Leçon 51.  Le pouvoir et le droit       

    L’Histoire nous montre que trop souvent des peuples se sont dotés d’un pouvoir politique tyrannique. Situation étrange :tout de même étrange, car comment se fait-il que millions d'hommes, des nations puissantes puissent accepter de se soumettre à un tyran ? Le pouvoir du tyran n’est jamais que celui qu’on lui accorde. Est-ce à dire que le peuple accepte les abus de pouvoir, pourvu qu’il trouve malgré tout dans l’État une relative sécurité ? N'est-ce pas folie de consentir à l'asservissement?

    La tyrannie s’explique-t-elle par la faiblesse de conscience d'un peuple qui se laisse dominer ? Tient-elle à la fascination devant la force ? L’autorité tyrannique ne se fonde-t-elle que sur l’abdication par un peuple de sa liberté ? Le tyran s’appuie sur la soumission résignée de ceux qui l’opprime. Mais comment se fait-il qu’un peuple puisse ainsi s’aliéner ? Plus précisément où est la limite de l’exercice du pouvoir ? A partir de quand le pouvoir franchit-il les bornes de son exercice normal ? Qu’est ce qui en droit définit l’exercice du pouvoir politique ?

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A. La logique sécuritaire

    Si l’existence même de la société suppose un conflit entre ses membres, il semble légitime qu’il y ait un pouvoir souverain qui exerce une position d’arbitre des conflits. Pour être réellement efficace, il ne doit pas tolérer une autre pouvoir au-dessus de lui. Le pouvoir politique doit être Souverain, sans quoi il ne répondrait pas à son essence. Mais cette force du pouvoir souverain risque toujours d’être abusive. Est-il possible de la limiter dans le cadre d’un exercice juste ? Et comment ? La force du pouvoir ne fait pas pour autant un droit. Comment peut-elle être pensée pour que soit réalisé un ordre politique juste ? (texte)

    1) La difficulté est posée par Kant dans l’opuscule Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique sous cette formeL’homme est un animal qui a besoin d’un maître, mais où peut-il aller le chercher ? Qui va-t-il choisir ? Et comment ?

    ---------------Pour répondre à ces questions, nous devons pour cela considérer de près la relation entre le citoyen et l’État. Cette relation, elle a été envisagée dans la philosophie politique au XVIII ème siècle, sous la forme d’un contrat. Parce que la société humaine n'est pas naturelle, on suppose que les hommes dans l’état de nature se rassemblent et décident collectivement de s’unir pour former un État. Les hommes qui vivent dans l’État ne sont des citoyens que parce qu'ils acceptent les règles qui régissent leur vie commune. Le contrat qui constitue l’association des citoyens dans l’État, est celui par lequel les hommes remettent un pouvoir à celui qui doit les gouverner tous. L’instauration du contrat social pose la légitimité de l’État en droit.

    2) Mais tout dépend de la manière d’interpréter ce contrat. (texte) Tout dépend de la fin que l’on se propose en l’établissant. Or, ce à quoi nous pensons le plus souvent, pour justifier l’existence du pouvoir, c’est qu’il est là pour garantir la "sécurité". Pour cela, nous sommes prêts à accepter le renforcement de la force publique. Mais si l’on suit la logique de la constitution d‘un pouvoir fort à quoi est-on conduit ?

    Suivant exactement cette optique, Hobbes distinguer deux contrats fondamentaux : les hommes en entrant dans l’État ont implicitement conçu un contrat par lequel il souhaitent devenir membres de la société. Ce premier contrat signifie que la pluralité des volontés est englobée dans un tout qui est plus que la somme des parties, le tout de la société. D'un point du vue de droit, la société n’est pas seulement la conscience collective qui existe toujours de fait, elle est une société civile par laquelle chacun se sent lié en droit avec tous. Ce premier contrat est le pacte d’association.

    Ayant passé accord entre eux pour fondé une société, les hommes décident aussi de se soumettre à une autorité politique, à cette condition que tous les autres en fasse autant. Celui qui est désigné, le Souverain, reçoit donc le pouvoir. Pour que le pouvoir soit puissant, on suppose que le Souverain, lui, n’a pas passé de contrat avec ses sujets. Ce sont les sujets qui ont ensemble passé contrat pour lui remettre leur pouvoir afin qu’il les protège tous ensemble. C’est le pacte de gouvernement.

