Nous vivons dans une culture qui entend avoir dépassé le stade du mythe, nous pensons pouvoir ignorer la représentation mythique parce que la représentation objective de la science moderne nous en a débarrassé. Claude Lévi-Strauss écrit dans ce sens : pendant des millénaires, le mythe a été un certain mode de construction intellectuelle... Mais, dans notre civilisation, à une époque qui se situe vers le XVII ème, avec le début de la pensée scientifique -Bacon, Descartes et quelques autres-, le mythe est mort ou, à tout le moins, il a passé à l'arrière-plan comme type de construction intellectuelle ».
Mais est-ce bien sûr? Avons-nous vraiment franchi une étape qui serait celle du "stade du mythe ?" Nos mythes sont peut-être seulement différents des mythes anciens, cela ne veut pas dire que le mythe ait perdu sa place dans notre pensée. Prenons par exemple ces mythes recréés par l’imaginaire contemporain. Par exemple le mythe de la « belle époque » désigne les années 1900. Nous vivons avec des images mythiques, au point de parfois nous cacher la réalité. A. Sauvy le dit de manière abrupte : « Après la guerre, a été créé le mythe réactionnaire et bêtifiant de la "Belle époque". Les jeunes ont été incités à croire que ce fut un temps de fêtes, autour de la place Pigalle. Il n'était pas question des 100 000 vagabonds ou mendiants qui traînaient dans Paris, de la mortalité infantile 6 fois plus forte que l'actuelle, de la semaine de 60 heures, sans congés, sans sécurité sociale, non plus que du taudis et de l'expulsion avec saisie des meubles (sauf le lit, par mesure... d'humanité).» Il est facile de reconstruire le passé sous une forme mythique. C'est ce à quoi s'emploie par exemple le cinéma.
... conférer? En toute rigueur, devons-nous bannir le mythe d’une représentation philosophique du monde ? La philosophie se construit-elle contre la représentation mythique du monde ? La science et la philosophie exclut-elle vraiment une représentation mythique du monde? N’y a-t-il pas une mythologie issue de la science ?
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Dans un premier temps, il est indispensable de préciser ce qu’est un mythe dans les deux sens du mot.
a) Un mythe est un récit qui met en scène les forces de la Nature, sous la forme de dieux ou de héros. Le mythe se situe dans une dimension intemporelle, celle de l’Origine des choses, avant la naissance du temps historique. Le mythe diffère de la fable. La fable est une histoire qui aboutit à une morale. Le mythe n’est pas construit pour aller vers une morale à recevoir, il reste ouvert à toute interprétation. Mircéa Eliade en donne cette définition : « Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements. Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Êtres Surnaturels, une réalité est venue à l’existence … C’est donc toujours le récit d’une création : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être ». (texte)
b) Cependant, le sens originel du mythe s’est affaibli et modifié dans les temps modernes. On a fini par appeler mythe toute construction imaginaire ayant un temps soit peu le support de la conscience collective et servant de référence pour penser ses idéaux et se reconnaître elle-même. C'est ce que nous nommerons le mythe sociologique. Il est alors très voisin, souvent confondu avec la notion d’illusion et il devient un terme péjoratif. On a construit de toute pièce le « mythe de la belle époque » disions-nous pour qualifier une période de l’histoire qui nous fascine et qui sert de valeur refuge à l’imagination : « en ce temps là, il y avait de belles voitures, les femmes fumaient des cigarettes avec un porte cigarette, on dansait au rythme du charleston »… ! De la même manière on a construit le « mythe du miracle grec » en idéalisant une période de la Grèce antique. De nos jours, il suffit qu’une célébrité ait un destin tragique pour qu’elle soit transformée en mythe. On a parlé du « mythe Elvis Presley », ou du « mythe John Lennon ». Ainsi la vie historique d’un homme ou d’une femme, devient légende, et de légende, entre dans le mythe. Ce n’est plus un homme ou une femme, c’est un héros, un archétype, un modèle. Sa vie n’est plus de part en part historique, elle devient symbolique de ce que nous pouvons r...
L’analyse du mythe nous renvoie directement à la nature de l’imagination, et plus exactement, à l’imaginaire collectif. Dire que le mythe est un récit est donc insuffisant, ce n’est pas un récit historique, mais plutôt une fresque imaginative, à l’image du conte fantastique pour les enfants. Il a les qualités qui tiennent aux splendeurs de l’imaginaire : il est coloré, évocateur, pathétique, il frappe l’imagination, la nourrit ; il donne un élan à la pensée qui lui permet d’aller au-delà du monde trivial dans lequel nous vivons. Le mythe délivre aussi des réponses à des questions de sens et il accrédite des opinions arrêtées. Le mythe séduit tout de suite car il se range dans l’opinion ; et une pensée qui en reste à l’opinion se contente d’explications arrêtées, sans se poser de questions et que justement le mythe prend la forme d’une pensée définitive.
