Leçon 137.      Le doute, expérience et méthode     

    L’anxiété rumine le doute. Suivant la manière dont nous pouvons prendre les choses, on peut aussi bien dire que c’est un état qui donne naissance à une pensée qui se ronge, ou bien dire que la pensée crée un état maladif. De toute manière le résultat est là : le doute, en tant qu’état, est inquiet, et son expression est très déstabilisante, paralysante même, au point de saper toute confiance, tout élan, toute volonté et tout projet. L’état de doute, c’est l’irrésolution, et selon Descartes, l’irrésolution est le pire des maux, car elle inhibe par avance toute décision et retient l’action en la confinant à l’intérieur des macérations scrupuleuse de la pensée. Le scrupule excessif n’appartient qu’à la pensée, à une pensée qui tourne en rond en remettant perpétuellement en cause ce qui pourrait lui servir de point de départ. Le mental qui entretient le doute a toujours de quoi se justifier. Il peut invoquer le soin d’éviter l’erreur, la prudence et même s’abriter derrière l’argument d’autorité consistant à dire que c’est un exercice de la raison. Ce qui n’est que rationalisation subconsciente.

    Cependant, le doute peut aussi constituer une démarche raisonnée, décidée. On parle ici de doute méthodique. Nous sommes alors à l’opposé du doute pathologique, car il importe en ce cas de ne pas se laisser prendre à la séduction d’une doute presque morbide, pour cheminer dans un état de conscience qui est celui du témoin impartial. Exercer de la bonne manière, le doute recèle des vertus remarquables. Il suspend la crédulité de l’opinion. Il contrarie la propension du mental à croire enfermée toute vérité dans une formule définitive. Il empêche de croire aveuglément et incite à la vérification directe. Si en effet ce qu’un autre me dit est juste, je n’ai pas besoin de la persuasion. Il ne s’agit pas de croire, mais de comprendre. Il est bon que dans un premier temps, une affirmation soit mise à l’épreuve du doute, afin d’être éprouvée en tant que vérité.

    La question n’est cependant pas simple. L’exercice du doute demande une grande honnêteté intellectuelle. Il ne s’agit pas de douter pour douter, comme par jeu. Il s’agit de reconnaître le vrai en lui faisant passer le baptême du feu du doute. Mais ne risquons-nous pas toujours la compromission ? En quoi le doute peut-il constituer une méthode philosophique ? Que peut-il nous apprendre sur la vérité elle-même ?

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A. La force du doute et la suspension de l’intellect

    Commençons par l’argumentation du doute. Pour quelles raisons serions-nous donc justifiés de douter de matière systématique ? N’est-ce pas d’abord parce que les opinions sont incertaines ? Les opinions s’opposent, divisent les hommes et engendre des disputes. Si nous voulons sauvegarder la paix, si nous attachons une valeur à la maîtrise de soi, nous devrions éviter toutes les opinions et les révoquer en doute. (texte)

