Dans cette leçon, nous supposerons
l'acquis des analyses de la leçon précédente. Nous avons vu pourquoi le
hasard ne saurait à lui seul constituer une
explication. Le concept classique du hasard objectif est inséparable d’un
paradigme mécaniste daté du XVIII ème siècle
et qui ne résiste pas
aujourd’hui à la critique. La nouvelle physique
a ouvert des perspectives très différentes, dans lesquelles l’unité de l’univers
rend impossible la séparation complète des processus qui génèrent les
événements. L’univers cohère sur lui-même
et soutient dans sa totalité tout événement qui se produit en lui.
Mais quel rapport y a-t-il entre ces données nouvelles de la
physique et notre expérience
consciente ? Nous avons effectivement souvent l’impression que « les choses ne
se produisent pas vraiment par hasard ». Nous ne pouvons pas nous empêcher de
penser qu’il existe des rencontres et des relations très significatives. De nombreuses recherches
ont été menées au XX ème siècle sur les coïncidences significatives. Une théorie
a même été formulée, la théorie de la
synchronicité de Carl Gustav Jung, en collaboration avec le physicien W.
Pauli pour tenter d’en préciser les contours. Une littérature importante s’est
développée sur le sujet, mais dont l’intérêt est parfois inégal.
Le problème majeur qu’elle soulève est de savoir comment
différentier une véritable synchronicité d’une simple
projection mentale de l’esprit sur des
événements. Cette question est rarement posée directement, mais nous ne pouvons
pas l’éviter. On sait par exemple, que le paranoïaque voit des « signes »
partout. Il ne fait que répéter la projection de son angoisse. Il voit ce qu’il
cherche. Mais la réduction psychologique
n’est pas non plus satisfaisante. D’un autre côté, la relation signifiante entre
des événements se produit de manière frappante, indépendamment de la volonté
propre du sujet. Sans qu’il l’ai réellement cherché.
En pareil cas, on en
vient à se demander quel rapport il peut bien y avoir entre les événements
et le sujet. Que
peut nous apprendre la synchronicité des événements sur la nature de l’esprit ?
Quelles perspectives la théorie de la synchronicité peut-elle
nous ouvrir ? Ne conduit-elle pas à reconnaître d’avantage la présence d’une
intelligence au cœur des phénomènes ? L’interconnexion n’implique-t-elle pas
une dimension non-matérielle de la réalité ?
Le mot synchronicité est formé sur deux termes grecs. « syn », veut dire
ensemble, c’est le même préfixe que l’on trouve dans sym-pathie, l’idée
implicite est que cela se tient ensemble. La
sympathie indique que le pathos de l’autre est en fait non-séparable du
mien, je peux éprouver ce qu’un autre éprouve, sentir la tristesse qui est dans
son âme ou le pétillement de joie qui l’accompagne. « chroni » renvoie à
Chronos, le
Temps. Ce qui donne donc : « qui se produit en
même temps », avec cette implication précise selon laquelle, le processus de
manifestation est unifié dans sa
signification, car les
événements ne sont pas séparés parce qu’intrinsèquement liés. Le concept de
synchronicité s’inscrit en opposition avec une représentation
fragmentaire de la réalité. Penser de manière fragmentaire, c’est admettre
que les événements ne sont pas synchrones ni
synchronistiques, ce qui veut dire qu’ils surgissent
suivant leurs caractères propres, sans aucune relation entre eux. Par exemple,
la circulation des piétons sur une place semble hiératique. Chacun d’entre eux
suit un mouvement arbitraire, aux caprices du
hasard. Un chorégraphe qui
monterait
un spectacle dans ces lieux introduirait une musique commune et ferait entrer
dans une même danse tous les passants, rendant tous leurs mouvements synchrones.
La synchronicité est en quelque sorte chorégraphique, tandis que la
représentation fragmentaire privilégie le chaotique. La synchronicité présuppose
une ontologie de l’unité, la non-séparation du réel, tandis que la représentation
fragmentaire s’appuie sur
une ontologie de la multiplicité. Dans l’attitude naturelle,
nous privilégions la
pensée fragmentaire, parce que
nous pensons dans la dualité. Notre univers mental habituel est fait des
divisions dans lesquelles nous avons le sentiment d’avoir été
jetés, comme si ...
---------------1) Dans l’attitude
naturelle, l’événementiel concerne avant tout l’apparition les
phénomènes
matériels. S’il peut ou non y avoir corrélation dans le réel, c’est donc plutôt à la
physique d’en décider. a théorie physique suppose-t-elle par avance la
représentation fragmentaire ?
Le paradigme mécaniste qui a
longtemps dominé la physique accréditait très largement une ontologie de
la multiplicité. Sa prédilection pour l’analyse, comme on le voit avec
Descartes, lui assurait une solide assise dans la représentation fragmentaire et
lui fermait la vision de l’unité et de la complexité. C’est ce
qui différentie d’ailleurs Descartes et Pascal.
Le développement du paradigme
atomiste a donné au mécanisme un élan et une ampleur inégalés dans la même
direction. Newton prolonge et renouvelle la physique cartésienne.
En fragmentant la réalité sous la forme des atomes, ces petites billes
incassables, on donnait à la pensée fragmentaire une justification physique, car l’ultime fragment venait d’être découvert : c’était l’atome.
Newton était pourtant un
alchimiste convaincu en quête de l’unité ultime de l’univers.
