Il y a deux manières d’essayer de comprendre la réalité, qui correspondent peut-être à deux tournures d’esprit : il y a ceux qui vont toujours de la théorie vers les faits et ceux qui ne conçoivent de de méthode que partant des faits pour remonter vers la théorie. La première approche accorde une place prépondérante à la formation d’une représentation correcte, d’un cadre conceptuel adéquat. Elle est plutôt spéculative. C’est une démarche caractéristique de systèmes tels que celui de Hegel, mais elle est aussi le propre de toute science hypothético-déductive. La seconde approche tente de s’inscrire au plus près de la situation d’expérience du sujet conscient. Elle est plutôt phénoménologique. Dans ses dialogues avec David Bohm, Krishnamurti avouait son incapacité à partir d’un point de vue théorique, parce que sa pente naturelle était toujours d’aller des faits vers l’idée.
Toute expérience est nécessairement une expérience consciente. Cela veut dire qu’elle s’inscrit dans la dimension de l’ici et du maintenant. La situation d’expérience est à la fois mon insertion dans la trame du réel à un moment historique donné et aussi la fenêtre de la perception à partir de laquelle je vois le monde qui m’entoure immédiatement, du point de vue où je me trouve. Je ne vis pas dans une représentation abstraite, je vis toujours en situation d’expérience. Du point d’insertion où je suis, et qui est le mien, je constitue le monde qui est là et qui est mon monde.
Quelle place devons-nous accorder à la situation d’expérience qui est la nôtre ? Devons-nous y voir une construction délibérée du sujet? Un point d’appui absolu? Ou bien faut-il relativiser toute situation d’expérience en se projetant au-delà? Faut-il se distancer de ce qui est pour ne pas être aveuglé par l’actuel? Et puis, ce mot réel peut-il avoir un sens en dehors de ma situation d’expérience?
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L’explosion de mai 68 en France ne s’est produite ni par hasard, ni sans raisons et encore moins sans initiatives. Mai 68 a eu ses têtes pensantes et ses têtes brûlées – qui étaient les mêmes. Et parmi elles, Guy Debord, auteur de La Société du Spectacle, chef de file du courant du situationnisme. Nous avons vu que les termes en – isme de ce genre désignaient une doctrine, tel que le positivisme, l’existentialisme, le marxisme, bouddhisme, le christianisme, l’athéisme, le nihilisme, etc. Ce sont toujours des représentations enveloppant un corps de propositions caractéristiques. Le plus souvent, le tenant d’une doctrine accepte qu’on le définisse avec un – isme. Comte se disait positiviste et Sartre existentialiste. Mais il arrive aussi que le – isme soit un vocable forgé plutôt par un adversaire éventuel, afin de vous mettre dans un tiroir précis, pour relativiser votre position. On dira par exemple que Marx n’était pas « marxiste », on dira qu’il ne faut pas confondre Freud avec le freudisme. Sur ce point le situationnisme dit du « situationnisme » que c’est un : « Vocable privé de sens, abusivement forgé par dérivation du terme précédent. Il n'y a pas de situationnisme, ce qui signifierait une doctrine d'interprétation des faits existants. La notion de situationnisme est évidemment conçue par les anti-situationnistes ».
© Philosophie et spiritualité, 2006, Serge Carfantan,
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