    1) Telle est la position de Pyrrhon d'Élis, le fondateur de l’école des sceptiques. Pyrrhon accompagna Alexandre le Grand lors de son expédition en Asie. Il a été très marqué par la rencontre des yogis et des sannyasis de l’Inde et il en a retenu avant tout l’attitude de détachement du sage. La reconnaissance de la pensée indienne l’inclina à un cosmopolitisme et apporta un aliment à son relativisme intégral.
    Les arguments sceptiques partent du caractère relatif, conflictuel et contradictoire des opinions. Si, dans ma culture, on admet qu’une opinion est vraie et juste, je n’aurais guère de difficulté à trouver dans un autre contexte culturel une opinion différente, pouvant aller jusqu’à la contradiction. Par exemple, le choix librement consenti d’un époux ou d’une épouse relève d’une « évidence » indiscutable et nous pensons qu’elle est la garantie d’une relation stable et heureuse. Dans d’autres cultures, c’est le choix d’un époux ou d’une épouse par consultation d’un astrologue et arrangement de la famille qui est la garantie d’une relation stable et heureuse. Qu’est-ce qui nous autorise à penser que, comme dit Pascal, ce qui est dit de ce côté des Pyrénées est vérité, tandis qu’au-delà, c’est l’erreur ? Rien, et nous n’avons pas à prendre parti. Pour le sceptique, le désaccord entre les hommes est manifeste dans la plupart des domaines : en morale, religion, politique et en métaphysique. Il faut donc se débarrasser des opinions.
    L’esprit humain est constamment exposé à l’erreur. Il peut y avoir erreur des sens, comme des erreurs de jugement ou de raisonnement. Les apparences sont trompeuses, la critique des apparences ne suffit pas non plus à les corriger et ne nous empêche jamais de retomber à nouveau dans l’erreur. Les sciences ne font pas exception à ce processus, car on peut dénombrer un grand nombre d’erreurs et même des fraudes dans leur histoire. Les sceptiques prétendent qu’il n’est tout simplement pas possible de discriminer parmi nos représentations celles qui sont vraies de celles qui sont fausses.
    De plus, le savoir tend à faire système. La science est une connaissance en forme de système. Le savoir se tient, de sorte qu’une thèse en soutient une autre qui en soutient une autre et ainsi de suite. C’est l’argument du tout ou rien. Conséquence : pour posséder une thèse de manière solide, il faudrait les posséder toutes, ce qui est impossible. De deux choses l’une donc : ou bien le savoir est total, ou bien l’ignorance est totale. Comme nous ne savons pas tout, nous ne savons donc rien. Il serait bien naïf de penser qu’il existe un savoir certain, muni de preuves. L’argument de la preuve ou diallèle dit encore ceci : les formes du savoir se prouvent les unes par les autres. Toute preuve engage dans un cercle vicieux, car il faudrait pour qu’elle soit valide, démontrer la preuve elle-même. C’est le sens de l’injonction : « prouve ta preuve ! ». Pour prouver A, on se sert de B, mais il faudra prouver B par C etc. Ce qui nous expose à une régression à l’infini. Pour éviter le cercle, on doit faire appel à des postulats radicalement indémontrables et admettre leur gratuité, tout en faisant dépendre tout l’édifice du savoir de ce choix à vrai dire arbitraire. Dès lors, nous ne pouvons plus faire valoir la rigueur de la logique, puisque nous en avons manqué le premier pas. C’est l’ensemble du savoir qui s’effondre donc dans les miasmes de la relativité.
    ---------------En conséquence, Pyrrhon enseigne l’indifférence à l’égard de l’opinion et la nécessité de suspendre son jugement pour ne pas s’engager de manière inconsidérée. La position juste, c’est la neutralité intellectuelle : ni ceci, ni cela. Ce qui est remarquable ici, c’est la redécouverte dans le scepticisme des limites de la logique duelle. En effet, la plupart du temps, pour chaque question que l’esprit se pose, deux opinions contraires sont toujours possibles. Kant développera ce thème sous la forme des antinomies de la raison, mais sans comprendre ce qu’impliquait la dualité. Or, pour le sceptique la question est simple : il est impossible de choisir l'une ou l’autre des positions. Pour chacune d’entre elles, l’esprit est capable d’apporter un chapelet de justifications. Le mental est ainsi fait qu’il peut très facilement argumenter pour/contre, chaque position, il peut montrer qu’existe de bonnes raisons de croire et aussi de bonnes raisons de douter. Autant rejeter en bloc ce petit jeu et avouer que nous ne savons pas. Le sceptique refuse toute affirmation. Il ne faut donc même pas prendre au pied de la lettre ses propres affirmations en leur donnant une forme dogmatique. Le but ultime du doute sceptique, c’est de brûler l’idée même de pouvoir affirmer quoi que ce soit, un peu comme le feu s’évanouit avec le bois qu’il a consommé, ou encore comme le purgatif qui disparaît lui aussi après avoir nettoyé l’estomac. C’est donc vers la Vacuité pure que le sceptique se dirige. Mais attention, ce n’est pas du tout le nihilisme. Le doute sceptique ne porte pas sur la phénoménalité en tant que telle, il porte seulement sur la prétention d’en trouver la cause cachée. il attaque la représentation. Le sceptique reconnaît qu’il fait jour, que la pluie vient de s’arrêter, que son nez est enrhumé, que le mur lui paraît blanc ou que le miel semble doux. Il n’ignore pas la sensation. Il ne sait pas comment elle s’accomplit et il s’abstient d’affirmer de façon péremptoire et universelle ce qui n’est qu’une impression subjective.
    Timon de Philonte, disciple de Pyrrhon, mit cette doctrine par écrit. Le scepticisme originel met avant tout l’accent sur la nécessité de cultiver le détachement et la maîtrise de soi, sans exiger de certitude. Selon ce point de vue, nos perceptions empiriques sont relatives, elles ne sont ni vraies, ni fausses, elles sont. On ne peut compter sur elles pour prouver quoi que ce soit. Les doctrines que nous élaborons sont de simples constructions mentales qui se contredisent les unes les autres. Il faut donc pratiquer l'époché, c'est à dire la suspension du jugement. C’est la seule manière de parvenir à la paix de l'âme, de gagner l'ataraxie, l’absence de trouble. A l’inverse, nous voyons que l’esprit s’égare dans les opinions, il ne produit dans ses jugements téméraires que l’agitation mentale et l’inquiétude. Un esprit agité et inquiet ne saurait trouver la paix. Comme la plupart des angoisses humaines sont liées à la dualité bien/mal, le sceptique s’en tire en n’ayant aucune opinion sur l’un ou sur l’autre. Il ne peut donc se rendre malheureux comme le fait l’homme ordinaire. Il restera tranquille là où la plupart des hommes sont troublés par la dualité. Bien sûr, comme tout être humain, il ne pourra éviter la douleur de la maladie, de la faim, du froid ou de la blessure. Il aura du moins la consolation de ne pas l’avoir augmentée avec une souffrance mentale inutile. Dans la pratique, curieusement, le sceptique vivra en fait comme tout le monde, en se conformant aux lois, coutumes, mœurs et religion de son pays. Pyrrhon admettait que, dans le quotidien il faille s’en tenir au sens commun et faire comme tout le monde. (texte)

    2) Il est très important pour le comprendre de préserver la spiritualité du scepticisme, son étrange voie de la négation et ses fins dans une sagesse. Il ne s’agit pas seulement d’un débat théorique. Cependant, il est exact que la critique qu’il propose est sévère et qu’elle doit être examinée, notamment dans ses implications logiques et épistémologiques.