Cependant, les principes fondamentaux appuyant l’unité de l’univers ne
trouvaient chez lui leur appui que dans une théologie. Ainsi, l’espace et le
temps devenaient des transcendantaux
résidant en Dieu, des attributs de Dieu. En réalité, le legs de Newton à la
physique ouvrait largement la voie à une représentation fragmentaire du réel.
La non-reconnaissance de la corrélation des événements dans
la physique classique est liée à deux
présupposés :
a) Celui de la
séparation sujet/objet, de l’observateur/observé au fondement du concept
de l’objectivité. Admettre la séparation, c’est prendre position pour ce
que l’on appelle l’objectivité forte. Dans cette représentation, le savoir que
nous avons sur la réalité est indépendant de notre subjectivité.
Si on éliminait l’observateur humain, les lois de la physique resteraient
valides. Le principe de l’objectivité forte interdit de concevoir l’unité du
monde matériel à partir de l’unité de la conscience. Chez Descartes,
l’adoption de ce principe va de pair avec l’élaboration d’une métaphysique de la
dualité : celle de la substance pensante/substance
étendue. Le dualisme inauguré par Descartes se donne carrière dans toute
l’histoire des sciences en Occident. C’est encore à l’intérieur de ce schéma
que pensent une majorité de scientifiques aujourd’hui, en
particulier ceux qui enseignent à l'intérieur de ce que Thomas Kuhn appelle la
science normale .
b) Celui du caractère pulvérulent de
l’objet, c’est-à-dire de la matière et en
conséquence, d’une représentation des phénomènes dominée par l’idée de division,
de processus antagonistes, indépendants et séparés. Dans la physique classique,
l’analyse de la matière aboutissait à des composants ultimes (atomes et
molécules) auxquels ensuite la chimie rattachait les propriétés de tous les
corps matériels. Dans pareil contexte, les phénomènes étaient pensés comme
l'aboutissement de processus d’une causalité
locale, soumise aux lois de la Nature découvertes par la physique.
L'interprétation que
de la composition de l’univers, les atomes, il n’y a en réalité que des champs d’énergie. La distinction entre matière et énergie, dans laquelle se développait encore la physique du XIX ème siècle n’a plus besoin d’être maintenue. Nous savons aussi que l’opposition entre le vide, comme simple espace dépourvu de toute propriété et la matière, sous forme d’atomes pourvus de caractéristiques n’a pas d’avantage lieu d’être maintenue. Des expériences montrent que le vide contient une virtualité d’où émergent des particules. La situation est donc très différente. La physique abolit l’idée d’une structure chosique de la réalité. Ce sont des « choses » que nous pensons en corrélation. Le problème de la corrélation des événements ne se posent que dans le contexte de la physique classique admettant un concept chosique de la réalité. Il se volatilise à partir du moment où on admet que la réalité fondamentale de la matière n’est pas chosique, mais est un champ, une fonction d’onde qui éventuellement se « localise » sous cette forme que nous appelons une « particule ».
Supposons que deux "particules"
x, y, soient émises, qu’elles éclatent dans des directions différentes, pour s’éloigner par exemple de plusieurs kilomètres. Supposons qu’il existe entre elles une relation de conservation. Par exemple que la somme de leur spin soit égal à 0. Dans la perspective de la science classique, il est matériellement impossible que y demeure instantanément informée de l’état de x. Si information il y avait, celle-ci ne devrait pas être transmise à une vitesse supérieure à C, la vitesse de la lumière. La causalité du phénomène doit rester locale et séquencer deux processus différents. Différents et cela va sans dire complètement indépendants de l’observateur. L’indépendance des processus est en effet garante de l’objectivité parfaite de leurs mesures, l’objectivité forte. On peut donc par principe faire état d’un système avant qu’il n’ait été observé, car ses caractéristiques ne dépendent pas de l’observateur. Elles sont "objectives". Tel est en fait le point de vue du bon sens de l’attitude naturelle. Tel est aussi le point de vue d’Albert Einstein dans sa controverse avec Niels Bohr. Partant d’une conception réaliste de la physique, Einstein veut résoudre les paradoxes posés par la dernière venue de la physique, la théorie quantique et le problème inquiétant des corrélations d’événements qu’elle soulève. L’acharnement d’Einstein aboutit à l’élaboration du célèbre paradoxe EPR, Einstein-Podolsky-Rosen, machine de guerre montée pour tenter de prouver que la théorie quantique est incomplète. Einstein propose d’essayer de prendre en défaut la théorie quantique en mesurant dans un intervalle de temps très bref, pour que l'information n'ait pas le temps d’aller d'une particule à l'autre, deux grandeurs s'excluant, telles que la position et la vitesse. Selon Heisenberg, il est impossible de mesurer simultanément la masse ou la vitesse d’une particule. (Cf. les inégalités d’Heisenberg). Si la mesure s’avérait possible, elle prouverait que la théorie quantique est incomplète et qu’il existe des variables cachées rendant compte de déterminisme implicite du phénomène. En d’autres termes, Einstein admet que les états des particules existent avant la mesure. Pour Einstein, l’univers existe indépendamment de l’observateur et il est totalement et localement déterminé.----------- L'accès à totalité de la leçon est protégé. Cliquer sur ce lien pour obtenir le dossier
© Philosophie et spiritualité, 2005, Serge Carfantan,
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Notions.Leçon (2) et (3)
sur la synchronicité
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