    Il est important de comprendre ces présupposés. Si nous cherchons un système politique pour assurer l’ordre public, la tranquillité de tous, la logique sécuritaire en appelle à la nécessité d’un pouvoir fort, donc d’un pouvoir tout puissant : autant dire d’un pouvoir total, voir totalitaire. Pour constituer en droit le pouvoir absolu, il faut interpréter le contrat social comme un pacte d’association et de soumission au pouvoir. Pour éviter la guerre de tous contre tous, (texte) Hobbes suppose que les hommes décident de constituer un pouvoir absolu qui saura tenir en respect ceux qui menaceraient l’ordre public. Le Souverain détient le pouvoir suprême, pour que la paix publique soit assurée et que la société civile soit vivable. Tous les citoyens cèdent leur droit au profit du souverain. C’est donc en aliénant tous leurs droits les hommes obtiennent protection et c’est de cette manière que le pouvoir est absolu, car il reçu sans condition. Il tire sa légitimité du contrat qui rend le souverain capable d’instaurer une sécurité publique. (texte)

    Mais, le souverain investi de cette manière n’aura-t-il pas tendance à abuser de son pouvoir ? Hobbes rétorque qu’il vaut mieux subir la tyrannie d’un seul homme que l'anarchie de l'état de nature et la violence d’une multitude ! La désintégration que provoquerait la disparition du pouvoir est bien pire que les abus du Souverain. Hobbes a vu les guerres civiles. Il en tire une vue pessimiste sur ce que les hommes seraient en dehors de tout État constitué. Dans l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme : homo homini lupus. Et il élabore la théorie politique qui entend remédier à cet état malheureux. C'est seulement dans l’État social que l’homme est un dieu pour l’homme homo homini deus. Mais encore faut-il que le pouvoir soit solidement constitué pour tenir les citoyens en respect. Le pouvoir ne sera tout puissant que s’il est confié sans condition à un seul et si le Souverain lui-même se situe au dessus de la loi, loi qui vaut d’abord pour les sujets.

    3) L’argument est insuffisant. Où est donc la limite qui puisse marquer  l’abus de pouvoir ? Si le souverain est au-dessus de la loi, d’une loi qui n’est valide que pour le peuple, il peut très bien exercer sa puissance contre n’importe quel citoyen en prétextant la raison d’État. Il se trouve de plus en situation de rivalité vis-à-vis des autres États. Entre deux états différents, s’il n’existe pas de gouvernement mondial, règne l’état de nature. Le souverain peut se donner toutes sortes de raisons pour opprimer son peuple et satisfaire sa convoitise personnelle, se bâtir des palais sur le dos des citoyens, exploiter l’argent public. Ce serait, du point de vue de Hobbes, une sorte de mal nécessaire, pour obtenir un pouvoir efficace, capable de garantir la sécurité publique. Mais c’est dans le principe consentir à la tyrannie. Ce consentement qui fait que les hommes se dépouillent de tous leurs droits est inadmissible. Il est inhumain, il n’est pas raisonnable d'accepter pareille caution du pouvoir. L’union des citoyens dans un État ne peut pas se réaliser par la soumission. Demander la soumission, c’est faire des hommes des esclaves. C’est justifier le despotisme et ne pas voir où se situe la légitimité de l’État. En d’autres termes, il n’y a dans un contrat social fondé sur la soumission aucune légitimité. Ce n’est même pas un vrai contrat.

    Le problème est difficile, puisque les inclinations égoïstes de l’homme font qu’il tend à abuser de sa liberté naturelle. Pour que la vie sociale soit possible, il faut que l’homme puisse y être libre, mais aussi qu’il discipline ses inclinations animales et se plie à la loi. Le citoyen doit avoir un sens élevé de la responsabilité. Pour mettre fin au désordre, les hommes sont poussés à accepter des règles de vie commune qui limitent leur liberté. Ils se doivent d’abandonner une liberté naturelle, pour accepter une liberté civile (texte). Ils y sont forcés pour leur intérêt, et c’est pourquoi ils bâtissent cette énorme machine qu’est l’État. Mais cela ne veut pas dire que les hommes soient entièrement déraisonnables au point de placer, sous le dictat de la peur, sous la conduite d’un tyran. C’est en tant qu’ils sont raisonnables qu’ils acceptent la loi. C’est la raison qui est à même de reconnaître l’autorité des lois en y voyant l’intérêt de tous.