    Si nous acceptons le scepticisme absolu, nous en venons à accorder que rien n’est vrai, rien n’est certain. Mais cette proposition se détruit elle-même. Ou bien il est vrai que rien n’est vrai, auquel cas la proposition est contradictoire, puisqu’il y a donc une affirmation vraie, à savoir que rien n’est vrai. Ou alors il n’est pas vrai que rien n’est vrai et dans ce second cas, la proposition n’a pas plus de valeur, puisqu’elle envoie promener aussitôt le scepticisme absolu. Dire que la vérité n’existe pas est une affirmation comme une autre et c’est même une affirmation très dogmatique ! C’est énoncer une affirmation que l’on considère, que l’on croit même, tout à fait juste, légitime donc vraie. Le scepticisme absolu est donc intenable, il se détruit tout en s’affirmant. Aristote disait que le sceptique devrait s’interdire de parler, car à peine a-t-il prononcé une parole qu’aussitôt celle-ci sera susceptible d’être une formulation vraie ou fausse.  

    La diversité des opinions n’est peut être pas un état de fait dont nous devrions nous lamenter. La nature elle-même aime la diversité. La diversité est une richesse, car elle nous apprend qu’il est indispensable de regarder les objets de la connaissance humaine de différents points de vue. Ce qui implique une diversité des aspects du réel. La diversité des opinions ne fait problème que lorsque les différences sont posées de manière irréductible et conflictuelle. Comme cela a souvent lieu dans toutes sortes de polémiques. Par exemple l’opposition dogmatique des religions entre elles. Ailleurs, elle est souvent féconde, elle nous invite à dépasser un point de vue limité, à nous déplacer vers un autre point de vue et à chercher une harmonie plus élevée, là où les contraires deviennent des complémentaires. Ce qui est aussi une mise en question de la logique de la dualité habituelle. Nous sommes souvent piégés par la logique du ou bien ... ou bien, et nous ne comprenons pas qu'il ne s'agit pas de cocher des cases, que deux affirmations contraires en apparence peuvent très bien se révéler complémentaires.

    D’autre part, ce n’est pas parce que notre savoir est limité que pour autant nous sommes totalement ignorants. L’erreur elle-même n’existe que par rapport à la vérité. Que l’homme puisse faire des erreurs n’implique nullement qu’il ne puisse pas connaître la vérité. Bien sûr, nous pouvons avoir des défaillances de l’attention. Nous avons aussi tendance à juger de manière précipitée et notre savoir est parfois incomplet et inadéquat. C’est un acquis que tout esprit intelligent reconnaît d’emblée. L’erreur elle-même a son rôle dans le progrès de la connaissance. Nous pouvons très bien en tirer un enseignement. Elle offre l’occasion à l’esprit de redresser ses propres représentations, de corriger ses jugements.

    L’argument du tout ou rien est excessif et sophistique. Ce n’est qu’une pirouette intellectuelle pour se défiler devant la recherche de la vérité. Ce n’est pas parce que nous ne connaissons pas tout, que nous ne connaissons rien. Une seule vérité fondamentale suffit à nous entraîner dans la direction d’autres vérités, car effectivement, comme le disait Platon, tout est lié dans l’Être. Ce genre d’argument paresseux convient à celui qui joue avec le cynisme pour soi-disant se dégager de toute question essentielle. C’est une pratique de fumiste très courante que d’invoquer cet argument... Sans comprendre ses implications.

    De même, l’argument « prouve ta preuve » est trompeur. Mieux vaut juger la connaissance à ses fruits que d’exiger une certitude absolue sur toutes choses dès le départ. On apprend à nager en nageant, pas en restant sur le bord pour se demander s’il est possible de nager. La valeur de la connaissance ne se prouve pas, elle s’éprouve et elle s’éprouve d'abord dans une prise de conscience continue qui est un passage de l’implicite à l’explicite. Il est exact que dans l’ordre des sciences, toute démonstration part de présupposés. (texte). Cependant, c’est ce noyau de présupposés qui permet le développement d’une théorie. Nous savons qu’aucune théorie ne peut parvenir à englober la totalité du réel et que, comme dit Popper, une théorie n’est jamais qu’un filet jeté sur le réel. Aucune n’est parfaite, mais chacune attrape certains poissons, des faits, et en rend raison à sa manière. Ce qui lui donne sa pertinence relative. Nous avons vu que l’ensemble des  vérités possibles est plus large que celui des vérités démontrables. C’est la preuve que la vérité participe d’une logique de l’Infini qui excède toujours nos constructions mentales.

