Leçon 117.    De la religion à la spiritualité         

    Jadis, il était d’usage, dans la pensée universitaire, d’assimiler la spiritualité à la religion. On parlait de « spiritualité chrétienne », de « spiritualité de saint François d’Assise », ou de « spiritualité juive », de « spiritualité de l’Islam ». A la rigueur on admettait une « spiritualité bouddhique » et encore, sans la connaître vraiment, car le bouddhisme était considéré plutôt comme une philosophie que comme une religion. Quant à la « spiritualité indienne » la formule était la plupart du temps censée désigner de manière péjorative une nébuleuse de croyances et de pratiques dont on ne voyait guère la valeur. Sauf De la religion à la spiritualitépour le côté exotique au chapitre des bizarreries humaines. Dans le champ philosophique, la situation était tout aussi confuse. En guise de spiritualité, Kant ne propose que le retour au piétisme. Hegel reconstruit pour le christianisme une théologie de l’Histoire. Spinoza, jusque dans les commentaires érudits est accusé d’être « un mauvais juif », parce qu’il a rompu avec la Synagogue. Et de fait, la dimension spirituelle de l’Éthique a souvent été occultée au profit de ce que l’on a nommé le matérialisme spinoziste. Une concession peut être pour Plotin, car il est bien difficile de nier que nous ayons là une philosophie spirituelle, indépendante d’une religion établie.
    La situation contemporaine est aujourd’hui très différente. Comme le titre un livre récent Dieu a changé d’adresse. Les observateurs les plus lucides de notre époque l’ont bien compris, nous n’identifions plus aujourd’hui la spiritualité à une religion organisée. cf. Eckhart Tolle Nouvelle Terre (texte) Nous pouvons même les opposer. Ainsi le fondamentalisme et l’intégrisme sont des attitudes que nous savons rattacher au sursaut identitaire des religions organisées. Ils ont peu à voir avec un éveil du spirituel et beaucoup à voir avec les luttes des identités culturelles de communautés soudées autour d’un credo. Nous sommes tout à fait préparés à reconnaître que la spiritualité vivante transcende les dogmes, les credo et ne se laisse enfermer dans aucune organisation. La critique sévère de la religion chez Krishnamurti ou encore chez Aurobindo ou Mère ne nous empêche d’être à même de reconnaître en eux une profondeur spirituelle indéniable.
    Il est maintenant possible de poser la question avec plus de précision : en quoi la spiritualité se distingue-t-elle de la religion ?

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A. La religion organisée et le spirituel

    Comme nous l’avons vu, le mot religion peut s’interpréter comme ce qui re-lie, et ce qui lie à nouveau. Ce qui établit un pont ou rétablit une ancienne alliance. Cependant, toute la question est de savoir ce qui est lié et en quoi consiste le lien.

    1) Commençons par préciser des distinctions. Il y a deux possibilités :

        a) - soit voir dans la religion (re-ligare) le lien entre l’homme et l’Être, l’Englobant, la Vie, le Divin (quel que soit le terme qu’on lui donne), en admettant que le spirituel est précisément ce lien intemporel entre le relatif et l’absolu. (R)
    Dans ce premier cas, la spiritualité ne suppose pas d’organisation et cette absence d’organisation est peu propice à la formation d’un dogme. De ce point de vue, il est tout à fait possible d’admettre une grande diversité de voies d’accès à l’absolu. La spiritualité implique un mode d’accès direct à la présence du Divin. On appelle expérience intérieure ou expérience mystique, cette approche spirituelle. Elle diffère d’une approche intellectuelle, propre à la raison d’un concept, comme celui de Dieu. Ce que l’on rencontre par exemple chez Leibniz ou Hegel. Elle se distingue aussi de l’approche morale recourant à l’idée de Dieu pour donner une justification à l’idée même de devoir. Voir à ce sujet les thèses de Kant dans La Critique de la Raison pratique. Elle n’est pas non plus une approche psychologique du concept de Dieu, ce que Freud propose dans certains textes, comme L’Avenir d’une illusion. Ce que par ailleurs Carl Gustav Jung ...

       
   

 

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    © Philosophie et spiritualité, 2005, Serge Carfantan,
La traduction du Rig Veda est celle de Hervé Bodemer, réalisée pour le site.
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