sur le fond soulève une difficulté : est-il possible de soumettre la réalité dans son ensemble à un système unique et à l’arraisonnement de notre logique?
La science moderne, avec Galilée (texte) et Descartes a effectivement cru qu’il serait possible de confondre la description du réel en langage mathématique avec le réel lui-même. Le mode d’exposition de la démonstration mathématique est devenu le paradigme d’une science achevée, si bien que l’on tentera de l’étendre à toutes les sciences. Descartes le montre très clairement dans le Discours de la méthode.
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© Philosophie et spiritualité, 2003, Serge Carfantan.
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