B. Les méandres du doute

    Pour douter en sceptique, il faut une singulière contention de l’esprit, une force et une assise psychologique qui exclut le dilettantisme, la déliquescence de la pensée, la faiblesse et une intégration de la personnalité insuffisante. Or l’état de doute est précisément tout le contraire. Plongé dans le doute, l’esprit est faible, la pensée est troublée et personne ne pourrait affirmer qu’en pareil cas, la personnalité se trouve renforcée. Le doute est un état, soit que notre propre fait nous y sommes plongés, soit qu’il ait été induit pas quelqu’un d’autre, par une personne malveillante qui s’est ingénié à nous égarer, à nous inquiéter en attaquant tout ce qui formait le socle de nos certitudes. (texte)

    1) Le doute en ce sens, n’est jamais premier. Il survient plutôt à la suite d’une mise en cause sévère ou d’une déception. Ce qui est premier, c’est la confiance en soi, mais ce que nous mettons après elle, c’est notre adhésion à la représentation que nous considérons comme vraie. D’où l’acte de la croyance. Or la suspicion du doute est une mise en cause qui peut atteindre directement la certitude placée dans la représentation et c’est à ce moment là que vacillent nos certitudes et que nous nous sentons perdus, ayant perdu tout point d’appui. Tout devient fluent, instable, changeant, relatif et incertain. Le sentiment d’incertitude se répand alors, devient diffus et nous ne savons plus ce qu’il faut croire ou ce qui doit être rejeté. L’état de doute s’amplifie alors dans une impuissance à croire quoi que ce soit et révèle notre fragilité. Nous avons vu ailleurs l’exemple d’Amiel (texte). (exercice 7b)

    Montaigne l’a assez bien formulé dans les Essais et il a très bien compris que le doute, devenu sentiment d’incertitude, est en relation étroite avec la fuite du temps. La pensée, laissée à elle-même, dit-il, n‘enfante que « chimères et monstres fantasque ». Elle extravague au vent, elle est « sans ordre et sans propos », et « elle ne fait que traîner et languir ». La pensée se perd « si on ne lui donne prise ; il faut toujours lui fournir un objet où elle s’abutte et agisse ». La pensée, réduite à l’activité du mental est la proie du temps psychologique. « Nous ne sommes jamais chez nous ; nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l’espérance nous élancent vers l’avenir et nous dérobent le sentiment de la considération de ce qui est ». Le mouvement de la pensée n’a pas de trêve, engendrant une inquiétude constante dont le doute n’est que la manifestation dans le champ de la croyance. Comment pourrait-il y avoir une certitude si tout s’en va, si « à chaque minute il me semble que je m’échappe », si « je m’échappe tous les jours et me dérobe à moi » ? Si je regarde l’existence par la fenêtre du doute, je ne perçois la vie que sous l’angle du temps psychologique, c’est-à-dire d’une perpétuel manque d’être, le présent m’apparaissant immédiatement comme une incapacité de durer. Vivre dans le doute, c’est sentir que tout se dérobe, que tout nous file entre les doigts, que rien ne reste. Il n’y a rien de certain, parce qu’il n’y a rien de stable. Tous les objets sont relatifs et emportés dans le flux du relatif, condamnant l’homme du doute à vivre au jour le jour dans le sentiment de la précarité de l’existence. En contrepartie, Montaigne s’essaye au stoïcisme. Le stoïcien montre que la durée s’inscrit dans un destin universel qui porte en quelque sorte tous les événements. Le destin, dans la boucle de l’éternel retour supporte l’existence et lui donne son sens. Mais, déceptif, Montaigne rejette la méthode stoïque, pour l’effort contre-nature qu’elle impose de se transporter au-delà du présent dans « le grand cours de l’univers et dans l’enchaînure des causes stoïques ». La pensée du doute gravite vers le fragmentaire de l’instant. Pour Montaigne, le christianisme de la scolastique médiévale n’est pas non plus un recours. Selon lui, la création est suspendue au-dessus du Néant et elle menace à tout instant d’y retourner. Elle n’a pas d’être propre, elle ne poursuit son devenir que dans un péril fondamental. Le seul Être permanent est Dieu, mais Dieu est transcendant (R) à la création dont l’homme fait partie. Dans ce type de théologie, plus on affirme la réalité de Dieu et plus on dénie à l’homme la possibilité de communiquer avec elle. Le chrétien vit dans une nature livrée au temps, déchue, loin de toute présence divine. Ainsi, « nous n’avons aucune communication à l’Être parce que toute humaine nature est toujours au milieu entre naître et mourir ». La créature est hors de l’Être et ne peut atteindre sa perfection éternelle. Il n’y a pas plus de permanence chrétienne dans cette vie qu’il n’y a de permanence stoïcienne.
    ---------------La seule sagesse possible pour Montaigne est d’accepter l’incertain d’une existence qui n’est pas l’Être, qui se réduit à n’avoir de substance que celui d’une devenir fluent « fluxion, nuance et variation perpétuelle ». D’où la formule des Essais : « je ne peins pas l’être, je peins le passage ». (texte) La vie n’est que le vent des occasions par lesquelles le moi se donne un objet sous la forme d’une pensée du moment. La vie incertaine est vie au jour le jour et son mouvement ne construit rien de sûr, mais n’est qu’une apparition dans l’existence qui perpétuellement quitte l’être et se sent donc mourir. « Notre vie n’est que mouvement ». « C’est un mouvement irrégulier, perpétuel, sans patron et sans but ». « Notre façon ordinaire, c’est d’aller après es inclinations de notre appétit, à gauche, à dextre, contre-mont, contre-bas, selon que le vent des occasions nous emporte. Nous ne pensons ce que nous voulons qu’à l’instant que nous le voulons ». En conséquence, ce que nous appelons le « moi » ne peut guère avoir de substance et moins encore de continuité. Il n’y a que des visages divers apparaissant les uns à la suite des autres, une galerie de personnages. Dans le doute, l’altérité du temps psychologique est approchée de très près. « A jeun je me sens autre qu’après le repas ». « Moi à cette heure et moi tantôt sommes bien deux ». L’identité du moi n’est qu’une fiction. Le moi est une série d’apparitions isolées, une procession d’inconnus dans le corridor du temps. Leur rapport n’a pas d’évidence intrinsèque. Le moi est pluriel. « Je ne retrouve pas toujours l’air de ma première imagination. Je ne sais pas ce que j’ai voulu dire » : je suis autre d’un moment à un autre, parce que le temps me rend autre. Le moi du passé est un étranger.