B. Le Contrat social et la Souveraineté

    Le contrat social doit donc être entièrement repensé suivant une logique qui ne soit pas sécuritaire, mais éthique, sur une logique qui répond à l’engagement concret des citoyens à l’intérieur de l’État.  Pour qu’il y ait État il faut qu’il y ait d’abord une société. Le premier acte juridique implicite qui mène une société à se constitue en État, c’est l’acte par lequel est se constitue comme Peuple. Il faut bien supposer une première convention morale par laquelle les hommes vivants ensemble se reconnaissent comme formant un peuple.

    Naît dans le pacte d’association une nouvelle entité qui est la Souveraineté qui signifie l’autorité de la communauté pouvant s’appliquer à chacun. Il est important de bien distinguer dès lors la Souveraineté et celui ou ceux qui l’exercent au nom de tous. L’État apparaît quand l’exercice de la souveraineté est remis à quelque uns suivant les règles d’un régime politique : autocratie, monarchie, démocratie etc.

    A la question "à quelles conditions peut-il y avoir une autorité véritable et un gouvernement légitime ?" Il faudra répondre en disant que le pouvoir est légitime, (R) non pas parce qu'il dispose de la force publique, il n'est légitime que s’il est l’expression de la Souveraineté du peuple. Ainsi les lois promulguées par l’État, en principe ne sont pas imposées par la force et issue de la force, elles résultent d’une convention passée entre les hommes, convention dont le fondement est la Souveraineté du peuple.

    La loi ne me contraint pas, elle m’oblige. Je me sens obligé par les lois civiles, dans la mesure où je peux reconnaître en elles des exigences raisonnables, ce que l’on dénommait autrefois le droit naturel. La convention qu’elles supposent c’est un pacte d’association entre les citoyens. Il s’agit dès lors de « trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tout, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant ». (texte) Il ne s’agit pas de sacrifier la liberté de chacun, mais plutôt de la garantir. Hobbes avait raison sur un point quand il posait que le respect des lois ne peut-être assuré que par la force publique. Seule la force publique peut s’opposer aux résistances individuelles ; il faut bien que les particuliers renoncent à défendre leurs intérêts par la force et que l’usage de la force soit seulement entre les mains de la puissance publique.

    Le Contrat social suppose donc que les sujets se désistent de leur liberté naturelle, mais au lieu de se désister en faveur d’un tiers, décident de remettre leur pouvoir entre les mains d’un homme ou d’une assemblée, il le remettent entre les mains de toute la communauté. Chacun se doit d’abandonner ses droits à toute la communauté et c’est grâce à cet abandon qu’il reçoit en retour la protection de sa personne et de ses biens. « La condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres» montre J.J. Rousseau dans le Contrat social.

    Égale pour tous indique que dans l’État aucun citoyen n’est davantage citoyen qu’un autre : le citoyen c’est tout homme doué de ses droits civiques, c’est vous et moi, c’est un député ou un ministre, un président ou un conseiller d’État, chacun étant redevable devant la loi de la même manière que tous les autres. Nul ne peut-être placé au-dessus de la loi, y compris le souverain qui a en charge l’exercice du pouvoir au nom de la souveraineté de l’État. (texte)

    « Chacun, se donnant à tous ne se donne à personne ; et, comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de ce que l’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a ». La volonté de tous ne peut-être oppressive. Elle ne peut s’appliquer qu’à défendre les justes intérêts de ses membres, elle ne peut qu’assurer les droits des contractants. Le contrat social doit ainsi permettre de sauver et de garantir la liberté.