Quel est l’effet de cette représentation sur la conscience commune? Le mythe fournit une ---------------justification, une explication simple de ce qui est, sans recourir à des antécédents historiques précis. Il justifie la fatalité du travail, la fatalité de la douleur de l’enfantement, le mal. Il pose une croyance arrêtée, il donne un sens définitif, indiscutable à une nécessité, celle du travail, celle de la douleur, à la présence du mal. D'une certaine manière, le mythe rassure là où la conscience pourrait s’inquiéter. Il éloigne ce qui passerait pour une absurdité. Il donne la satisfaction de savoir pourquoi les choses sont ainsi et depuis toujours. Il rassure en posant que l’ordre des choses est éternel : « c’est comme cela, on ne peut rien y changer ». « Depuis l’Origine Dieu a voulu que ». Les hommes sont fautifs depuis le Péché originel, le travail doit les racheter. La femme est fautive par le Péché. Elle paye par la douleur de l’enfantement. « C’est comme çà » ! Cela ne se discute pas. Le mythe a bien un rôle. Il remplit une fonction dans la conscience collective. Il est là pour tisser dans l’imaginaire des assurances et suppléer au vide des angoisses éternelles ; il est là pour donner des réponses définitives à des questions qui restent sans réponse. Il donne la parole à des croyances pour répondre aux questions les plus graves : la présence du mal, de la souffrance, la mort, le destin de l’âme, le sens de la Vie, l’existence et la nature de Dieu etc. Son contenu suffit amplement à tous ceux qui surtout ne veulent pas interroger, mais ...
Au fond, le mythe permet de répondre par avance à des interrogations philosophiques fondamentales... sans se les poser philosophiquement. Il donne une interprétation de la réalité qui va de soi pour celui qui y croit. Il permet d’éviter de se poser des questions, en ouvrant une interrogation sur la complexité de l’Être. Il supprime l’étonnement devant ce qui est. Parce que l’interprétation mythique se situe hors du temps, elle ne laisse pas non plus prise à une mise en question historique : ce n’est pas parce que l’on s’est représenté le travail comme une fatalité à une époque qu’il doit toujours en être ainsi. Ce n’est pas parce que la religion chrétienne à sacralisé la douleur, qu’il faut pour autant refuser à la femme qui accouche une anesthésie locale. Il faut tout de même savoir qu’effectivement, jusqu’au début du XX ème siècle, on a regardé de travers les tentatives de soulager la douleur. Toujours cet arrière fond mythique issu de la religion. Un esprit trop soumis à une interprétation mythique du monde est enclin au fatalisme. Il vit dans l’universelle répétition du rite, il ne peut aisément envisager un changement créateur, comme le dit Krishnamurti. Il est par avance plutôt confiné dans l’immobilisme de la tradition. Il ne conçoit pas de révolution. Il est plutôt conservateur, puisqu’il ne conçoit le présent qu’en fonction du passé, qu’en fonction d’une répétition immémoriale de ce qui a toujours été fait. En bref, il ne conçoit pas la Durée comme créatrice, mais le Temps comme une répétition indéfinie du Même. Si la pensée mythique tend à confiner l’intelligence dans l’opinion traditionnelle, elle nourrit aussi la croyance, elle entretient de soi-disant évidences qu’il suffit de répéter. Il n’y a plus rien à expliquer, rien à démontrer : le mythe raconte ce que l’opinion affirme. L’opinion confine la pensée dans le monologue ce que On dit depuis toujours, ce que la tradition raconte. Le mythe, comme unique contenu de la pensée, nourrit la soumission. Il n’y a en effet pour la pensée plus rien à chercher. Il suffit de croire. Aussi, une conscience qui vit sous l’empire d’une représentation mythique du monde ne peut elle en réalité se suffire à elle-même. Elle a besoin d’aller au-delà de ses limites et de son monologue, de rencontrer une pensée plus rationnelle, d’entrer en dialogue avec des mythes différents de ce qui lui ont été inculqués, en bref, d’avoir une ouverture à toutes les dimensions de la culture. Il est bon par exemple de voir que dans des cultures différentes de la nôtre, le travail et la souffrance, n’ont pas du tout été vus de la même manière que dans la culture judéo-chrétienne. Il est indispensable que la représentation mythique soit en dialogue avec un point de vue qui est celui de l’intelligence libre de toute autorité extérieure, de l’intelligence qui ne fait confiance qu’à la force de l’évidence et au poids des raisons. (texte)
Ce qui explique pourquoi la pensée Moderne, qui a érigé la raison en autorité, a considéré l’interprétation mythique du monde comme un « stade archaïque » de l’humanité. Le mythe, vu sous cet angle, est une élaboration de la pensée qui reste très élémentaire. Il doit être dépassé. Ce dépassement n’est possible que si la pensée est éduquée dans une culture dont le fondement est philosophique et s
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Questions:
1. En substance, ne peut-on dire que le mythe transporte un contenu métaphysique, mais exprimé dans un langage populaire ?
2. Pour le philosophe le mythe peut-il avoir une valeur autre que pédagogique ?
3. La formulation mythique d’une pensée pourrait-elle procéder de l’intention de dissimuler au profane un enseignement ésotérique ?
4. En quel sens aurait-on raison de considérer les mythes comme des contes populaires adressés aux enfants ?
5. L’idée du « pur scientifique » n’existe-t-elle que dans l’esprit des épistémologues ou correspond-t-elle à un fait?
6. Comment pourrait-on expliquer la permanence des mythes et le fait qu’ils véhiculent des structures similaires ?
7. Faut-il chercher des rapprochements entre la théorie scientifique et le mythe ?
© Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan.
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