    2) Se maintenir dans une sagesse de l’incertain, sans tomber dans un pathos excessif, sans chercher à en sortir par le coup de force d’une foi arrogante, n’est pas une position facile à tenir. Le doute en ce sens est une vertu intellectuelle. Il nous faut parfois douter de nous-mêmes avec suffisamment d’humilité pour rester fidèle en parole et en acte à notre propre pensée. Cela veut dire tout simplement être de bonne foi. Nous devons assumer nos doutes. C’est une question d’honnêteté et de sincérité. Cela ne veut pas dire les imposer à tout prix à autrui, mais ne pas affirmer plus que nous n’en savons ou nous renier pour autant. De là dépend l’authenticité. Moralement, nous préfèrerons toujours celui qui sait suspendre son jugement à l’égard de ce qu’il ne connaît pas, que le dogmatique qui fait un saut dans une foi qu’il est bien incapable de justifier. Intellectuellement le préchi-précha sonne creux. Il donne l’impression que l’on se gargarise avec des grands mots, tels que Dieu, la liberté, la foi, le salut etc. sans que l’on n’y entende rien. Les mots n’ont de valeur que portés par une intuition, sinon ils sont facilement un verbiage de songe-creux. Un juste doute donne à l’esprit plus de contenance. Assumer nos propres doutes en toute honnêteté ne barre pas pour autant la route à une intuition plus élevée. Je peux très bien rester ouvert et disponible, tout en restant conscient que mes lumières sont limitées et que certainement il en est d’autres plus vives, même si je ne les comprends pas.

    Nous pouvons vivre avec l’incertain en acceptant la place de l’Inconnu. Il faut donc bien distinguer le doute volontaire, du doute involontaire et laisser une place au doute, surtout dans un domaine où l’argument d’autorité tend à prévaloir, surtout dans le domaine des sciences où l’enseignement tend à être dogmatique. A y regarder de près, notre enseignement est trop souvent imbu de ses certitudes. Pourtant quand on ouvre les vieux manuels de chimie, de physique et de biologie, on ne peut manquer de sourire devant quelques affirmations naïves ou péremptoires. Nous devrions enseigner à nos étudiants toujours sous la forme « dans l’état actuel de notre savoir, l’explication que nous donnons de ce phénomène est que ». Laisser la liberté à l’étudiant. Laisser de l’incertitude. Admettre le doute. Alain disait ceci : « Le doute est le sel de l'esprit : sans la pointe du doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries. J'entends aussi bien les connaissances les mieux fondées et les plus raisonnables. Douter quand on s'aperçoit qu'on s'est trompé ou que l'on a été trompé, ce n'est pas difficile : je voudrais même dire que cela n'avance guère ; ce doute forcé est comme une violence qui nous est faite ; aussi c'est un doute triste : c'est un doute de faiblesse ; c'est un regret d'avoir cru, et une confiance trompée. Le vrai c'est qu'il ne faut jamais croire, et qu'il faut examiner toujours. L'incrédulité n'a pas encore donné sa mesure. Croire est agréable. C'est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix ». Admettre le doute n’est pas une faiblesse, c’est humilité.

