Jamais culture n’a, comme la nôtre, autant fait l’éloge de l’imagination. La publicité, les medias, non seulement font constamment appel à l’imagination, mais font aussi miroiter en permanence la figure de l’ailleurs imaginaire contre le réel. Partir dans l’ailleurs de l’imaginaire, c’est la seule manière pour l’homme postmoderne de se sentir libre. Se donner librement un autre monde que celui de la réalité. Et nous avons tous les moyens techniques pour y parvenir. Gloire à l’imagination donc, car elle est devenue le symbole de la liberté par excellence, nous qui revendiquons avant tout le droit de rêver !
L’imagination n’a-t-elle pour fin que de délivrer les moyens de la fuite de la réalité ? L’imaginaire se réduit-il à la marge de compensation de nos désirs ? Quelle différence y a-t-il entre imagination et imaginaire ? Quel est le principal ressort du travail de l’imagination ? L’imagination permet-elle de nous mettre en rapport avec un autre monde possible ou bien de quitter librement celui-ci pour trouver satisfaction ailleurs ? Si les fantaisies de l’imagination ne faisaient qu’emprunter leur contenu à la réalité, pour la reconstruire au gré des fantasmes et des désirs, l’imagination ne ferait que copier. Elle se bornerait à combiner des images dans des tableaux qui imitent les faits de la nature, tout en ne représentant rien de réel ou d’existant. Elle ne serait pas si libre ni si riche que nous voudrions le croire. Mais n'est-il pas excessif de dire que l'imaginaire est seulement un sous-produit de la perception retravaillé par le désir ? Qu’est-ce que l’imagination ?
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L’imagination, comme la perception, ou la mémoire, constituent des modalités de la conscience, des formes de l’intentionnalité. Cependant, être conscient d’une image, ce n’est pas du tout être conscient d’une chose au cœur de la perception ; et cette intentionnalité diffère aussi de celles du souvenir et du jugement. Dans un premier moment, nous pouvons marquer les distinctions conceptuelles entre image, concept, perception et souvenir. (texte)
Le décalage entre l'imagination et la perception est très net, ce sont même deux formes de conscience qui sont antinomiques. Plus je perçois de façon aiguë, de manière attentive, vigilante, lucide, et moins j’imagine. Percevoir, c'est être présent, ici et maintenant près de cette fenêtre ouverte, rester à même la perception, dans cette pièce où je me tiens. Non pas s'évader en pensée. Plus je me laisse aller à l’imagination, moins je puis percevoir ce monde actuel, de telle manière que la conscience d’image chasse la conscience de chose et réciproquement. La conscience d’image ne se développe qu’en donnant congé provisoirement au Monde de la vigilance, sans que pour autant la conscience ne tombe dans la torpeur d’un sommeil. La vigilance suppose une conscience des choses et une conscience du Monde, une tension caractéristique qui appelle une surveillance . Cette tension de la surveillance est celle qui justement doit se relâcher pour que je m’évade et me livre tout entier à des images. D’un côté, il y a donc le réel et toutes ses exigences, de l’autre, il y a l’irréel et toutes ses séductions ; en d'autres termes, ou bien aussi : la conscience de la vigilance et l’inconscience qui tend vers le rêve. Ce que dit Berkeley (texte)
Le rapprochement avec le souvenir nous met tout de suite dans une possible confusion. Si, par exemple, j’évoque en pensée la maison de ma grand-mère en Bretagne où j’ai passé une partie de mon enfance, il y a bien des images qui me reviennent, mais ces images ont une tonalité particulière, elles sont plus exactement des souvenirs. Ce qui fait qu’une image est de l’ordre du souvenir vient de ce qu’elle est marquée par le temps dans la dimension du passé. Je revois une maison non loin du bourg, des lieux comme une plage de galets. Je pourrais peut-être me souvenir de la couleur des volets de la maison. C’est là une image complexe, mais c’est aussi un souvenir. Pour rencontrer une image dans son mode particulier de manifestation, il faudrait se dégager de la perspective temporelle. Le souvenir se définit comme prise de conscience par le sujet du passé, alors que l’image ne nous fait pas sortir du présent : l’image est plutôt intemporelle. Le souvenir prend place dans la Durée. Toute image n’est pas nécessairement souvenir, mais inversement, dans tout souvenir, il y a des images. De même, dans toute image, il y a bien un élément de perception sensorielle, mais qui a été emprunté à la perception, pour être transformé ensuite. Je peux très bien former l’image d’un cheval ailé, sans évoquer nécessairement tel cheval que j’ai vu un jour courir dans un pré. Ce qui me permet de former l’image est en un sens moins intime qu’un souvenir, c’est une sorte de connaissance de formes plus intemporelle que les souvenirs. Dans le souvenir, la tonalité émotive est très forte : j’ai l’impression de retrouver à travers les images, mon passé, de me retrouver moi. Dans le souvenir, l’essentiel, c’est le rapport de ma conscience au passé, l’image ne jouant qu’un rôle intermédiaire. Dans le rapport à l'imaginaire, l'image est directement l'objet. Une image est produite, inventée, elle est une création de l’esprit, ce n’est pas seulement une reproduction de ce que l’esprit a déjà pu voir. La mémoire vise le passé et non pas l’image en tant que telle, ce qui justifie la distinction des deux facultés. Dans l’imagination, l’image n’est pas un intermédiaire, elle est le but de la visée en tant que telle. La conscience qui perd pied par rapport à la perception se déploie dans des images, la conscience se fait tout entière ... (texte)
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Questions:
1. Faut-il considérer notre propension à la fuite dans l'imaginaire comme une forme de liberté?
2. De quel point de vue est-il légitime de se servir d'image pour illustrer un concept?
3. S'imaginer autre et autrement est-ce une facilité ou un forme de conditionnement de la pensée?
4. Quelle relation pourrait-on formuler entre l'imaginaire et l'inconscient collectif?
5. En quoi l'imaginaire permet-il de construire la personnalité de l'enfant?
6. Un esprit qui manque d'imagination peut-il réellement être intelligent?
7. "Si nous n'avions pas l'imaginaire nous ne pourrions pas supporter la souffrance continuelle": la formule est séduisante, mais ne peut-elle pas être aussi retournée?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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