Leçon 190.   Le pouvoir et l’opinion publique    pdf téléchargement     Téléchargement du dossier de la teçon        

    En général, juste après une élection, on dit que du nouvel élu qu’il est dans «un état de grâce », car il a l’opinion publique avec lui ou bien qu’elle lui est favorable. Mais nous savons que cet état ne dure pas et que l’opinion publique peut se retourner facilement contre le pouvoir politique. Mais peut-on encore gouverner avec une opinion publique montée contre vous ? Il est bien plus facile pour gouverner de l’avoir à ses côtés que dressée contre. Il faut dire qu’une large part de la rhétorique politique consiste à chercher à se concilier l’opinion publique. Autant pour ceux qui exercent le pouvoir que pour ceux qui le convoitent.

    Pourtant, il n’est pas très aisé de savoir à quoi elle correspond. Nous avons vu que l’opinion, c’est « ce que l’on pense », le plus souvent la pensée commune, le prêt-à-penser ambiant qu’il suffit de répéter et que l’on répète à foisons… précisément quand on ne pense pas soi-même. L’adjectif « publique » ajoutée à l’opinion donne une expression qui relève de la sociologie et tout particulièrement de l’étude des sondages. L’opinion publique c’est ce qui ressort des « sondages d’opinion », sous la forme de statistiques en faveur de tel ou tel « avis » à caractère général.

    L’opinion publique est-elle identique ou diffère-t-elle entièrement de la volonté générale qui est sensée être exprimée à travers l’exercice du pouvoir politique ? Gouverner, est-ce satisfaire l’opinion publique ?  Faut-il considérer la satisfaction de l’opinion publique comme la finalité du pouvoir politique ?

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A. Le concept d’opinion publique

    Nous avons vu plus haut qu’il faut prendre garde de ne pas prendre un concept pour ce qu’il désigne, parce que les mots ne sont à tout prendre que des boussoles ou des panneaux indicateurs. Avec l’expression « opinion publique » la difficulté est vive, car nous pourrions facilement dire qu’après tout ce n’est qu’un concept descriptif et rien de plus et qu’il ne faut pas chercher une « réalité » qui lui correspond. Il n’y en a pas.

     1) Mieux vaut dire que la notion d’opinion publique est un instantané pris sur l’état de la pensée collective à un moment donné du temps, le moment où on effectue un sondage d’opinion. Ce qui a une réalité, c’est la conscience collective d’un peuple, mais là encore, nous n’avons pas affaire à une entité précise, avec des caractéristiques définies, mais à un phénomène changeant, fluant, pouvant prendre toutes sortes de configurations, au gré des changements de l’Histoire et des mentalités. Les mêmes questions posées dans un sondage à 10 ans d’intervalle ne donneront pas les mêmes réponses. Un sondage ne révèle rien qui soit essentiel, mais ne fait qu’atteindre de l’accidentel, si bien qu’il serait arbitraire d’en généraliser les conclusions. Que peut-on apprendre d’un sondage sur le travail, sur la sexualité, sur la beauté, sur la religion ? Rien de ce qu’est le travail, la sexualité, la beauté, la religion dans son essence. Juste une somme d’opinions bariolées, un état des lieux de la représentation commune, « ce que l’on pense de », qui peut être fort éloigné de la vérité. Surtout si les questions sont tendancieuses et mal posées. La définition technique du sondage est celle-ci : une application technique de mesure de sociologie à une population humaine visant à déterminer les opinions (ou les préférences) probables des individus la composant, à partir de l'étude d'un échantillon de cette population. Aussi bien, on devrait dire qu’il s’agit d’une manipulation habile qui sert à conforter avec des statistiques l’idée préconçue selon laquelle une opinion serait soi-disant partagée par la quasi-totalité d’une population. Notre vénération pour les mathématiques nous porte à idolâtrer la pseudo-vérité de ce qui est présenté avec des chiffres à l’appui. Ce culte des statistiques fait partie de l’idéologie du quantitatif qui domine encore aujourd’hui notre représentation collective.

    De fait, les spécialistes sont bien en peine de donner une définition précise et consensuelle de l’opinion publique. Loïc Blondiaux dit très justement : « Vers le milieu des années soixante, un manuel américain pouvait recenser plus d’une cinquantaine de définitions de la notion, partiellement irréductibles les unes aux autres ». « De tels aveux d’impuissance ne datent pas d’hier et se rencontrent dès les origines des sciences sociales. Les fragments qui nous sont restés d’une table ronde organisée par l’Association américaine de science politique de 1924 témoignent de l’ancienneté du malaise. A l’issue d’une session agitée, l’assemblée de savants devait se séparer sur la motion suivante : faute d’un accord sur la définition de l’opinion publique, faute surtout d’un instrument susceptible de l’étudier correctement les participants décidèrent d’un commun accord “d’éviter à l’avenir l’utilisation du terme opinion publique, dans la mesure du possible”. Il y a une blague au sujet de ce que peut être l’intelligence selon les tests de QI : « l’intelligence, c’est ce que mesure le test de QI !», ce qui ne veut bien sûr strictement rien dire. On pourrait ...

    Bref, ce qui fait sens, ce n’est pas le sondage, mais l’interprétation que l’on en donne. Et encore, elle est passablement aléatoire pour une raison de fond : le « sondé » est quelqu’un qui répond à une question en vrac sans vraiment y avoir réfléchi. Il n’y a pas vraiment d’intérêt à poser une question en l’air pour gober des réactions immédiates sous la forme d’« opinions ». Tout enseignant devrait savoir qu’un débat n’a de valeur qu’à partir du moment où ceux qui y prennent part ont déjà réfléchi sur le sujet et disposent par ava

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Vos commentaires

Questions:

1.  Quelles différences peut-on marquer entre "opinion" en général et "opinion publique"?

2.  De quelle manière l'individu pourrait-il être influencé par l'opinion publique?

3.  Est-il juste de dire que le problème de l'opinion publique ne préoccupe le politique que parce qu'il existe désormais une presse comme contre-pouvoir?

4.  Quel sens donner à l'expression "gouvernement invisible"?

5. Comment expliquer de déficit de questionnement éthique sur la propagande?

6.  Est-ce une illusion de penser que l'opinion publique peut mûrir et être réfléchie?

7.  Le marketing est-il une simple technique? Une forme de propagande ou l'idéologie d'une époque?

 

      © Philosophie et spiritualité, 2009, Serge Carfantan,
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