C. Le doute comme méthode

        Pour que le doute devienne une méthode, il faut qu’il ne soit pas d’ordre pathologique : ce n’est assurément un esprit égaré dans l’incertitude qui peut entreprendre le cheminement rigoureux. Il ne doit pas être non plus sceptique au sens que nous venons d’examiner : le doute comme méthode, ce n’est pas le fait de douter pour douter. Le doute ne doit pas être non plus cynique, sous la forme d’une manipulation mentale dans la volonté de faire douter, de plonger l’esprit d’un autre dans le doute. Le doute méthodique suppose pour son exercice une première certitude qui soit son point d’appui, le levier de son application sous la forme d’un raisonnement. Nous reconnaissons ici les prémisses de la démarche de Descartes  l’intérieur des Méditations Métaphysiques.

      1) Il n’est pas tout à fait exact d’affirmer qu’il s’agit pour Descartes de se mettre en quête d’une certitude absolue, comme si les Méditations Métaphysiques étaient un espoir d’y parvenir et qu’il n’y avait aucune certitude dès le début. La certitude doit être là, dès le départ, dans la méthode, de manière implicite, pour qu’elle puisse mieux se révéler ensuite. Une méthode, c’est un chemin que l’on trace, un itinéraire que l’on suit de manière précise, avec lampe de poche et boussole. Ce n’est pas partir au petit bonheur la chance, en espérant trouver on ne sait quelle révélation. Nous trouvons ce que nous cherchons, ce dont nous devons nécessairement avoir une idée.

     Peut-on partir d’une certitude relative, pour atteindre, par le doute une certitude absolue ? Nous pourrions penser que Descartes est parti d’un modèle mathématique de la certitude, celui de l’évidence des natures simples, des relations élémentaires établies dans le calcul. Le point, la ligne, le nombre sont des concepts clairs et distincts. 3+2=5 est une relation parfaitement intelligible. Sur ce terrain, le mathématicien est à l’aise. Descartes marquera à maintes reprises son attachement à la démonstration mathématiques, celle des «longues chaînes de raison des géomètres ». Nous avons déjà examiné la démarche du doute chez Descartes. Nous allons ici y revenir en développant ses présupposés.

Dans l’attitude naturelle, nous avons pris l’habitude de confier nos assurances aux opinions communément reçues. Cependant, un peu d’expérience dans la vie et les voyages nous ont appris que les opinions peuvent être fausses et ne faire que colporter des préjugés culturels. Il est nécessaire, une fois dans sa vie de mettre en doute ce que nous avons pu croire jusque là et de ne pas donner notre assentiment à l’aveugle. Les opinions courantes comportent tout au plus une certaine probabilité de vérité, mais que nous ne savons pas évaluer. Nous avons aussi pris l’habitude de nous fier à ce que nous pensons être la  « certitude sensible », celle que nous tirons de la perception. Nous disons que l’eau est très chaude dans la bassine, parce que nous venons de plonger les mains dans la neige. Mais c’est une jugement très subjectif qui n’est pas partagé par celui qui est resté auprès du feu dans la maison. Il nous arrive aussi de remarquer que la perception, prise au pied de la lettre, peut être trompeuse. Le soleil qui apparaît plus gros à l’horizon qu’au zénith. La rame plongée dans l’eau semble cassée. La tour qui semble ronde de loin peut être carrée. Du coup, nous sommes obligés de reconnaître que l’apparence doit souvent être corrigée. La plus grande partie du savoir que nous possédons en astronomie, en physique, en chimie, semble s’ingénier à nous montrer que les choses ne sont pas telles que nous pouvons nous les figurer au premier examen. Les sciences redressent souvent notre perception limitée, de sorte que, de certitude sensible, il n’y en a guère. Mais ce n’est pas tout, car les « certitudes scientifiques » sont elles aussi bien plus rares qu’il ne paraît. Elles n’existent pas sans tout un appareil de preuves, sans des théories qui supportent les explications qu’elles fournissent. Or nous pouvons aussi remarquer que les théories scientifiques ne sont jamais définitives. Elles n’accèdent jamais au rang de vérité éternelle. Popper montre que justement, une bonne théorie, c’est une théorie qui reste faillible, qui peut être falsifiée par des faits qui viennent la contredire. La cohérence parfaite entre les différentes théories à l’intérieur d’une même science n’existe pas. A fortiori, il est très facile de montrer qu’il y a des incohérences manifestes d’une science à l’autre. La science se développe en fait en produisant des paradigmes concurrents, qui, un temps remportent un certain succès, mais ce succès réside surtout dans un consensus des savants entre eux. Le consensus des savants donne à penser que la science n’a pas totalement quitté le terrain de l’opinion et qu’elle conserve un fondement sociologique où elle trouve sa justification. En bref, ce sont les croyances collectives qui se reflètent dans les théories scientifiques. Il y a belle lurette que les esprits les plus éclairés ne cherchent plus dans les sciences de certitudes inébranlables. Nous avons sur ce point acquis une maturité que n’avait pas le XIXème siècle, nous acceptons l’incertitude qui accompagne la démarche scientifique.

