Traditionnellement, l’art de l’interprétation était appliqué à la recherche du sens des Écritures sacrées. Dans toutes les religions il est admis que le premier degré de lecture des textes est insuffisant et qu’il faut aller au-delà pour déchiffrer son sens secret. Mais dans le monde contemporain, le mot interprétation prend un sens beaucoup plus vague et il recouvre un champ très étendu. On peut interpréter toutes sortes d’objets : on dit d’un pianiste en concert, qu’il a donné une interprétation magistrale de la Tempête de Beethoven. On dit d’un juge confronté à un cas difficile qu’il doit interpréter un texte de loi. On disait de l’oracle qu’il interprétait les signes, comme en Grèce les cris de la Pythie à Delphes, ou à Rome les entrailles des animaux sacrifiés. Dans l’astrologie, on interprète la position des planètes. Pour le médium on peut interpréter les cartes du tarot ou les lignes de la main, les nombres etc. La psychanalyse freudienne n’est pas en reste, puisqu’elle propose aussi une méthode d’interprétation qui porte sur le rêve. De même, il est possible de se livrer à une interprétation d’un poème, d’un conte.
Le champ de l’interprétation est donc très vaste. Il est possible que le même objet reçoive plusieurs interprétations différentes. En comparaison, l’explication scientifique parait plus carrée, elle est avérée ou pas, et c’est tout. Une interprétation ne se distingue d’une autre que par sa pertinence, mais sans la chasser pour autant. La question se pose donc de savoir s’il peut y avoir en matière d’interprétation une quelconque rigueur. Sommes-nous, dans le domaine de l’interprétation, livrés à l’arbitraire ? Qu’est-ce qu’une erreur d’interprétation ? Comment distinguer une bonne interprétation d’une mauvaise ? Pour répondre à ces questions, il est indispensable de préciser quel est le statut de l’interprétation. Qu’est-ce qui donne à une interprétation sa pertinence ?
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Toute interprétation est interprétation de quelque chose, comme toute conscience est conscience de quelque chose. Quel est donc l’objet sur lequel peut porter une interprétation ?
1) La signalétique dispose sur les routes des signaux. Un signal doit le plus possible convoquer le réflexe et le moins possible la réflexion. Il est important que l’automobiliste ne prenne pas un temps trop long pour interpréter, mais réagisse rapidement. Un signal, dans l’idéal, ne doit pas avoir besoin d’être interprété, par contre un signe oui. Au signal est attaché un comportement, au signe est attaché un sens. Ce que nous interprétons, c’est tout objet qui peut être considéré comme un signe doué de sens. Mais ce n’est pas tout, puisque certains signes tels que les signes mathématiques, ne font pas non plus l’objet d’une interprétation. Un signe mathématique est en effet univoque, or ce qui est interprété, c’est au contraire ce qui est équivoque. Nous interprétons là où il y a une ambiguïté ou une obscurité, et non pas là où une idée présentée dans un signe est claire et distincte. Je peux interpréter un geste de la main en me demandant si c’est un geste amoureux ou un geste indifférent. Je ne vais pas interpréter l’ordre de l’agent de police m’intimant de passer sur la droite, au lieu de continuer tout droit Il y a une ambiguïté dans le geste de mon amie, il n’y a pas d’ambiguïté dans le geste de l’agent. L’intention qui traverse l’interprétation, c’est de parvenir à tracer une route droite dans un domaine assez confus, dans une équivocité première, pour aller vers une relative univocité, afin de faire disparaître ambiguïté et l’obscurité. S’il y avait évidence, je n’interprèterait pas. Si j’interprète, c’est pour ensuite ne plus avoir besoin d’interpréter. De même, tant que je reste dans la seule observation d’un fait, sans jugement, je n’interprète pas non plus.
---------------L'observation dit : "alors?"... « Je l’ai vu par terre, allongé sur un carton, ivre mort et à moitié délirant » traduit un constat. Le jugement dit "et alors?"... « Ce type est un de ces ratés dégoûtant qui traînent dans les rues et créent un désordre permanent » est un jugement qui introduit une évaluation et interprète le fait. Dès l’instant où je construis des jugements de valeur, des jugements moraux, je suis dans l’interprétation.
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le chemin de l’apparence à la réalité n’est pas facile à trouver. En bref, on interprète ce qui comporte de l’inexplicable, du mystère, de l’étrangeté, ce qui résiste aux définitions, ce qui ne se range pas dans des catégories tranchées, mais garde en première lecture un caractère paradoxal. Dans tous les cas, il y a bien un problème de passage dans le langage. Ce n’est pas un hasard si, l’émissaire envoyé dans un pays étranger demande un « interprète », il demande une traduction d’un langage dans un autre, sinon il continuera ...
Qu’est-ce qu’une bonne interprétation ? C’est une avant tout une lecture satisfaisante des signes. Ce qui suppose que nous avons entre nos mains une grille d’interprétation permettant de transposer un langage de signe dans un autre plus rationnel et plus clair. C’est pour cette raison que l’interprétation est avant tout appliquée à des objets linguistiques et à travers eux au champ de la culture et au domaine de l’histoire. La nécessité de l’interprétation s’impose à nous parce que bien souvent le sens des choses ne va pas de soi. Cela tient d’une part à l’obscurité de fait des situations d’expérience, des objets, mais aussi à l’obscurité du langage lui-même. Dès l’instant où celui-ci déborde son usage courant, il contient de l’équivoque et de l’ambiguïté.
2) Nous pouvons distinguer deux types d’obscurité qui invitent à l’interprétation : l’obscurité de fait, celle d’une configuration des astres, du langage obscur de l’augure, du rêve, d’une coïncidence étrange, d’un symptôme dans la maladie etc. Interpréter, c’est partir du principe qu’en droit les phénomènes naturels sont intelligibles, mais que de fait, ils nous sont livrés dans une expression hermétique qui requiert de notre part un travail d’interprétation restituant leur sens. Cela ne veut pas dire pour autant qu’interpréter, c’est expliquer. Il y a une différence. On explique un phénomène physique en invoquant un système de causes, des lois afférentes, sans qu’il soit nécessaire de présupposer une conscience implicitement à l’œuvre dans ce que l’on étudie. Par contre, en cherchant à interpréter, nous visons nécessairement ce qui comporte une dimension consciente et intentionnelle. C’est pourquoi l’interprétation regarde d’abord ce qui est humain. Mais par extension, elle peut se rapporter aussi à la Nature en la regardant comme organisée de manière intelligente, comme douée d’un sens immanent, d’une finalité organisée, mais implicite.
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© Philosophie et spiritualité, 2003, Serge Carfantan.
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