   Mais il faut bien prendre garde que le contrat social est une association idéale dont le fondement est moral, ce n’est pas une collusion d’intérêts purement utilitaires. La volonté commune s’identifie à la volonté de chacun, parce que chaque citoyen peut s’identifie avec la volonté commune et la recevoir pour sienne. La volonté commune est volonté générale d’où la formule de Rousseau : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale et nous recevons en corps chaque membre comme partie individuelle du tout. » Ce dépassement de l’individualisme ne peut s’entendre clairement que si on saisit que la volonté générale a une signification plus profonde que la volonté commune, ou le consensus. La volonté générale est une volonté morale, pas une coalition d’intérêts. « Il y a bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun ; l’autre regarde à l’intérêt privé, et ce n’est qu’une somme de volontés particulières ».

    La volonté générale est celle qui se détermine sur un plan universel, elle se ramène en fait à la volonté raisonnable qui recherche la bien de tous.

    Nous tenons maintenant un principe qui va nous permettre de juger de la légitimité du pouvoir. L’État exprime sa volonté dans la loi. Comment l’autorité de l’État peut-elle être légitime ? Il faut que dans sa formule même, elle garantisse la liberté des citoyens sans les opprimer. Il y a deux conditions pour cela :

    - que le citoyen vivant dans l’État ne demande pas sous le nom de la liberté une licence sans règles, ce qui serait incompatible avec l’État L’indépendance absolue, la liberté naturelle ne sont pas pensables dans l’état social.

    - que la loi ne soit pas le décret arbitraire d’un despote, mais l’expression de la volonté générale.

    Dès que le pouvoir politique est confisquée par un homme, un clan, un groupe militaire, un parti, des intérêts financiers, un lobby etc. et qu’il n’est plus le reflet de la volonté générale, une séparation se forme entre la volonté de l’État, mise au service de quelques uns, et la volonté générale qui devrait avoir en vue le bien de tous. A la limite, dans une dictature, le Souverain finit par se mettre au-dessus de la loi qui est imposée seulement au peuple pour le bénéfice de ses intérêts personnels. Le pouvoir franchit donc les bornes de son exercice normal quand il ne reflète plus la volonté générale, et lui substitue une volonté particulière : celle d’un homme qui s’approprie le pouvoir pour assurer sa prospérité personnelle et celle de sa famille, celle d’un lobby industriel qui ne poursuit que son profit, celle d’un parti qui refuse le jeu de la représentation et s’approprie de force le pouvoir etc. Le pouvoir se coupe dès lors de son fondement qui réside dans la conscience du peuple et il se situe au-dessus du peuple. Dans cette séparation commence le règne de la tyrannie et de l’asservissement. Le pouvoir a rompu avec le corps social, parce que le contrat social a été rompu.

    ---------------Aussi, puisque la volonté générale doit toujours s’exprimer dans le corps social, et se refléter dans les décisions du pouvoir politique, il faut que les institutions soient constituées de telle manière qu’elles permettent son expression à tous les étages de décisions politiques. Dans l’idéal, il faudrait que chaque citoyen puisse participer aux décisions publiques, comme dans la Cité grecque et que l’unanimité règne dans les décisions à prendre. Mais les dimensions gigantesques de l’État moderne ne permettent pas ce fonctionnement. Aussi optons nous pour le principe de la représentation de la volonté générale dans le système de l’élection. Un député est celui qui est porte parole du peuple, qui se doit de transporte une voix qui, loin d’être seulement la sienne, s’identifie à ce que les citoyens veulent, à ce que la volonté générale exprime. Un politique est par définition un ministre mandaté par le peuple et chargé de gouverner au nom de la volonté générale, dans le respect de la volonté générale. D’autre part, dans une élection, comme il est impossible d’obtenir en toutes choses l’unanimité, nous partons du principe que la volonté générale sera du côté de la majorité des voix , ou de la majorité des suffrages.

    Mais d’un autre côté, il est clair que le champ de la liberté politique n’est pas celui de l’état de nature. Nous ne pouvons pas réclamer une indépendance absolue dans l’État. Dès qu’il est entré dans l’état social « l’homme qui jusque là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants ».