---------------Dans les Méditations métaphysiques, Descartes ne raisonne certes pas en ces termes, mais il a cependant l’audace rare de mettre en cause la certitude scientifique. Il ose porter le doute sur la certitude mathématique. L’argumentation est importante et directement empruntée aux sceptiques. Chaque nuit, je fais l’expérience du rêve, que je vis comme une expérience bien réelle. Pourtant, je suis, dit Descartes, tout nu dans mon lit, et non pas assis devant le feu. Je pourrais fort bien rêver la scène qui se déroule à présent, sans que je n’en sache rien. Dans ce rêve bien lié, je pourrais aussi effectuer des observations scientifiques, des calculs mathématiques. Tout cela n’aurait pourtant rien de réel. Nous savons que ce qui sauve l’état de veille et le monde qui se manifeste en lui, c’est sa cohérence, par rapport à l’incohérence de l’état de rêve. Pourtant, il suffirait qu’existe un magicien céleste, (le doute hyperbolique), capable de m’envoyer en permanence un cinéma mental cohérent, pour que la totalité de mes représentations de la veille soit expédiée dans le néant d’une illusion universelle. (texte) La vie serait exactement la même qu’auparavant, sauf que dans ce cas, rien ne serait réel et je serais en proie à une illusion constante.

Cependant, même si le champ entier de la représentation était illusoire, il n’en resterait pas moins que celle-ci n’existe que pour un sujet qui la pense et y croit. Il n’y a pas d’objet sans sujet. L’objet n’existe que pour le sujet. Cependant, il n’y pas d’équivalence des deux termes. Ce que je sais invinciblement, par-delà tous les doutes que l’on pourrait inventer, c’est que je suis. Je suis est la première et la dernière certitude. Je peux fort bien ne pas connaître ce que je suis, ni rien savoir de ce que le monde est. Cependant, je suis. Il y a cette étincelle de Conscience, infiniment consciente d’elle-même, au cœur de toute représentation. Le levier de toute pensée. Le point d’ancrage fondamental de mon aptitude à douter de n’importe quel objet. Je suis. Je peux douter de tout, et il est même assez clair que rien au monde n’est certain, car toute représentation est un reflet, une construction mentale. Elle ne prend contact avec la réalité qu’au moment même où j'expérimente. C’est je suis qui vient communiquer son invincible certitude à tout ce que je puis voir, toucher, croire, entendre, penser. Si je demeurait dans l’immanence pure du je suis, je dissoudrais tous les concepts, et en particulier toutes les définitions que je me donne de moi-même. J’éprouverais l’Absolu en moi, en-deçà de toute représentation. Ce serait une déchéance que de me définir comme un esprit, un moi, une personne ou un homme si j’oubliais l’intuition première je suis. Ce serait retomber dans la représentation. Dans du papier que j’ai froissé auparavant. C’est cet appui métaphysique découvert dans le cogito qui rend possible le doute méthodique lui-même.

2) La démarche du doute méthodique chez Descartes se différentie nettement d’un doute entrepris dans la seule intention de douter pour douter. Le doute permet de mettre à l’épreuve toute pseudo-évidence qui tirerait sa justification de l’objet, de  la représentation elle-même. Rien n’y résiste, y compris un « Dieu » qui serait seulement un super Objet. Dieu n’existe que parce que je suis, Dieu n’existe qu’en moi, comme la puissance de jaillissement infinie de la Manifestation, comme cette Vie qui est identiquement la mienne, Dieu coïncide avec l’Être en moi, comme la puissance de déploiement dynamique de ce qui est. Il n’est pas dans un ailleurs. Il n’est pas une chose, ni une superChose. Toute chose existe en prenant appui sur  je suis. (texte) Je suis n’est ni chose ni objet. La chose est ce que je rencontre en devenant moi, le sujet percevant, individu à l’état de veille. L’objet est ce que je connais, ce que j’identifie en devenant moi, sujet connaissant. La dualité sujet/objet se développe en recouvrant ce qui en réalité est constant et ne change jamais, je suis. Qui n’est en définitive ni sujet, ni objet, mais seulement Présence.

    Douter, c’est mettre en causer certaines représentations, celles que nous croyons être fausses, ou encore, celles que nous estimons nocives, ou encore, celles qui seraient en contradiction avec ce que nous estimons être, pour devoir être, le savoir certain. Mais le sceptique qui se fonderait sur un consensus collectif du savoir, c’est celui qui ne douterait de rien ! Aussi bien, sa religion s’appelle la science ! Il protègera le pré carré de quelques opinions plaisantes et sera prêt à mener une guerre impitoyable à une idée qui le dérange. Cela n’a rien à voir avec un doute méthodique cohérent. Sans présupposé. Il faut se préparer au désastre si on veut la vérité. Accepter que nous ne sachions pas tout, que nous ne sachions que bien peu de choses et qu’il soit tout à fait probable qu’il y ait des vérités que nous ignorons et qui changeraient entièrement la donne des problèmes que nous pouvons poser. Douter de manière méthodique, c’est aller d’un bon pas, en parfaite honnêteté et s’apprêter à faire l’épreuve de ce qui se présente comme vérité en exhibant son fondement. Ce n’est pas vouloir toute détruire de manière cynique. (texte) C’est se demander devant toute affirmation : sur quoi repose ce jugement ? Quel est son assise ? Quel est sa justification ? Qu’est-ce qui nous permet de dire cela ? Et il y a à chaque fois une réponse, pour peu que nous ayons assez de courage pour la regarder en face, même si elle est dérangeante. Douter de manière authentique, c’est aussi refuser l’argument d’autorité qui me dispenserait de mettre sur le papier l’explicite, les raisons, en  me défilant pour me mettre sous l’aile d’une référence connue et adulée. C’est vérifier par soi-même, consulter directement l’expérience vécue. Faire sonner une vérité dans la justesse d’une observation fine et pertinente. Après tout, ceux que nous appelons nos maîtres n’ont jamais attendu de nous une dévote abnégation. Dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche demande de ne surtout pas le transformer en statue ! Ne me croyez pas, et allez donc y voir vous-même pour savoir si ce que je dis est vrai ! Commencez par douter, avec honnêteté et vérifiez cela dans votre vie quotidienne. C’est ce qu’a toujours répété à foison Krishnamurti. Si nous ne testons pas la véracité d’une proposition, nous ne ferons que l’accepter par autorité et elle viendra encombrer notre fardeau déjà assez lourd de connaissances de seconde main. De la cendre de mots.  Pas une compréhension vivante. L’essentiel, c’est de pouvoir se tenir debout et marcher de soi-même, sans s’appuyer sur la béquille que nous donnerait quelqu’un d’autre. Ou bien non, sur une béquille que nous aurions confectionné avec les dits et les dires de quelqu’un d’autre. Les dits et les dires du maître, il faut les envoyer promener à un moment pour suivre son propre chemin et faire ses propres découvertes. Ce n’est pas facile. Nous manquons de confiance en nous-mêmes. Nous croyons ne pas avoir assez d’intelligence, assez de perspicacité, assez de rigueur et qu’il vaut mieux se référer à « quelqu’un de compétent » ! Mais qui nous dit qu’il n’y a pas en notre âme toutes les semences de vérités nécessaires ? N’y a-t-il pas plus de joie à faire une découverte par soi-même, à être ébloui de l’éclat d’une évidence lumineuse, qu’à réciter gentiment la doctrine officielle d’un autre... sans y croire vraiment ?

    Mettre en doute en ce sens n’est pas un processus purement négatif. C’est une exigence qui revient à tester ce qui est dit. D’autre part, il est beau de pouvoir dire : « je ne sais pas ». J’entends, sans arrogance, avec le sous-entendu : « je m’en fous », ou encore « vous pouvez toujours étaler votre érudition, moi je refuse l’interrogation ». Non, honnêtement, en toute humilité. Je ne sais pas. Il y a peut être une réponse, mais je ne la connais pas. Je ne vais pas dogmatiser à outrance en prétendant que personne ne sait et que toutes les questions restent sans réponse. Ce sont des affirmations en l’air. Je sais pas. Cela ouvre sur l’Inconnu. Le non-savoir. Seul un esprit capable d’être réellement dans un état de non-savoir est libre. Libre sans honte de ne pas savoir. Nous avons le droit de ne pas avoir réponse à tout et c’est même ce que nous pourrions dire à nos enfants. L’Inconnu est profond, bien plus large que le connu. C’est au moment même où nous lâchons la prétention de toute savoir que se produit la détente du silence. Dans le lâcher-prise du silence, nous sommes en présence de ce qui est. « L’esprit qui vit dans un état de non-savoir est un esprit libre… Un esprit qui vit dans le connu est sans cesse en prison » (texte).

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    Nous ne pouvons pas partir du principe que la vérité est inaccessible. Ce qui existe peut être connu, car connaître c’est justement révéler. L’Être reste cependant voilé et la vérité que l’intellect élabore ne fait que tourner autour de la Vie sans pourvoir l’enfermer de manière définitive. Le scepticisme antique a une profondeur qui mérite d’être reconnue dans sa dimension spirituelle. Il est en effet question pour lui de refuser le conflit dans lequel risque de nous entraîner la diversité des opinions si nous n’y prenons pas garde. La suspension de l’intellect dans l’aptitude à mettre entre parenthèses le jugement n’est pas un jeu.

    Cependant, il ne faudrait pas confondre ce travail avec un doute d’ordre passif et involontaire qui ne procède nullement d’une décision libre et consciente d’elle-même. L’originalité de Descartes est d’avoir su reprendre le doute sceptique pour l’élever au rang d’une méthode. Le paradoxe de la découverte cartésienne c’est d’avoir justement mis à jour l’ultime certitude de la conscience de soi, celle qui est présente dans le je suis.

    Le doute ouvre la porte du non-savoir, qu’un dogmatisme étroit maintient soigneusement barricadée

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  © Philosophie et spiritualité, 2006, Serge Carfantan,
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