    L’homme ne peut donc constituer une corps politique que s’il est éduqué, que s’il est capable de faire société avec ses semblables. La raison devrait lui commander de fonder sa conduite sur le respect d’autrui. Aussi la liberté que rend possible la constitution de l’État n’est pas l’anomie ou absence de loi. Elle est autonomie détermination de la volonté par la loi qu’un être raisonnable découvre en lui-même. Le citoyen est un homme responsable qui respecte la loi commune et se sent lié aux autres hommes par une commune aspiration à vivre ensemble dans un monde libre. Les hommes ayant ce statut sont dit concitoyens d’une même République idéale où le citoyen vivrait en accord avec tous et pourtant en n’obéissant qu’à lui-même. C’est là justement la définition idéale que nous donnons aujourd'hui de la démocratie.

    Mais par malheur, le contrat social peut aussi être violé du côté de la responsabilité du citoyen, comme il peut l’être du côté du politique. Il peut en effet advenir que les hommes cessent d’assumer leur rôle de citoyen. Peut-on, par exemple, raisonnablement dire que la volonté générale s’est exprimée lors d’une élection quand 50% d’entre eux ne sont pas venus voter ? Ne faut-il pas que la souveraineté soit appuyée pour que l’idéal d’un pouvoir juste devienne réel ? (texte) Cf. Fichte.

C.  Séparation des pouvoirs et vertus du citoyen

    Il est facile de rétorquer qu’entre l’idéal d’un pouvoir juste et la réalité, il y a un fossé. Qui possède un pouvoir tend malheureusement à en abuser. Contre l’abus du pouvoir, il est possible de concevoir deux contreparties : 1) celle du droit qui est lié à une structure équilibrée des institutions du pouvoir politique, 2) celle de la conscience morale qui correspond à l’exercice de la vertu de citoyen.

    1) Montesquieu dans L’Esprit des Lois, montre qu’il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Le pouvoir exécutif de l’État, doit être distinct du pouvoir judiciaire, et du pouvoir législatif. Puisque les pouvoirs ont tendance à s’étendre et que l’homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser, un pouvoir doit être limité par une autre pouvoir. Le pouvoir des uns arrêtant le pouvoir des autres imposera une limite. Seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir, mais il est clair que si un seul, ou un clan, monopolise  le pouvoir de légiférer, de décider et de juger, il risque fort d’y avoir une corruption du système. Les institutions doivent être établies suivant le principe de la séparation des pouvoirs et de l’équilibre des pouvoirs. Toute réforme institutionnelle qui contribue à la séparation des pouvoirs est un bénéfice pour la protection du citoyen contre les abus du pouvoir.

    2) Le citoyen de son côté doit participer à la vie publique. Il ne peut y avoir de droits du citoyen sans exercice des devoirs du citoyens. La morale civique comporte une ensemble d’exigences que le citoyen se doit de satisfaire. Elle demande que le citoyen participe aux élections et se prononce. Elle demande aussi de cultiver simultanément deux vertus complémentaires : l’obéissance et la résistance. (texte) L’obéissance fait que le citoyen se soumet à une juste loi qui vaut aussi pour tous. Il est normal que chacun dans la société occupe la place qui est la sienne et obéisse aux devoirs qui sont les siens. Mais il peut aussi arriver dans l’histoire que le pouvoir politique se corrompe, que par exemple soient votées, sous la pression des circonstances des lois fondamentalement injustes. Il est possible que le régime en place entre dans des troubles et vire à une forme de dictature. Dans ce cas, la volonté morale qui est présente dans la volonté générale n’est plus exprimée. Les décisions peuvent être arbitraires et ne plus être le reflet de la volonté générale.

    Dès lors, il appartient au citoyen de pratiquer la résistance civile contre un ordre politique devenu injuste. (texte) Cf. Thoreau. C’est la désobéissance civile qui a libéré l’Inde de la tutelle coloniale des anglais. C’est elle qui a aidé ce peuple à gagner son autonomie. La révolte est en un sens vertu quand elle est authentiquement morale contre un ordre en place injuste, qui maintient la conscience du peuple dans l’oppression. Quand règne la corruption, il y a un devoir de résistance (texte).

    Le pouvoir politique est lui-même un enjeu de compétition et de lutte. Il l’est tellement, que l’individu peut se replier dans son individualisme et en venir aisément à se situer contre l’État, perçu alors comme un pouvoir aussi tyrannique que les autres ! C’est un lieu commun dans la morale commune que de tout essayer pour dérober au fisc, contourner la loi etc. quand cela peut servir nos intérêts. L’individu se situe alors dans un rapport de force avec le pouvoir politique et oublie sa relation intime avec la volonté générale. Par manque d’éducation civique, il ne se sent pas citoyen porteur de responsabilités et de droits, il se voit comme individu identifié à une sommes d’intérêts particuliers. A cela s’ajoute que dans certaines périodes de l’histoire, la conscience collective peut même s’égarer et que la loi peut imposer une volonté irrationnelle. Le citoyen a le devoir de se protéger des abus de pouvoir, du pouvoir politique lui-même et de dénoncer une errance immorale qui se produirait à l'intérieur de la loi. C’est pour cette raison que l’on parle de devoir de désobéissance civile contre une loi jugée injuste ou immorale. Aussi peut-on dire que par l’obéissance est assuré l’ordre, par la résistance est assurée la liberté. (texte)

    Seulement la révolte contre le pouvoir est-elle toujours légitime ? Ne peut elle pas être seulement une forme de violence ? Qui dit qu’elle n’est pas seulement fomentée par un groupe de pression qui ne cherche qu’à s’emparer du pouvoir pour son propre intérêt ? N’y a-t-il pas aussi des poussées de fièvre collectives irrationnelles ?

    Autre difficulté : comment mesurer l’errance de la volonté générale ? Comment comprendre que la volonté générale puisse d’ailleurs errer, si, comme le dit Rousseau, elle veut toujours le bien ?

    Enfin, une question demeure d’une exceptionnelle gravité : il est tout à fait possible que les jeux de pouvoir occultent en fait des manipulations qui sont ailleurs, sur le terrain économique. Se focaliser sur la corruption politique risque de nous masquer les machinations économiques sous-jacentes aux enjeux de la technique. Ce qui est autrement plus inquiétant. Dans quelle mesure la politique ne risque-t-elle pas d’être vendue aux intérêts de l’économie ?

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    Exercer le pouvoir au nom de l’État c’est gouverner, le pouvoir se comprend dans la relation entre gouvernant et gouvernés. L’abus de pouvoir suppose que le bien de tous est perdu de vue et que la visée du pouvoir devient que la satisfaction d’un intérêt particulier. Cela veut dire d’un côté que le pouvoir politique abuse de la souveraineté qui lui est confiée, mais aussi que le corps politique a fini par se décomposer et que le citoyen a cessé d’exercer le rôle qui devrait être le sien.

    La légitimité du pouvoir n’est donc jamais définitivement acquise. Il ne faut pas non plus trop compter sur le système pour se réguler par lui-même. Il n'y a pas de système politique idéal. Un système ne vaut que ce que valent ceux qui le soutiennent. Le pouvoir peut toujours corrompre et la désaffection de la responsabilité peut aussi gangrener de l'intérieur les institutions. Le jeu des institutions doit rendre possible son renouvellement. Le citoyen doit être le garant de la conscience morale de la nation et jouer son rôle de régulateur du pouvoir. Nous ne devons pas tout attendre d’un système, d’une idéologie, ou d’un régime. Cela ne veut pas dire pourtant qu'une conception idéale de l'exercice du pouvoir soit sans valeur. L'idéal donne au moins une direction dans laquelle un équilibre juste peut être trouvé et un pouvoir juste peut être élaboré.

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Vos commentaires

Questions:

1.  Qu'est-ce que l'écologie nous dirait aujourd'hui sur "l'état de nature"?

2.  En définitive, le totalitarisme, est-ce une théorie? Une pratique du pouvoir? Ou une manière implacable d'imposer un système théorique?

3. Peut-on demander aux hommes de se soumettre sans leur promettre d'une manière ou d'une autre un bonheur dans le futur?

4. Sous quelles conditions un contrat est-il justifié? Comparer contrat de travail et contrait social.

5. Que reste-t-il du contrat social de Rousseau, si on lui ôte sa mystique communautaire ?

6. Si le passage de l'état de nature à l'état social est irréversible, l'État peut-il avoir un autre choix que de former des citoyens? 

7. Qu'est-ce qui contribue dans nos sociétés à ce que le contrat social puisse se défaire?

 

    © Philosophie et spiritualité, 2002, Serge Carfantan. 
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